Négligence caractérisée : le retour des mouchards filtrants

Après un premier examen par le Sénat début juillet, l'Assemblée nationale a terminé vendredi 24 juillet l'examen du projet de loi HADOPI 2 (Protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet). Elle a notamment conservé la « négligence caractérisée » introduite par les Sénateurs.

Punie d'une contravention de 5ème classe (1500 € d'amende et une suspension de la connexion à Internet d'un mois maximum), la négligence caractérisée ressemble étonnamment au manquement à l'obligation de sécuriser sa connexion prévu dans HADOPI 1. Ce dispositif vient en complément de la procédure par ordonnance pénale pour le délit de contrefaçon (jusqu'à 3 ans de prison, 300 000 € d'amende et un an de suspension de la connexion à Internet).

Quelques explications sur cette nouvelle menace à la lumière des débats au Parlement.

En bref

Nous retrouvons un mécanisme similaire à celui de HADOPI 1 avec l'obligation de sécurisation de la connexion à Internet. Concernant le Logiciel Libre, les problèmes demeurent les mêmes : des mouchards filtrants imposés, labellisés par une autorité administrative sans garantie d'interopérabilité, et selon toute vraisemblance uniquement propriétaires. Pour tous, la négligence caractérisée instaure de nouveau une présomption irréfragable de culpabilité. Le Conseil Constitutionnel aura vraisemblablement à se prononcer sur ces dispositions.

Négligence caractérisée vs obligation de sécurisation

L'exécutif semble décidément tenir au mécanisme initial de HADOPI 1 et au principe de sanction automatique sur la base d'une présomption de culpabilité. En effet, si ce sont formellement des amendements de la commission des affaires culturelles du Sénat qui ont introduit la négligence caractérisée, le gouvernement a soutenu ces amendements et s'est farouchement opposé à leur retrait à l'Assemblée nationale.

Tout comme le manquement à l'obligation de sécurisation de HADOPI 1, la négligence caractérisée se fondera sur des relevés informatiques et l'envoi d'avertissements par la Commission de Protection des Droits. Ainsi, si l'adresse IP d'un abonné est utilisée plusieurs fois dans la même année pour partager des œuvres sans autorisation, la CPD adressera des avertissements en « recommandant » à l'abonné d'installer un « moyen de sécurisation » de sa connexion.

Les différences avec HADOPI 1 interviennent dans la suite de la procédure. Il appartiendra désormais au tribunal de police (une formation réduite à un juge du tribunal d'instance, un commissaire de police ou un procureur général et un greffier) de prononcer la sanction, qui sera une amende de 1500  € et le cas échéant une suspension de la connexion à Internet d'un mois maximum.

Problèmes pratiques

Nous retrouvons ici un mécanisme qui instaure une présomption de culpabilité pour les titulaires d'un abonnement à Internet. En effet, bien que la Garde des Sceaux insiste sur le fait que les abonnés auront une obligation de moyens et non de résultat, il est tout aussi compliqué de prouver qu'on a effectivement fait tout ce qui était en son pouvoir pour sécuriser sa connexion.

Ni le projet de loi ni les débats ne nous éclairent sur la manière dont le juge déterminera s'il y a ou non négligence. Le rapporteur a indiqué que l'abonné remplirait cette obligation de moyens en mettant en œuvre un  «moyen de sécurisation labellisé » ; mais comme l'ont souligné des députés de tous bords, comment prouver cette mise en œuvre ? D'autant plus que l'instruction sera ficelée par l'HADOPI sur la base des éléments fournis par les agents des ayants-droit, et que la défense prévue par la procédure contraventionnelle se résume dans le meilleur des cas1 à l'audition du prévenu lors de l'audience. Ce sera donc la parole du présumé coupable contre celle des agents assermentés...

Les problèmes soulevés dans HADOPI 1 pour le Logiciel Libre restent entiers dans HADOPI 2. Ainsi, le gouvernement récidive avec :

  • l'installation et l'utilisation de mouchards filtrants labellisés comme seul moyen d'échapper aux foudres de l'HADOPI dans le cadre de la négligence caractérisée ;
  • une labellisation qui exclura de facto les auteurs de logiciels libres et imposera donc des outils propriétaires ;
  • une discrimination prédictible de tous les utilisateurs d'un système d'exploitation non dominant, notamment les utilisateurs de systèmes libres.

À venir

Les députés ont examiné l'ensemble des articles du projet de loi mais n'ont pas encore voté le projet de loi en tant que tel. Ils feront leurs explications de vote et le vote (en principe positif) du projet de loi à la rentrée parlementaire. Le texte passera ensuite par une commission mixte paritaire, puis sera soumis au vote solennel des deux assemblées.

Les parlementaires opposés au texte ont d'ores et déjà annoncé qu'ils saisiraient de nouveau le Conseil constitutionnel. Les sages auront donc à se prononcer une nouvelle fois sur des questions très similaires à celles soulevées pour HADOPI 1.

Pour en savoir plus...

  • 1. Le ministère public peut aussi imposer au tribunal de police la procédure simplifiée qui prévoit une ordonnance pénale, c'est-à-dire que le tribunal statue sans débat préalable. Le prévenu n'a alors pas la possibilité de se défendre.