«Protège ton ordi»: la neutralité commerciale de l'école publique est-elle soluble dans le numérique? (suite)

    1. La soirée du 6 juin 2006
    2. Il y a pourtant eu des précédents
    3. Un kit de propagande
    4. Conclusions
    5. Questions de députés au ministre de l'éducation nationale

La soirée du 6 juin 2006

Le 6 juin 2006, la Délégation aux Usages de l'Internet (rattachée au Ministère de l'Éducation nationale) a invité quelques centaines de personnes à une « soirée de lancement de la nouvelle campagne nationale de la sécurité informatique ». Prévus au programme, M. le Ministre Gilles de Robien (qui ne viendra pas), Mme la Commissaire européenne Vivianne Reding, Benoit Sillard pour la DUI, une « antropologue » (sic) de Microsoft ainsi que le Président de Microsoft France. Autant vous habituer au nom de cette société condamnée pour abus de position dominante, elle est omniprésente derrière (enfin devant surtout) cette campagne :

  • elle est visiblement le plus gros sponsor (avec son nom au niveau de celui du ministère, et pas avec les autres partenaires
  • la campagne est aux couleurs de son système d'exploitation (bleu, rouge, jaune, vert)
  • on voit sa marque et le blason de l'outil de sécurité de son système d'exploitation sur tous les documents (majoritairement rédigés par son équipe sécurité) ainsi que sur la dizaine de personnes déguisées en mascottes qui s'agitaient sur place
  • une hôtesse nous a indiqué que c'était une « soirée Microsoft » et que les hôtesses étaient payées par l'entreprise
  • les documents évoquent quasi uniquement le système d'exploitation et les logiciels (messagerie instantanée, courriel) de l'entreprise
  • le président de Microsoft France a annoncé que 150 employés de Microsoft allait se rendre dans les écoles (confirmé par le communiqué de presse officiel
  • la communication de la soirée et de la campagne est gérée par EURO RSCG, la société de communication de Microsoft
  • ...
mascottes au pied de Victor Hugo à la Sorbonne, à côté du panneau fermé
Les mascottes au pied de Victor Hugo à la Sorbonne, à côté d'un panneau Fermé, tout un symbole

Étaient aussi présents (mais non invités) l'April et le collectif StopDRM pour protester contre cette campagne de propagande commerciale. Les tracts ont été apprécié des invités, dont une bonne partie semblait peu satisfait de cette vaste mascarade cautionnée par l'Éducation nationale, en plein milieu de la Sorbonne, louée pour l'occasion.

une partie des présents April et StopDRM
Quelques unes des pancartes de protestation sur place

Voir les photos prises à l'extérieur de la soirée

Il y a pourtant eu des précédents

Ce n'est pas la première que l'Éducation nationale se commet dans une campagne de « publi-informations » dans les écoles. L'April et la FSF France s'étaient déjà demandées en avril 2005 si « La neutralité commerciale de l'école publique est-elle soluble dans le numérique ? » lors de la sortie des guides « un clic, déclic ». Déjà à l'époque la présentation était jugée « partiale et erronée ».

Un kit de propagande

le kit de propagande avec un intrus à trouver
Un intrus s'est glissé dans cette photo, sauras-tu le retrouver ?

Le kit de propagande distribué sous le fallacieux nom de « kit pédagogique » (truffés de marques et logos commerciaux divers) contient :

  • le papier d'explication de Philippe Amblard, coordinateur du projet Confiance qui parle d'« une réelle collaboration public/privé Microsoft et un collectif de partenaires » et d'un « ensemble d'outils propres à les [enfants et parents] sensibiliser et les informer (propres, ça reste à démontrer...).
  • des pansements, pour patcher les ordinateurs ou soigner les blessures suite à la dernière attaque d'un pirate sanguinaire
  • des lingettes pour nettoyer les écrans des virus dus aux postillons
  • 42 questions-réponses (côté terminologie on notera les anglicismes ; côté contenu on appréciera le fait que se promener sur le web est classé « sport », les illustrations de pirates avec sabre et bandeau noir, la terminologie « pirate/hacker » utilisée, le « https.// » (sic), des réponses discutables techniquement, le téléchargement gratuit indiqué comme illégal, etc.
  • 5 marque-pages : on cherche encore en quoi les numéros du Samu et des pompiers permettent un Internet plus sûr... Ici c'est « //https: »
  • un dépliant « Comment sécuriser mon ordinateur » : les conseils sont en premier destinés au dernier système d'exploitation de l'éditeur connu pour abuser de sa position dominante. Le seul moyen pour se protèger des virus c'est d'avoir un antivirus, aucune éducation de l'utilisateur n'est faite. De la même façon, il faut ajouter un pare-feu et un anti-espiogiciel. Sont aussi abordés la sécurisation du wifi et la sauvegarde des données. Le dépliant est « édité et distribué exclusivement dans les magasins » d'un des partenaires.
  • un livret « L'Internet plus sûr » : toujours du « hacker/pirate » niveau terminologie et imagerie, logo de la messagerie instantanée de Microsoft ainsi que son nom visibles à plusieurs endroits dans la bande-dessinée (idem pour le logiciel de courriel du même éditeur), anglicismes divers, les virus viennent de site de téléchargement « non officiels » ou de logiciels de « type freeware ». Logo club.sénat.fr en plus de logos commerciaux, de celui de l'association Action Innocence et de ceux de la Délégation Internet et de la République française
  • un guide (même logo que les précédents) : avant-propos du sénateur de l'Aveyron Bernard Seillier qui parle de « protection de la propriété intellectuelle des auteurs », des « jeunes débutants [qui doivent être] protéges de l'exposition aux contenus préjudiciables » (et pour les contenus de propagande commerciale ?), d'« Internet respectueux des autres et de la propriété littéraire et artistique ». [TODO pas encore lu le reste]
  • un livre « Ça n'arrive pas qu'aux autres » (« tirage limité », logos République française, Délégation Internet et logos commerciaux)
  • un cédérom avec un logo Microsoft énorme, avec un exécutable .exe et du contenu aux formats PDF, WMV, PPT, etc.
L
Affiche vue sur place : Éducation nationale, agence de pub pour Microsoft ?

Ce kit doit être distribué à plusieurs centaines de milliers d'exemplaires...

Conclusions

L'Éducation nationale cautionne la présence de marques dans les écoles, abandonne son rôle pédagogique en donnant une présentation partiale et partielle (pour avoir de la sécurité, il suffit d'installer plein de logiciels ; on y voit surtout les outils Microsoft ; etc.), et en ouvrant les écoles aux commerciaux de Microsoft, qui seront ravis d'associer sécurité informatique, confiance et Microsoft dans l'esprit des jeunes français.

Marianne aux couleurs du système de Microsoft ?
Marianne aux couleurs du système de Microsoft ?

On notera au passage que Microsoft se sert de la campagne pour faire passer en cheval de Troie son concept d'« informatique de confiance » (qu'il est plus juste d'appeler « informatique déloyale ») : voir la page 16 du dossier de presse de la première semaine nationale de la sécurité informatique qui annonce sans rire que « l'initiative 'informatique de confiance', (...) traduit l'engagement de l'entreprise à faire de la sécurité, de la protection de la vie privée, de la fiabilité des produits et de l'intégrité professionnelle la priorité des priorités, et ce, à tous les niveaux », que « l'informatique de confiance est donc devenue partie intégrante de la culture d'entreprise. » et que « l'informatique de confiance gagne également du terrain en dehors de l'entreprise. »

Quelques liens pour s'informer sur l'informatique déloyale :

Informatique de confiance ou de contrôle ?
Affiche vue sur place : Informatique de confiance ou de contrôle ?

Questions de députés au ministre de l'éducation nationale

  • Question écrite au ministre de l'éducation nationale du député Martine Billard (question Assemblée nationale n°97209).
  • Question écrite au ministre de l'éducation nationale du député Patrick Bloche (question Assemblée nationale n° 100005).