Libre à vous ! Radio Cause Commune - Transcription de l'émission du 7 avril 2020
Titre : Émission Libre à vous ! diffusée mardi 7 avril 2020 sur radio Cause Commune
Intervenant·e·s : Luk - Angie Gaudion - Laurent Joëts - Emil Ivov - Frédéric Couchet - William Agasvari à la régie
Lieu : Radio Cause Commune
Date : 7 avril 2020
Durée : 1 h 30 min
Écouter ou enregistrer le podcast
Page des références utiles concernant cette émission
Licence de la transcription : Verbatim
Illustration : Bannière de l'émission Libre à vous ! de Antoine Bardelli, disponible selon les termes de, au moins, une des licences suivantes : licence CC BY-SA 2.0 FR ou supérieure ; licence Art Libre 1.3 ou supérieure et General Free Documentation License V1.3 ou supérieure. Logo de la radio Cause Commune utilisé avec l'accord de Olivier Grieco.
NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.
- Chronique « La pituite de Luk » sur le confinement
- Nouvelles de Framasoft et du Collectif CHATONS, Collectif des Hébergeurs Alternatifs,Transparents, Ouverts, Neutres et Solidaires, avec Angie Gaudion
- Le confinement et l'école avec Laurent Joëts, professeur de technologie en collège et référent numérique de son établissement
- Présentation de Jitsi, logiciel libre de visioconférence, avec Emil Ivov son créateur
- Annonces
Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.
Nous allons parler aujourd’hui de Jitsi, logiciel libre de visioconférence. Également au programme des nouvelles de Framasoft et du Collectif CHATONS, Collectif des Hébergeurs Alternatifs, Transparents, Ouverts, Neutres et Solidaires. Également l’interview d’un professeur de technologie en collège et on commencera par une chronique sur le confinement, bien entendu.
Vous êtes sur la radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 FM en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm.
Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre. Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.
Le site web de l’April c’est april.org, vous y trouvez déjà une page consacrée à cette émission avec tous les liens et références utiles, les détails sur les pauses musicales et toute autre information utile en complément de l’émission.
N’hésitez pas à nous faire également des retours pour indiquer ce qui vous a plu mais aussi des points d’amélioration ou poser toute question.
Nous sommes mardi 7 avril 2020, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.
Je précise que comme les deux éditions précédentes, l’émission est diffusée dans des conditions exceptionnelles suite au confinement de la population. Toutes les personnes qui participent à l’émission sont chez elles. D’un point de vue technique, ce coup-ci nous utilisons Jitsi car nous aurons le plaisir d’avoir en fin d’émission le créateur de Jistsi.
Nous espérons que tout se passera bien et je vous prie de nous excuser par avance si des problèmes se produisent.
Si vous souhaitez réagir, poser une question pendant le direct, n’hésitez pas à vous connecter sur le salon web de la radio. Pour cela rendez-vous sur le site de la radio, causecommune.fm, cliquez sur « chat » et retrouvez-nous sur le salon dédié à l’émission #libreavous.
Je vais commencer par le programme détaillé de l’émission du jour :
nous aller commencer dans quelques secondes par la chronique « La pituite de Luk » qui va nous parler de confinement ;
ensuite nous prendrons des nouvelles de Framasoft et du Collectif des Hébergeurs Alternatifs, Transparents, Ouverts, Neutres et Solidaires, c’est-à-dire le CHATONS avec Angie Gaudion ;
puis nous prendrons des nouvelles de Laurent Joëts qui est professeur de technologie en collège ;
et en fin d’émission nous aurons le plaisir d’avoir avec nous Emil Ivov, le créateur de Jitsi, solution libre de visioconférence très utilisée en cette période de confinement .
À la réalisation de l’émission aujourd’hui William de la radio Cause Commune. William anime deux émissions sur la radio Cybercultrure le samedi 14 heures et Et pour cause le mardi à 21 heures.
Tout de suite place au premier sujet.
[Virgule musicale]
Chronique « La pituite de Luk » sur le confinement
Frédéric Couchet : Nous allons commencer par la chronique « La pituite de Luk » intitulée « Ça sent le confiné ». Luk, est-ce que tu es avec nous ?
Luk : Oui Fred, je suis là, je suis à la porte du studio. Tu m’ouvres ?
Frédéric Couchet : Tu es à la porte du studio ? Donc tu es chez moi !
Luk : Pourquoi ?
Frédéric Couchet : Parce que c’est le confinement. Il n’y a personne au studio.
Luk : Ah d’accord ! L’émission se fait à distance, mais moi j’ai risqué ma peau pour venir ! Il y a des patrouilles de police partout ! J’ai rampé sous des barbelés et évité des patrouilles cynophiles. Je ne voulais pas mourir de saturnisme foudroyant en pleine épidémie de Covid, ça ferait con ! Du coup, je suis prudent. J’ai emballé mon téléphone dans du papier alu pour qu’Orange ne puisse pas me traquer. Je sens malgré ça le souffle chaud de Stéphane Richard sur ma nuque. Je suis sûr qu’il me stalke.
Si j’ai pris tous les risques pour venir c’est que ça fait trois semaines que ma vie n’a plus aucun sens. Assigné à résidence, je tourne en carré : lit, WC, cuisine, salon. Ma vie est devenue un cauchemar. Avant je rêvais que j’avais oublié mon froc en partant au boulot, je réalisais soudain, avec effroi, que j’avais les fesses à l’air. Maintenant ce n’est plus un cauchemar. Ça m’arrive tout le temps en vrai et ça ne me fait ni chaud ni froid parce que le chauffage est bien réglé.
Il faut dire que coupé du reste du monde, je me laisse aller. Avec la visioconférence, le bas de mon corps n’a plus d’existence sociale. Les rares fois où je prends une douche, je ne lave plus que la partie frontale située au-dessus du nombril. La surcharge de la bande passante m’épargne au moins un tour de douche supplémentaire parce que la vidéo est trop moche pour qu’on puisse voir les mouches. Ne sacrifions pas la neutralité du réseau pour favoriser le télétravail, il faut que ça reste comme ça.
À ce propos, mention spéciale à Jitsi qui permet de choisir la qualité de sa vidéo. Je suis admiratif de voir que la user story, « j’ai une hygiène négligée, mais je conserve ma dignité », est couverte. S’il vous plaît, continuez à bien faire et n’implémentez surtout pas l’odorama !
La masse musculaire de mes guibolles a été réduite de 50 % à force de ne pas les utiliser. J’ai l’énergie d’un stagiaire photocopie de l’ISS [International Space Station] de retour à la maison. J’envisage même de me faire amputer des deux jambons. Qui a encore besoin de ses membres inférieurs quand son univers se résume à un écran, un clavier et une souris ?
Certains gardent le moral en faisant des masques, des respirateurs sous licence libre ou mettent en place des chatons. Moi je ne sers à rien, confiné que je suis ! J’ai bien réglé un truc ou deux à la maison, mais il ne faut pas être une lumière pour changer une ampoule et surtout, ça ne change pas la face du monde.
À un moment, j’ai cru que mes chroniques apportaient un peu de réconfort à mes voisins, vu qu’ils sortent tous à 20 heures pour applaudir. En fait non ! J’ai découvert que c’est destiné au personnel hospitalier alors qu’on a pas d’infrastructure médicale dans le quartier. Après avoir stocké des kilomètres de PQ, ils applaudissent des gens qui ne sont pas là. Cette vie n’a vraiment plus aucun sens !
Seul face à moi-même, je ne découvre que le néant. « Si tu plonges longtemps ton regard dans l'abîme, l'abîme te regarde aussi » a dit Nietsche. Mon regard plonge bien, je ressens l’angoissant appel du vide. En revanche, l’abîme ne me calcule pas. Il se refait plutôt les dix saisons de Friends. Il en est à l’épisode 112, celui où les protagonistes discutent dans un appartement.
Il y a au moins un truc qui fait sens dans cette crise : l’informatisation de la société nous évite le pire et pas seulement de mourir d’ennui. Certains se disent que ce monde à l’arrêt est l’occasion de repartir sur des bases saines. Ce n’est pas gagné car même si la fin du confinement et le début de la crise économique seront assurément des catalyseurs, il y a aussi pas mal de gens qui attendent la fin du Covid-19 pour recevoir le colis de contrôle social qu’ils ont commandé sur Ali-Express.
À l’heure où plein de confinés sont littéralement sans culotte, peut-on espérer la fin des privilèges et retrouver nos libertés ? Quand y pense on peut très bien faire la révolution depuis son canapé quand on est admin-sys. Pas besoin de sortir sur un rond-point pour bloquer le pays. La révolution en télétravail est à portée de clic.
Ils pourraient alors confier la gestion de l’épidémie à un service support. Des gens habitués à s’exprimer sans se contredire, en s’appuyant sur l’avis d’experts qui répondent à côté de la plaque. On piloterait le monde comme un gros projet informatique. Je ne vois pas ce qui pourrait mal se passer.
Finalement, j’aurais peut-être dû rester confiné, l’avenir semble se jouer sur mon canapé.
Frédéric Couchet : Luk, merci pour cette belle chronique. Je me permets de t’applaudir ; je ne vais peut-être pas le faire parce que ça va faire beaucoup de bruit sur le micro. J’espère quand même qu’on aura le plaisir de te voir au studio le mois prochain, ça voudrait dire que le confinement est terminé.
Luk : Celle-ci était la bonne normalement !
Frédéric Couchet : Normalement, celle-ci était la bonne. J’ai l’impression que tu le fais un petit peu exprès. Bon !
C’était la chronique « La pituite de Luk », de l’incroyable Luk avec un « k » et son site c’est incroyableluk.org.
Luk, on se retrouve le mois prochain soit toujours en confinement soit peut-être à la porte du studio soit à l’intérieur du studio.
Luk : Très bien. Eh bien merci.
Frédéric Couchet : Merci bonne soirée à toi.
Exceptionnellement nous n’allons pas faire de pause musicale parce que nous avons un programme chargé.
[Virgule musicale]
Nouvelles de Framasoft et du Collectif CHATONS, Collectif des Hébergeurs Alternatifs,Transparents, Ouverts, Neutres et Solidaires, avec Angie Gaudion
Frédéric Couchet : Après cette chronique sur le confinement de notre ami Luk, nous allons prendre des nouvelles d’acteurs importants dans le monde du Libre évidemment. C’est Framasoft et le Collectif CHATONS dont on va expliquer un petit peu ce que c’est. Normalement nous avons avec nous Angie Gaudion de Framasoft. Angie ?
Angie Gaudion : Bonjour.
Frédéric Couchet : Bonjour Angie. Comment vas-tu ?
Angie Gaudion : Ça va bien, confinée au soleil.
Frédéric Couchet : Confinée au soleil. Ah ! Voilà. C’est vrai qu’en plus aujourd’hui il fait beau.
L’idée de cet échange c’est de prendre un petit peu des nouvelles de Framasoft et du Collectif CHATONS, notamment depuis le début du confinement.
Je vais préciser aux personnes qui écoutent l’émission que nous avons déjà reçu Angie à deux reprises pour parler notamment de Framasoft et du Collectif CHATONS, c’était dans l’émission du 16 avril 2020 et dans l’émission du 18 juin 2020. Vous retrouverez les podcasts sur april.org et sur causecommune.fm. On a aussi fait une Antenne libre sur le CHATONS plus récemment dans le cadre du confinement, c’était le 19 mars 2020. Pareil le podcast est disponible sur les deux sites.
Angie Gaudion : Si je peux me permettre de te corriger, c’était 2019 les deux premiers parce que avril 2020 c’est…
Frédéric Couchet : J’ai dit 2020 ?
Angie Gaudion : Ce n’est pas grave ! Les gens vont croire que tu as anticipé les prochaines émissions.
Frédéric Couchet : Effectivement, c’est 16 avril 2019 et 18 juin 2019 pour l’émission consacrée à CHATONS et l’Antenne libre c’était plus récemment, c’était le 19 mars 2020. Merci d’avoir corrigé.
On va prendre un petit peu des nouvelles de Framasoft et donc du Collectif CHATONS. On va commencer par Framasoft, donc le site framasoft.org, site bien connu qui propose un ensemble de services libres. Avec le confinement et avec les problèmes à l’Éducation nationale notamment dont on parlera après avec Laurent Joëts, Framasoft a été au centre de plein, comment dire, d’attentes, d’utilisation des services. Comment avez-vous vécu ça ? Qu’avez-vous fait ces dernières semaines ?
Angie Gaudion : Effectivement, dès l’annonce du confinement, on s’est dit au sein de l’asso qu’on allait forcément avoir une recrudescence d’utilisateurs et d’utilisatrices sur nos services. Dans un premier temps on a essayé de pallier cette charge qui arrivait de manière globale. Donc la plus grosse partie de nos activités, au tout début de la période de confinement, vraiment sur la première semaine, ça a été de maintenir et de renforcer nos services. On a monté des nouvelles instances pour les services les plus utilisés qu’on a, à savoir Framapad qui fait de la rédaction collaborative, Framatalk qui est une instance Jitsi et Framadrop pour le transfert temporaire de fichiers. On a estimé, ce qui est assez compliqué parce que comme on ne récolte absolument pas de données personnelles sur ces services on ne sait pas exactement le nombre d’utilisateurs, mais on a eu des montées de charge vraiment très importantes, donc il a fallu qu’on trouve le moyen de pouvoir accueillir un maximum de monde tout en faisant le choix d’indiquer que l’Éducation nationale, en tout cas les enseignants et les élèves n’étaient pas les bienvenus sur nos services, non pas qu’on ne veut pas qu’ils soient là – ce n’est pas qu’on ne veut pas leur fournir le service – c’est que si, effectivement, on 800 000 enseignants et 12 millions d’élèves qui débarquent, on était incapables de supporter ça avec nos petits serveurs et ça aurait tout fait planter. Donc on a fait le choix que nos services soient disponibles davantage pour les télétravailleurs, des petites structures – PME, associations – plutôt que pour le ministère. Ce qui, du coup, a fait un peu causer effectivement de ce côté-là, mais, à un moment, on a considéré que le ministère avait largement le temps de préparer une infrastructure technique. Depuis des années, ils auraient pu faire ça, à priori ils ne l’ont pas bien fait puisque les enseignants se sont retrouvés assez démunis. Mais ça a été notre discours initial, qu’on a changé depuis, c’est-à-dire que depuis la semaine dernière on n’a plus ce message sur les pages d’accueil de nos services.
Frédéric Couchet : Il n’y a plus le message ?
Angie Gaudion : Non. Aujourd’hui on est en mesure d’absorber de charge puisqu’on a davantage d’instances.
On a aussi fait quelque chose avec Framapad et Framatalk : on a renvoyé vers d’autres instances externes. C’est-à-dire qu’on a identifié d’autres structures qui proposent ces instances-là et quand vous créez un pad sur ces outils, du coup vous ne le créez pas forcément chez nous, vous pouvez aussi le créer à l’extérieur. On a fait le choix de répartir la charge entre différentes organisations dont la majorité sont effectivement des membres du Collectif CHATONS dont on parlera tout à l’heure.
Frédéric Couchet : On précise peut-être que le terme instance ce sont des sites web, quelque part, pour que les gens comprennent. Une instance c’est une version du site web qui permet par exemple de faire de la visioconférence, de la téléphonie ou effectivement du bloc-notes.
Sur le salon web de la radio, on nous demande de préciser de quel ministère il s’agit, c’est le ministère de l’Éducation nationale bien entendu. Je te laisse poursuivre.
Angie Gaudion : Du coup on s’est rendu compte, avec cette charge sur de nos services, qu’il y avait aussi besoin d'enrichir les logiciels qu’on utilisait avec quelques fonctionnalités. Mes collègues techniciens ont résolu des bugs, ajouté un certain nombre d’éléments sur plusieurs logiciels et en particulier Etherpad qui permet de faire de la rédaction collaborative en ligne.
On a aussi mis en place une instance du logiciel Mumble, du coup on a installé sur nos serveurs un Mumble public – on en avait déjà un qu’on utilisait plutôt en interne au sein de l’asso – qui fait de l’audio conférence, on n’est pas sur de la visio, et ensuite on a même proposé une interface web pour éviter que des internautes aient besoin d’installer un logiciel ou d’installer une application sur leurs appareils. Maintenant il y a une interface web qui permet d’y accéder sans avoir besoin d’installer quoi que ce soit.
Frédéric Couchet : C’est effectivement une très bonne chose. Nous aussi, à l’April, on a Mumble. J’ai passé beaucoup de temps, notamment aussi dans le cadre de la radio, à essayer d’expliquer aux gens comment installer le client Mumble ; ça paraît relativement simple mais ça n’est pas aussi simple que ça pour tout le monde. Le fait d’avoir un accès web directement à Mumble, donc à de l’audioconférence, permet vraiment à n’importe qui de pouvoir l’utiliser avec une qualité audio qui est quand même nettement supérieure à celle de beaucoup d’autres outils. Donc c’est vraiment une très bonne chose.
Angie Gaudion : C’est vrai que sur notre service Mumble on peut accueillir jusqu’à 6500 personnes en même temps. Donc en termes d’accueil, pour le coup, on est sur un service qui permet d’accueillir vraiment beaucoup de monde de manière simultanée sans que ça nous impacte au niveau technique.
On a aussi, sur le plan technique, mis en place un outil suite à la demande qu’on a reçue de médecins qui étaient un peu embêtés avec le fait qu’ils devaient faire de la prise de rendez-vous via les services habituels qu’on connaît, Doctolib et compagnie, ce qui ne leur semblait pas super classe en termes de protection des données personnelles de leurs patients. Donc on a monté, via le logiciel Nextcloud, une interface qui s’appelle RdV Médecins, qui leur permet justement de proposer à leurs patients de prendre rendez-vous par ce biais-là en étant dans un contexte sécurisé qui ne récupère pas les données, etc. Mes collègues techniques ont vraiment développé quelque chose qui est totalement adapté à ce besoin.
Frédéric Couchet : C’est un outil qui est donc réservé à des médecins pour la prise de rendez-vous.
Angie Gaudion : C’est ça, exactement, pour faire de la prise de rendez-vous
Frédéric Couchet : Je précise qu’on mettra les liens directement sur la page consacrée à l’émission de tous les sites que va citer Angie, que ce soit sur april.org ou sur causecommune.fm. Sinon, en allant sur framasoft.org, vous les retrouverez assez facilement.
Angie Gaudion : Les premiers moments c’était vraiment faire que nos services puissent continuer à fonctionner et qu’ils puissent être disponibles pour le plus grand nombre d’internautes.
En parallèle, on a documenté notre activité pendant le confinement. Au sein de l’asso on s’est dit que c’était vraiment très important d’avoir un journal de confinement qui raconte comment on vit cette situation. Sur notre blog, qui s’appelle Framablog, on a un certain nombre d’articles qui expliquent comment on a vécu les premiers jours, comment on s’est organisé sachant que, par exemple, une partie de l’équipe salariée de Framasoft n’était pas en télétravail, même si une grande partie était déjà en télétravail donc pour elle c’était plutôt facile de s’y mettre, comment on vivait la situation, qu’est-ce qu’on faisait, dans quel ordre on s’organisait, etc. On a cet aspect documentation de notre présent, de notre vécu sur cette période, parce qu’on se dit aussi que dans quelques années ce sera quelque chose d’assez intéressant à regarder pour voir comment on gère une crise au sein d’une petite association qui fait du service libre. Tout ça peut se trouver sur le Framablog.
Frédéric Couchet : framablog.org.
Angie Gaudion : Pierre-Yves Gosset, qui est le directeur général de l’association, s’est lancé dans un travail monumental d’un mémo sur le télétravail, parce que, justement, on a une expérience intéressante dans ce cadre-là puisque ça fait des années qu’au sein de l’association une grande partie d’entre nous télétravaillons. Donc on a, du coup, créé cet espace où effectivement on donne notre avis, des conseils, nos façons de fonctionner, nos méthodes d’organisation pour aider toutes les personnes qui se sont retrouvées du jour au lendemain à devoir télétravailler sans avoir aucune idée de comment s’organiser. C’était un outil qu’on fournissait, qui allait permettre en tout cas à ceux qui le souhaitaient de piocher dedans des bonnes conduites, des méthodes, etc.
Frédéric Couchet : C’est un mémo qui est important. Ce confinement doit aussi être l’occasion, effectivement, de développer plus de télétravail, mais il faut que les structures employeuses aient quand même conscience que c’est un télétravail particulier, on l’a déjà dit sur cette antenne, parce que c’est en période de confinement donc émotionnellement et d’un point de vue mental c’est plus compliqué pour les gens et il y a aussi, tout simplement, le confinement des enfants, donc les personnes qui ont des enfants à la maison, eh bien le télétravail ce n’est pas forcément évident. Il faut tenir compte de ça et en profiter effectivement pour améliorer les procédures et les mécanismes de télétravail dans l’avenir, ce qui est quand même quelque chose de très bien.
Angie Gaudion : On a aussi, bien sûr, enrichi la documentation sur nos services puisque plus on a d’utilisateurs et d’utilisatrices de nos services, plus on a de gens qui comprennent pas comment ils fonctionnent, donc on a eu aussi une montée en charge de demandes sur notre support. Pour renseigner au mieux ces utilisateurs et utilisatrices, on a agrémenté, enrichi la partie documentation qu’on propose. Par exemple sur le Mumble web, puisqu’on n’en avait pas avant, il a fallu écrire intégralement cette documentation : comment on fait pour se rendre sur notre Mumble web ? Comment ça marche ? Comment on rejoint un salon ? Etc. On l’a fait aussi pour Jitsi, notre service Framatalk, et on l’a fait aussi sur RdV Médecins pour que justement les médecins et leurs patients qui souhaitent prendre rendez-vous puissent comprendre comment fonctionnent ces interfaces.
Frédéric Couchet : C’est important parce que ces documentations sont très bien faites, en plus il y a des copies d’écran, on peut suivre très facilement. C’est vrai que c’est une des grandes qualités qu’a aussi Framasoft, c’est-à-dire mettre en place des services mais également la documentation qui va avec pour permettre à la personne qui débarque de pouvoir suivre une documentation et utiliser le service.
Angie Gaudion : Pour nous, en plus de ça, quand on a des questions assez basiques qui arrivent via le support, on peut directement faire un lien vers la documentation sans avoir besoin de réécrire et de répondre systématiquement en réfléchissant : on va chercher directement l’info, donc on gagne aussi du temps par rapport au soutien à nos utilisateurs.
Cependant, on a quand même eu effectivement énormément de demandes via notre formulaire de contact, donc on a créé sur notre forum Framacolibri une catégorie spécifique pour le temps du confinement, qui s’appelle Entraide, où on a très clairement appelé la communauté Frama à nous aider à accompagner les internautes quand ils avaient des questions. Ça a très bien pris. Les gens posent davantage leurs questions sur le forum et ce ne sont pas forcément les membres de Frama qui répondent à ces questions, ce qui permet de répartir, on va dire, cette tâche d’accompagnement entre un plus grand nombre d’accompagnateurs.
Frédéric Couchet : Ça c’est sur framacolibri.org. Évidemment, les personnes qui veulent aider Framasoft, qui se disent comment on peut aider Framasoft, eh bien une façon d’aider c’est d’accompagner les autres en répondant aux questions.
Angie Gaudion : Tout à fait. Et enfin, on a été sollicités par plein d’acteurs divers et variés pour mettre en évidence leurs initiatives. Ce sont parfois des partenaires avec lesquels on est déjà en contact, je pense par exemple au Collectif Continuité pédagogique qui s’est monté en trois jours à partir du moment où il y a eu l’annonce du confinement. On fait des coups de projecteur sur ces initiatives afin de leur donner davantage de visibilité qu’ils ne pourraient en avoir puisqu’ils sont souvent très nouveaux et qu’ils n’ont pas forcément le réseau. On parle de ce qu’ils font, on explique ce qu’ils font, on le fait en partenariat eux et c’est important.
On a aussi repris quelques articles qui avaient été publiés sur des blogs externes pour les rendre plus visibles. Je pense par exemple à l’article de Stéphane Bortzmeyer sur l’Internet pendant le confinement qui permet aussi de repréciser : au tout début du confinement, je ne sais pas si vous vous souvenez, les gens pensaient que l’Internet allait craquer, que ça allait lâcher, que ça n’allait pas tenir. Stéphane Bortzmeyer qui a une compétence dans ce domaine-là expliquait en quoi cette frayeur pouvait être évacuée. D’ailleurs on le voit bien, trois semaines plus tard ça fonctionne toujours donc tout va bien !
Frédéric Couchet : Si je peux me permettre, Stéphane Bortzmeyer a écrit l’an dernier un livre qui s’appelle Cyberstrtucture. On l’a reçu dans Libre à vous !, vous retrouverez le podcast et le livre doit être disponible en EPUB sur le site de l’éditeur. Vous cherchez Cyberstrtucture, Stéphane Bortzmeyer, c’est une lecture potentielle pendant le confinement pour mieux comprendre Internet. Je te laisse poursuivre.
Angie Gaudion : Après on a continué à communiquer sur des projets qui étaient déjà lancés pré-confinement et qui arrivaient, on va dire, en mise en œuvre.
Typiquement le partenariat sur un libre cours, qui est un cours en ligne sur la culture libre, qui a d’ailleurs commencé hier. On a fait un petit article expliquant ce qu’est ce cours, comment on peut s’y inscrire, etc. Les sessions sont pleines. Ce cours se lance, on a une vingtaine d’apprenants qui apprennent le monde de la culture libre et des licences libres.
On a fait un petit article sur comment les acteurs du Libre se mobilisent justement dans le cadre de la solidarité numérique/confinement. On a listé les différentes initiatives qu’on a identifiées, qu’on a vu passer ou qu’on nous a fait connaître dans ce cadre-là. C’est un article qui marche assez bien parce que c’est vrai qu’on y retrouve plein d’éléments pour, tout simplement, être plus à l’aise dans cette situation particulière tout en mettant en valeur les acteurs du Libre qui ont fait énormément de choses au début du confinement, qui se sont activés vraiment très fortement.
En fait on accueille, on continue à accueillir.
En parallèle on fait ce qu’on faisait déjà, différentes interviews dans les médias pour expliquer notre position par rapport à ce confinement et en particulier par rapport à l’Éducation nationale, mais aussi, tout simplement, la découverte des outils. C’est une activité on va dire plus régulière mais qui a pris un peu plus de place dans notre activité ces trois dernières semaines.
Ça c’est ce qu’on a fait sur les trois dernières semaines.
Pour vous dire, le confinement nous touche toutes et tous au sein de l’association Framasoft. Les deux premières semaines ont été épuisantes, vraiment, parce qu’il y avait énormément de choses à faire. C’est très dynamisant de se retrouver dans une situation de pression, comme ça, où il faut s’activer. Ce qui fait quand même qu’au bout de deux semaines on a été très fatigués, au moins psychologiquement. Et depuis la semaine dernière et sur les semaines à venir on a décidé, de manière collective, qu’il ne fallait pas qu’on s’épuise trop, que l’urgence n’était plus une urgence et qu’il fallait qu’on pense à sortir de cette urgence donc repenser, effectivement, à ce qu’on allait faire dans les semaines à venir, avec, du coup, un souci vraiment très fort au sein de l’association du bien-être des membres. On prend très souvent des nouvelles les uns des autres, on se questionne sur comment on vit ces situations, on s’assure qu’il n’y ait pas de membres qui se retrouvent dans des situations délicates. En tout cas on essaye au maximum d’accompagner celles et ceux parmi nous qui ont des situations de vie qui sont plus complexes ou, tout simplement, qui vivent moins bien, qui angoissent plus. Ça c’est aussi un élément très propre à l’association Framasoft, cette espèce de bienveillance sachant qu’on a toujours dit qu’on est une association basée sur l’humain et que ce qui nous importe davantage ce sont les humains qui composent l’association, il faut que ces humains soient bien.
Frédéric Couchet : Je partage tout à fait ça, effectivement pour nous aussi l’humain c’est le principal. Des outils comme Mumble, Jitsi ou d’autres outils permettent de garder ce contact visuel notamment, audio aussi. On peut faire ça tous les jours ou une fois par semaine, faire le point, prendre des nouvelles, etc. C’est vraiment très important.
Angie, le temps file. On vient, justement, de parler des humains. Si on parlait un petit peu des adorables petites bêtes qu’on appelle les chatons. Les chatons, où ça en est ?
Angie Gaudion : Le Collectif des Hébergeurs Alternatifs, Transparents, Ouverts, Neutres et Solidaires a réagi lui aussi au quart de tour au moment de l’annonce du confinement avec une différence notable c’est qu’à Frama on est une seule structure, en plus avec des salariés, donc on peut aller assez vite finalement dans les éléments. Au sein du Collectif ce sont 70 structures différentes dont la majorité n’a pas forcément de salariés. On va dire que la mise en œuvre de solutions a été un peu plus lente, forcément, du fait qu’il n’y avait pas du tout la même quantité d’énergie. Globalement qu’est-ce qui s’est passé du côté des chatons ? On s’est tendu compte que les gens étaient hyper-perdus en termes d’outils, dès le début, ils ne savaient pas du tout quels outils utiliser, donc on a enrichi ce qu’on appelle notre litière – toute une métaphore autour du monde des chats – qui est tout simplement un wiki du Collectif. Au sein de cette litière on a créé une nouvelle catégorie, les outils du télétravail, où, pour chaque outil, chaque logiciel libre possible, on a fait des fiches qui présentent les fonctionnalités de l’outil, on a recensé des tutoriels d’utilisation, des tutoriels d’installation pour les personnes qui techniquement seraient en mesure d’installer et de configurer justement ces outils sur leurs serveurs. Et puis une liste d’instances publiques identifiées. Au tout début, je me souviens que tout le monde disait : « Je vais où pour retrouver Jitsi ? » On a vraiment répondu à ce besoin très rapidement en essayant d’identifier un maximum d’instances. On l’a fait sur plein de logiciels, Jitsi, Mumble, Mattermost, Rocket.Chat. Il y a une liste assez importante sur la litière qui est vraiment de la documentation et de l’accompagnement des internautes dans la découverte de ces outils.
En parallèle on a travaillé sur un nouveau site qui s’appelle entraide.chatons.org, chatons au pluriel, qui est, en fait, un portail d’accès simplifié à des services en ligne, sans inscription, qui répondent aux besoins les plus courants des internautes. L’intérêt de ce site web c’est que, du coup, on a une interface simplifiée qui permet d’accéder très vite à ces outils sans se poser la question de chez qui je vais pour trouver l’outil. Sachant qu’on a un système : à chaque fois que vous vous connectez vous n’allez pas avoir les outils chez les mêmes opérateurs, chez les mêmes hébergeurs. On a pris parmi les chatons tous ceux qui proposaient un service logiciel et ça tourne pour que la charge soit répartie entre l’ensemble des structures qui composent CHATONS et que ça ne surcharge pas l’un d’entre nous plutôt qu’un autre.
Frédéric Couchet : En fait, pour que la charge repose sur le Collectif des différents sites d’hébergement.
Angie Gaudion : Voilà. Exactement.
Frédéric Couchet : C’est entraide.chatons.org avec chatons au pluriel.
Angie Gaudion : Au pluriel. Exactement.
Créer un site web rapidement c’est beaucoup d’énergie, il y a un petit groupe de travail qui s’est monté pour arriver à faire ça dans des délais très rapides. Ça c’était la plus grosse partie pour le Collectif. Bien sûr, on a un forum au sein du Collectif CHATONS qui est un forum public, les échanges sont visibles par tous, donc on a aussi une arrivée de plein de gens sur notre forum qui viennent nous poser des questions, donc on a toute cette alimentation du forum pour répondre aux différentes questions qu’on nous pose. C’est super parce que, du coup, ça dynamise énormément le Collectif dans son ensemble.
Frédéric Couchet : Super. Là c’est l’actualité. En deux/trois minutes maximum : pour demain est-ce qu’il y a des projets, des visions ?
Angie Gaudion : Côté Frama on n’a pas vraiment réglé la question aujourd’hui. La question qu’on se pose c’est qu’on avait identifié une feuille de route pour 2020, qu’on avait publiée en novembre dernier, et on se rend bien compte qu’on ne va pas pouvoir tenir cette feuille route. On a fait autre chose ces trois dernières semaines et on va sûrement faire autre chose que cette feuille de route encore dans les semaines à venir. Aujourd’hui on s’interroge sur comment on va pouvoir faire certaines parties de ce qu’on avait annoncé. Comment on gère le fait qu’on ne va peut-être pas réaliser sur cette année la partie de cette feuille de route ? Typiquement, on avait annoncé qu’on allait faire une collecte pour financer la v3 du logiciel PeerTube et, très clairement, le contexte fait qu’on ne va pas être en mesure de faire ça. En plus, on avait prévu cette collecte de début mai jusqu’à fin juin, là on n’est pas du tout prêts pour arriver à faire ça dans les temps. Donc on est en train d’essayer de voir comment on va pouvoir changer la forme de cette collecte. On ne sera plus du tout sur un crowdfunding habituel. Ce n’est pas encore défini, on est encore dans le questionnement sur comment on va améliorer ça.
En revanche, ce qui va sortir à priori courant mai, qui était déjà prévu courant mai : on avait lancé un questionnaire pour recenser les acteurs, les actrices de l’accompagnement au numérique libre. On est en train de faire le travail de synthèse pour, tout simplement, pouvoir sortir de ces différents acteurs parce qu’on se rend bien compte aujourd’hui que cette liste manque sur l’aspect médiation numérique, on a vraiment besoin que ce travail sorte, donc il devrait arriver dans les semaines à venir.
On va maintenir ce qu’on avait annoncé en septembre sur la fermeture de services. On avait annoncé qu’on allait fermer un certain nombre de services donc ça va continuer à se faire. En parallèle on continue à travailler sur ce qu’on appelle les pages alternatives : quand un service ferme, on a une page qui indique « OK, le service ferme chez nous, mais on ne vous laisse pas tout seuls dans la mouise, on vous propose d’aller voir à tel ou tel endroit pour avoir un service équivalent ». Donc il y a un travail de préparation de toutes ces pages.
Depuis le début de la semaine on se rend compte que ça y est, nos deux développeurs, chocobuzz sur PeerTube et tcit sur Mobilizon, sont un peu moins mobilisés sur le maintien des services existants, donc vont pouvoir recommencer leur activité habituelle qui est de coder, programmer, développer ces logiciels, tout simplement. Ça va revenir petit à petit, sûrement pas autant qu'en contexte plus normal, mais ils vont pouvoir remettre un peu plus le nez dedans pour continuer à avancer sur ces développements.
Enfin, on avait annoncé un projet de cloud. Là, aujourd’hui, on ne sait vraiment pas si on va être capables de le fournir d’ici la fin de l’année. On en est vraiment au stade de la réflexion, on est dans une phase, depuis quelques jours, qui est : comment on va faire, qu’est-ce qu’on fait. Ce n’est pas hyper-défini, on est encore beaucoup dans cette réflexion et je pense qu’on prend justement le temps de réfléchir avant de repartir bille en tête en essayant de faire exactement ce qu’on avait annoncé alors que le contexte a changé.
Frédéric Couchet : D’accord. En tout cas ça nous donnera l’occasion de prendre des nouvelles. Je vais juste préciser qu’on a parlé de PeerTube, c’est un service de partage de vidéos décentralisé, on peut dire, et Mobilizon c’est un outil pour permettre aux organisations de s’organiser, de se mobiliser, partager des évènements. C’est ça ?
Angie Gaudion : Oui. Souvent on le présente comme l’alternative aux évènements et aux groupes sur Facebook.
Frédéric Couchet : D’accord. OK. En tout cas on va reprendre des nouvelles bientôt. On te souhaite le meilleur ainsi qu’à tous tes collègues et à tous les membres de Framasoft et merci pour ce que vous faites.
Angie Gaudion : Je transmettrai.
Frédéric Couchet : Tu leur fais des bises virtuelles de notre part, avec grand plaisir.
C’était Angie Gaudion de Framasoft. Vous retrouverez tous les liens qu’elle a cités évidemment sur framasoft.org, sur chatons.org avec un « s », également sur le site de la radio causecommune.fm et sur le site de l’April, april.org, dans les pages consacrées à l’émission.
Angie, je te remercie et je te souhaite de passer une belle fin de journée ensoleillée donc.
Angie Gaudion : En tout cas merci beaucoup pour l’invitation. À très bientôt.
Frédéric Couchet : À bientôt Angie.
Cher maestro William, nous allons passer une pause musicale.
[Virgule musicale]
Frédéric Couchet : Nous allons écouter Cool nights par Dixxy et on se retrouve juste après.
Pause musicale : Cool nights par Dixxy.
Voix off : Cause Commune 93.1.
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Cool nights par Dixxy, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions.
Vous écoutez l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm. Je suis toujours Frédéric Couchet, le délégué général de l’April, et nous prenons des nouvelles de personnes avec lesquelles nous avons déjà échangé dans le cadre de l’émission.
[Virgule musicale]
Le confinement et l'école avec Laurent Joëts, professeur de technologie en collège et référent numérique de son établissement
Frédéric Couchet : Maintenant nous allons parler avec Laurent Joëts qui est professeur de technologie en collège, référent numérique de l’établissement et qui avait participé à l’émission Libre à vous ! consacrée aux logiciels libres dans le monde éducatif, collège, émission du 4 février 2020, les podcasts sont disponibles sur causecommune.fm et sur april.org. Laurent tu es avec nous ?
Laurent Joëts : Oui. Bonjour.
Frédéric Couchet : Bonjour Laurent. Je rappelle aux personnes qui veulent participer à notre conversation que vous pouvez nous rejoindre sur le salon web dédié à l’émission sur le site causecommune.fm, bouton « chat », salon #libreavous.
Déjà Laurent comment ça va ?
Laurent Joëts : Ça va bien. Ça a été une période un peu compliquée en tant que référent numérique de l’établissement et, comme pour tous les enseignants aussi, pour préparer les cours et prendre en charge les élèves à distance. Ce n’est pas simple. C’est assez fatigant, mais super riche, en fait.
Frédéric Couchet : Justement. On va parler un peu de ce retour d’expérience. Juste avant on avait Angie de Framasoft qui nous a parlé un petit peu de comment ils avaient vécu ça de leur côté. Il était intéressant d’avoir aussi un retour d’expérience côté enseignement. Le premier point que tu souhaitais aborder, c’est l’importance des outils décentralisés déjà en place.
Laurent Joëts : En fait, cette histoire de CHATONS dont on entend parler depuis longtemps avec Framasoft et cette demande qu’on a vu apparaître de Framasoft qui dit : « Vous êtes gentils, vous avez bien testé nos outils, mais maintenant il faut vous débrouiller tout seuls sans nous », ça fait un petit moment déjà que dans mon établissement on l’a mise en place. Je n’ai pas fait ça tout seul et j’ai bien conscience que je ne suis pas dans un établissement qui est forcément représentatif de tous les établissements de France. Nous sommes une communauté de libristes qui avons mis ça en place dans nos établissements déjà depuis un moment, notamment en utilisant des serveurs pédagogiques SambaÉdu associés à des serveurs Nexctloud qui permettent aux élèves d’accéder de chez eux au partage du réseau. On le faisait déjà en temps normal depuis plusieurs années. Donc ce type d’usage-là, accéder de chez soi aux documents qui sont stockés au lycée, nos élèves savaient faire. Du coup, pour cette partie-là, on a été assez indépendants, notamment de Framasoft, et comme on l’a vu aussi, les ENT, les espaces numériques de travail qui sont mis à notre disposition par les conseils généraux, les conseils régionaux, etc. – oui, c’est ça, départements pour les collèges, régions pour les lycées – on a bien vu que pour tenir le choc face à l’afflux de connexions des premiers jours de confinement, il a fallu qu’on se débrouille sans. On était bien contents d’avoir notre Nextcloud à nous
Frédéric Couchet : On a parlé de Nextcloud dans une émission Libre à vous ! il y a quelques semaines, je vous renvoie sur le site de la radio ou sur le site de l‘April, c’est un logiciel libre qui permet de mettre en place un service de partage de fichiers, d’agenda, de photos, d’outils collaboratifs. C’est quelque chose qui se développe de plus en plus.
Ce que tu dis, et tu as précisé que tu n’es pas forcément représentatif de l’ensemble des établissements, c’est que vous, vous étiez entre guillemets « prêts » parce que vous aviez déjà des outils qui vous permettaient de travailler à distance et d’avoir un accès décentralisé, quelque part, à vos outils pour vous en tant qu’enseignants et pour vos élèves. C’est ça ?
Laurent Joëts : Exactement, c’est ça. On savait qu’on avait déjà ça en place donc on n’était pas obligé d’avoir besoin de se connecter à l’ENT pour faire du partage de documents. Et puis, dès le vendredi soir quand on a appris qu’on allait être confinés, qu’on ne retournerait pas dans les établissements, on a très vite réfléchi avec d’autres collègues et d’autres établissements aux alentours à comment on allait pouvoir mettre en place un moyen de communiquer avec les élèves, pour faire court faire de la vision en quelque sorte. On connaissait Jitsi. On avait bien conscience que si on allait tous taper dans Framatalk ça ne marcherait pas, donc on a cherché des alternatives.
Notre ENT, en Île-de-France, était en train de mettre en place aussi dans l’urgence un outil qui s’appelle BigBlueButton intégré à l’ENT, mais on était aussi conscients que la connexion à l’ENT serait compliquée les premiers jours, donc on s’est dit « pourquoi on ne prendrait pas, nous, en charge l’installation de ce logiciel libre BigBlueButton, le mettre sur notre infra d’établissement ? » Je répète que je suis pas forcément représentatif : dans mon établissement on a un gros serveur avec des machines virtuelles Proxmox, on a une liaison fibre 50 mégas et on avait un bloc d’IP dont une IP libre, donc on s’est monté notre serveur de visio spécifique à l’établissement en urgence, pendant le week-end.
Frédéric Couchet : Ce que tu appelles IP, c’est ce qui permet de se connecter à un serveur via une adresse en fait.
Laurent Joëts : Voilà. L’installation de BigBlueButton est un petit peu technique si on ne dispose pas d’une IP publique sur Internet.
Frédéric Couchet : D’accord. Juste avant que tu continues sur BigBlueButton et que tu nous en parles un petit peu, il y a une question sur le salon web : sur le cloud de ce lycée y a-t-il eu une grosse augmentation de la consommation pendant le confinement ? Seconde question : comment les utilisateurs et utilisatrices sont-ils connectés sur le cloud ?
Laurent Joëts : Pour répondre à la première question on s’est amusés à sortir les graphes de la première semaine, on a donc des courbes avec le flux entrant et le flux sortant, le débit entrant et le débit sortant. Ce qui est très rigolo, c’est que les courbes se sont inversées. On n’a pas du tout saturé sur notre lien fibre, mais tout ce qui était en entrée les semaines précédentes est passé, en fait, à peu près en sortie ; c’est juste symétrique, c’est vraiment étonnant.
Pour répondre à la question de comment ils s’identifient sur Nextcloud ? Ça c’est la force du projet SambaÉdu. On a un serveur qui gère un annuaire et les élèves sont identifiés avec l'identifiant habituel qu’ils utilisent en classe. La force de ce projet SambaÉdu c’est aussi de permettre d’avoir le même identifiant que sur l’ENT, la synchro est totale entre le serveur qui est dans l’établissement, l’ENT qu’ils utilisent, qui est extérieur, et tous les outils qu’on va mettre en place à côté, que ce soit le Nextcloud qui permet d’accéder au partage, que ça soit l’outil de visio BigBlueButton, c’est pareil, c’est interfacé sur le LDAP, donc sur l’annuaire, et puis on a une fonctionnalité complètement ahurissante qui vient de sortir il y a quelques jours, c’est la possibilité pour les élèves d’accéder de chez eux, dans un navigateur, aux machines de l’établissement en RDP [Remote Desktop Protocol]. En fait ils se connectent sur le serveur SambaÉdu et on a découvert et mis en place un outil qui est maintenu par le projet Apache qui s’appelle Guacamole – c’est toujours rigolo ces noms-là, ça me fait marrer – qui permet, dans un navigateur, de voir ce que verrait l’élève sur l’écran de son ordinateur en classe. C’est excessivement fluide. On fait tourner des applications comme ceux qui enseignent en SI connaissent peut-être.
Frédéric Couchet : Tu as dit SI, ça veut dire quoi ?
Laurent Joëts : Sections d’ingénieur. [Sciences de l’Ingénieur].
Frédéric Couchet : Sections d’ingénieur. D'accord.
Laurent Joëts : Bref ! Les grands lycéens on va dire, moi je suis plutôt collège. Ce qui est assez impressionnant c’est que c’est complètement fluide, c’est bluffant. Le prof va diffuser l’écran de son ordi du lycée dans l’outil de visio du lycée aux élèves qui sont chez eux mais qui sont connectés avec les identifiants du lycée ou de l’ENT.
Frédéric Couchet : C’est effectivement intéressant d’un point de vue usage, mais ça montre aussi l’hyperactivité de ce projet dont tu parles, d’accès serveurs, qui est donc SambaÉdu ; vous trouverez les références, c’est sambaedu.org si vous cherchez sur Internet. Ce projet est vraiment hyperactif parce que cette fonctionnalité a été rajoutée récemment.
Laurent Joëts : Exactement. En fait, la force du projet SambaÉdu, c’est que c’est fait par des profs pour des profs. Donc on répond exactement aux besoins des enseignants. On ne peut pas faire plus direct que du producteur au consommateur, du demandeur au codeur ; on ne peut pas faire plus direct ! Ça nécessite certes des compétences, tout le monde ne les a pas, mais tout le monde peut participer rien qu’en remontant des bugs, en faisant des demandes sur GitLab, etc. J’ai presque envie de dire qu’on va profiter de cette période un petit peu compliquée pour faire connaître toutes les possibilités qui étaient sous-jacentes au projet depuis très longtemps, pour lesquelles les différentes personnes, les décideurs n’étaient pas conscients de ce que ça pouvait apporter.
C’est là où on voit une force vraiment exceptionnelle de la localisation à la fois des compétences et des infrastructures dans les établissements scolaires. On voit bien, les ENT OK, on a des très grosses compétences, mais les serveurs ne sont pas dans les établissements, donc tout le monde passe par le même tuyau. Là, dans un établissement on a au maximum 1000, 2000 élèves, 2500 élèves. 2500 élèves sur une fibre de 100 mégas ce n’est rien du tout !
Frédéric Couchet : C’est intéressant d’avoir effectivement la localisation des serveurs, des compétences et finalement d’être préparé.
Je vais juste préciser parce qu’on nous fait remarquer sur le salon que tu n’es pas forcément représentatif, comme on l’a dit tout à l’heure. Lors de l’émission Antenne libre qu’on a faite le 19 mars 2020 – les podcasts sont disponibles sur april.org et sur causecommune.fm – nous avions notamment Vincent-Xavier Jumel qui est enseignant en lycée en Seine-Saint-Denis et dont les conditions ne sont pas du tout les mêmes. Je renvoie les personnes à l’écoute de cette Antenne libre qui avait duré deux heures. Justement il avait expliqué les problèmes qu’il pouvait avoir et comment il fait en mode confinement ; c’était au tout début du confinement.
On va revenir sur BigBlueButton pour que tu nous expliques un petit peu à quoi sert cet outil. Qu’est-ce qu’il a finalement de magique ? Donc BigBlueButton.
Laurent Joëts : En fait, c’est un équivalent assez étonnement ressemblant à l’outil qui est mis en place par le CNED, c’est-à-dire qu’on fait de la classe virtuelle. C’est comme Jitsi sauf qu’il y a un peu des fonctionnalités en plus. Ça tient bien la charge quand on est vraiment très nombreux. On a fait notre AG d’association à 40 dans un salon et ça tient la charge sans problème. Il y a des systèmes de vote, on peut lever la main, etc. On peut définir quelqu’un comme présentateur qui va passer par exemple un diaporama que tout le monde va pouvoir visualiser en même temps. On peut partager des vidéos que tout le monde va voir en même temps. On peut partager un écran, une fenêtre de son écran, etc., et on peut aussi donner ces droits-là aux autre utilisateurs.
Jitsi, qui sera présenté tout à l’heure, peut sans doute faire beaucoup de ces choses-là, mais on est partis sur BigBlueButton et ça marche vraiment très bien. On est assez bluffés par les performances.
Pour revenir un petit peu sur le commentaire qui a été évoqué juste avant, par Vincent-Xavier Jumel je crois, j’en suis très clairement conscient. Je suis en plus dans un établissement assez spécifique puisque je suis dans un lycée Erea qui accueille des élèves porteurs de handicap moteur pour certains, donc on a énormément d’usages informatiques autant dans l’établissement que les élèves à la maison. Et ça, clairement, ce n’est pas le cas partout. On voit, avec cette histoire de visio et de confinement, qu’on a quand même perdu quelques élèves. Ceux qui n’ont par exemple qu’un smartphone c’est très compliqué. Ceux qui ont un ordinateur à la maison, mais ils sont cinq gamins plus la maman qui travaille en visio, etc., eh bien il faut trouver les créneaux, ce n’est pas toujours possible et on en est tout à fait conscients. C’est un vrai écueil et c’est aussi pour ça que je participe à titre personnel à des install-parties organisées à La Villette, notamment par l’association Parinux qui organise les Premier samedi. Je vois bien que c’est super important.
Frédéric Couchet : Peux-tu rappeler ce qu’est une install-partie, s’il te plaît ?
Laurent Joëts : En fait, on vient à une install-partie avec son ordi qui ne marche plus et on repart avec un ordinateur qui marche !
Frédéric Couchet : On reçoit de l’aide pour se faire installer un système libre soit sur l’ordinateur soit sur le téléphone, on va dire.
Laurent Joëts : Voilà. On voit bien qu’il y a une vraie fracture numérique au niveau familial en fait. Il y a des familles où chaque enfant a son ordi dans sa chambre et il y a des familles où il est partagé ou il n’y a même pas d’ordi.
Frédéric Couchet : Tes collègues sont aussi aguerris que toi en termes de paramétrage de salon, tout ça, ou ils ont plus de mal ?
Laurent Joëts : La première semaine, même dès le premier week-end de mémoire, on a fait des visios entre profs pour faire de la formation à la visio. C’est assez rigolo parce que, quand on fait ça, on a l’écran qui se remplit à l’infini. Je les ai formés assez rapidement. C’est quelque chose que le référent numérique de l’établissement a l’habitude de faire. En général on fait ça après 16 heures 30, dans une salle, quand tous les élèves sont partis et on a deux/trois collègues qui sont intéressés par le sujet et les autres ont leur vie à côté, on comprend très bien qu’ils ne viennent pas forcément. Là, en travaillant à distance et avec le besoin qui se faisait sentir, on était excessivement nombreux.
Après, tout le monde n’est clairement pas au même niveau d’aisance avec l’outil, c’est tout à fait compréhensible et on ne peut pas non plus exiger d’un enseignant qui a des enfants en bas-âge de se connecter à heures fixes pour faire de la visio avec ses élèves depuis son domicile. Ce n’est pas possible, il y a des cas où on ne peut pas, ça c’est clair !
Frédéric Couchet : En plus, je crois que tu l’as déjà dit tout à l’heure, l’expérience montre que la visio c’est quand même épuisant. Il y a un côté, d’un point de vue cognitif, qui est beaucoup plus fatigant, en fait, qu’avec des cours classiques en présentiel.
Laurent Joëts : Oui, c’est épuisant parce que tenir une classe, après tout dépend de la classe, des élèves, ça dépend aussi de comment on est prof, on est tous différents par rapport à ça, on ne fait pas la discipline de la même manière : un regard au gamin qui est peut-être un peu déconcentré, des fois ça le recadre tout de suite. Ce sont des choses qui ne s’expliquent pas forcément, qu’on acquiert avec l’expérience et c’est complètement différent en visio, c’est très clair. Déjà, il faut relancer très régulièrement à l’oral parce qu’on ne met pas forcément la webcam. Au début les élèves mettaient leur webcam et, au fur et à mesure que la période avance, on sent que le matin ils sont en pyjama, donc ils ne mettent plus la webcam.
Par contre, moi je m’arrange pour toujours la mettre, pour qu’ils me voient parce que je pense que c’est important de garder un contact. Et quelque chose de rigolo : à la fin de mes cours en visio je leur laisse toujours cinq minutes, je laisse le salon ouvert, je coupe mon micro, je coupe ma caméra et entre eux ils échangent. C’est important aussi ces moments-là.
Frédéric Couchet : Tu les laisses entre eux. Ça c’est bien.
Laurent Joëts : Oui. À tel point que notre CPE [conseiller principal d'éducation] va essayer de mettre en place pour la rentrée, dans 15 jours, puisque là, en région parisienne, on est en vacances scolaires, des récréations en visio avec un adulte présent dans le salon, CPE ou surveillant, pour permettre aux élèves d’échanger un peu, surtout en essayant qu’ils évitent les Discord, WhatsApp, etc., dans la mesure du possible. C’est un vrai plus qu’on a avec SambaÉdu, c’est que les élèves sont forcément identifiés en passant par un serveur de visio qui est lié au compte ENT, alors que quand on voit un petit peu ce qui se passe dans l’outil du CNED. Il suffit d’aller lire un petit peu…
Frédéric Couchet : Justement, je me permets de te couper, parce que tu dois être sur le salon en même temps.
Laurent Joëts : Non, je ne suis pas sur le salon en même temps.
Frédéric Couchet : Il y a quelqu’un qui pose la question sur le salon web : y a-t-il eu des intrusions dans la solution de visio utilisée par Laurent qui est BigBlueButton, comme on en a entendu parler pour la solution du CNED qui est BBcollab ? C’est ce dont tu es en train de parler.
Laurent Joëts : Pour BBcollab, en fait le prof va générer un lien pour sa classe et il va le diffuser par tout moyen possible. Ça peut être par mail perso, ça peut être sur un groupe WhatsApp, je n’en sais rien, en fonction de comment il communique avec ses élèves parce qu’on a tous été contraints de faire des choses par franchement RGPD compliant au début, notamment l’extraction des adresses mails des élèves depuis l’ENT pour pouvoir prendre contact avec eux puisque l’ENT ne marchait pas !
Après, n’importe quel gamin va poster ce lien sur Twitter ou sur n’importe quel réseau ouvert et n’importe qui peut rentrer dans le salon. À ma connaissance BBcollab va mettre en place très rapidement un système de salle d’attente où, en fait, le prof pourra aller piocher ses élèves pour les mettre dans la classe, que n’importe qui ne puisse pas s’introduire. Nous on n’a pas ça avec l’outil de visio BigBlueButton, justement parce qu’il est interfacé avec le LDAP, avec l’annuaire de notre serveur.
Frédéric Couchet : D’accord. C’est super. Le temps file et je vois que Emil Ivov nous a également rejoints sur Jitsi. Dernière question, j’ai une question de Marie-Odile qui me disait : « La presse locale a montré des enseignants de technologie de collège fabricant des pièces avec des imprimantes 3D pour les objets sanitaires utilisés actuellement. » Elle dit : « N’est-ce pas là une belle reconnaissance de la discipline, donc la technologie, de la fabrication qui doit s’y pratiquer – et elle pose la question – est-ce que les décideurs politiques comprendront un jour les nécessités de cette discipline, travail en groupe, matériel ? » Est-ce que tu es optimiste de ce point de vue-là ?
Laurent Joëts : Oui, je suis assez optimiste. Je suis un peu embêté parce que j’adorerais le faire, j’ai deux imprimantes au lycée mais mon établissement est fermé et, en plus, j’habite assez loin de mon établissement. J’habiterais à côté j’y serais, surtout que j’ai du stock de filament, etc. J’ai vu tout ça passer. Mon problème c’est le temps. En tout cas c’est clair que j’aurais adoré participer à ça. J’ai des copains, notamment au fab lab de Mulhouse, qui se sont lancés dans des productions assez industrielles de masques au fab lab, je ne sais pas combien ils ont récupéré d'imprimantes et ils impriment des trucs de fou.
De toute façon, là je pense qu’on est face à une situation tellement inhabituelle qu’on va avoir plein d’initiatives comme ça qui, j’espère, vont faire réfléchir un petit peu les politiques.
Je vais revenir un petit peu prêcher pour ma chapelle, mais ce qu’on arrive à faire avec le projet SambaÉdu, on sait, nous, qu’on sait le faire depuis très longtemps, mais les politiques n’avaient pas encore compris la puissance de l’outil.
Frédéric Couchet : Comme dirait Marie-Odile, Laurent Joëts ministre de l’Éducation pour mettre en place et généraliser ça.
Laurent Joëts : Moi j’aime bien rester un petit peu dans l’ombre !
Frédéric Couchet : Tu aimes bien faire des choses utiles !
Laurent Joëts : C’est ça.
Frédéric Couchet : On va arrêter de troller là-dessus.
En tout cas je te remercie grandement et plus tard, n’hésite pas si tu as envie de faire un retour d’expérience.
Évidemment, comme on l’a dit tout à l’heure, Laurent est dans un cadre un peu particulier comme il l’a expliqué. Je renvoie aussi à l'Antenne libre du 19 mars 2020 pour un retour d’expérience dans d’autres conditions, notamment dans les lycées de Seine-Saint-Denis que je connais bien vu que je suis en Seine-Saint-Denis, notamment avec Vincent-Xavier Jumel.
Laurent Joëts : Je crois que j’échange régulièrement avec Vincent-Xavier sur Mastodon. Bonjour.
Frédéric Couchet : Oui. Tout à fait. Il n’est pas là, il était dans l'Antenne libre.
Laurent Joëts : D’accord.
Frédéric Couchet : En tout cas c’était Laurent Joëts, professeur de technologie en collège, référent numérique de l’établissement et qui était notamment intervenu dans l’émission Libre à vous ! consacrée aux logiciels libres dans le monde éducatif, notamment en collège, le 4 février 2020, podcast sur april.org et sur causecommune.fm.
Laurent, je te souhaite de passer une belle fin de journée.
Laurent Joëts : C’est très gentil. Merci beaucoup aussi pour la visibilité qu’on peut donner à un projet comme SambaÉdu dans ce type d’émission.
Frédéric Couchet : Merci Laurent. À bientôt.
Laurent Joëts : À bientôt.
[Virgule musicale]
Frédéric Couchet : William, nous allons faire une pause musicale. Nous allons écouter Moon par LEMMiNO et on se retrouve juste après.
Pause musicale : Moon par LEMMiNO.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Moon par LEMMiNO, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions.
Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm.
Visiblement mon micro était allumé pendant la pause musicale, vous avez peut-être entendu l’un de mes enfants me poser une question. Elle demandait qui était qui était la personne à l’écran. Je peux lui répondre, la personne à l’écran c’est Emil Ivov qui vient de nous rejoindre.
Emil Ivov : Bonjour.
Présentation de Jitsi, logiciel libre de visioconférence, avec Emil Ivov son créateur
Frédéric Couchet : Bonjour Emil. On a donc le grand plaisir d’avoir le créateur de Jitsi, Emil Ivov, qui est une solution libre notamment de messagerie instantanée et de visioconférence. Bonjour Emil.
Emil Ivov : Bonjour. Enchanté. Merci pour l’invitation. Le plaisir est pour moi.
Frédéric Couchet : C’est super. On a parlé juste avant avec Laurent Joëts d’un autre outil qui s’appelle BigBlueButton, mais Jitsi est un outil très utilisé, de plus en plus utilisé depuis le début du confinement. L’idée c’est un petit peu d’avoir une présentation de Jitsi, de ses fonctionnalités et des projets d’avenir. Première question, une petite présentation personnelle rapide, qui es-tu Emil ?
Emil Ivov : Je suis Emil. Encore une fois merci pour l’invitation.
Pour ce qui est de ma présentation personnelle, je suis né en Bulgarie, je suis arrivé en France quand j’avais 21 ans, en 2001, c’était un programme Erasmus. Je suis tombé très vite sous le charme, j’aime la France, j’ai fini par devenir Français et ça s’est très bien passé par la suite. Aujourd’hui je vis aux États-Unis et je continue toujours de travailler sur Jitsi depuis bientôt 17 ans.
Frédéric Couchet : D’accord. Avant de parler de Jitsi et des fonctionnalités, ce qui est intéressant c’est le fait que le projet Jitsi, je ne savais pas du tout, a donc commencé en France, à Strasbourg, dans le cadre de ta thèse de doctorat. C’est toi qui as démarré ce projet quand tu étais étudiant en France.
Emil Ivov : Oui, tout à fait. D’ailleurs, ça a même commencé un peu plus tôt, c’était au début des IPv6. Je suis allé chez mon directeur de stage à l’époque, par la suite directeur de thèse, Thomas Noël, à l’Université de Strasbourg et j’ai dit : « J’ai envie de faire un téléphone sur IP ». Il a dit : « Ça tombe bien on en a besoin d’un qui marche sur IPv6 », et c’est comme ça que le projet est né. Ensuite on a continué à le développer. On a l’utilisé beaucoup comme outil de validation pour ma thèse qui était dans la communication temps réel. Ensuite la communauté a pris de la vitesse, le projet a fini par être assez conséquent. Avec mon partenaire Yana Stamcheva on a créé une entreprise autour du projet pour fournir un service de consultation et de développement à la demande. Ça a duré quelques années. On a augmenté l’équipe. On a rajouté les fonctionnalités de visioconférence, le projet a « morphé » [s'est transformé, NdT], au début c'était un peu un Messenger, un peu comme une combinaison de Ekiga – ces noms rappellent des souvenirs – et de Pidgin.
Frédéric Couchet : Oui, c’est vieux ça. En gros, de messagerie instantanée à la fois audio et textuelle.
Emil Ivov : Exactement. Par la suite on a vraiment mis l’accent sur le côté audio et visioconférence, on a pris le cœur de Jitsi, on l’a mis dans le réseau et c’est devenu Jitsi Videobridge avec tous les composantes autour et ça a donné Jitsi Meet. Par contre, il y a toujours des lignes de code, pas beaucoup, mais il reste toujours des lignes de code qui ont été faites en 2003. C’est quand même le même ADN.
Frédéric Couchet : D’accord. J’ai une question sur le salon web de la radio, je rappelle que c’est sur causecommune.fm, bouton « chat », si les personnes qui écoutent l’émission veulent nous rejoindre, ce dont tu nous parles là c’était en France ou il y a une partie après que tu aies migré aux États-Unis.
Emil Ivov : Jusque-là, tout ce que j’ai dit ça s’est passé en France. Oui.
Frédéric Couchet : D’accord. C’est intéressant de savoir ça, parce que je pense que pour beaucoup de gens Jitsi c’est un logiciel qui était principalement fait aux États-Unis, en fait ça vient de quelque chose qui a été fait en France à l’Université de Strasbourg.
Emil Ivov : Oui, ça a démarré à l’Université de Strasbourg et ça a continué pas mal de temps dans cette forme d’entreprise de service, de petite startup qu’on a montée autour. Pendant cinq/six ans on a fait ça. On a fini par se faire racheter par Atlassian ce qui a complètement préservé l’aspect open source du projet. À un moment Atlassian a décidé de sortir de l’industrie de communication temps réel, donc on a migré, on a été racheté à ce moment-là par 8x8 ; on a eu beaucoup de chance parce qu’ils ont été encore plus dévoués à l’aspect open source. Ils font vraiment beaucoup pour soutenir la communauté, surtout dans ces temps difficiles, ils récupèrent l’addition pour Meet Jitsi. Il y a pratiquement toutes les personnes qui bossaient à l’époque pour le projet qui sont toujours dedans, sauf qu‘aujourd’hui la boîte qui paye les salaires c’est 8x8 et ce n’est plus la petite startup de l’époque.
Frédéric Couchet : D’accord. C’est intéressant d’aborder ce point-là, je voulais l’aborder un peu plus tard, mais on va le faire maintenant. Pour bien comprendre, le projet a démarré en France il y a quelques années, principalement par toi et un de tes collègues. Aujourd’hui tu travailles pour une société qui s’appelle 8x8 qui continue, en fait, à développer et à payer des gens pour développer Jitsi, toujours dans un modèle logiciel libre ?
Emil Ivov : Absolument. Tout ce qu’on développe, dès que ça a du sens, ça part d’abord sur le projet open source. On récupère les paquets Debian du projet open source, comme tout le monde, et on rajoute les customisations qui sont nécessaires pour le déploiement par 8x8.
Frédéric Couchet : D’accord. OK. C’est intéressant parce que c’est un projet qui démarre, finalement, d’un projet de thèse. Il y a combien de personnes qui développent sur le projet Jitsi aujourd’hui ?
Emil Ivov : Ça dépend beaucoup de la définition. Si on prend la liste des contributeurs sur GitHub on est sur une centaine, ensuite on va dire une trentaine pour ceux qui sont à plein temps dessus.
Frédéric Couchet : D’accord. C’est quand même un projet assez important.
Quelles sont les principales fonctionnalités de Jitsi, tu as commencé à en parler, et pourquoi aujourd’hui les gens utilisent Jistsi plutôt que d’autres solutions ?
Emil Ivov : En fait, c’est un outil de rendez-vous de visioconférence. C’est important. Ce n’est pas un outil téléphonique, on ne peut pas s’appeler avec, on est censé se mettre d’accord d’abord sur un point de rendez-vous et on s’y retrouve. Donc c’est un outil de meeting pour dire ça plus couramment. J’ai fait un plan ! C’est quoi la deuxième partie de la question, excuse-moi !
Frédéric Couchet : Quelles sont les principales fonctionnalités et pourquoi, finalement, les gens aujourd’hui utiliseraient Jitsi plutôt que d’autres solutions, on va citer des solutions privatrices comme Zoom ?
Emil Ivov : Parmi les principales fonctionnalités, on va vraiment trouver l’essentiel de ce dont on a besoin pour avoir des rendez-vous de travail. C’est quand même un outil qui cible le monde professionnel : on peut partager son écran, on peut échanger des messages, on peut lever la main, on peut partager des vidéos, on peut partager le son. Dans sa forme, Jitsi se veut un medium de communication pour qu’on puisse remplacer le médium physique par un médium à distance.
Après, ce ne sont pas vraiment des fonctionnalités qui le démarquent des autres, même si on peut partir dans les détails, ce qui est plus important, ce qui fait aujourd’hui vraiment la différence, ce sont deux choses principales : il y a la facilité d’utilisation. On a beaucoup travaillé sur la friction de l’utilisateur, on s’est vraiment assuré qu’on peut très vite rentrer dans un salon, très vite créer un salon, ça c’est important. Et ce qui est vraiment encore plus important dans ce domaine-là, c’est qu’en travaillant sur la friction, on s’est aussi assurés qu’on peut utiliser cet outil de façon complètement anonyme. On l’a fait à moitié dans un souci d’usabilité, d’ergonomie, mais aussi dans un souci de respect de la vie privée, ce qui a toujours été au centre du projet Jitsi depuis ses premiers jours. Ce respect de la vie privée et de la sécurité se montrent de plusieurs façons : la possibilité d’utiliser de façon complètement anonyme en est une.
Ce qui le démarque aussi vraiment et qui le rend parfaitement unique, c’est qu’aujourd’hui si vous voulez avoir des conversations hautement confidentielles, très privées, vous pouvez installer votre propre serveur Jitsi en 15 minutes. On travaille beaucoup pour s’assurer que ça soit le cas. On a des containers de cœur, on a des paquets Debian, ça prend vraiment 15 minutes de monter sa propre machine, ce qui fait qu’à ce moment-là vous êtes dans une sécurité parfaite puisque toutes les données qui partent sur le réseau sont chiffrées, à partir du moment où vous faites confiance au serveur, vous êtes protégé de tout ce qui pourrait…
Frédéric Couchet : Oui, des problèmes de fuites de données personnelles ou autres qu’il peut y avoir.
Emil Ivov : Même au-delà, juste l’écoute. Vous avez des personnalités, par exemple Edward Snowden utilise sa propre instance Jitsi Meet et il donne souvent ses rendez-vous dessus ; sur France Inter, en septembre dernier, il a utilisé Jitsi. Vous avez la Freedom of the Press Foundation qui recommande aux journalistes de faire de même. C’est vraiment quelque chose de très spécifique à Jitsi.
Frédéric Couchet : D’accord. Je confirme, pour avoir installé une instance Jitsi sur un serveur Debian – Debian est un système d’exploitation libre – que c’est vrai que ça prend une quinzaine de minutes, c’est très simple à installer et ensuite, en termes d’usage, c’est facile à utiliser.
Emil Ivov : Merci.
Frédéric Couchet : C’est clair ! Franchement, c’est très simple à installer. Sur le salon web j’ai justement une question : est-ce que Emil peut expliquer la différence entre Jitsi et Jitsi Meet ? Est-ce qu’il y a une différence ?
Emil Ivov : On est très forts en nommage ! Les gens qui se sont intéressés au projet ont dû se dire « qu’est-ce que ces gens-là ont bu ! »
On va dire que Jitsi c’est le nom du projet. Il y a plusieurs petites composantes, plusieurs petits produits, le nom de la communauté c’est Jitsi. Ensuite Jitsi Meet, si on veut être complètement correct, c’est ce qu’on utilise en ce moment, c’est le JavaScript que vous chargez dans votre browser, c’est aussi un projet open source qui est une des composantes de l’écosystème Jitsi. Souvent, quand vous installez votre propre instance, on va dire que vous installez Jitsi Meet, même si techniquement derrière il y a aussi Jitsi Videobridge il y a Jicofo, il y a Jigasi, je vous ai dit qu’on est très forts en nommage. Donc Jitsi Meet c’est ce projet-là.
Après souvent, quand on parle de Jitsi, il y a aussi l’instance qui est, on va dire, le déploiement de référence, qui est censée faire la démonstration de toutes les fonctionnalités, de tout ce qui est possible avec Jitsi. On parle là de meet.jit.si. Ça c’est une instance de Jitsi Meet qui est maintenue par l’équipe 8x8, normalement c’était dans le but de faire une démonstration de tout ce qui est supporté par le projet Jitsi. Aujourd’hui, vu la charge, c’est aussi dans le but d’aider un petit peu dans ces temps difficiles à permettre aux gens de se retrouver plus facilement.
Frédéric Couchet : On va préciser que c’est l’instance qu’on utilise pour diffuser l’émission du jour. On diffuse l’émission via Jitsi et William, ensuite, diffuse sur le serveur de la radio et après ça passe en FM.
Justement, tu parles de la situation actuelle. Je suppose qu’avec le confinement il y a eu une augmentation de l’utilisation de Jitsi, à la fois peut-être les téléchargements de l’outil pour installer des instances, mais aussi l’usage de « l’instance principale », entre guillemets qui est meet.jit.si. Est-ce que tu as des statistiques de cette partie-là avec, peut-être, une séparation entre Europe et États-Unis ou dans le monde ? Est-ce qu’il y a des statistiques ?
Emil Ivov : La charge de trafic sur Meet Jitsi a augmenté à peu près de 50 à 100 fois selon qu’on regarde la passante, les participants simultanés ou les participants totaux. Ça a été monstrueux. À l’époque on avait, on va dire, une cinquantaine de serveurs partout dans le monde. Aujourd’hui on frôle les 4000, donc ça a été extrêmement conséquent. Ça eu des effets très positifs sur le projet lui-même puisqu’on a révélé pas mal de bottlenecks, de goulots d’étranglement dans les différents projets de Jitsi. Il y a plein de choses qui ont été corrigées, il y a plein de choses qui ont été corrigées dans l’infrastructure pour qu’aujourd’hui on puisse avoir une mise à l’échelle très rapide, très automatique. On va dire qu’il y a eu plusieurs nuits blanches avec plusieurs alarmes qui se déclenchent dans la nuit, Paris est tombée, c’était comme à la guerre. Depuis une bonne dizaine de jours on va dire qu’on a réussi : tout est très stable et les gens peuvent communiquer.
Après, sur le téléchargement, les gens installent les instances. On n’a presque pas de statistiques dessus, ça fait partie du jeu. Je ne peux malheureusement pas trop en fournir.
Frédéric Couchet : Oui, pour respecter l’anonymat.
Emil Ivov : Voilà.
Frédéric Couchet : D’accord. OK. En annonçant le rendez-vous avec Emil, j’ai reçu pas mal de questions diverses et variées, je vais te les poser. Il y a une question qui revient souvent : Jitsi fonctionne mieux avec Chrome, Chromium qu’avec Firefox ? Pourquoi Firefox n’est-il pas complètement supporté par Jitsi et qu’en est-il pour l’avenir ? Est-il prévu côté Jitsi ou de la Fondation Mozilla de travailler sur l’intégration, enfin la prise en compte de Firefox pour Jitsi ?
Emil Ivov : C’est une prise en compte mutuelle. On est en train de travailler avec Niels et le reste de l’équipe WebRTC de Firefox pour s’assurer que tout fonctionne. Je pense qu’il y aura, au plus tard d’ici deux semaines, la première série de pull requests qui va arriver et cela va largement améliorer le support de Firefox.
Frédéric Couchet : On va dire que des pull requests ce sont des modifications dans le code, pour simplifier.
Emil Ivov : Oui. Ce sont les premières modifications qui vont atterrir en production et les gens pourront les utiliser sur Meet Jitsi ou sur leur propre instance Jitsi Meet.
Ensuite il y a des modifications qui sont nécessaires, là il y a aura quelques petits problèmes, comme la gestion de la perte de paquets, comme l’estimation de bande passante, qui sont des fonctionnalités nécessaires du côté de Firefox. Ils ont complètement re-priorisé ces fonctionnalités, justement pour le cas de Jitsi, et ils ont annoncé que ça devrait arriver dans les versions stables d’ici six semaines. Donc d’ici deux semaines l’expérience devrait être largement améliorée et d’ici six semaines on devrait être bons.
La raison pour laquelle c’est comme ça, comme souvent, c’est que l’évolution de WebRTC est très complexe. C’est un écosystème extrêmement complexe qui est vraiment nouveau, il y a plein de nouveaux standards qui ont été développés dessus, il y a plein de choses qui ont changé en cours de route et il y a plein de solutions qui ont été développées d’une manière et après le standard a dévié un petit peu, changé de direction. Il a fallu du temps aux différentes implémentations, que ça soit dans les browsers ou dans les produits comme Jitsi, pour s’y retrouver. Donc ce n’est pas vraiment une question de choix stratégique, c’est simplement la vitesse d’implémentation technique.
Frédéric Couchet : Une question technique. On va rappeler ou expliquer que WebRTC, en gros, c’est une interface de programmation qui permet de faire de la communication en temps réel sur le Web et notamment au niveau des navigateurs. Justement j’ai une question, on m’a fait remonter une question : Jitsi s’appuie sur du WebRTC donc du pair à pair, de la communication pair à pair, pourquoi il peut y avoir quand même des surcharges ? Quelle est la raison technique ?
Emil Ivov : C’est une très bonne question. En fait, Jitsi est en pair à pair uniquement pour les conversations à deux, quand il n’y a que deux personnes vous êtes mis en direct, en connexion l’un avec l’autre. Ce n’est pas possible de vraiment bien implémenter ça au-delà de deux personnes puisque, en gros, vous avez besoin de multiplier d'autant de fois vos propres flux. Si vous discutez avec dix personnes, il va falloir envoyer vos flux en HD dix fois, donc les demandes sur votre bande passante passent de 3 mégabits à 30, sans même parler du fait que vu la façon dont WebRTC est implémenté, vous serez aussi obligé de faire 30 fois le même encodage, donc vous n’aurez tout simplement pas les ressources. Ce qu’on fait c’est Jitsi Videobridge qui est un routeur vidéo. Il est dans le réseau, il n’a pas besoin de décoder les paquets, par contre il les root. Frédéric, maintenant, on est à trois, William toi et moi. Quand tu envoies tes flux sur Jitsi Videobridge, il ne les décode pas, il va peut-être choisir de ne pas en renvoyer certains puisqu’on fait de l’encodage vidéo en couches de plusieurs résolutions. En fonction de ce que tu regardes, est-ce que moi je suis en plein écran, est-ce que je suis en petit carré sur le côté, en fonction de ça tu vas recevoir soit en flux haute qualité soit en flux basse qualité. le Jitsi Videobridge va se charger également d’estimer la bande passante qui est disponible jusque chez toi pour t’envoyer ce que tu peux te permettre de recevoir. Donc il y a quand même une charge serveur qui est très conséquente pour tout ce qui n’est pas une conversation pair à pair.
Même dans les conversations pair à pair il est possible, des fois, qu’une connexion directe ne soit simplement pas possible pour des questions de réseau. À ce moment-là on passe par des relais Turn, donc là aussi on a besoin d’infrastructure pour assurer ça.
Frédéric Couchet : C’est le cas notamment quand les personnes sont par exemple derrière des box filtrées ou autre, c’est pour des raisons techniques. On ne va peut-être pas trop rentrer dans le détail. En tout ça c’est intéressant de savoir effectivement cette notion : quand on est deux, généralement c’est du pair à pair et au-delà c’est autre chose.
Je continue avec la liste des questions tout en suivant l’horaire parce que le temps avance. Tout à l’heure tu as parlé de respect de la vie privée qui est quelque chose qui vous tient à cœur et quelqu’un m’a fait remonter la question : pourquoi dans les serveurs que vous utilisez il y a les Google Analytics, c’est-à-dire les analyses web de Google ?
Emil Ivov : C’est une super question. D’abord il n’y en a plus, depuis à peu près une semaine, il n’y a plus de Google Analytics dedans. Déjà si on avait pensé, si on avait cru que ça enfreignait la vie privée on ne l’aurait pas fait. Notre estimation de l’époque était que les données qui arrivent à Google, qui sont principalement des données techniques dans notre cas d’utilisation, sont dans le respect de la vie privée ; il n’y a pas d’optimisation de marketing qui soit utilisé. On le faisait simplement pour observer l’utilisation du trafic, pas l’utilisation du service. Effectivement Google Analytics inquiétait des gens, donc on s’est débrouillé pour s'assurer de récupérer ailleurs les statistiques techniques de maintenance du service. On a enlevé Google Analytics.
Par contre, il faut quand même rappeler que pour maintenir un service il faut pouvoir l’observer, c’est nécessaire, donc il y a toujours besoin des analytics. Je comprends que des fois il y ait des gens qui ne sont pas OK avec ça, c’est pour cette raison-là qu’il est très facile d’installer sa propre instance Jitsi Meet.
Frédéric Couchet : D’accord. Je continue avec les questions et là il y a une question qui est sur le salon web, qu’on m’avait déjà remontée, je vais la reposer : pourquoi limiter la publication des vidéos à travers un truc privateur comme YouTube et pourquoi pas avec PeerTube dont on a parlé tout à l’heure ?
Emil Ivov : Ce n’est pas une question de limitation, c’est simplement une question d’histoire de cette fonctionnalité. Cette fonctionnalité a été rajoutée pendant qu’on était encore chez Atlassian dans le cadre d’une initiative qui était de supporter les assemblées globales d’Atlassian sur Jitsi. YouTube, pour des raisons diverses, était le service le plus compatible pour les besoins de ce cas d’usage, donc on a tout simplement démarré par là. Il y a pas mal de gens qui sont OK avec ça. On a aussi la notion, qu’en gros, quand vous faites un flux public, il est public quoi ! Il n’y a pas tellement de questions de vie privée qui se posent.
Il faut dire que là il s’agit de l’instance Meet Jitsi. Le projet qui supporte cette fonctionnalité s’appelle Jibri, il est très facilement modifiable. La destination qui est choisie pour envoyer les flux est dans un petit script, donc c’est très simple d’aller mettre d’autres services.
À ce propos, justement, on a nos problèmes avec YouTube, principalement parce qu’il est assez difficile d’implémenter un bon cas d’usage. On aimerait bien quand il y a live stream et que vous arrivez dans le meeting, que vous voyiez d’abord le live stream pour que vous n’ayez pas besoin de continer vers la conférence elle-même, qu’il y ait d’autres boutons ensuite qui permettent de le faire si vous en avez besoin. Ce genre d’intégration est plus complexe, la gestion des URL, tout ça, c’est très difficile à mettre en œuvre avec YouTube, donc on est en train de regarder PeerTube justement pour avoir notre propre infrastructure de live streaming.
Encore une fois ce n’était pas une question de « on va faire YouTube et rien d’autre ». YouTube c’était juste le premier pas le plus facile par lequel on a démarré ce projet.
Frédéric Couchet : D’accord. Super. Il nous reste environ trois minutes. Je vais te donner les deux dernières questions en même temps : est-ce que Emil compte commercialiser une version plus aboutie de Jitsi ? Ensuite, dernière question c’est : quelles sont les prochaines fonctionnalités qui vont être intégrées dans Jitsi ?
Emil Ivov : Une version commerciale qui intègre les technologies de Jitsi existe déjà, proposée 8X8, ce n’est pas une question de plus aboutie. Comme je l’ai dit on utilise les mêmes projets open source pour ce service pour tout le monde. Meet Jitsi est un service anonyme, on n’a pas l’identité, donc on ne peut pas proposer des services qui ont besoin de l’identité, genre ceux qui vous permettent de sauvegarder vos enregistrements, avoir un historique de vos rendez-vous, synchroniser les différents équipements que vous utilisez, tout cela ce n’est tout simplement pas faisable sur Meet Jitsi vu que c’est un service anonyme. C‘est ce genre de service qui est proposé par 8X8.com pour la version commerciale.
Ensuite, la deuxième question, les fonctionnalités sur lesquelles on travaille. Là il y a un truc qui m’excite énormément. On a beaucoup parlé du cryptage, du chiffrement end to end, de bout en bout, j’aimerais bien passer une minute à parler de ça. Aujourd’hui, comme je l’ai dit, avec Jitsi toutes les données qui sont envoyées sur le réseau sont chiffrées. Par contre les outils de chiffrement qui sont utilisés aujourd’hui font que le serveur établit son propre contexte de chiffrement avec chaque participant. Ces contextes sont différents, donc on a besoin de récupérer les données d’une personne, les décrypter et les encrypter de la manière dont l’autre personne souhaite les recevoir. Ce n’est pas possible d’avoir un chiffrement où le serveur n’est pas capable de regarder dans les paquets. Nous on n’a vraiment pas besoin d’avoir cet accès pour proposer le service, on ne veut pas l’avoir, mais techniquement c’est impossible d’y arriver ou, en tout cas, ça l’était jusqu’à récemment. Il y a des nouvelles fonctionnalités qui arrivent dans les browsers, qui vont nous permettre de le faire. Donc très rapidement on espère faire des annonces qui vont justement permettre à tout le monde d’avoir le chiffrement de bout en bout dans Jitsi.
Je veux juste rappeler que normalement c’est une problématique qui ne devrait pas vous poser de souci si vous avez votre propre instance puisque vous la contrôlez, il n’y a pas de souci, mais ça devrait vous permettre d’utiliser des choses comme Meet Jitsi avec plus de confiance. Vous n’aurez pas besoin de nous faire confiance, ce sera tout simplement dans le protocole. Ça c’est quelque chose qui nous excite énormément.
Frédéric Couchet : D’accord. C’est super. J’encourage les personnes à suivre les annonces sans doute sur jitsi.org, à tester aussi sur meet.jit.si. On a parlé juste avant des chatons, du Collectif CHATONS qui propose notamment des instances Jitsi. Vous pourrez les retrouver sur le site entraide point chatons avec un « s » point org, des instances qui sont principalement gérées en France et vous pouvez, comme l’a dit Emil, installer vos propres instances très facilement sur des serveurs libres.
Est-ce que tu souhaites ajouter quelque chose, Emil ?
Emil Ivov : Merci encore une fois pour l’invitation. Si vous souhaitez aborder des sujets dans le futur avec plus de détails, vous savez où me trouver. Merci.
Frédéric Couchet : Exactement. En tout cas merci de ta participation. On a fait l’échange sur une instance Jitsi, l’instance meeet.jit.si avec Emil Ivov du projet Jitsi. Je te souhaite de passer une bonne fin de journée Emil et à bientôt.
Emil Ivov : Merci Frédéric. À bientôt.
Frédéric Couchet : En tout cas merci.
[Virgule musicale]
Annonces
Frédéric Couchet : L’émission se termine, je vais regarder vite fait les annonces finales.
La principale annonce c’est que demain, mercredi 8 avril 2020, de 13 heures à 14 heures, nous ferons une première émission spéciale avec la diffusion de musiques libres diffusées dans l’émission. Les musiques seront commentées par Valentin de l’émission Les Joyeux Pingouins en Famille, toujours sur radio Cause Commune. N’hésitez pas à nous retrouver demain de 13 heures à 14 heures sur causecommune.fm. Ce n’est qu’une première émission, nous en ferons sans doute d’autres.
Je précise également que les cahiers du débutant sur Debian ont été mis à jour avec la dernière version stable de Debian. C’est sur le site debian-facile.org, lecture utile et exercices potentiels pendant cette période de confinement pour apprendre à utiliser ce système d’exploitation libre qui s’appelle Debian. Un grand bravo pour le travail effectué par la personne.
Je remercie toutes les personnes qui ont participé à l’émission : Angie Gaudion, Luk, Laurent Joëts, Emil Ivov. Aux manettes de la régie aujourd’hui William Agasvari.
Je remercie également Sylvain Kuntzmann et Olivier Grieco, le directeur d’antenne, qui s’occupent de la post-production des podcasts.
On se retrouve mardi 14 avril 2020 de la même façon qu’aujourd’hui. Nous prendrons des nouvelles de personnes, donc il y aura trois ou quatre sujets. Suivez les annonces sur april.org et sur causecommune.fm.
Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 14 avril et d’ici là, portez-vous bien.
Générique de fin d'émission : Wesh Tone par Realaze.