Obsolescence logicielle - Débat au Sénat - Septembre 2019

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Titre : Obsolescence logicielle - Projet de loi Économie circulaire
Intervenant·e·s : Brune Poirson, ministre - Marta de Cidrac, rapporteure - Guillaume Gontard, sénateur - Pierre Ouzoulias, sénateur - Alain Duran, sénateur - Frédéric Marchand, sénateur - Joël Labbé, sénateur - Bernard Jomier, sénateur - Olivier Cigolotti, sénateur - Éric Gold, sénateur - Jean-François Longeot, sénateur - Jean-Michel Houllegatte, sénateur - David Assouline, président de séance
Lieu : Sénat - Séance publique
Date : 25 septembre 2019 (après-midi)
Durée : 30 min 40
Visionner la vidéo de 17 h 14 min 02 s à 17 h 44 min 43 s
Licence de la transcription : Verbatim
Illustration : Logo du Sénat (France) - Image non libre de logo, utilisation tolérée au regard du droit des marques français
NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

David Assouline, président : Après l’article 4 ter, il y a le 170 rectifié présenté par monsieur Gontard.

Guillaume Gontard, sénateur : Merci Monsieur le président. Nous examinons maintenant une série d’amendements importants relatifs à l’obsolescence logicielle. Pour la clarté de nos débats, je me permets juste de préciser qu’il s’agit des méthodes par lesquelles un fabricant électronique rend inutilisable un appareil en imposant une solution logicielle, et particulièrement son système d’exploitation, inadaptée à ses capacités techniques – puissance, stockage, mémoire vive. Pour exemple les vieux ordinateurs PC ne sont pas suffisamment puissants pour faire tourner les nouvelles versions de Windows. De la même manière, les vieux téléphones portables ne tolèrent pas toujours les mises à jour récentes de leur système d’exploitation. Du coup l’appareil périclite, notamment à cause des failles de sécurité qui ne sont plus corrigées. Une autre variante : la mise à jour est trop lourde pour la puissance de l’appareil qui, du coup, fonctionne mal, voire plus du tout.
Notre amendement 169 relatif à l’obsolescence logicielle des ordinateurs a été jugé cavalier. En revanche, nos amendements sur l’obsolescence logicielle des téléphones portables ont été reçus. J’avoue ne pas bien saisir la distinction !
Je reviens cependant quelques instants sur le 169 parce qu’il était important et parce que j’aurais aimé proposer son pendant pour les téléphones. Je souhaite au moins attirer l’attention du Sénat et de la ministre sur cette problématique.
Pour lutter contre l’obsolescence logicielle il y a deux solutions : imposer des contraintes aux fabricants de systèmes d’exploitation, c’est l’objet des amendements 170 et 172 et d’autres de mes collègues, sur lesquels on reviendra dans quelques instants, et il y a une autre option qui consiste à installer un autre système d’exploitation sur la machine et tout particulièrement un logiciel tiers ou logiciel libre1.
Ces logiciels gratuits et en libre accès sont en général peu gourmands en mémoire ou en puissance. Pour les ordinateurs, le plus connu d’entre eux est Linux [GNU/Linux, NdT]. Pour les téléphones portables le phénomène est plus jeune mais se développe. Or certains appareils sont construits de sorte à ne pas autoriser d’autres systèmes d’exploitation que celui prévu par le fabricant. C’est le cas de certains ordinateurs et d’à peu près tous les modèles de téléphone portable.
Il faut donc interdire toute obstruction à l’installation de logiciels tiers sur les ordinateurs et les téléphones. Cette pratique est honteuse. C’est un vaste combat que j’invite la ministre à porter notamment à Bruxelles.

Merci.

David Assouline, président : Très bien. Avis de la commission, Madame la rapporteure.

Marta de Cidrac, rapporteure : Déjà vu en commission, cet amendement vise à imposer des conditions vraiment spécifiques d’information du consommateur sur les mises à jour du système d’exploitation des appareils. En fait, définir un régime spécifique à ce sujet dans la législation française semble avoir une portée limitée. Intervenir sur ces questions nécessiterait de mener un travail d’expertise spécifique pour établir un état des lieux clair des pratiques existantes et des facultés offertes par le droit en vigueur pour y répondre.
Donc la commission émet un avis défavorable.

David Assouline, président : Très bien. Madame la ministre, votre avis ?

Brune Poirson, ministre : Ce qui se pose là c’est vraiment la complexité, la complexité concrète de la mise en œuvre. Pourquoi ? Eh bien tout simplement parce qu’en fait votre amendement reviendrait à figer plusieurs étapes de la vie d’un logiciel, une par mise à jour évolutive, et ensuite, ensuite, à délivrer des mises à jour correctives pour chacune des étapes évolutives. Ça complexifierait énormément la gestion de ces logiciels et quand bien même on la renverrait au décret, eh bien la définition de ces deux types de mises à jour et leur séparation par le droit seraient extrêmement complexes. Tout cela est une question de mécanisme juridique qui rend les choses très complexes. Je crois qu’il faut qu’on travaille encore plus, en amont, avec les fabricants. À ce stade c’est extrêmement complexe, je l’ai déjà dit cinq ou six fois, à peu près, donc mon avis est défavorable.

David Assouline, président : Très bien. Monsieur Gontard.

Guillaume Gontard, sénateur : Je comprends bien que le sujet n’est pas forcément simple, mais c’est vrai que c’est encore une fois quelque chose qui me semble au cœur de ce texte et on nous propose un texte important. C’est vrai que je suis un petit peu surpris que toutes ces questions-là n’aient pas été, je dirais, réfléchies en amont. Cet amendement ne paraît pas si compliqué que ça puisqu’en fait on donne juste la possibilité au consommateur de choisir entre des mises à jour correctives et des mises à jour évolutives ; donc ça ne me paraît pas très compliqué, c’est juste de pouvoir garder un appareil un petit peu plus longtemps.

David Assouline, président : Bien. Pas d’autre explication de vote ? Qui est pour ? Qui est contre ? On va compter. On va compter de façon plus précise je veux dire, donc on recommence. Qui est pour ? [Le président compte jusqu’à 23 et demande à son voisin : « Vous en avez combien vous ? » — 23.] Qui est contre ? Il est rejeté.

Après l’article 4 ter, quatre amendements identiques. Le 115 rectifié pour commencer. Monsieur Ouzoulias vous avez la parole.

Pierre Ouzoulias, sénateur : Merci Monsieur le président. Madame la ministre. Mes chers collègues, mon collègue Guillaume Gontard vous a déjà présenté une partie de la problématique, je ne vais pas la répéter. Je voudrais simplement vous rappeler qu’il y a deux causes fondamentales qui empêchent la réutilisation, le recyclage, la réparation de certains biens dont notamment les ordinateurs dont il est question ici, ce sont des problèmes techniques : les composants sont soudés et on ne peut pas les changer, je ne développe pas, et ensuite les problèmes logiciels. Là c’est un peu plus compliqué et vous me permettrez de vous présenter un exemple simple et concret que j’ai recueilli dans une communauté Emmaüs dans laquelle il arrive de nombreux ordinateurs qui sont en parfait état de marche, qui pourraient continuer une existence paisible ailleurs, mais il se trouve que dans la carte mère elle-même il y a un dispositif2 qui ne permet pas à l’ordinateur de redémarrer sur un autre système d’exploitation que celui avec lequel vous l’avez acheté. Et, bien évidemment, les personnes qui reçoivent ce don ne sont pas en mesure d’acheter les licences de la société qui commence par un « M » et vous aurez compris de qui il s’agit. Ce qui fait que ces ordinateurs, qui sont donnés, vont finalement à la poubelle parce qu’ils ne peuvent pas être réutilisés.
Par le passé, ces dispositifs, qui portent des noms anglais que je vous épargne, n’existaient pas. Ce sont des choses relativement récentes. Le but de notre amendement c’est éviter justement ce couplage entre l’ordinateur et le système d’exploitation pour permettre la réutilisation de l’ordinateur avec des systèmes d’exploitation tiers, comme vous l’a très justement expliqué mon collègue Gontard.
Voilà en quelques mots. Vous me permettrez d’appeler cet amendement l’amendement Emmaüs. Merci.

David Assouline, président : Très bien. Monsieur Duran va présenter cet amendement 348 rectifié bis. Vous avez la parole cher collègue.

Alain Duran, sénateur : Merci Monsieur le président. Madame la ministre. Mes chers collègues. Cet amendement vise à lutter contre l’obsolescence programmée et renforcer la durée de vie des produits en interdisant tout simplement tout procédé technique visant à rendre irréparable ou non reconditionnable un produit ; notre collègue vient de l’illustrer brillamment. Par cette interdiction d’une pierre deux coups : il s’agit également de soutenir non pas seulement les bricoleurs du dimanche mais le secteur de la réparation et du réemploi qui sont des piliers de l’économie circulaire, Madame la ministre, en luttant contre ces pratiques industrielles en totale opposition avec l’économie circulaire.
Entre 2014 et 2017, le volume des produits ménagers réemployés ou réutilisés a augmenté de 30 % et, selon certains sondages, trois quarts des Européens indiquent préférer réparer leurs appareils que les changer.
Ce marché en pleine extension, générateur d’emplois, doit être soutenu. Il apparaît donc nécessaire de lutter contre toute technique industrielle visant à rendre un produit ou un bien irréparable ou non reconditionnable. C’est l’objet du présent amendement.

David Assouline, président : Très bien. Et puis l’amendement 565 rectifié. Monsieur Marchand vous avez la parole.

Frédéric Marchand, sénateur : Oui. Monsieur le président. Madame la ministre. Petite démonstration par l’exemple avec ce téléphone portable [le sénateur brandit son téléphone portable, NdT] dont je ne citerai pas la marque. Si demain il m’échappe malencontreusement des mains et que l’écran se fissure ou s’il tombe en panne, je pourrai découvrir en tentant de le faire réparer que ses composants sont collés, soudés, empêchant de fait toute réparation, même par des professionnels. Pourtant, au cœur de l’économie circulaire, le conditionnement et la réparation apparaissent comme des piliers, il est donc problématique de ne pas pouvoir changer un composant qui devrait pourtant pouvoir se réparer aisément.
L’amendement vise donc à sanctuariser le droit à la réparation en interdisant toute pratique visant à rendre impossible la réparation hors des circuits agréés.

David Assouline, président : Voilà. Ce sont donc quatre amendements identiques. Monsieur Labbé pour le quatrième.

Joël Labbé, sénateur : Monsieur le président. Madame la ministre. Mes chers collègues. Comme les précédents, cet amendement vise à interdire les techniques employées par certains fabricants pour programmer l’obsolescence des biens qu’ils fournissent. Nous le savons, c’est devenu un sport international, certains fabricants mettent en œuvre des procédés qui rendent les biens qu’ils produisent absolument irréparables. C’est ce phénomène, d’ailleurs, qui a amené à la naissance de l’association HOP3, Halte à l’obsolescence programmée, à l’origine de cet amendement. Et à l’origine de l’association HOP, il y avait quelqu’un qui s’appelle Laetitia Vasseur, qui était collaboratrice parlementaire du sénateur Jean-Vincent Placé qui avait porté la première proposition de loi concernant l’obsolescence programmée dans cette assemblée.
Par exemple les smartphones, ordinateurs ou tablettes sont parfois conçus avec des composants collés ou soudés qui empêchent toute réparation même par des professionnels. Comment peut-on encore autoriser ce genre de pratique à l’heure des enjeux environnementaux auxquels nous faisons face ? Il est essentiel d’inscrire dans la loi un droit à la réparation en considérant, comme le propose l’amendement, la notion de réparabilité du produit comme une des caractéristiques essentielles d’un bien. Ce n’est qu’en rendant possible la réparation que nous pourrons en finir avec la culture de l’usage unique, du jetable, créer des emplois locaux dans ces filières et développer une véritable économie circulaire à la fois durable et pourvoyeuse de proximité. Et puis, j’insiste encore, et donner de bons signes à nos lycéennes et lycéens qui marchent dans la rue pour nous interpeller.

David Assouline, président : Très bien. Sur ces amendements identiques, l’avis de la commission Madame la rapporteure ?

Marta de Cidrac, rapporteure : Ces amendements identiques portent sur un sujet connexe à l’obsolescence programmée puisqu’ils visent à interdire les techniques notamment logicielles qui visent à rendre la réparation ou le reconditionnement d’un appareil impossibles hors de circuits agréés. Les techniques qui sont déployées par certains fabricants pour entraver ou empêcher la réparation de leurs produits, en particulier évidemment électroniques, sont inacceptables, on est bien d’accord avec vous, en particulier lorsqu’elles visent à assurer que le produit ne pourra être pris en charge que par un marché restreint et contrôlé de réparateurs. Nous sommes toujours d’accord avec vous jusqu’à cette étape. Néanmoins, l’infraction d’obsolescence programmée permet potentiellement d’intégrer ces pratiques sans qu’il paraisse nécessaire d’insérer une disposition spécifique à ce sujet.
En outre, je souhaitais quand même partager avec vous qu’il faut avoir à l’esprit, et notamment par rapport à l’observation de notre collègue Marchand, que certaines des pratiques parfois mises en cause visent à assurer certaines qualités attendues du consommateur comme l’étanchéité ou la solidité des appareils, d’où parfois l’inaccessibilité à certains composants.
Donc l’avis de la commission est défavorable pour les deux amendements.

David Assouline, président : C’est plus que deux ! C’est quatre amendements !

Marta de Cidrac, rapporteure : Pardon. Excusez-moi. Pour les quatre amendements, bien sûr.

David Assouline, président : Madame la ministre, votre avis ?

Brune Poirson, ministre : Là encore on se heurte à d’importantes difficultés. D’abord il est difficile de démontrer qu’une technique, et surtout une technique logicielle, vise spécifiquement à empêcher la réparation hors des circuits agréés. Comment prouver aussi, par exemple, qu’un fabricant l’a fait de façon intentionnelle ? Je crois que c’est très difficile de démontrer, de façon irréfutable, qu’un fabricant a intentionnellement rendu son produit irréparable. D’une part. D’autre part, l’obsolescence programmée est déjà considérée comme un délit dans la loi française. Donc si on a du mal à le démontrer, à ce moment-là le fabricant ne pourra pas être tenu pour responsable.
En plus de ça, pour ce qui est de faire de la réparabilité une caractéristique principale du produit, le droit communautaire liste limitativement les caractéristiques essentielles des produits et la réparabilité n’y figure pas. La réintroduire en droit français serait fragile juridiquement. Donc c’est compliqué et en amont et ensuite pour le démontrer juridiquement, sachant déjà que la notion d’intentionnalité est difficile, sachant qu’on a déjà, en droit français, le fait que l’obsolescence programmée soit considérée comme un délit.
Donc à ce titre-là, et je rebondis aussi sur une grande partie de l’argumentaire de Madame la rapporteure, eh bien j’émets un avis défavorable.

David Assouline, président : Nous allons passer aux votes. Monsieur Ouzoulias.

Pierre Ouzoulias, sénateur : Je trouve que le débat est décevant Madame la ministre. Je pense que ce qui était intéressant c’était de réfléchir à un horizon d’attente et, par rapport aux ordinateurs et aux portables, ici nous portons tous un objectif lointain, on est d’accord, qui est celui de la neutralité des terminaux. C’est-à-dire que vous achetez du matériel qui est distinguable de son système d’exploitation, ce qui vous permet ensuite de pouvoir utiliser ce même matériel avec d’autres logiciels, d’autres systèmes d’exploitation. Là on est modestes, on ne va pas aussi loin. On est modestes ! Là, ce qu’on vise simplement, c’est revenir à une situation ante diem où, en effet, il y avait une distinction entre l’ordinateur que vous achetiez et le système d’exploitation. Aujourd’hui les deux ont été fusionnés. Donc nous avons reculé par rapport à un recyclage qui était facile il y a quelque temps.
Je ne comprends pas votre position et là vous me permettrez de ne pas défendre le lobby de Microsoft en vous disant que des entreprises solidaires, comme Emmaüs, ont besoin aujourd’hui de pouvoir reconditionner ces ordinateurs pour leur donner une nouvelle vie et aujourd’hui elles ne peuvent pas. C’est un pur scandale ! C’est un pur scandale notamment au moment où on essaye de régler la fracture numérique ! Il y a des gens qui ont besoin de ces ordinateurs pour pouvoir entreprendre des démarches administratives. Ils pourraient le faire, les ordinateurs existent, et aujourd’hui ils ne le peuvent pas parce que vous protégez les intérêts de Microsoft !

[Applaudissements]

David Assouline, président : Nous allons passer au vote. Qui est pour ? [en off, ça passe, ça passe !] Quand les votes sont comme ça serrés, comme vous le constatez, essayez de laisser la main levée. C’est bon. Qui est contre ? [en off, il passe !] Ils sont adoptés.

[Applaudissements]

David Assouline, président : Nous passons après l’article 4 ter à quatre amendements identiques à nouveau, dont le 172 rectifié pour commencer. Monsieur Ouzoulias vous avez la parole.

Pierre Ouzoulias, sénateur : Merci Monsieur le président. Merci Madame la ministre. Merci chers collègues pour votre vote. Là il s’agit de l’amendement qui est finalement consécutif à la demande de rapport que vous avez adoptée à la suite de l’excellente présentation de mes collègues Bigot et Longeot et l’objectif vise à empêcher l’obsolescence des logiciels et nous, Madame la ministre, nous avons travaillé et nous vous proposons un système intéressant qui, finalement, renverse la charge de la preuve. C’est-à-dire que ce qu’on vous propose c’est de ne pas identifier l’obsolescence programmée, mais c’est d’imposer aux constructeurs de logiciels la permanence du système d’exploitation pour assurer une durée de vie supérieure aux portables et aux ordinateurs. Là on a mis une date de dix ans ; aujourd’hui, malheureusement, les machines n’ont pas cette durée de vie, mais c’est au moins pour permettre aux personnes de pouvoir utiliser leur portable alors que vous savez comme moi qu’on est submergés par des mises à niveau qui, tout doucement, les rendent obsolètes.
Voilà l’objectif de l’amendement.

David Assouline, président : Très bien. Monsieur Jomier pour l’amendement 268 rectifié.

Bernard Jomier, sénateur : Merci Monsieur le président. Qui est le même que celui que mon collègue Ouzoulias a brillamment présenté. Je voudrais ajouter deux points sur cette thématique. Madame la ministre vous nous avez dit, et c’est juste, « nous avons de grandes difficultés à déterminer les infractions, à déterminer la volonté de mettre en place une obsolescence programmée par des fabricants, qui est effectivement illégale ». C’est bien que le cadre législatif est insuffisant et le travail qu’on est en train d’essayer de faire c’est de poser de nouvelles bornes justement en analysant la situation que nous constatons tous, je pense de façon unanime, qui est que l’interdiction de l’obsolescence programmée n’est pas respectée par un certain nombre de fabricants. Donc en posant ces différents amendements, nous voulons apporter des réponses concrètes pour que ce que vous regrettez avec nous, la difficulté à la prouver, puisse plus facilement être établie.
Le deuxième point, c’est que je pense qu’on a beaucoup trop longtemps accepté que des fabricants, à l’occasion du développement de l’informatique et de la présence des logiciels dans les matériels, dissocient le matériel de la fonctionnalité. Pour reprendre l’exemple que vous avez pris tout à l’heure des lave-linge, quand les lave-linge ont été mis sur le marché par la suite, est-ce qu’on imagine qu’il aurait été possible qu’au bout de deux ou trois ans on dise « ma machine lave, elle essore, mais elle ne rince plus ! — Oui, eh bien il faut changer la machine. » Non ! Or là c’est exactement ce qui se passe avec un certain nombre de matériaux électroniques, en l’occurrence les smartphones, où on dit au bout de peu de temps, eh bien oui, ça ne fonctionne plus et il faut procéder à des changements.
Tout ce travail qu’on essaye de faire vise à répondre concrètement à cette problématique et j’espère que vous donnerez un avis favorable à cet amendement qui est un amendement tout à fait simple, mais qui portera une borne efficace, un arrêt efficace aux pratiques d’obsolescence programmée.
Je vous remercie.

David Assouline, président : Très bien. L’amendement suivant 291 rectifié ter présenté par monsieur Cigolotti.

Olivier Cigolotti, sénateur : Monsieur le président, Madame la ministre, mes chers collègues, je crois que l’amendement a été très bien défendu donc il n’y a rien à rajouter sur ce point.

David Assouline, président : Très bien. Toujours identique, 419 rectifié bis. Monsieur Gold.

Éric Gold, sénateur : Oui. Merci Monsieur le président. Je vais insister à nouveau sur cet amendement, notamment sur l’obsolescence logicielle. Aujourd’hui les mises à jour des systèmes d’exploitation des téléphones mobiles et des tablettes provoquent de lourds dysfonctionnements des appareils qui pourraient être encore longtemps utilisés. Elles déclenchent ainsi l’obsolescence prématurée des équipements dès lors que le fabricant ou l’éditeur de logiciel le décident en forçant l’utilisateur à les installer. Il convient donc de distinguer les mises à jour évolutives des mises à jour correctives. Les premières ne sont pas indispensables, ce qui n’est pas le cas des secondes qui améliorent le fonctionnement et la sécurité des appareils. Le présent amendement vise donc à garantir que les consommateurs bénéficieront de mises à jour correctives, quel que soit le modèle détenu et ce, pendant dix ans.

David Assouline, président : Merci. Madame la rapporteure, à vous sur ces quatre amendements identiques.

Marta de Cidrac, rapporteure : Tous ces amendements visent à imposer aux fabricants de téléphones portables et de tablettes tactiles de proposer des mises à jour logicielles qui restent compatibles pendant dix ans avec tout modèle. Le non-respect de cette obligation serait passible d’une peine de deux ans d’emprisonnement et de 300 000 euros. Je rappelle que la problématique de l‘obsolescence logicielle avait bien été identifiée par l’excellent rapport de la mission d’information sur le recyclage des téléphones portables4 de septembre 2016 – je vois que monsieur Jean-François Longeot nous rejoint pour entendre ces belles paroles qui le concernent – et notre ancienne collègue Marie-Christine Blandin la rapporteure de l’époque.
Autant nous comprenons l’enjeu de l’obsolescence logicielle, autant il paraît peut-être excessif de proposer une obligation d’une durée de dix ans au vu de l’évolution des technologies, a fortiori en sanctionnant les manquements à une telle obligation à une peine analogue à l’obsolescence programmée.
Donc je vais demande Madame la ministre l’avis du gouvernement sur des amendements et nous voterons après.

David Assouline, président : Bien. Je le devine, Madame la ministre.

Brune Poirson, ministre : L’amendement que vous proposez va au-delà de la lutte contre l’obsolescence programmée parce qu’il impose aux constructeurs des solutions techniques de compatibilité des systèmes d’exploitation dans le temps. Donc il me semble que le niveau de contrainte que ça imposerait aux metteurs sur le marché est particulièrement drastique. Je rappelle que le délit d’obsolescence programmée se caractérise par une volonté du producteur de tromperie dont le but serait de raccourcir sciemment et de façon anormale la durée de vie des produits.
La mesure que vous proposez ici va au-delà de cette définition. Au surplus, une durée de dix ans serait en toute hypothèse très longue par rapport à la durée de vie de ce type d’équipement. Il ne faut pas oublier de ce dont on parle ; on parle parfois d’appareils électroniques et même électroménagers. Bien sûr, il faudrait que ça soit dix ans, mais parfois rappelons-nous de ce dont on parle. On a du mal à atteindre cette durée-là et il faut changer en profondeur notre rapport à ces appareils et à ces outils.

Donc en l’état, eh bien j’émets un avis défavorable.

David Assouline, président : Monsieur Ouzoulias, maintenant pour les explications de vote.

Pierre Ouzoulias, sénateur : Oui. Merci Monsieur le président. Madame la ministre, là il s’agit uniquement de la garantie logicielle. L’amendement porte exclusivement sur la garantie logicielle, pas du tout sur l’électroménager.
J’ai eu tout jeune, il y a quelque temps donc, un ordinateur dont je tairai la marque, que j’ai gardé 12/13 ans. Il y avait de temps en temps, de temps en temps ! Rarement, tous les deux/trois ans, une remise à niveau logicielle. C’est très peu de chose ! Pour un fabricant de logiciels, entretenir des vieux systèmes comme ça ce n’est pas un problème. L’objectif du fabricant, justement, c’est que vous abandonniez votre machine pour la changer pour une autre. Je ne vois pas où est le surcoût pour les entreprises en question. En revanche, pour les consommateurs qui n’ont pas besoin de se lancer dans une course effrénée à la performance toujours renouvelée, garder sa vieille machine et avoir l’assurance qu’elle est encore compatible avec un certain nombre de normes informatiques, ça c’est tout à fait essentiel.

David Assouline, président : Très bien. Monsieur Gontard pour explication de vote.

Guillaume Gontard, sénateur : Oui. Merci Monsieur le président. Il s’agit bien ici de trouver une solution pour les vieux appareils et une précision par rapport à ce qui a été dit : l’obligation s’applique bien aux constructeurs de téléphones et pas aux fournisseurs du système d’exploitation. En effet, je rappelle par exemple que le système d’exploitation Android, produit par Google, équipe de nombreux téléphones de différentes marques, mais chacun des constructeurs adapte le logiciel Android à son appareil notamment en appliquant une surcouche sur la carte mère du téléphone.
Précisons aussi que le système Android de Google est disponible en libre accès pour tous ses clients avec une mise à jour corrective de chacune de ses versions durant une période de six à sept ans. L’obligation va donc s’appliquer au constructeur qui est le dépositaire final du système d’exploitation. Charge à lui ensuite, dans sa relation contractuelle avec Google, de lui demander d’allonger de sept à dix ans les mises à jour des vieilles versions d’Android.
Il est particulièrement insupportable qu’un appareil parfaitement fonctionnel soit rendu inutilisable par une simple mise à jour de logicielle. Les pratiques des constructeurs téléphoniques en la matière sont particulièrement déloyales et honteuses et elles ont d’ailleurs valu à Apple et Samsung des amendes respectives de dix et cinq millions d’euros en Italie ; en France, une enquête similaire est en cours. Il me semble qu’on a là l’occasion d’agir.

David Assouline, président : Monsieur Longeot pour explication de vote.

Jean-François Longeot, sénateur : Oui. Merci Monsieur le président. Madame la ministre. Comme vient de le dire monsieur Gontard, effectivement on a là l’occasion d’agir. Ça me parait important. Il se commercialise aujourd’hui environ 25 millions de téléphones portables par an et ces téléphones sont effectivement régulièrement changés ; il n’y a pas que le fait de l’obsolescence programmée, il y a aussi la mode qui fait qu’on les change. Je pense que cet amendement est important parce que si on n’attire pas l’attention et je le disais tout à l’heure, vous le savez c’est fait avec des terres rares, c’est fait avec des matériaux précieux et si on ne donne pas un délai de vie à ces appareils, ça posera véritablement un problème. Je suis effectivement très défenseur de cet amendement non pas parce que c’est moi qui l’ai fait, mais simplement parce que je me suis bien rendu compte dans le rapport que l’on a établi avec ma collègue Blandin, que ces appareils coûtent quand même relativement cher et qui, d’un seul coup, ne fonctionnent plus, je trouve qu’il y a quand même quelque chose ! Peut-être que dix ans c’est trop, je ne sais pas, mais je pense qu’il faut au moins montrer déjà un, qu’on a bien analysé les choses et qu’on n’est quand même pas complètement stupides dans cette affaire-là et puis deux, qu’il faut que nos constructeurs s’adaptent et adaptent un petit peu les appareils pour qu’ils puissent durer. Merci.

David Assouline, président : Très bien. Pour explication de vote enfin Monsieur Houllegatte.

Jean-Michel Houllegatte, sénateur : Oui. Monsieur le président, Madame la ministre. Je voudrais insister sur la nécessité de l’urgence d’agir et d’envoyer des messages. Nous sommes maintenant, la société, dans l’ère du numérique. On parlait d’électroménager tout à l’heure, même en termes d’électroménager, il n’y a pas une interface homme-machine qui ne soit désormais assurée par un système numérique et notamment l’importance du portable qui fait qu’à partir de notre portable on pourra, et on commence déjà à le faire, piloter tout un tas de systèmes domestiques dans la maison. Donc à l’ère des objets connectés, l’importance d’insister sur l’obsolescence ou le risque d’obsolescence programmée de ces différents appareils me semble déterminant.

David Assouline, président : Très bien. Nous allons passer au vote sur ces quatre amendements identiques, avec les avis négatifs de la commission et du gouvernement, comme depuis le début. Qui est pour ? Qui est contre ? Ils sont adoptés.

[Applaudissements]