Que manque-t-il pour avoir des licences Open Hardware qui fonctionnent - Calimaq
Titre : Que manque-t-il pour avoir des licences Open Hardware qui fonctionnent ?
Intervenant : Calimaq
Lieu : PSESHSF - Pas Sage En Seine - Hacker Space Festival
Date : juin 2016
Durée : 57 min 29
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Diaporama support de la conférence : format PDF
Licence : Verbatim
NB : transcription réalisée par nos soins.
Les positions exprimées sont celles des intervenants et ne rejoignent pas forcément celles de l'April.
Description
La logique du Libre est née dans le secteur du logiciel, où elle a pu se déployer en s'appuyant sur des licences ancrées dans les principes du droit d'auteur. La GNU-GPL et toutes ses descendantes garantissent les 4 libertés fondamentales des utilisateurs et les protègent par le biais du mécanisme du Copyleft (Partage à l'identique). Plus tard, cette dynamique du Libre a pu être prolongée dans le domaine de la création culturelle par le biais de nouvelles licences comme les Creative Commons, adaptées à la diffusion de tous les types d’œuvres protégées par le droit d'auteur (textes, vidéos, musiques). En ce qui concerne les données, après une phase de tâtonnement, des licences spécifiques comme l'ODbL ont permis d'appliquer la logique du Libre à des bases de données en donnant naissance à l'Open Data.
Transcription
[Il manque quelques mots] Juriste aussi, c’est pour ça que je suis assez content de faire ce Pas sage En Seine dans une bibliothèque. Je suis au CA de La Quadrature du Net1 et je suis aussi dans un collectif qui s’appelle SavoirsCom12 et je m’intéresse, en général, à tous les aspects juridiques du Libre et à tous les aspects de la culture libre. Et ça m’a amené, après m’être beaucoup intéressé, on va dire, à la création artistique sous licence libre, la musique, les films, les livres, à m’intéresser à un autre domaine, que vous connaissez sans doute, qui est l’open hardware c’est-à-dire le matériel libre ou le matériel open source — on va voir que ce n’est pas tout à fait la même chose — et à m’intéresser à savoir comment ça allait marcher du point de vue juridique. Parce que, dans le monde du logiciel, on a eu la chance d’avoir des licences qui ont bien balisé le terrain, qui ont permis tout ce qu’a permis le logiciel libre, en commençant par la GNU GPL [GNU General Public License] — on a parlé de Richard Stallman cet après-midi — ça a été quand même un outil fondamental. Et, dans le domaine des licences open hardware, vous allez voir que le terrain est beaucoup moins solide et qu’on est en train de construire quelque chose qui est hyper-intéressant, c’est-à-dire la possibilité d’avoir du matériel libre, ce qui est absolument déterminant, j’essaierai de vous montrer des exemples, avec le développement de l’Internet des objets, avec toutes ces choses qui peuvent avoir des facettes assez inquiétantes. Le fait d’avoir du matériel vraiment libre c’est un enjeu fort, mais ça va être beaucoup plus difficile que dans le logiciel. Donc je vais essayer de vous montrer un petit peu où est-ce qu’il y a un bug, parce qu’en fait, il y a un bug dans le système qui va rendre les choses beaucoup plus difficiles à libérer pour du matériel que pour d’autres éléments. Je vais essayer de vous montrer un peu pourquoi il y a un bug et comment on pourrait, éventuellement, essayer d’y remédier. Pardon ?
Public : Ce n’est pas par les usines ? Parce que…
Calimaq : Oui, l’open hardware c’est souvent assez do it yourself, parce que ce sont des trucs qui sont assez liés au mouvement des fab labs, des hackerspacesoù on ne fait pas les choses dans des usines, mais on les fait soi-même en relocalisant la production. Là je vais surtout me concentrer sur les aspects juridiques.
Je précise que tout ce travail-là en fait, on l’a fait en collaboration. Vous avez peut-être entendu cet après-midi quelqu’un qui s’appelle Antoine Chevrier, qui a présenté un projet d’éolienne, et il a pas mal réfléchi aussi à ces questions. Moi je vais reprendre sûrement certains des sujets qu’il a abordés. Il y a des gens qui travaillent dans une association qui s’appelle PiNG, qui est à Nantes, qui ont un fab lab qui s’appelle Plateforme C, qui ont beaucoup réfléchi à ces questions. Ils ont un juriste qui s’appelle Vladimir Ritz, notamment, et on va sûrement bientôt publier une synthèse là-dessus pour essayer de montrer ces problématiques.
Comment est-ce que j’en suis venu, moi, à m’intéresser à ces questions ? En fait, ça a commencé il n’y a pas si longtemps que ça. Je ne sais pas si vous avez entendu parler de ce projet qui s’appelait POC21. C’était un projet qui était porté par WeShare, le collectif WeShare sur l’économie collaborative qui, en marge de la COP21, a voulu faire une sorte de contre-événement où ils ont invité des designers, pendant six semaines, à rester dans un château et à designer douze projets qui devaient avoir un impact environnemental fort et qui devaient être dans la philosophie de l’open source, c’est-à-dire des projets de matériel libre. Il y avait des éoliennes, il y avait des matériels de construction modulaire. Il y avait un tracteur à pédales ; il y avait un four solaire. Voilà, une sorte de laboratoire qui était dans un château et l’engagement de ces gens c’était de faire un prototype, de faire un prototype qui soit réalisable et, au bout du compte, de le libérer en utilisant des licences.
Donc moi, ils m’avaient invité pour essayer d’accompagner ces porteurs de projets à choisir une licence et à voir comment on allait faire pour aller jusqu’au bout de la démarche. Alors au final, comme il fallait que ce soit relativement cadré, les gens qui ont participé à ce projet ont signé un contrat. Parce qu’on voulait être sûrs, quand même, qu’au bout du compte les gens aillent jusqu’au bout. Donc ils ont signé un contrat sur les aspects juridiques et ce qu’on leur conseillait c’était, vous voyez, parce que quand vous faites du matériel, il y a plusieurs couches différentes. Donc quand il y avait des logiciels à associer au matériel il fallait qu’ils utilisent une GNU GPL, une FreeBSD, une MIT License, des choses assez connues. Pour tous les contenus médias, s’ils produisaient du texte, des photos, de la vidéo, etc., on leur conseillait d’utiliser des licences Creative Commons. Et on leur conseillait d’utiliser des licences spécifiques pour l’open hardware qui sont la TAPR OHL, Open Hardware License, et CERN Open Hardware Licence. Voilà un peu l’engagement qu’ils devaient avoir.
Il se trouve qu’en discutant avec ces personnes, on s’est rendu compte que c’était beaucoup plus compliqué que ça, parce qu’il y avait beaucoup de couches de droit différentes à ouvrir. Il y a des gens qui se posaient beaucoup de questions sur est-ce qu’il faut que je dépose un brevet, ou pas, sur ce que j’ai fait. Des gens qui voulaient savoir s’ils devaient déposer une marque sur le nom de leur objet. Il y a eu beaucoup de discussions et ça s’est fini beaucoup plus simplement. Ils ont mis la documentation de leurs projets sur un site qui s’appelle Instructables3, où on a des vidéos, des images, des descriptions, des fichiers de conception, etc., toute la documentation, et ils ont tout mis, en fait, sous une licence Creative Commons classique CC-BY-SA ; c’est la licence de Wikipédia, c’est celle qui est un peu l’équivalent de la GNU GPL pour le logiciel, avec cette clause-là, que vous connaissez peut-être, qui est la clause de copyleft, celle qui fait un effet viral. Voilà ! Donc ça s’est terminé comme ça et j’avoue que ça m’a laissé un petit peu sur ma faim parce que vous allez voir que ça n’est pas très satisfaisant sur les effets que ça produit.
Après l’open source, si vous voulez, c’est un mouvement qui se structure, qui se développe, et qui finit par avoir des définitions. L’open source hardware, il y a une fondation qui s’est montée, qui donne des instructions sur comment est-ce qu’on doit faire pour être dans une démarche d’open source hardware et qui nous conseille dans la définition : il faut des « conceptions réalisées publiquement et disponibles de manière à ce que n’importe qui puisse étudier, modifier, distribuer, créer et vendre un design, ou un produit basé sur ce design. » Ça, ça ressemble beaucoup, en fait, à la définition du logiciel libre, en général. C’est une espèce de transposition de ce que peut être le libre ou l’open source au domaine de la fabrication.
Ça, ça rentre dans un processus qui nous a conduits à passer des premières licences, on va dire, de logiciel libre, donc la GNU GPL et ses déclinaisons qui ont été portées à la base par la Free Software Foundation avec Richard Stallman et tout ce qui s’est fait. On a eu une sorte de bifurcation à un moment donné avec les licences open source. Vous savez il y a un grand débat entre le libre et l’open source, avec des gens qui ont fait des licences qui, en fait, étaient plus permissives que les premières licences libres, qui là, on restait dans le champ du logiciel.
Ensuite il y a eu la branche Creative Commons où là, en fait, on a étendu la logique du logiciel libre aux œuvres, donc aux textes, à la musique aux vidéos, aux jeux vidéos, tout ce qui était de l’ordre de ce qu’on appelle les œuvres de l’esprit qui sont protégées par le droit d’auteur. Et on a vu aussi une bifurcation qui s’est faite pour les données avec l’open data. Il y a eu aussi des déclinaisons spéciales, qui s’appliquent aux bases de données. Il y a en une qui s’appelle ODbL, par exemple, Open Database License, et il a fallu, à chaque fois si vous voulez, créer, décliner, de nouvelles licences et, dans ces domaines-là, on a une certaine certitude juridique. C’est-à-dire que ces licences sont valides, elles s’appuient sur des droits qui existent. Les licences de logiciels s’appuient, vous le savez, sur le copyright et le droit d’auteur, en fait. Un logiciel c’est une œuvre de l’esprit protégeable par le droit d’auteur et c’est ce fondement-là qui leur donne une vraie force. Notamment, si quelqu’un viole une licence de logiciel, eh bien vous pouvez l’attaquer au tribunal. C’est un aspect important. Les Creative Commons, c’est pareil, c’est fondé sur le droit d’auteur. Et dans l’open data il y a un droit des bases de données qui sert de fondement aussi aux licences.
Mais pour l’open hardware, il y a un problème, si vous voulez. Parce que quand vous faites un objet qui est fabricable, vous allez vous trouver sur un autre terrain que le droit d’auteur. Il peut y avoir du droit d’auteur parce que la forme de votre objet peut être une œuvre. Si elle est originale, s’il y a un design qui se rapproche de ce qu’on appelle une œuvre de l’esprit originale, dans sa forme, la forme de l’objet en elle-même peut être protégée par le droit d’auteur, un peu comme une sculpture si vous voulez, et là le droit d’auteur va marcher. Mais il y a plein d’objets qui ne sont pas des œuvres de l’esprit. Vous voyez cette table-là, par exemple, je ne suis pas du tout sûr qu’on puisse la qualifier d’œuvre originale. Sa forme est trop banale pour pouvoir être protégée par le droit d’auteur. Il n’empêche qu’elle peut quand même être protégée par des droits de propriété intellectuelle, mais là on rentre dans un champ qui s’appelle la propriété industrielle, qui comporte d’autres droits, par exemple des droits qui s’appellent les dessins et modèles, qui concernent la forme d’objets fonctionnels, et qui peuvent avoir une protection, mais au titre des dessins et modèles. Et évidemment, il y a un autre droit qui s’appelle le brevet qui lui va porter sur l’invention, c’est-à-dire un procédé technique qui répond à un problème technique et là il y a toute une branche du droit qui est structurée autour.
Le gros problème qui se pose dans le domaine de l’open hardware, c’est que le droit d’auteur et la propriété industrielle ne fonctionnent pas du tout de la même manière. Il y a des règles complètement différentes, notamment pour obtenir le droit.
Notamment, la règle fondamentale pour avoir un droit de propriété industrielle, c’est qu’il faut que vous fassiez un dépôt. Vous ne l’avez pas automatiquement. Quand vous faites un logiciel, vous écrivez un logiciel, s’il est original, ce qui est relativement fréquent, vous allez avoir automatiquement le droit d’auteur qui s’applique sur le logiciel et vous l’avez sans avoir aucune démarche à faire. Vous n’avez même pas à le publier, votre logiciel, pour avoir un droit d’auteur valide. Vous l’avez automatiquement, ce qui fait que vous pouvez directement utiliser une licence pour le libérer.
Pour la propriété industrielle, vous ne pouvez pas faire ça, en fait. Si chez vous ou dans un fablab, par exemple, vous proto-typez quelque chose qui est une invention — et ça arrive j’imagine très souvent dans les fab labs qu’il y ait des gens qui découvrent de nouvelles choses — eh bien vous n’allez pas avoir un titre juridique immédiatement. Pour l’avoir, il faudrait que vous alliez faire une démarche à l’INPI, l’Institut national de la propriété industrielle, pour qu’ils vous donnent, ils vous délivrent un brevet. C’est compliqué ça, c’est long, c’est cher, mais sans ça vous n’avez pas le fondement juridique qui vous permettra de libérer ce que vous avez fait. Et c’est pareil pour les marques aussi, dans le domaine.
Grosse différence de fonctionnement qui, vous allez voir, entraîne pas mal de bugs.
À cela s’ajoute qu’il y a un gros flou juridique dans tout ce domaine de la fabrication. Quand vous avez un fab lab, par exemple, si vous êtes vraiment un fab lab au sens propre du terme, vous appliquez une charte, mais la charte est extrêmement floue. Elle ne dit pas, par exemple, qu’il faut vraiment mettre les choses qu’on crée dans un faf lab sous licence libre. Il y a une sorte de flou artistique dans ce qu’ils disent. Ils disent que ça peut être protégé et vendu comme le souhaite leur inventeur, mais que ça doit rester disponible, de manière à ce que les individus puissent les utiliser et en apprendre. Ce qui est, à vrai dire, extrêmement flou et ne nous dit pas, en fait, quel type de licence doit être utilisé. Ça, ça crée aussi pas mal d’incertitude sur ce que les gens doivent faire dans les fab labs, ou pas, et quelles obligations ils ont quand ils utilisent les moyens que leur donne un fab lab.
Là je vous ai mis le schéma, un petit peu, de toutes les composantes. Richard Stallman n’aimerait pas du tout que je dise ça, mais ce sont toutes les composantes de ce qu’on appelle propriété intellectuelle. Lui n’aime pas du tout ce terme, il n’a pas tort d’ailleurs. Mais ça se sépare en propriété littéraire et artistique et c’est là tout le domaine des droits d’auteur ; et dans la propriété industrielle vous avez des tas de branches. Celles qui sont les plus impliquées dans l’open hardware ce sont les brevets, mais aussi les dessins et modèles. Pour les circuits imprimés vous avez les topographies de semi-conducteurs. Tout ça peut faire l’objet de droits différents et qui partagent tous, en commun, que pour les obtenir il faut avoir fait un dépôt pour obtenir le droit.
Et obtenir un brevet, par exemple, c’est un processus qui est vraiment complexe. Il faut faire un dossier, qui est à l’INPI. Il faut que l’INPI vérifie si ce que vous avez fait est bien une invention brevetable. Il y a des recherches qui sont faites, parce qu’un des grands principes du droit des brevets, c’est que ne vous pouvez avoir le titre de propriété que si vous avez fait un procédé technique nouveau. Il y a une vérification de ce qu’on appelle les antériorités. C’est-à-dire on vérifie si, dans l’état de l’art dans le domaine où vous avez fait votre invention, il n’y a pas déjà eu des procédés qui sont similaires. Et s’il y a un procédé similaire qui est trouvé, vous ne pouvez pas déposer de brevet ; ça bloque le dépôt de brevet ultérieur. Et vous voyez que pour avoir un brevet il faut, en fait, plusieurs années. Entre le moment où vous déposez le brevet et vous l’obtenez, il faut plusieurs années. Et ça coûte relativement cher, ça coûte plusieurs milliers d’euros, sachant qu’en plus les brevets ont une portée nationale. Vous pouvez faire aussi des demandes qui auront une portée européenne. Et si vous voulez avoir un brevet valable au niveau mondial, il faut, là aussi, payer encore plus cher et faire des démarches encore plus complexes.
Malgré tout ça, Richard Stallman nous avait gratifiés d’un article qui disait « Nous voulons aussi du matériel libre. »4 Parce qu’en fait, il expliquait qu’il y a vraiment un intérêt fondamental à ce qu’on ait du logiciel libre, mais que le matériel soit libre, lui aussi. Et il a fait un assez long article où il détaille et il explique que si on veut être dans une démarche de libération du matériel, la stratégie ça va être de prendre la documentation qui décrit le matériel qu’on va produire et de mettre cette documentation sous une licence libre. Et il propose dans son article tout un tas de licences, en fait, la GNU GPL, qui est la licence de logiciel, par exemple, d’autres licences de logiciel, la licence Apache, des licences Creative Commons et il explique que, globalement, si vous mettez votre documentation sous licence libre, vous allez arriver à obtenir à peu près le même effet que ce qu’on a dans le logiciel. Vous allez notamment respecter, vous savez, les quatre libertés fondamentales du logiciel libre et ça, ça garantirait qu’on ait du matériel libre.
La chose la plus importante c’est qu’en général vous allez publier et votre matériel va être open source au sens où on va pouvoir voir comment on le fait ; il y aura une description de toutes ses composantes donc les gens auront accès à l’équivalent du code source pour un logiciel, c’est à-dire la méthode de fabrication et c’est ça qui ferait la qualité de matériel libre.
Dans le processus, pour Richard Stallman, il y a une chose qui est fondamentale, c’est ce qu’on appelle le copyleft, qui est une clause qui se trouve dans la licence GNU GPL, qui existe pour le logiciel et en fait, cette clause, vous le savez peut-être, c’est la garantie qu’il n’y ait pas de réappropriation possible d’un logiciel qui a été mis sous GNU GPL. Comment ça fonctionne ? Si vous faites une version dérivée d’un logiciel qui est sous GNU GPL, vous en faites une modification, une amélioration, vous le combinez avec d’autres éléments, cette clause va se déclencher et elle va se transmettre à la version que vous aurez produite. Et vous serez obligé, vous-même, de repartager la version améliorée que vous aurez faite sous la même licence. C’est ce qu’on appelle une clause virale ou une clause héréditaire, qui garantit que tout ce qui fait à partir d’un premier logiciel passé sous licence libre sera remis au pot commun. C’est notamment très important dans les rapports avec les entreprises, parce qu’une entreprise qui veut utiliser un logiciel libre, elle peut le faire. Si un logiciel est vraiment libre, il permet l’usage commercial, donc l’entreprise pourra l’utiliser. Quand elle veut l’utiliser, en général, elle est obligée de le modifier pour l’adapter à ses besoins. Mais si elle fait ça, elle sera obligée de reverser toutes ses modifications et tous ses apports dans le pot commun et de libérer à son tour ce qu’elle a fait. Oui ?
Public : Donc ce n’est pas vraiment légal de modifier sans reverser. C’est plus si on veut redistribuer ce qu’on a modifié, qu’on doit…
Calimaq : Oui, oui, c’est en cas de redistribution, c’est vrai. Mais c’est quand même une clause de protection qui est très importante pour garantir que quand la liberté a été donnée une fois, elle ne soit pas refermée ensuite. En fait, le gros enjeu de l’open hardware c’est de savoir si on va pouvoir reproduire cet effet. Et c’est ça qui n’est pas du tout garanti dans les systèmes de licences qui existent actuellement.
[Alors je ne sais pas pourquoi j’ai mon support qui se décale. Désolé !]
Cette clause a des effets importants de protection des objets libres. Par exemple dans Wikipédia vous avez cette clause qui existe parce que Wikipédia est sous licence Creative Commons CC-BY-SA, qui a donc la clause copyleft, le partage à l’identique et ça, ça protège énormément Wikipédia. C’est-à-dire que vous pouvez faire un usage commercial de Wikipédia, par exemple vous pouvez imprimer des articles de Wikipédia et les vendre sous forme de livre, mais vous allez être obligé de laisser le contenu sous cette licence-là. Vous pouvez faire des traductions des articles de Wikipédia, mais si vous faites une traduction, vous sera obligé de libérer ce que vous aurez traduit. Donc tout ça a un effet de protection.
[Alors je suis désolé, ça devient un petit peu gênant.]
En termes de protection, ça a un effet très puissant sur Wikipédia. C’est ce qui fait, par exemple, que le contenu de Wikipédia compris comme un tout n’appartient à personne. Il n’y a pas de propriété sur l’ensemble de Wikipédia. Ce qui fait qu’un Google ne pourra jamais venir voir la Wikimedia Foundation et lui dire « je vais racheter Wikipédia ». La Wikimedia Foundation ne peut pas vendre son propre contenu, si vous voulez. Et ça, c’est un mécanisme très important de protection des projets libres, surtout quand ils atteignent une valeur comme peut l’avoir Wikipédia. Donc c’est quand même très important d’avoir ces clauses de partage à l’identique, parce que c’est une garantie que la culture libre ne bascule pas à nouveau dans le côté propriétaire.
Or c’est déjà arrivé dans l’open hardware. Il a déjà eu des gros incidents de parcours. Vous connaissez peut-être cette imprimante 3D qui s’appelle la MakerBot qui est, en fait, une variation, à la base, d’une autre imprimante 3D qui s’appelait la RepRap, qui était considérée comme un des projets pionniers de l’open hardware, qui était sous licence libre, qui était sous GNU GPL. À moment donné, en 2012, MakerBot a produit une nouvelle version d’imprimante 3D et a commencé à ne plus publier les sources. Donc ils ont commencé à refermer. Sachant que, en plus, entre la RepRap et la MakerBot, il y a eu des tas d’apports de la communauté qui ont été faits et l’entreprise qui était derrière MakerBot se les ait appropriés, en fait, et a refermé les sources d’un seul coup et on n’a plus eu accès aux sources. Et pire que ça, en 2014, on s’est rendu compte que l’entreprise derrière MakerBot commençait à déposer des brevets sur les éléments fonctionnels de l’imprimante 3D. Et c’est un des pros problèmes, si vous voulez, parce qu’il y a toute une communauté qui a contribué à ce projet, tout ça pour finir par une réappropriation et MakerBot a fini par être rachetée pour très cher aussi. Donc ça c’est un sacré problème, quand même, dans le monde de l’open hardware. Si ça se reproduit souvent il y aura un malaise dans le développement. Oui ?
Public : En fait, quand MakerBot a déposé le brevet, comment se fait-il que la communauté l’a su ?
Calimaq : La question c’était comment le public a pu avoir connaissance que Makerbot avait fait des dépôts de brevets. Dans le moment de la procédure du brevet, en fait, quand quelqu’un qui a une invention va demander un brevet à un organisme qui délivre des brevets, il y a une phase où ça doit être public. C’est rendu public à tout le monde pour, justement, il puisse y avoir d’autres gens qui se manifestent pour dire : « Ah ben non, moi j’ai déjà un brevet ». Dans la phase de vérification initiale c’est rendu public à tout le monde que untel a fait un brevet pour telle invention, etc. Donc c’est comme ça qu’on peut savoir, en général, qu’il y a un brevet problématique qui est déposé, ce qui arrive très souvent, en fait. Il y a beaucoup de dépôts de brevets qui sont un peu particuliers.
Vous voyez, ça c’est la RepRap. C’est une imprimante 3D qui a la particularité de s’auto-répliquer, c’est-à-dire qu’elle est entièrement re-constructible à partir d’elle-même. Quand vous avez une RepRap, vous pouvez reconstruire tous les éléments de la RepRap pour en faire une autre à partir d’elle-même, donc elle est auto-réplicante.
Public : Sauf…
Calimaq : Ouais. Quelques éléments qu’il faudra rajouter, mais l’essentiel des éléments… C’est un projet quasi poétique, qui est assez intéressant, et qui était sous une RepRap GPL License, licence très bizarre qui dit qu’elle est sous GNU GPL. J’avoue que j’ai du mal à comprendre l’intérêt de faire une licence qui dit qu’on est sous GNU GPL. Pourquoi ne l’avoir pas mis directement sous GNU GPL ? Mais ça c’est une des bizarreries. Vous allez voir qu’il y a beaucoup de bizarreries dans le domaine de l’open hardware. Ça ne l’a visiblement pas tellement protégée quoi, parce que s’il y a pu avoir toutes ces dérives avec MakerBot, c’est qu’il y a eu un souci.
Vous avez un autre projet emblématique de l’open hardware qui est le projet Open Source Ecology qui est un projet de production de machines agricoles, qui existe depuis plusieurs années, et qui a fait, notamment, un set de construction d’un village global. C’est un kit de redémarrage de la civilisation, en gros, où vous pouvez reconstruire tous les éléments de base pour repartir une civilisation à zéro. Vous avez la petite moissonneuse-batteuse, un tracteur, un four solaire, une machine pour faire des briques. Et tout ça a été mis, tous les plans ont été mis sous licence Créative Commons CC-BY-SA.
Vous avez tout ce qui concerne Arduino. Les puces Arduino, circuits imprimés Arduino qui, eux aussi, en fait, ont mis tous les fichiers de conception des circuits imprimés sous licence Creative Commons. Toute la partie logicielle a été mise soit sous GPL, soit sous LGPL [Licence publique générale limitée GNU] qui est une version de la GPL. Et on verra tout à l’heure aussi que Arduino a déposé une marque sur son nom qui est aussi une chose importante dans leur mode de fonctionnement. Oui ?
Public : Ils sont en procès ?
Calimaq : Oui. La communauté, enfin les gens qui étaient derrière Arduino se sont disputés. Maintenant il y a Genuino qui est une sorte de fork, on va dire, d’Arduino. Il y a eu des petits soucis sur le nom.
Vous avez un projet aussi assez emblématique qui s’appelle Wikispeed qui est un projet collaboratif qui a conduit à faire une voiture de course en open source, qui a la particularité de très peu consommer. Et ça a été une des plus belles réussites du truc open hardware parce que ça a montré que, par rapport aux procédés industriels, il y avait des possibilités énormes de faire des projets éco-responsables, beaucoup moins gourmands en termes d’énergie. Par contre, j’ai eu beau chercher, j’avoue que je n’ai pas trouvé toutes les licences. Il y a les sources en ligne, c’est-à-dire qu’on voit tous les éléments de conception ; il y a toute la description, mais la licence n’est pas très claire.
Et peut-être vous avez vu en bas, il y a ce projet-là qui est exposé ici, qui est un projet de design libre d’objets à fabriquer soi-même. Vous avez la description pour faire tous ces types d’objets. C’est un livre qui a été fait par crowdfunding et qui est sous Licence Art Libre, qui est une licence qui ressemble à la Creative Commons CC-BY-SA. Voilà.
Donc vous voyez, il y a des pratiques quand même, il y a des beaux projet dans le domaine de l’open hardware qui utilisent pas mal de stratégies différentes. Il y a celui-là aussi, que vous connaissez peut-être, le Bionicohand, un projet de prothèse de main qui a été fait par quelqu’un dans un fab lab qui est à Brest, qui a gagné un prix Google pour avoir fait ça et qui a diffusé les sources de son projet sous CC-BY-SA. Bizarrement, j’ai trouvé aussi des éléments de son projet sous CC-BY-NC, ce qui n’est pas tout à fait compatible. C’est un peu petit bizarre comme diffusion, mais c’est aussi un projet qui est relativement intéressant. Ça permet de baisser les coûts de production de ce type d’outil par plus que dix.
Donc vous avez vu qu’on peut faire de l’open hardware. C’est quand même relativement compliqué. Moi je vais essayer de vous montrer qu’il y a trois stratégies possibles pour le faire, pour essayer de libérer du matériel. Il y a trois stratégies possibles. Chacune a ses failles, mais chacune a son intérêt et on va essayer de voir rapidement comment on peut faire.
La première stratégie possible c’est de se dire qu’on va publier la documentation de ce qu’on a produit pour directement verser l’invention dans le domaine public.
Ça, c’est une chose qu’on connaît, alors ce n’est pas vraiment dans le domaine de l’open hardware, mais, par exemple, c’est ce qu’a fait Tim Berners-Lee en 1993, quand il a inventé le Web. Tim Berners-Lee, il est au CERN, en Suisse ; il invente le Web et là il y a un choix vraiment crucial à faire c’est : est-ce qu’il dépose un brevet dessus ? Si Tim Berners-Lee avait déposé un brevet sur tous les protocoles du Web, tout ce qui me permet d’afficher les pages web, etc., le système des hypertextes ; tout ça c’était brevetable, en fait. Et là, ils font le choix de ne pas le breveter et ça a été un des choix historiques les plus importants. Parce que s’ils avaient déposé un brevet, ça aurait complètement changé le développement du Web et ça aurait sûrement conduit à ce qu’il y ait des webs et pas un web. Donc ce choix-là est vraiment crucial. Et qu’est-ce qu’ils font en fait, simplement ? Eh bien Tim Berners-Lee fait un article où il explique ce qu’est la technologie qu’il a produite, il montre tous les procédés, tous les protocoles, et en le révélant, si vous voulez, il s’empêche lui-même de déposer un brevet, parce que du coup il a fait une révélation d’antériorité, et il empêche tout le monde de déposer un brevet. En faisant ça, si vous voulez, vous faites quelque chose qui n’est pas vraiment sous licence libre, vous le mettez dans le domaine public, c’est-à-dire que ça devient libre, mais vous ne revendiquez pas de droits dessus. Vous abandonnez vos droits sur la chose en la révélant à la face du monde.
Il y a pas mal de gens qui ont fait ça, d’autres. Là c’est un autre projet que je trouve assez intéressant. Vous savez, le gel hydroalcoolique que vous utilisez pour vous laver les mains, en fait ça a été inventé par un médecin qui s’appelle Didier Pittet, qui était dans un hôpital, en Suisse aussi, et qui se posait la question des maladies nosocomiales. Et il s’est rendu compte que c’était transmis en général, dans les hôpitaux, par les mains ; il a trouvé cette formule de solution hydroalcoolique, qu’on utilise tous maintenant, qui est beaucoup plus simple pour les médecins que de se laver les mains avec de l’eau. C’est beaucoup plus rapide. Il s’est rendu compte que ça, il fallait que ce soit disponible au coût le plus le bas, notamment pour que ce soit diffusable dans les pays du Sud, dans les pays en voie de développement. Il a renoncé à déposer un brevet dessus, ce qui fait que ce gel a été disponible avec des coûts très bas. Il y a un très beau livre qui a été écrit par Thierry Crouzet, là-dessus, qui s’appelle Le geste qui sauve. C’est un cas d’invention qui a été libérée par révélation du procédé, publiquement.
Ça, ça marche. Si vous faites ça avec un de vos projets, vous allez faire une forme d’open hardware, mais ça pose un problème. Le problème, en fait, c’est qu’on ne vit pas dans un monde Bisounours, si vous voulez, et qu’il y a des gens qui cherchent à déposer le maximum de brevets. On appelle ça aux États-Unis des patent trollsl. Ce sont des sociétés qui ont des stratégies : elles déposent le plus de brevets possibles. En général elles ne fabriquent rien et elles vivent sur la menace des procès qu’elles peuvent faire à d’autres firmes, à tel point qu’aux États-Unis ça représente une part énorme des procès qui sont faits dans le domaine des brevets. Ça fragilise beaucoup leur secteur industriel, c’est vraiment devenu un gros problème.
Le risque que vous prenez en révélant votre invention à la face du monde c’est que vous allez le faire, vous, par exemple, sur un site internet peut-être pas très connu, pas très visible. Si eux font un dépôt de brevet devant un office de propriété intellectuelle, il n’est pas du tout sûr que l’office de propriété intellectuelle repère que vous vous avez fait une publication à la face du monde de votre invention. Il faudrait que ça se voit. Le Web est grand, ils ne peuvent pas faire des recherches à l’échelle du monde entier, et donc vous avez un risque que quelqu’un vous prenne votre technologie et la brevette. Il peut ensuite après se retourner contre vous en disant que c’est lui qui a le brevet et vous attaquer si vous continuez à le fabriquer, etc., ou attaquer d’autres personnes qui, de bonne foi, se seraient fiées… Oui ?
Public : Inaudible.
Calimaq : Alors si on peut prouver l’antériorité, on peut faire tomber ce brevet, le brevet frauduleux qui aura été déposé. Sauf qu’il faut aller faire un procès pour le faire. Donc il va falloir prendre sur soi d’aller attaquer une firme. En général ce sont des firmes où il n’y a que des juristes dedans, qui sont très bien préparés à ce genre de choses. Et donc, si vous êtes un petit inventeur dans un fab lab, par exemple, il y a peu de chances que vous ayez les reins assez solides pour aller contester un brevet de patent troll. Donc théoriquement oui, la publication ça fait une antériorité qui bloque les dépôts de brevets ultérieurs, mais en pratique, quand même, ce truc est vraiment difficile. Et aux États-Unis c’est un tel problème qu’il y a plein de gens qui déposent des brevets alors qu’ils ne voudraient pas vraiment le déposer, mais uniquement pour se défendre, parce qu’ils se disent « au moins j’ai un brevet. Si jamais quelqu’un essaie de m’embêter, un patent troll vient m’embêter, eh bien en justice je pourrai lui opposer mon brevet, ce sera beaucoup plus simple que d’essayer de faire tomber son brevet à lui. »
Public : Il n’essaient pas de réguler la prolifération de ce genre d’entreprises ?
Calimaq : Il y a eu des tentatives de changer la loi aux États-Unis pour limiter ce problème, sauf que le problème c’est que les patent trolls sont aussi très forts en lobbying et que, pour l’instant, le Congrès américain n’a jamais pu régler le problème à la racine. Oui ?
Public : Ça coûte combien de déposer un brevet ?
Calimaq : Le coût d’un brevet ? En fait il y a un coût initial. J’avais regardé un petit peu pour la France, ça coûte entre trois et quatre mille euros, parce qu’il y a des frais qui sont demandés par l’INPI et après il faut aussi payer des avocats pour qu’ils rédigent le brevet. C’est très dur de rédiger un brevet pour qu’il soit valide et c’est très dur aussi parce qu’il faut faire une recherche d’antériorité. Ça, ce sont des avocats qui le font. Et après, il y a des redevances annuelles. Et un brevet ça dure vingt ans. Pour couvrir les vingt ans, il faut rajouter huit mille euros environ. Donc au final quand même, c’est cher ! Ça fait plus de dix mille euros de frais engagés juste pour avoir le brevet. Et ça, c’est pour un brevet qui n’est valide qu’en France, parce que si vous voulez avoir un brevet qui est valide dans le monde entier, c’est encore plus cher : il faudra dépenser plus. Donc ce n’est pas anodin, quand même. Alors que pour un logiciel, vous voyez, le copyright vous l’avez directement, c’est gratuit.
Public : En général, ce sont de très grosses boîtes avec de très gros moyens.
Calimaq : Ah oui, oui.
Public : C’est Samsung : hier chacun volait les brevets des autres ; la pression est montée, au bout d’un moment ils ont dit : « On efface l’ardoise ».
Public : En fait, c’est ce que je voulais dire. Le problème ce n’est pas tellement que les patent trolls sont très forts en lobbying, à ma connaissance, c’est surtout que les patent trolls ce sont des parasites qui agissent à la marge d’un système global, avec cette fois-ci des acteurs nettement plus puissants comme Google, Motorola, etc. Un système global où la loi des brevets n’a plus une fonction de loi : c’est un outil dans la guerre industrielle entre méga-corporations.
Calimaq : Tout à fait. La guerre des brevets dans le domaine des smartphones, des tablettes, c’est devenu quelque chose d’assez incroyable.
Donc le domaine public ça marche, mais il y a quand un petit souci. Vous avez un risque, quand même, que quelqu’un se réapproprie ce que vous avez voulu libérer, si vous n’êtes pas suffisamment gros pour vous faire connaître.
Deuxième pratique. Vous appliquez ce que préconise Richard Stallman et ce qu’ont fait, à peu près, tous les projets que je vous ai montrés ; c’est ce qu’on demande souvent aux gens dans les fab labs : c'est-à-dire qu'on vous demande de documenter votre projet, ça veut dire d'expliquer votre démarche au maximum, d'expliquer le processus de fabrication de l'objet, de publier les plans, de publier les fichiers de conception, de documenter au maximum votre projet et de mettre la documentation sous licence libre. Et là, vous publiez tout ça. Donc là, si vous le publiez, vous ne pouvez plus, vous, déposer de brevet parce que vous avez révélé, mais l’avantage par rapport à ce qui s’est passé tout à l’heure, c’est que votre doc sera sous licence libre.
Pourquoi ça ne marche pas ça, en fait ? Parce qu’il y a un problème, ça ne marche pas. Moi j’appelle ça le paradoxe de la recette de cuisine. Je ne sais pas si vous le savez, mais les recettes de cuisine ça ne peut jamais être protégé par le droit d’auteur. C’est une règle. Il y a des gens qui ont essayé, par exemple, là cette personne-là a essayé. Il y a des gens qui aimeraient, ils créent un nouveau plat, ils aimeraient protéger leur nouveau plat et se dire « moi je veux un monopole, je veux être le seul à pouvoir faire ma recette et je veux empêcher les autres cuisiniers de faire la même chose. » Donc c’est pareil, on est dans un processus de fabrication, et ils aimeraient déposer un copyright dessus.
Sauf que les juges refusent qu’on protège par le droit d’auteur les recettes, parce qu’ils disent : « Une recette c’est de l’ordre de l’idée. » C’est-à-dire que vous avez des ingrédients, vous les combinez, vous avez la liste de description. Ce n’est pas une œuvre originale au sens où c’est créatif comme un poème, si vous voulez. Ce sont juste des faits, des idées et des méthodes que vous exposez, que vous enchaînez. Et quand quelqu’un copie votre recette et fait le plat, il extraie les idées qui sont dans la recette, il les prend et il fabrique le plat à partir des idées qui vous avez exprimées. Et il y a un grand principe en propriété intellectuelle qui est que les idées ne sont jamais protégeables en tant que telles, donc les recettes ne sont pas protégeables. Oui ?
Public : Inaudible.
Calimaq : Ah, oui, oui, il est foutu. C’est pour ça que le mode de protection dans la cuisine, c’est le secret. Un chef qui veut ou une firme qui veut ne pas être copiée, elle doit se protéger par le secret. Elle fait signer des clauses de confidentialité à ses employés pour ne pas qu’ils révèlent la recette. Et là je vous ai mis un exemple : c’est une chef qui était chef au restaurant du musée d’art moderne de San Francisco et qui a créé un gâteau Mondrian, vous voyez, inspiré des tableaux de Mondrian. Elle a fait ce gâteau-là. Mondrian est dans le domaine public donc elle peut le copier, il n’y a pas de problème et elle, elle fait un gâteau Mondrian. Problème, elle se fait limoger. Le musée la renvoie parce qu’il y a eu problème, etc., et le chef suivant continue à mettre le gâteau Mondrian à la carte. Donc il refait le même gâteau et elle, elle dit : « Attendez, là c’est du plagiat ». Elle, elle avait fait un livre où elle avait expliqué la recette, etc., et elle voudrait empêcher le musée de continuer à faire son gâteau et elle dit : « C’est du plagiat culinaire ». Sauf qu’en fait, elle ne peut pas gagner, ce n’est pas possible, parce que la cuisine est open source par définition.
Et alors ça, c’est un problème, en fait, qui existe dans l’open hardware. C’est-à-dire que si vous faites ça, vous mettez votre documentation sous licence libre, la licence Creative Commons s’appuie sur le droit d’auteur. Donc la seule chose qui peut être protégée par le droit d’auteur c’est le texte de votre documentation, ce sont par exemple les photos. Ça, ça veut dire que les gens vont être soumis à la licence quand ils vont copier votre documentation. Par exemple, si quelqu’un copie votre documentation et la met sur un autre site, il sera obligé de la mettre sous la même licence. Par contre, s’il fabrique l’objet à partir de votre documentation, il fait exactement la même chose qu’une recette de cuisine, qu’un chef avec une recette de cuisine. Il extrait les idées qui sont dans la documentation et là, la licence Creative Commons ne peut pas contrôler ça, en fait.
Public : Ça veut dire qu’en réalité, quand il fait les choses, ça passe dans le domaine public ? Ce que ça veut dire c’est que quand tu mets une licence CC BY-SA, en réalité tout passe dans le domaine public ? Ou est-ce que ça veut dire que ça va être appropriable par quelqu’un ? Parce que la recette de cuisine tu as dit que personne ne peut se l’approprier. La chef l’a perdue, mais le musée ne peut pas se l’approprier non plus ?
Calimaq : Exactement !
Public : Or c’est quand même le but, le but essentiel de l’open, s’il y a cette idée de viralité importante de BY-SA, etc., l’idée c’est quand même que personne ne se l’approprie. Donc est-ce qu’il y a ce risque-là, ou pas ?
Calimaq : Là, en fait, il y aurait le risque, comme dans l’autre truc, que quelqu’un dépose un brevet ; que quelqu’un vienne, un patent troll, vienne déposer un brevet. Il ne serait pas valable son brevet, mais il y a quand même ce risque-là.
Donc vous voyez, là il y a déjà un point assez bancal et le gros problème de la démarche c’est que la clause importante du Libre que Richard Stallman considère comme vraiment importante, elle ne va pas fonctionner. Elle ne va fonctionner que sur la documentation. Elle ne fonctionnera pas sur l’objet qui a été documenté. Donc il y a une sorte de mur de la fabrication.
Là je vous ai mis un des exemples du projet Open Source Ecology. C’est une machine qui sert à fabriquer des briques, qui compacte de l’argile pour faire des briques. J’ai la doc. La doc est sous licence Creative Commons, donc si je modifie la doc par exemple, imaginons que je reprenne le dessin, je rajoute des éléments, etc. Mon dessin, je vais être obligé de le mettre sous licence libre aussi, parce que j’aurai modifié la doc donc ce que je fais de dérivé à partir de la doc je vais le mettre sous licence libre. Mais si je me contente de fabriquer l’objet et que je modifie l’objet, eh bien en fait, la licence libre ne va pas se communiquer et mon objet va rester, il n’y aura pas de contrôle. Donc il y a une sorte de mur de la fabrication et la licence ne permet pas de… Le seul moyen de contrôler la fabrication, c’est d’avoir un titre de propriété industrielle comme un brevet, parce que le brevet c’est ça, en fait, qu’il contrôle. Il contrôle le fait de fabriquer quelque chose à partir d’une documentation. Mais si vous n’avez pas de brevet, vous ne pouvez pas passer le mur de la fabrication.
C’est pour ça aussi que vous avez, Arduino, eux ils ont trouvé une combine, on va dire, qui consiste à se protéger avec la marque. C’est-à-dire qu’ils ont une marque de commerce sur leur nom. Vous avez tout à fait le droit de refaire des puces Arduino chez vous, vous avez le droit d’en vendre, même, mais vous n’avez pas le droit de les appeler Arduino. Et donc ils se défendent sur leur réputation. Ils se protègent en se garantissant que personne ne pourra usurper leur nom. Et ça, ça marche parce qu’ils ont déposé une marque sur leur nom et ils peuvent la faire valoir. Mais c’est une sorte de biais.
[Désolé, je vais être obligé de… Je galère un peu.]
Et il y a des gens qui ont écrit des licences open hardware, spécialement. Il y en trois principalement : il y a la TAPR License, qui est la première qui est apparue, la CERN License qui est née au CERN, l’institut de recherche en Suisse et la Fablib License, qui a été faite par Antoine Chevrier, qui est dans la salle, et qui est une version dérivée de la Licence Art Libre, faite pour la fabrication.
Là vous voyez, par exemple, vous avez cette pièce-là qui est sous licence CERN. On le voit ici : « licencié sous la licence CERN ». Donc ce sont des licences qui, en fait, prennent en compte, c’est comme des licences libres, mais elles en prennent en compte et elles imposent des obligations en cas de fabrication.
Par exemple la CERN, quand on regarde ce qu’elle demande :
- si vous mettez des plans d’un objet sous licence CERN, donc vous l’appliquez à la documentation, ça va vous obliger à donner accès à la documentation quand vous distribuez le produit. Donc quand vous-même vous distribuez votre produit, vous devez garantir aux personnes qui ont accès à votre produit physique qu’elles ont aussi accès à une documentation ;
- si quelqu’un modifie votre documentation, il sera obligé de la repartager sous la même licence, donc ça c’est l’effet copyleft de la GNU GPL ;
- sur l’objet physique vous devez inscrire que l’objet est sous cette licence ;
- si jamais quelqu’un modifie votre objet, donc si quelqu’un fait une modification de votre objet, la licence va l’obliger à documenter sa modification et à partager la nouvelle documentation qu’il aura faite sous la même licence ;
- c’est une licence qui n’interdit pas l’usage commercial, donc c’est une licence libre au sens propre du terme ;
- ça ne vous empêche pas d’avoir un brevet, mais vous ne pourrez en faire qu’un usage défensif ;
- vous pouvez faire un dépôt de marque.
En fait c’est une licence qui est hyper-intéressante sur le papier, si vous voulez, parce que, en fait, si cette licence pouvait s’appliquer, on aurait du matériel libre au sens propre du terme, parce qu’au aurait exactement le même effet que le logiciel, transposé au matériel.
Problème, c’est que c’est trop beau pour être vrai, en fait ! Parce que le seul moyen que cette licence marche c’est soit que l’objet soit un objet qui ait une composante artistique, on va dire, et donc là il s’appuierait sur le droit d’auteur comme les licences de logiciel libre, mais ce ne sont pas tous les objets à fabriquer qui ont cette qualité artistique et c’est d’ailleurs assez difficile à déterminer : qu’est-ce qui est original au sens du droit d’auteur ? Soit vous avez un brevet et vous pouvez utiliser cette licence pour exprimer le brevet et toutes ces obligations vont marcher. Mais si vous n’avez pas de brevet, hélas, eh bien l’effet, notamment tous les effets qui s’appliquent à la fabrication, ne sera pas valide. Donc ce sont des licences qui sont intéressantes sur le papier, mais qui en pratique, en justice, seraient difficiles à faire valoir.
Et donc le seul moyen c’est de déposer un brevet. Mais pour déposer un brevet on l’a dit, eh bien il faut beaucoup d’argent, il faut faire des démarches. Si vous êtes dans un fab lab, vous n’avez ni les moyens ni l’envie, certainement, d’aller déposer un brevet.
Alors la dernière stratégie et je termine. Oui ? Je crois qu’il y a une question. Non ?
Public : Je la poserai après.
Calimaq : Ça marche.
La dernière stratégie rapidement, c’est de se dire, puisqu’il faut un brevet, eh bien déposons des brevets et ouvrons-les après. Ça c’est déjà arrivé dans l’histoire. Là vous avez le daguerréotype, c’est un ancêtre de l’appareil photo. L’État français avait trouvé que cette machine était très intéressante et en 1839 l’État a racheté le brevet et il l’a offert au monde entier. Donc l’État français a offert l’invention au monde entier.
Public : Inaudible.
Calimaq : Tout à fait. C’est un astronome qui a été député aussi après sous la Seconde République. Mais là, voilà, il a fait ce geste qui était assez généreux : on a un brevet et on l’offre. Vous avez des gens qui ont fait ça aussi. Je ne sais pas si vous déjà entendu parler de ça, mais ça a fait pas mal parler. Ça c’est le mur des brevets de l’entreprise Tesla. Donc Tesla, vous savez, le constructeur de voitures électriques, avait dans son entreprise un mur des brevets où ils affichaient fièrement qu’ils avaient fait tant d’inventions et c’était une sorte de fierté. Et puis un jour, le patron de l’entreprise, Elon Musk, a fait un billet de blog en disant : « Nous renonçons à tous nos brevets. Nous les offrons à qui les veut. Nous renonçons à nos brevets. » En fait, il a fait exactement l’inverse d’Apple, Google, Samsung, il a dit : « Il faut sortir de ces guerres de brevets. » Oui ?
Public : Quelle est la valeur légale ? D'après ce que je vois, c’est une déclaration de bonne volonté. Ça m’apparaît n’avoir aucune valeur légale.
Calimaq : Très bonne question, c’est exactement ça. Donc quand il a fait ça, pas mal de gens ont dit : « Ça a l’air très généreux, mais qu’est-ce qui nous garantit, en fait vraiment, que c’est vrai ? » Parce que si on voulait qu’il y ait une garantie il faudrait qu’il y ait une licence. Par exemple s’il avait dit : « Je mets tous mes brevets sous telle licence », là on aurait été sûrs qu’il y avait quelque chose de dur. En fait, quand on lit bien son billet, il dit : « Nous ne nous lancerons pas dans des poursuites pour violation de brevets contre toute personne qui utilisera notre technologie de bonne foi ». Qu’est-ce que ça veut dire « utiliser de bonne foi » ? Après il a refait des déclarations disant : « Si, si, nos brevets sont vraiment ouverts, allez-y ! ». Intéressant, mais on reste un peu dans le…
Le problème c’est que même si vous voulez vraiment le faire, comme je l’ai dit, eh bien voilà. Imaginons que vous vouliez faire ça dans un fab lab, il va falloir vous taper toute la procédure de dépôt et payer les coûts. Donc c’est à la portée de Tesla qui peut avoir cette sorte de magnanimité, mais pour un petit constructeur, pour un petit inventeur, ce n’est certainement pas possible.
Et après il y a la question de savoir comment je fais au niveau des licences. Quelle licence je choisis pour ouvrir mon produit, pour ouvrir mon invention ? Là je vous ai mis un exemple que j’ai trouvé, que je trouve assez intéressant, c’est un yaourt végétal à base de riz brassé. Donc c’est une société qui s’appelle Nomad’Yo, qui est en Bretagne. La personne qui a fait ça a déposé un brevet sur la méthode de fabrication de ses yaourts. Et puis, en cours de chemin, ils ont décidé de se rapprocher du Libre. Ils veulent faire de ce produit un bien commun et donc ils ont mis la recette sous licence CC-BY-NC-SA. Donc là, vous avez le droit de refaire ce yaourt chez vous, si vous voulez ; il y a toute la recette, vous pouvez faire des ferments, tout ça, mais vous n’avez pas le droit de le commercialiser, parce que ce n’est pas une licence libre qu'ils ont choisie, ça c’est une licence qui interdit l’usage commercial. Ils ont un brevet, donc ça pourrait marcher à la rigueur, sauf qu’eux, ils ont choisi la mauvaise licence, parce la licence Creative Commons ne prend pas en compte la propriété industrielle, donc en fait tout ça, ça ne vaut rien juridiquement. Ils se sont trompés. Il aurait fallu qu’ils choisissent une licence qui prenne en compte la propriété industrielle. Donc même avec un brevet, ce n’est pas si facile. Il faudrait qu’ils changent, ouais. Je ne leur ai pas encore écrit.
[Bon, je vais passer là-dessus]
Donc vous avez compris, quand même, que c’est une sacrée pagaille tout ça. Pardon ?
Public : Par contre est-ce que ça existe ?
Calimaq : Ça là ?
Public : C’est un marché important ?
Calimaq : Ah oui, oui, je vous en dis alors. Ça c’est une autre approche qui a été faite aux États-Unis, qui s’appelle la Defensive Patent License, qui a été faite par des juristes. Ce n’est pas une licence libre, mais c’est plutôt une logique. On a appelé ça des pools de brevets. En gros ça s’adresse à des gens qui ont des brevets et on leur dit : « Regroupez-vous et rentrons dans une alliance où on dira si quelqu’un rentre dans l’alliance il s’engage à ne pas utiliser ces brevets contre tous les autres membres de l’alliance. Il les garde juste pour se défendre si on l’agresse, notamment si un troll vient l’agresser. » Donc c’est une sorte de bouclier et ils disent : « Quand vous rentrez dans l’alliance non seulement vous devez mettre tous les brevets que vous avez déjà, mais tous les brevets que vous aurez dans le futur. » Donc en gros, ça neutralise l’effet des brevets mais dans un cercle. Et leur idée c’est de dire « on va faire en sorte que le cercle grandisse, grandisse, et plus il y aura de gens qui seront dans le cercle, plus on créera une zone, comme ça, démilitarisée, où l’effet des brevets négatif sera neutralisé, on aura juste l’effet protection des brevets contre les trolls. » Donc c’est assez intéressant. Ce n’est pas du tout la même chose qu’une licence libre, parce qu’une licence libre ça vaut pour tout le monde. Là, cette licence-là ne vaut que pour les gens qui sont dans l’alliance. Mais ça pourrait être une voie quoi. Alors là, du coup juridiquement, ça, ça marche par contre. Oui ?
Public : Comment est-ce qu’on peut garantir que les gens qui sont dans l’alliance ne vont pas ? Comment ils peuvent garantir que les gens qui sont dans l’alliance ne vont pas finir par rompre le pacte ?
Calimaq : C’est prévu en fait. Celui qui sort de l’alliance, eh bien il peut se faire attaquer par tous les autres. C’est-à-dire qu’il perd déjà le droit d’utiliser les brevets des autres. Donc tout ce qu’il a construit sur les brevets des autres, il ne peut plus le faire et, en plus de ça, eh bien les autres, vu qu’il est en dehors de l’alliance, il est considéré comme un troll potentiel et il pourra se faire attaquer par les autres. Donc c’est un peu dissuasif, quand vous êtes rentré dedans. Voilà.
Je termine rapidement en vous disant, oui ? Il y a une autre question vas-y. Si, si, vas-y.
Public : Inaudible.
Calimaq : Ça tombe bien parce que c’est exactement sur ça que je voulais terminer. Qu’est-ce qu’on pourrait imaginer pour que ces licences open hardware fonctionnent aussi facilement que pour les licences de logiciel libre ? Vous allez voir qu’en fait il n’y a pas tellement de solutions, mais bon !
La première solution c’est de ne rien faire, parce qu’après tout, quand on regarde par exemple les Creative Commons, il n’y a quasiment jamais, il n’y a jamais eu de procès en France sur les licences Creative Commons. Les gens les utilisent. Il n’y a jamais eu de procès depuis douze ans qu’existent les licences Creative Commons. Donc on peut se dire, en fait, est-ce que les problèmes en justice sont vraiment tellement un problème ? Finalement, quand vous utilisez une licence, si c’est une Creative Commons, une CERN License, vous l’annoncez à la communauté, il y a une régulation intracommunautaire. Ce n’est pas toujours l’application juridique qui fait la valeur d’une licence, c’est peut-être aussi son symbole. Voilà ! Donc pourrait se dire ne faisons rien, finalement. Ces licences n’ont pas de valeur juridique en elles-mêmes, mais elles ont une valeur symbolique et on construit l’open hardware sur du symbole et pas de l’application en dur du droit. Bon, pourquoi pas ?
Deuxième solution possible, on va voir l’INPI, en France, l’Institut national de la propriété industrielle, et on lui demande de faire une filière d’obtention spéciale de titres de propriété industrielle, qui ne seraient pas des brevets peut-être, mais des brevets light, qui seraient moins chers à obtenir, plus rapides, à condition que la personne qui fait cette demande s’engage à les ouvrir. Parce qu’après tout, si vous ne voulez pas garder les droits pour vous, si vous voulez les donnez, eh bien vous faites un bienfait pour la société, vous faites une contribution à l’innovation et à la possibilité pour les autres de construire sur ce que vous avez fait, donc ce serait logique que l’INPI ne vous fasse pas payer tous les frais qu’il fait payer à tous les autres. Et du coup, vous aurez un titre de propriété industrielle qui marche, et là vous pouvez appliquer vos licences.
Public : Inaudible.
Calimaq : Non, pour l’instant personne n’a jamais essayé. On en parle, un petit peu, dans certains cercles. On n’a jamais soumis ça à l’INPI. D’ailleurs, je crois que c’est une des premières fois — Antoine, tout à l’heure aussi l’a fait un petit peu dans sa conf —, mais c’est une des premières fois où on expose en public ce genre de problématique. Il y a déjà des billets, vous allez trouver un petit peu des choses, mais il n’y a pas énormément de gens qui ont déroulé tout le raisonnement comme ça. C’est vraiment au début.
Donc ça ce serait possible. Ce n’est pas du tout sûr que l’INPI accepte, parce que ça faciliterait beaucoup plus le dépôt d’inventions sous licence libre que les dépôts en dur. L’INPI vit aussi des frais qu’ils font payer, donc eux ils ont intérêt à ce qu’on paye. Donc ce n’est pas du tout sûr que l’INPI accepte ça. Et puis ça favoriserait beaucoup la sphère du Libre par rapport à la sphère industrielle propriétaire, donc il y aurait peut-être un lobbying de ces gens-là pour empêcher ce développement ; voilà, on ne sait pas.
Public : Sachant que leur boulot, c’est aussi de vérifier que ça n’existe pas déjà. Si on a quelque chose dans le Libre, qui est déjà sorti avant, eh bien ça n’a pas de sens quoi !
Calimaq : Oui, tout à fait. Avec Antoine on en parlait tout à l’heure. On pourrait se dire aussi peut-être que ça pourrait être fait de manière communautaire. On créerait, par exemple nous, une plateforme où les gens publieraient leur documentation et on pousserait les informations vers l’INPI pour qu’ils soient au courant de ces libérations-là pour faciliter aussi les recherches d’antériorité et pour que l’INPI prenne mieux en compte toute la créativité qu’il y a dans les fab labs et tout, mais à condition de faire une plateforme qui serait beaucoup plus visible, qui ne serait pas perdue sur Internet, et qui faciliterait les échanges avec ces instituts. Pourquoi pas ?
Et l’autre chose, alors là ce serait un petit peu l’arme atomique, ce serait de changer carrément le mode de fonctionnement de la propriété industrielle et de faire en sorte que ça fonctionne comme le droit d’auteur. C’est-à-dire qu’il n’y ait plus besoin de faire de dépôt de brevet pour avoir un titre de propriété industrielle. Comme quand vous écrivez un texte ou comme quand vous prenez une photo, vous avez automatiquement le droit donc, à ce moment-là, vous pouvez utiliser une licence. Alors là, ça réglerait tout en fait. Sauf que cette solution-là est hyper dangereuse. Parce que, ce que ça va faire c’est que les grandes firmes aussi auront cette possibilité-là, donc elles n’auront même plus à faire des dépôts de brevets type Apple pour avoir des titres de propriété industrielle. Vu les moyens qu’elles ont de faire de la recherche, elles obtiendraient très facilement leurs titres de propriété industrielle et en fait, ça réduirait énormément la sphère du domaine public. Donc ça c’est dangereux et c’est pour ça qu’il faut faire attention aussi à ce qu’on fait et à ce qu’on dit. D’ailleurs moi ça me fait un petit peu peur même de vous le dire ici, parce que je me dis que si ce genre d’idées sort, on ne sait pas trop ce que ça peut donner un jour, devant le législateur. Il faut faire attention à ne pas trop jouer avec le feu, parce que le fait que ce soit dur d’avoir un brevet, c’est une protection aussi. C’est fait pour éviter la prolifération des brevets et voilà. Donc il faut faire attention à tout ça. Et hélas, il n’y a pas tellement d’autres solutions.
Donc conclusion, j’ai bien peur, en fait, qu’on soit en train de construire quelque chose qui s’appelle l’open hardware, mais qui est une sorte de métaphore, qui n’a pas du tout la même réalité que l’open source ou le logiciel libre ou l’open data, et qui risque de beaucoup nous affaiblir parce qu’on a quand même besoin qu’il y ait du matériel libre. Donc là il y a vraiment un champ. Il faudrait qu’il y ait de la recherche là-dessus. Il faudrait qu’on réfléchisse plus nombreux à ces questions et on va essayer de le faire avec les gens qui s’intéressent à tout ça. Mais il y a un vrai enjeu qui est un peu sous-estimé par le monde du Libre et qui, à mon avis, devrait être beaucoup plus présent. Oui ?
Public : La question va peut-être être un petit peu « trollesque », mais si on applique ta solution numéro deux, c’est-à-dire faciliter les recherches d’antériorité, ça bloque de facto les trolls. Alors certes ça ne permet pas d’appliquer un copyleft, mais il y a bien des licences libres qui n’ont pas de copyleft.
Calimaq : C’est vrai !
Public : Et elle n’empêchent pas la réappropriation par les entreprises, mais elles marchent quand même et elles permettent quand même la libération. Ça me paraît être une solution du moindre mal.
Calimaq : Peut-être. Ouais. Disons que c’est celle qui ne nécessiterait pas de changer la loi. On aurait un open source hardware au sens où on a un open source dans le logiciel, mais on n’aurait pas du Libre. Ça c’est un gros débat qu’il y a dans la communauté, parce qu’il y a l’open source et le Libre. Donc on n’aurait pas de Libre, mais on aurait de l’open source. Ce n’est peut-être déjà pas si mal et si on empêche les dépôts de brevets, ça pourrait être une solution. Ouais. C’est peut-être la plus simple à mettre en œuvre.
Stéphane Bortzmeyer : Je suis désolé d’arrêter la discussion ici, mais on doit rendre les locaux et libérer les bénévoles.