Point d'étape sur loi française de finances 2016 (article 88) et les logiciels libres de caisse
Depuis plusieurs années, le gouvernement français s’est engagé dans la lutte contre la fraude à la TVA. Dans cette optique, la loi de finances 2016 démontre une volonté de mieux encadrer les logiciels de comptabilité, de gestion ou d’encaissement. Malheureusement le texte comporte un article 88 qui aurait pour effet de bord l'interdiction de détenir des logiciels libres de caisse. Visiblement sensible à ce problème l'administration fiscale a fait preuve d'une attitude conciliante et constructive. Voici un point d'étape sur ce dossier.
En décembre 2015, la loi de finances pour l'année 2016 a donc été votée. Son article 88 « dispose que les assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) doivent à compter du 1er janvier 2018 être équipés d'un système de caisse sécurisé ». La formule est celle de la DGFIP (Direction Générale des FInances Publiques).
Cette obligation se traduit dans les grandes lignes par le respect des « conditions d'inaltérabilité, de sécurisation, de conservation et d'archivage des données » ainsi que par le jeu de la responsabilité essentiellement basé sur un système de certification/attestation obligatoire.
Philippe Pary (gérant de la société Scil, éditrice du logiciel libre de caisse Pastèque) avait alors publié une dépêche pour faire part de ses craintes sur les conséquences de cet article ; la disposition pouvant clairement résulter, de fait, dans l'interdiction des logiciels libres de caisse.
En janvier 2016 l'April et Philippe Pary ont rencontré des membres de la DGFIP qui se sont montrés réceptifs aux problèmes soulevés. Les éléments clefs qui sont ressortis de cette rencontre sont que l'administration fiscale n'est pas opposée en soi au logiciel libre, qu'il est important de mieux définir la notion d'éditeur, à laquelle est attachée la responsabilité, et de se poser la question de comment assurer les conditions d'inaltérabilité, de sécurité, de conservation et d'archivage des données.
Fin mars la DGFIP a fait un « appel à remarques » sur son projet de commentaire au BOFIP de l'article 88, clos le 29 avril. Celui-ci, bien sûr perfectible, montre un réel pas en avant vers les logiciels libres. Les inquiétudes n'ont pas été ignorées. Pour rappel, le BOFIP ou Bulletin Officiel des Finances Publiques a valeur de doctrine opposable à l'administration fiscale. Il s'agit donc d'un texte essentiel dans l'application de la loi de finance et qui aura à ce titre un impact direct sur l'étendue et la nature des obligations qui pèseront sur les « éditeurs » de logiciels de caisse, notamment libres.
Fin avril, Philippe Pary et Baptiste Simon (Libre Informatique SCRL) ont co-signé une réponse à cet appel au nom du Syndicat Professionnel des Éditeurs de Logiciels Libres (SYNPELL). Le document co-signé expose clairement les différents points de vigilance et d'inquiétude, en voici les points essentiels :
Conditions d'inaltérabilité, de sécurisation, de conservation et d'archivage des données :
- Notions définies de manière trop floue.
- Il n'existe aucune méthode 100% fiable scientifiquement pour garantir ces conditions.
Système de certification, l'enjeu du lien de solidarité :
- Pour rappel il s'agit d'une certification de conformité du logiciel à la loi. Peut être délivrée par un organisme, ou par l'éditeur qui atteste de cette conformité (en engageant sa responsabilité).
- Le SYNPELL appelle à une certification directe par l'administration fiscale, et non déléguée à un organisme privé.
- Le syndicat critique également l'obligation de détenir un code NACE (~ le champ d'activité) spécifique à l'édition de logiciel de caisse pour auto-attester de la conformité de son logiciel, et/ou des modifications effectuées sur celui-ci.
- Cela est en lien direct avec un aspect positif du BOFIP qui précise que l'« éditeur » est soit le concepteur d'origine, soit le dernier intervenant qui a effectué une modification liée aux conditions d'inaltérabilité, de sécurité, etc. Ce dernier point est particulièrement important dans la mesure où il autorise la modification des logiciels sans faire porter une responsabilité « infinie » à l'éditeur initial. L'attestation de conformité s'éteint si la partie du logiciel qu'elle concerne est modifiée.
Définition du logiciel libre :
- Le projet de commentaire au BOFIP définit un logiciel libre comme étant « librement paramétrable ». La réponse du SYNPELL en rappelle la véritable définition, plus précise, basée sur les 4 libertés.
À présent, nous sommes dans l'attente de la publication officielle du BOFIP sur la loi de finances 2016. Espérons que la DGFIP accorde à ces remarque la même attention que celle qui nous a été réservée lors de notre entretien en janvier. Et qu'elle évitera ainsi de créer des barrières aux logiciels libres de caisse dans la poursuite de son objectif, légitime, de lutte contre la fraude fiscale.