Libre à vous ! Radio Cause Commune - Transcription de l'émission du 28 avril 2020
Titre : Émission Libre à vous ! diffusée mardi 28 avril 2020 sur radio Cause Commune
Intervenant·e·s : Véronique Bonnet - Julien Négros - Cyrille Béraud - Christophe Villemer - Frédéric Couchet - François Poulain - Étienne Gonnu - William de Cause Commune à la régie
Lieu : Radio Cause Commune
Date : 28 avril 2020
Durée : 1 h 30 min
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Page des références utiles concernant cette émission
Licence de la transcription : Verbatim
Illustration : Bannière de l'émission Libre à vous ! de Antoine Bardelli, disponible selon les termes de, au moins, une des licences suivantes : licence CC BY-SA 2.0 FR ou supérieure ; licence Art Libre 1.3 ou supérieure et General Free Documentation License V1.3 ou supérieure. Logo de la radio Cause Commune utilisé avec l'accord de Olivier Grieco.
NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.
- Chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet, professeur de philosophie et vice-présidente de l'April, sur l'importance d'utiliser la dénomination GNU/Linux (à partir du texte « Qu’y a-t-il dans un nom ? » de Richard Stallman)
- Échange avec Julien Négros pour prendre des nouvelles d’Enercoop
- Le logiciel libre Jami
- Entretien avec François Poulain, trésorier de l'April et artisan du logiciel libre chez Cliss XXI
- Annonces
Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Étienne Gonnu : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.
L’importance de la dénomination GNU/Linux, le logiciel libre Jami, des nouvelles de Julien Négros d’Enercoop et de François Poulain de l’April, c’est au programme de l’émission du jour sur Cause Commune.
Vous êtes bien sur la radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 FM en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm.
Cause Commune sur la bande FM c’est de midi à 17 heures, puis de 21 heures à 4 heures en semaine, le vendredi de 21 heures au samedi 16 heures et le dimanche de 14 heures à 22 heures. Sur Internet c’est 24 heures sur 24. La radio diffuse également en DAB+ en Île-de-France, c’est la radio numérique terrestre, 24 heures sur 24. La radio dispose également d’une application cause Commune pour téléphone mobile.
Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre. Je suis Étienne Gonnu en charge des affaires publiques pour l’April.
Si vous êtes une auditrice ou un auditeur régulier, que vous avez manqué nos émissions du 31 mars et du 14 avril, ce changement de voix vous aura peut-être étonné. Rassurez-vous, Frédéric va bien et vous le retrouverez très rapidement. L’objectif est simplement de se répartir la charge et que Libre à vous ! soit aussi peu dépendante que possible d’une unique personne. Une pratique de pérennisation qui vaut aussi bien pour un projet logiciel que pour une émission de radio.
Le site web de l’April est april.org. Vous pouvez y retrouver une page consacrée à cette émission avec tous les liens et références utiles, les détails sur les pauses musicales et toutes les autres informations utiles en complément de l’émission et également les moyens de nous contacter.
N’hésitez pas à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu mais aussi des points d’amélioration.
Nous sommes le mardi 28 avril 2020, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.
Je précise que depuis le 17 mars nous diffusons dans des conditions exceptionnelles suite au confinement. Toutes les personnes qui participent à l’émission le font de chez elles et d’un point de vue technique nous utilisons Mumble, un logiciel libre d’audioconférence. J’en profite d’ailleurs pour rappeler que vous pouvez tester et utiliser ce logiciel via le serveur Chapril en vous rendant tout simplement sur chapril, sur c, h, a, p, r, i, l point org [chapril.org] où vous retrouvez ce service et d’autres.
Si vous souhaitez réagir, poser une question pendant ce direct, n’hésitez pas à vous connecter sur le salon web de la radio. Pour cela rendez-vous sur le site de la radio, causecommune.fm, cliquez sur « chat » et retrouvez-nous sur le salon dédié à l’émission.
Nous vous souhaitons une excellente écoute.
Voici maintenant le programme de cette émission :
- nous commencerons d’abord par la chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet qui nous parlera l'importance d'utiliser la dénomination GNU/Linux ;
- nous prendrons ensuite des nouvelles des nouvelles de Julien Négros d’Enercoop que nous avions reçu lors du Libre à vous ! du 26 novembre 2019 ;
- je passerai ensuite la parole à Frédéric Couchet qui échangera avec Cyrille Béraud et Christophe Villemer sur Jami, un logiciel libre qui permet de passer des appels téléphoniques ou vidéo via Internet ;
- enfin nous prendrons des nouvelles de François Poulain, trésorier de l’April et artisan du logiciel libre chez CLISS XXI.
À la réalisation de l’émission William de la radio Cause Commune.
Tout de suite place au premier sujet.
[Virgule musicale]
Chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet, professeur de philosophie et vice-présidente de l'April, sur l'importance d'utiliser la dénomination GNU/Linux (à partir du texte « Qu’y a-t-il dans un nom ? » de Richard Stallman)
Étienne Gonnu : Nous allons commencer par la chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet, professeur de philosophie et vice-présidente de l'April, qui, à partir du texte « Qu’y a-t-il dans un nom ? » de Richard Stallman, va nous parler de l'importance d'utiliser la dénomination GNU/Linux.
Bonjour Véronique. Je te laisse la parole.
Véronique Bonnet : Bonjour Étienne.
Effectivement, je vais commenter un texte de Richard Stallman qui a été publié en 2000. C’est dans la philosophie GNU, dans la section histoire de GNU/Linux et, comme tu l’as dit Étienne, le titre est « Qu’y a-t-il dans un nom ? », What's in a Name?
Si j’avais à résumer cet article, je dirais que Richard Stallman met les points sur les i au sens propre, c’est-à-dire qu’il propose d’adopter, pour parler de logiciel libre, les termes justes. Il est important d’éviter l’à-peu-près, comme si, en ce sens, Richard évoquait une éthique du lexique. En effet, parler fait intervenir des noms qui ne doivent surtout pas égarer, qui doivent atteindre leur cible et je dirais que Richard Stallman accorde une attention très particulière à la justesse de la dénomination. Il est important de choisir des termes qui reflètent fidèlement les idéaux du free software, sans les réduire à des dispositifs techniques.
Comme j’enseigne la philosophie, avant d’entrer dans le texte de RMS, je vais rappeler que ce souci du mot juste est très important dans l’histoire de la philosophie. Par exemple, dans les dialogues du philosophe Platon, au 4e siècle avant notre ère, il y a souvent un personnage, Socrate, qui va demander aux sophistes, ceux qui jouent sur le sens des mots, de bien faire attention à ne pas abuser de ce pouvoir, essayer de ne pas employer un terme pour un autre.
Entrons maintenant dans le texte de Richard Stallman.
« Les noms véhiculent des significations. Le choix des noms détermine la signification de ce que nous disons. Un nom mal choisi donne aux gens une idée fausse. »
En grand pédagogue qu’il est, Richard commence par une image, il commence par faire référence, d’une façon très élémentaire, à ce qui nous est déjà arrivé : « Une rose, quel que soit son nom, sentira toujours aussi bon, mais si vous l'appelez « stylo », les gens seront plutôt déçus quand ils essaieront d'écrire avec. Et si vous appelez les stylos « roses », les gens pourraient ne pas réaliser à quoi ils servent ». Autrement dit, ici Richard Stallman fait état d’une déception ou bien d’une incompréhension qui pourrait résulter d’une confusion du lexique. Donc un nom pour chaque chose devrait permettre de refléter sa fonction sans brouiller les idées.
Après la métaphore, RMS applique à l’informatique cette enquête sur une confusion possible. « Si vous appelez notre système d'exploitation "Linux", cela véhicule une idée fausse de l'origine du système, de son histoire et de sa finalité. Si vous l'appelez GNU/Linux, cela véhicule (mais sans la détailler) une idée juste. »
Nous allons nous arrêter ici, à cet endroit du texte : pourquoi faudrait-il avoir une idée juste de l’origine de GNU/Linux ? Après tout, pourquoi ne pas se contenter de la fonction, parce qu’on pourrait s’imaginer que l’utilisateur cherche avant tout à agir avec des lignes de code et obtenir des effets. La réponse de Richard, dans ce texte, est impérative, à savoir, je lis : « Le monde du Libre qui s'est développé autour de GNU/Linux n'est pas en sécurité ; les problèmes qui nous ont amenés à développer GNU ne sont pas complètement éradiqués et ils menacent de revenir. »
Pourquoi alors s’intéresser à l’histoire de GNU/Linux ? Retournons aux origines, parce que ceci rappelle l’exigence éthique du projet GNU, lancé en 1983, qui, à un certain moment de son développement, a bien sûr utilisé le noyau Linux lorsque l’informaticien Linus Torvalds l’a libéré. Donc on voit que si on utilise la dénomination « Linux », alors on réduit l’informatique libre à un épisode qui sera seulement technique et on ne se réfère qu’à une partie du projet. GNU est un projet éthique, politique, humaniste : écrire du code pour rendre l’utilisateur autonome, alors que Linux, à un moment donné du développement de GNU, est un dispositif technique. Donc si on appelle GNU/Linux « Linux » – c’est un peu la même chose qu’appeler une rose un stylo – c’est réduire un projet existentiel à un détail matériel.
Et ici, Richard Stallman précise que pour certains cette confusion sur la dénomination est une tentative délibérée de ne garder qu’une dimension de l’histoire de GNU/Linux, à savoir l’épisode de Linux. Il le précise : Richard Stallman rapporte qu’un PDG a demandé à des utilisateurs de, je cite « laisser tomber l'objectif de la liberté pour travailler à la place en faveur de "la popularité de Linux" » et là, c’est la porte ouverte à l’ajout de logiciels non libres, à l’ajout de bibliothèques et d’outils non libres.
Richard Stallman va ici utiliser le terme de « piège » et va analyser le piège qui résulte de cette confusion des noms : « Si notre communauté continue d'aller dans cette direction, cela peut rediriger l'avenir de GNU/Linux vers une mosaïque de composants libres et non libres. Dans cinq ans, nous aurons certainement toujours beaucoup de logiciels libres ; mais si nous ne faisons pas attention ils seront difficilement utilisables sans les logiciels non libres que les utilisateurs espèrent trouver avec. Si cela arrive, notre campagne pour la liberté aura échoué. » C’est pourquoi Richard Stallman fait ici une demande insistante qui se trouve motivée, qui se trouve légitimée, je cite à nouveau le texte : « Pour inciter les gens à faire le travail qui doit être fait, nous avons besoin d'être reconnus pour ce que nous avons déjà fait. S'il vous plaît, aidez-nous en appelant le système d'exploitation GNU/Linux. »
Il faut éviter de nommer mal, il faut éviter de prendre la partie pour le tout, il faut éviter de prendre un épisode du développement de GNU pour GNU lui-même. Certains le font délibérément. Et là je pense à une philosophe du 20e siècle, je pense à Hannah Arendt, qui avait fait paraître en 1969 quatre essais politiques qu’elle avait appelés Du mensonge à la violence et, parmi ces essais politiques, il y en avait un, Réflexions sur les documents du Pentagone, où elle se référait à la violence symbolique qui consistait à jouer sur les mots, à fausser certaines dénominations à des fins soit de minoration de ce de quoi on ne voulait pas parler, de majoration de ce de quoi on voulait parler. Déjà en 1948, Orwell, dans 1984, avait évoqué la novlangue, c’est-à-dire une ruse pour manipuler le langage et pour manipuler la réalité.
En conclusion : logiciel libre j’écris ton nom, je dis ton nom correctement, sans oublier ta racine idéaliste, sans oublier ton principe. Donc, Étienne, je dirai non pas « Linux » mais GNU/Linux. GNU est ce qui donne direction et sens à la communauté du logiciel libre. Dire « GNU » ce n’est pas dire « je », c’est dire « nous ».
Étienne Gonnu : Merci Véronique. Très intéressant et, comme dit justement cpm sur le salon de l’émission, c’est un texte ancien mais qui est toujours vraiment d’actualité. D’ailleurs cette réflexion pourrait très bien s’appliquer à la différence que nous faisons entre logiciel libre et open source. Un autre auditeur nous fait remarquer que c’est effectivement un vieux combat au moins depuis 1994 et publiquement depuis 1996. Il est toujours important de rappeler ces bases-là. Un grand merci Véronique.
[Virgule musicale]
Je vous propose à présent de faire une courte pause musicale. Nous allons écouter Neoteric par Cloudkicker. On se retrouve juste après. Une belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Neoteric par Cloudkicker.
Voix off : Cause Commune, cause-commune.fm, 93.1.
Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Neoteric par Cloudkicker, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution. Vous retrouverez les références sur le site de l’April, april.org. Bien sûr, vous retrouverez également le texte mentionné dans la chronique précédente sur cette même page.
Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 FM en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm. Je suis Étienne Gonnu en charge des affaires publiques pour l’April.
Nous allons maintenant passer au sujet suivant.
[Virgule musicale]
Échange avec Julien Négros pour prendre des nouvelles d’Enercoop
Étienne Gonnu : Nous allons poursuivre avec Julien Négros, administrateur système chez Enercoop que nous avions déjà reçu le 26 novembre 2019, podcast 46 de Libre à vous!.
Julien tu es normalement avec nous. Comment vas-tu ?
Julien Négros : Bonjour. Tout va bien. Merci.
Étienne Gonnu : Bien sûr, nous invitons les personnes qui nous écoutent à aller écouter le podcast de novembre si elles veulent creuser le sujet. Sans rentrer beaucoup dans les détails, en quelques mots, est-ce que tu peux te présenter et nous présenter ce qu’est Enercoop, s’il te plaît ?
Julien Négros : Je suis Julien Négros, je suis administrateur système à Enercoop. Je suis aussi membre de l’April, comme Enercoop d’ailleurs. Je travaille au service informatique de la coopérative avec trois de mes collègues. Enercoop c’est plusieurs coopératives de fournisseurs d’électricité d’origine uniquement renouvelable et en circuit court.
Étienne Gonnu : Super, très bien résumé. Comme je disais il y a un podcast où on a pu creuser le sujet. Si les personnes sont intéressées par ce modèle très spécifique qu’est Enercoop dans la distribution de l’électricité, vous êtes plutôt une exception, c’est un sujet passionnant, nous invitons ces personnes à vous retrouver sur le podcast 46.
J’imagine que la situation actuelle de confinement a dû avoir un impact sur la manière dont vous travaillez. J’imagine que tu es surtout en télétravail.
Julien Négros : Oui, tout à fait, on est tous en télétravail à l’admin sys. Mes collègues qui sont restés en région parisienne – moi j’ai un peu honte de le dire, mais je suis parti – retournent de temps en temps dans les bureaux quand c’est nécessaire pour préparer du matériel et envoyer du matériel. Sinon on est tous confinés chez nous, on travaille tous à distance avec pas mal d’outils numériques qu’on avait mis en place précédemment et d’autres qu’on a mis pendant le confinement.
Étienne Gonnu : D’accord. Est-ce que le télétravail était quelque chose que vous pratiquiez déjà ou vous avez dû entre guillemets un peu « découvrir » ça dans cette situation ?
Julien Négros : Non, on pratiquait déjà avec plus ou moins d’importance en fonction des services, des pôles comme on les appelle. Par exemple le pôle service clients, le pôle clients en général, le pratiquait assez peu jusqu’à cette année ; c’est tout récent donc c’est plutôt bien tombé, enfin ! on ne peut pas dire ça, mais on va dire que c’est bien tombé qu’il ait été décidé de faire du télétravail pour le pôle service clients cette année, parce que, du coup, ça a pu préparer un petit peu le terrain, sinon ç'aurait été un peu compliqué parce qu’ils ont beaucoup d’ordinateurs et ce sont normalement des ordinateurs fixes. Du coup, on a dû trouver des portables pour toutes ces personnes à l’époque et, juste avant le confinement, compléter pour qu’elles puissent travailler à distance.
Donc on travaillait déjà pas mal en télétravail, c’était déjà bien défriché mais, à cette échelle-là, c’est sûr que c’est une première, mais je pense que c’est une première pour tout le monde !
Étienne Gonnu : Oui. C’est sûr, on l’a déjà évoqué, ces conditions de télétravail sont assez particulières, ce n’est pas du télétravail, on va dire entre guillemets, « normal ». Et toi, à titre personnel, avant tu as eu plutôt tendance à travailler ou à bosser depuis vos locaux professionnels ?
Julien Négros : Pas beaucoup, c’est à peu près deux fois par mois. C’est aussi un peu informel, c’est en fonction des besoins. C’est une pratique qui est assez récente dans notre branche, dans notre service admin-sys et je crois qu’il y a surtout moi qui en profite et mon responsable aussi. Donc oui, moi j’avais déjà un peu l’habitude de le faire. C’est vrai que c’est quand même plus commode pour nous d’être proches du matériel, mais finalement, depuis un mois et demi, on arrive à travailler assez normalement au niveau de l’admin sys. Pour la gestion du matériel, effectivement, ça nécessite d’aller sur place pour mes deux camarades qui peuvent le faire, mais heureusement ce n’est pas hyper-courant et on peut gérer la plupart des choses à distance.
Étienne Gonnu : D’accord. Là en plus il y a franchement le changement de temporalité où c'est tous les jours du télétravail. Dans ton approche du télétravail tu as quand même senti des changements ou, finalement, c’est juste tous les jours au lieu d’être deux fois par mois ? Comment tu le perçois de ce point de vue-là ? Comment tu le vis, on va dire, de manière générale ?
Julien Négros : Ce n’est pas évident. Au niveau personnel, j’ai toujours eu du mal à être vraiment très efficace en télétravail à mon goût et là, en plus, les semaines durant, ça devient de plus en plus marqué, je trouve. Mais ça dépend aussi des fois : ces derniers temps ça allait plutôt bien au niveau motivation et compagnie. Mais c’est sûr que d’être « isolé » entre guillemets, isolé physiquement on va dire, je trouve que ça peut marquer un petit peu la motivation, en tout cas pour moi. Heureusement, on a mis en place des réunions régulières qu’on ne faisait pas avant, déjà avec mes collègues directs et avec d'autres aussi, donc on peut quand même discuter et avoir du lien ce qui est quand même important ; quand on travaille c’est ensemble, donc quand on est isolés physiquement c’est un petit peu spécial.
Étienne Gonnu : Oui, c’est juste, on le ressent. Comme tu le dis, tu n’es clairement pas le seul dans cette situation, je pense qu’on est nombreux et nombreuses à en passer par là. Ça nous fait beaucoup de bien au sein de l’April, que ce soit au sein de l’équipe salariée mais aussi avec des bénévoles, d’avoir un point hebdomadaire pour prendre des nouvelles, pour maintenir ce lien, avoir un échange. Nous, par exemple, on utilise Mumble, ce même logiciel qu’on utilise pour l’émission, pour avoir ce point hebdomadaire d’un point de vue organisationnel. Tu as commencé à nous en parler, mais qu’est-ce que vous mettez en place que ce soit d'un point de vue technique, d'un point de vue organisationnel pour garder, on va dire, à la fois le moral et le lien dans cette situation assez particulière ?
Julien Négros : En fait, c’est du coup pas mal de réunions à distance ou de discussions, ça peut être un peu informel, on a fait aussi des apéros, avec des outils de visio que beaucoup de gens ont découvert avec le confinement. Comme tu parlais de mise en place, depuis le début de l’année justement on a changé de solution de visio. On en avait pris une officiellement, propriétaire, que je ne nommerai pas mais elle est très connue, elle est devenue très connue, et, en parallèle on voulait mettre en place une solution libre mais on avait des problèmes techniques. Finalement le besoin ça a accéléré. En plus, on avait des interrogations légitimes de salariés et de sociétaires sur nos choix de logiciels et ça nous travaillait beaucoup, surtout nous à l’admin-sys. Donc là, fin de semaine dernière, on a lancé un Jitsi pour pouvoir faire des réunions, enfin pour pouvoir avoir une solution auto-hébergée et libre de visio, d’ailleurs pas nécessairement de visio, de réunion en général. Effectivement, Mumble pourrait être une solution mais c’est uniquement vocal et les personnes ont besoin, réclament le visuel et aussi le fait de pouvoir partager son écran ce qui peut être utile pour faire des présentations ou pour montrer des choses particulières. Donc on a mis ça en place tout récemment et c’est, quelque part, grâce au confinement que c’est allé plus vite que prévu.
Étienne Gonnu : En fait, il faut aussi savoir y trouver des opportunités. Je ne sais plus ou j’ai entendu cette phrase mais je la trouve très juste : il ne faut pas non plus gâcher cette crise. On doit pouvoir y trouver une ressource pour changer, pour être créatif, pour se réinventer aussi. Justement ce n’est pas qu’une période morte, c’est aussi le moment où on peut en profiter pour mettre en place ce genre de système, donc tant mieux si vous faites ce travail-là et cet effort-là.
Christian nous demande via le chat sur libreatoi.org : à quand un compte officiel sur Mastodon ? Il demande : combien de personnes dans l’équipe IT et si vous avez d’autres outils libres que vous utilisez de manière générale ? Beaucoup de questions en une, désolé.
Julien Négros : Pas de problème. Mastodon, je serais absolument pour, après c’est à gérer au niveau de l’équipe communication, donc je vais le suggérer, effectivement c’est vrai que ce serait bien. Il me semble qu’il en avait été question pendant un moment, je reposerai la question ; après tout, ça ne doit pas être si compliqué de gérer un autre réseau social du même type et celui-là.
Au niveau des outils libres, j’en ai parlé pendant ma dernière intervention, on a quasiment exclusivement, peut-être pas quasiment mais une grosse partie d’outils libres collaboratifs. Récemment on a mis en place un Collabora Online pour pouvoir éditer des documents en ligne, du coup sur notre Nextcloud qu’on utilisait, lui, depuis longtemps pour le partage de fichiers. On a des pads, notre messagerie est sur du libre, notre téléphonie aussi. Sur la téléphonie on n’a pas Mumble, mais on peut créer des conférences téléphoniques avec Asterisk.
Il demandait le nombre de personnes à l’IT. Ça dépend où, parce qu’en fait nous on est dans une branche, la branche administration-système où on est quatre et en tout, dans le pôle numérique qui inclut des gestions de la data, comme on dit, des données et du développement à la fois web ou ERP [Enterprise Resource Planning] et aussi les responsables produit, on est, j’ai peur de dire une bêtise, mais je dirais qu’on est une vingtaine. Si je réfléchis je connais évidemment tout le monde, mais là, si je veux répondre rapidement, je dirais que c’est une vingtaine.
Étienne Gonnu : OK. Merci. J’en profite, on a évoqué pas de mal de logiciels, on mettra bien sûr les liens en référence, notamment des références à des émissions dans lesquelles on a abordé ces logiciels spécifiquement. Par exemple tu évoquais Jitsi, on a reçu à distance le créateur du logiciel Jitsi qui nous avait un peu parlé justement du logiciel. Donc l’occasion de creuser ce sujet.
Je m’interrogeais aussi sur l’impact que ça a d’un point de vue administration système ? J’imagine qu’il y a des besoins nouveaux qui ressortent. Quel impact ça a et comment mettez-vous en place l’administration système à distance, le support de l’utilisateur et de l’utilisatrice ?
Julien Négros : De ce côté je suis assez satisfait, il n’y a pas de mal à s’auto-congratuler des fois !
Étienne Gonnu : C’est sûr.
Julien Négros : On n’a pas eu tellement besoin de changer, en fait, parce que c’était déjà assez solide. Un peu comme Internet a tenu le coup au confinement mondial, eh bien nous, notre SI telle qu’elle était déjà existante, elle était déjà assez solide et assez complète, finalement, pour que les gens puissent travailler. On utilise des postes de travail sous GNU/Linux, la difficulté, un peu, c’est de prendre la main à distance. Quand on est dans les bureaux ce n’est pas un problème, mais quand on est en dehors, sur d’autres réseaux, c’est un petit peu plus compliqué. Heureusement, on a un outil qui a été développé par Easter-eggs, notre principal prestataire informatique, qui permet de faire ça plutôt bien et, du coup, on n’a pas de problèmes pour prendre la main à distance. On peut aussi le faire en VPN [Virtual Private Network] en ligne de commande, mais quand il est nécessaire de faire des manipulations en graphique on peut aussi le faire. C’était un peu ça la difficulté que je craignais mais, finalement, ça se passe plutôt bien. Pour tout le reste les outils en place fonctionnent, il n’y a pas eu tellement besoin d’ajuster les performances, je veux dire les configurations pour que ça s’adapte au nombre, à part le VPN, mais on avait déjà dû le faire – je dis à cause des grèves, non pas que je fustige les grèves, loin de là –, mais les grèves ont fait qu’il a aussi fallu s’adapter beaucoup à Paris en télétravail. C’est vrai qu’il y avait aussi ça, je n’y ai pas pensé tout à l’heure, mais il y avait ça aussi qui a été un petit peu le baptême du feu.
Étienne Gonnu : OK. Du coup si tu devais dire avec du recul quels sont les points forts structurels qui font justement que vous avez une administration système qui va bien, qui soit résiliente, tu l’as déjà évoqué un petit peu mais pour résumer ? Qu’est-ce que tu recommanderais, justement, pour avoir une administration-système qui tourne bien, qui soit résiliente ?
Julien Négros : C’est une question assez complexe, je pense, mais j’ai envie de dire l’humain, parce que, mine de rien, on est nombreux, on est quatre, et de mon expérience c’est beaucoup. On fait du support pour toutes les coopératives de France, donc ça fait quand même pas mal de monde, mais finalement on est surtout en contact et on fait surtout du support pour la coopérative de Paris, c’est pour un peu plus d’une certaine de personnes, 120, et c’est beaucoup de personnes pour ça. Il y a plein de choses à améliorer dans notre service, par contre on ne peut pas nous enlever le fait, on nous le dit souvent et c’est vrai, qu’on est très réactifs. Malgré le fait qu’on ait beaucoup de travail, être nombreux ça permet de pouvoir réagir vite quand il y a des choses importantes à faire et, au moins, envoyer un petit signal, pas un signal automatique, un signal réel et humain, qu’on a bien reçu la demande et qu’on va la traiter dès que possible. Voilà ! Avoir vraiment un lien et être disponible, je pense que c’est ça le plus important, finalement.
Étienne Gonnu : Super. Et, bien sûr, utiliser du logiciel libre, mais ça va sans dire.
Julien Négros : Ça va sans dire ! C’est sûr, c’est aussi un avantage d’être auto-hébergés et indépendants là-dessus.
Étienne Gonnu : Génial ! Le but c’est aussi, comme j’annonçais, de prendre des nouvelles. Tu me parlais de motivation, etc., est-ce que, pendant ces semaines de confinement, tu as trouvé des manières pour garder cette motivation, garder le moral ? Est-ce que tu as des conseils à donner, des suggestions que ça soit peut-être d’écoute, de films, de ce que tu veux ? Un petit mot en ce sens, plus personnel du coup.
Julien Négros : Je n’ai pas été aussi créatif que pas mal de personnes sur les réseaux, ce qui est quand même assez incroyable.
Étienne Gonnu : Oui, je suis tout à fait d’accord.
Julien Négros : On va s’y mettre, je suis confiné avec mon épouse, on a des idées, on ne se force pas, d’ailleurs, mais on ne l’a pas encore fait.
Sinon, niveau culturel, j’avoue que je m’occupe pas mal en lisant, je suis plutôt bande dessinée. Comme je disais tout à l’heure, j’ai un peu honte, mais j’ai la chance d’être confiné dans les Hautes-Alpes, pas très loin de Briançon, et j’ai relu une bande dessinée que j’aime vraiment beaucoup, qui s’appelle Ailefroide – Altitude 3954 qui est magnifique, qui est vraiment un bel objet. C’est vraiment le genre de choses qu’on peut relire plusieurs fois rien que pour la beauté des dessins, qui est donc dessinée par Jean-Marc Rochette et aussi scénarisé par Olivier Bocquet. Jean-Marc Rochette est plus connu pour Le Transperceneige qui a été adapté au cinéma par la dernière personne qui a été oscarisée, j’ai réappris son nom, j’ai honte, je ne sais plus.
Étienne Gonnu : Je ne me rappelle pas non plus, pourtant je l’ai vu.
Julien Négros : Bong Joon-ho, la personne qui a réalisé Parasite.
Étienne Gonnu : Je cherchais aussi, j’ai beaucoup aimé le film. J’ai lu aussi la BD que tu mentionnes qui est effectivement géniale. Vraiment une super lecture que je recommande chaudement aux personnes qui ne l’auraient pas lue, surtout si elles aiment la montagne, c’est très fort.
Julien Négros : Oui, c’est vraiment impressionnant. Déjà c’est beau et l’histoire est hyper-touchante. Je pense que c’est une des rares BD qui m’a vraiment presque arraché une larme.
Étienne Gonnu : Autobiographique d’ailleurs. On sent la profondeur du coup.
Julien Négros : Oui. Il se destinait à être guide de haute-montagne et finalement il a eu un accident. Il y a un passage assez incroyable pour de la BD, c’est assez ouf, et finalement, suite à cet accident. il s’est concentré sur le dessin et c’est très bien aussi.
Étienne Gonnu : Je pense que c’est un très bon conseil.
Sauf si tu as un dernier mot à dire, je te propose qu’on s’arrête là parce que le temps passe, malheureusement.
Julien Négros : Très bien. S’il n’y a pas d’autres questions, ça me va très bien. Ça m’a fait plaisir de revenir sur l’émission.
Étienne Gonnu : Ça nous a fait plaisir que tu reviennes et c’est toujours bien de prendre des nouvelles, de voir comment tout le monde passe ce cap. On garde le lien, on pense que c’est important. Merci Beaucoup Julien.
Julien Négros : Merci à toi, merci à toute l’équipe et bon confinement. À bientôt.
Étienne Gonnu : Porte-toi bien. À bientôt.
Nous allons faire maintenant une pause musicale comme je l’ai annoncé.
[Virgule musicale]
Nous allons écouter Poison par Ona. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Pause musicale : Poison par Ona.
Voix off : Cause Commune, cause-commune.fm, 93.1.
Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Poison par Ona, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution. Vous retrouverez les références sur le site april.org. Je précise que ce morceau est une recommandation que nous l'avons repris du site auboutdufil.com ; nous recevions Éric Fraudain, le créateur, lors de l’émission du 14 avril, podcast numéro 62, un site que je vous recommande chaudement si vous êtes amateur de musique.
Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 FM en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm.
Je suis Étienne Gonnu en charge des affaires publiques pour l’April. N’hésitez pas à participer à notre conversation sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat ».
Passons maintenant passer au sujet suivant.
[Virgule musicale]
Le logiciel libre Jami
Étienne Gonnu : Nous allons poursuive par une discussion sur le logiciel libre Jami et je laisse pour cela la parole à mon collègue Frédéric Couchet.
Frédéric Couchet : Merci Étienne. Bonjour à toutes. Bonjour à tous. Nous allons parler pendant quelques minutes, une petite vingtaine de minutes, de téléphonie libre et de messagerie instantanée libre avec nos invités du jour Cyrille Béraud et Christophe Villemer de la société Savoir-faire Linux.
Je crois que Cyrille et Christophe sont avec nous. Bonjour Cyrille. Bonjour Christophe.
Cyrille Béraud : Bonjour Frédéric.
Christophe Villemer : Bonjour Frédéric.
Frédéric Couchet : Ils sont tous les deux là, ça nous fait très plaisir de vous avoir en direct, je suppose depuis Montréal, mais vous allez nous expliquer ça. Avant de commencer Jami, peut-être quelques mots sur la société Savoir-faire Linux. Peut-être Cyrille.
Cyrille Béraud : Bonjour la France. Moi je suis confiné comme nous tous à Val-David, un petit village au nord de Montréal. On travaille à distance. Il faut dire que dans le logiciel libre on est quand même bien outillés pour ça, donc ce n’est pas simple mais on y arrive bien.
Savoir-faire Linux est une entreprise de services en logiciel libre, je dirais très classique dans sa forme. On existe depuis 20 ans. On est basé à Montréal et on a également une petite filiale à Rennes, Christophe pourra s’en occuper, parce que c’est Christophe qui a poussé cette aventure française qui se passe très bien. Christophe peut-être que tu peux en dire deux mots ?
Christophe Villemer : Oui. Un petit mot et plus généralement sur Savoir-faire Linux. Ça fait 20 ans qu’on existe, comme a dit Cyrille. D’abord on est très fiers parce que 20 ans c’est toute une aventure et Savoir-faire Linux est aujourd’hui toujours un acteur important de l’innovation logiciel libre et ça nous force à nous réinventer. Aujourd’hui, finalement, la crise qu’on vit tous nous pousse aussi un petit peu, elle accélère, en fait, notre transition vers notre offre de services qui est vraiment poussée vers l’industrie 4.0.
Aujourd’hui, ce qui est au cœur de notre activité, notre offre de services, c’est principalement tout ce qui est l’ingénierie logicielle, l’ingénierie produit, les systèmes embarqués. C’est précisément l’activité de notre centre d’expertise qui est basé à Rennes, en France, qui est installé à Rennes depuis deux ans même si notre filiale existe en France depuis 2014, et qui va très bien parce qu’elle est au cœur de l’innovation de l’IOT et des systèmes embarqués qui, massivement, basculent sous Linux.
Donc voilà. Aujourd’hui c’est une petite équipe, ce sont quatre personnes. On recrute, donc j’en profite pour passer l’info à nos auditeurs : sur notre site on a des postes à Rennes en systèmes embarqués.
Frédéric Couchet : Merci pour cette présentation. On va préciser que IOT je suppose que c’est l’Internet des Objets. Le site de Savoir-faire Linux c’est savoirfairelinux tout attaché point com [savoirfairelinux.com]. Concernant le nom Linux, je renvoie à la chronique du début de l’émission de Véronique Bonnet, mais on ne va pas épiloguer plus en avant vu que Véronique en a parlé en début d’émission.
Là on va parler de Jami. J’ai l’impression qu’il y a un petit écho c’est peut-être quand l'un des autres micros est activés.
Aujourd’hui, l’idée de la présentation c’est de parler un petit peu d’un des projets phares de Savoir-faire Linux dans lequel il y a beaucoup d’innovation, on ne va pas rentrer dans tous les détails des innovations techniques, mais il y a quand même pas mal d’innovations. Donc Jami, logiciel libre de téléphonie et de messagerie instantanée.
Comment vous présenteriez Jami avec les principales fonctionnalités, à la fois pour le grand public et aussi pour les entreprises, car je crois que ce sont les deux publics cibles, collectivités aussi sans doute, de Jami. Qui veut commencer ?
Cyrille Béraud : C’est toute une histoire et c’est toute une épopée, Jami, pour Savoir-faire Linux. Je dirais que Jami trouve ses racines dans la fondation même de Savoir-faire Linux il y a peut-être 18 ans. Jérôme Oufella, qui est le troisième partenaire de Savoir-faire Linux, m’avait rejoint à Montréal, il venait de Marseille. Moi j’avais dans l’idée qu’on ne pouvait pas être une entreprise de services en logiciel libre si nous-mêmes on ne contribuait pas, on ne participait pas à l’écosystème du Libre. On était sur le marché, mais on devait être aussi dans le contributif et dans les communautés.
À l’époque Jérôme m’avait dit : « Écoute, il y a la voix sur IP, les communications sur Internet », c’était il y 20 ans, ce n’était pas évident à l’époque et on était partis sur un logiciel qu’on avait développé, qui s’appelait SFLPhone, qui avait gagné en réputation. C’était un projet assez modeste, un projet SIP, de téléphonie SIP juste pour Linux et, bon gré mal gré, au fil des années, on avait développé ce logiciel en recherche et développement. Ça nous avait permis d’acquérir toute une expertise en ingénierie logicielle.
À la fin des années 2010, 2012/2013, finalement le projet était abouti, je ne savais plus trop quoi en faire, comment le faire évoluer, comment apporter de la valeur et est arrivée l’affaire Snowden. En fait, sont arrivées plusieurs choses, d’abord l’affaire Snowden et l’appel de Richard Stallman à la communauté : « Il nous faut absolument une alternative à Skype ouverte et libre ». Ça c’était un premier point.
Parallèlement à ça, c’est un peu une histoire personnelle. Je m’excuse d’être un petit peu narcissique : mon fils avait fini ses études à Montréal, avait passé son bac, était parti en Suisse faire son école d’ingénieurs à l’EPFL ; on l’avait perdu un petit de vue, on se voyait à Noël, pendant les fêtes. Un jour on se retrouve en Bretagne et on se met à discuter. Il me raconte toutes ses histoires et il me parle de ces systèmes distribués et, avec son cousin, il a l’intention de faire des jeux basés sur les systèmes distribués.
Les systèmes distribués ce sont des systèmes informatiques, là je m’adresse au grand public, qui permettent de fonctionner sur Internet sans serveur ou sans infrastructure, c’est ce qu’on appelle les DHT, les Distributed Hash Table. C’est le mécanisme qu’on trouve derrière le partage de Torrent par exemple.
On discute. Moi je suis avec SFLPhone, je ne sais pas trop quoi en faire. Adrien me parle de ses histoires distribuées, Richard Stallman lance un appel à la communauté pour un Skype ouvert et libre et, tout d’un coup, je me rends compte que sur la table on a tout, on a tous les éléments pour faire quelque chose de peut-être très innovant. C’est un petit peu ce qui lance Jami, ça va commencer en 2013/2014 tout doucement et c’est à partir de 2015 qu’on se rend compte qu’on a une technologie vraiment innovante. On est capables de créer des systèmes distribués extrêmement réactifs.
Les systèmes distribués, à l’époque en tout cas, étaient limités par la faible capacité de temps de réponse : vous voyez que si vous téléchargez BitTorrent ça va prendre plusieurs minutes pour aller chercher les nœuds qui peuvent fournir les services que vous recherchez. Là on a trouvé une mécanique qui nous permet d’aller très vite. On développe d’abord la couche basse, ce qu’on appelle OpenDHT, qui est un projet qu’on trouve sur GitHub, qui fonctionne très bien, qui est un système distribué qui permet de localiser à travers le monde des interlocuteurs sans passer un serveur central.
Donc, en termes d’architecture, il y a vraiment une petite innovation, en tout cas à l’époque. C’est à partir de là qu’on se met à développer, qu’on développe au fur et à mesure le projet.
On est, je vais vous dire, très ambitieux. J’achète cash ce que me dit Richard Stallman. On veut couvrir toutes les plateformes, que ça soit les plateformes propriétaires type Microsoft, Mac, les plateformes mobiles, Android, iOS, etc. Donc on va se lancer dans ce développement et je crois, de mémoire, que c’est à partir de 2016, fin 2016 début 2017, qu’on commence à avoir une technologie qui commence à fonctionner.
Frédéric Couchet : D’accord. On va revenir sur certains points en détail. Je vais juste préciser pour les personnes qui écoutent que les révélations Snowden c’est 2013. Tu as cité l’EPFL, de mémoire c’est l’École polytechnique qui est en Suisse, je ne sais plus si c’est à Zurich ou Lausanne.
Cyrille Béraud : C’est Lausanne.
Frédéric Couchet : C’est Lausanne. On va revenir tout à l’heure sur OpenDHT parce que c’est ce que vous avez développé, c’est la partie notamment annuaire qui fait partie des spécificités, quand on va parler un peu des spécificités de Jami ; outre l’aspect logiciel libre, il y a l’annuaire décentralisé. Il y a aussi le chiffrement de bout en bout dont parlera aussi un petit peu.
Déjà, commençons d’un point de vue usage. On voit bien d’où ça vient, en tout cas les racines de ce projet, les révélations Snowden – on rappelle que c’est le lanceur d’alerte de la NSA –, Richard Stallman, dont tu as parlé, c’est le fondateur du mouvement du logiciel libre et du projet GNU, on va dire. Une petite question en passant : le projet s’appelle Jami, pourtant c’est un projet qui est officiellement dans le projet GNU. Je suppose que c’est quelque chose qui était important pour vous. Pour quelle raison avez-vous souhaité que ce projet fasse partie intégrante du projet GNU ? Est-ce qu’il faut dire finalement « Jami » ou « GNU/Jami » ?
Cyrille Béraud : C’est une bonne question. Au fil du temps, je commence à dire « GNU/Jami » systématiquement. Ça n’est pas une obligation.
Tu sais que Richard Stallman habite à Boston. La Free Software Foundation a son siège social là-bas. Boston Montréal c’est tout à côté. Richard parle parfaitement français donc c’est quelqu’un qui vient nous visiter très régulièrement à Montréal pour rencontrer la communauté du Libre, pour faire des conférences. C’est quelqu’un qui est très apprécié ici, donc c’est quelqu’un que je connais depuis pas mal d’années.
Je suis dans le côté business. La Free Software Foundation est toujours un petit peu méfiante de tout ce qui touche à l’argent, néanmoins on se côtoie et on échange.
J’apprends qu’il vient à Montréal, je vais le voir, je l’invite à déjeuner et je lui dis que je souhaite que ce projet soit un projet GNU. « Pourquoi ? », c’est la première question qu’il va me poser. Je vais lui dire « parce que c’est un logiciel qui est sensible politiquement. Je pense que j’ai sur la table les éléments technologiques pour livrer la marchandise, par contre j’ai besoin de protection. » Il me répond tout de suite : « Écoute, c’est la seule bonne réponse » et il me dit oui tout de suite. C’est un logiciel qui a une dimension politique évidente, c’est certain. On voit la pression qu’ont les autres acteurs de ce type de logiciels et être protégé, que ce logiciel soit protégé par la communauté du logiciel libre était pour moi presqu’une nécessité. Pour l’avenir même du projet, pour la pérennité du projet ça me paraissait important.
Frédéric Couchet : D’accord. Merci. On va justement en parler un petit peu, on va juste revenir sur les fonctionnalités et les cas d’usage classiques parce que j’ai dit en introduction que c’est un logiciel de téléphonie et de messagerie instantanée, mais il y a d’autres fonctionnalités.
Christophe, peux-tu nous faire un petit tour d’horizon rapide des principales fonctionnalités de Jami et des cas d’usage ? Déjà rappeler que Jami ce n’est pas une application web, c’est une application qu’on installe sur ordinateur ou téléphone.
Christophe Villemer : Absolument. Jami est un client qui va être téléchargé sur son PC ou sur son appareil mobile. Jami a aussi des fonctions vidéo, évidemment. C’est vraiment un outil de communication qui fait chat, qui fait appel audio et puis appel vidéo. C’est aussi un client SIP.
Frédéric Couchet : Est-ce tu peux juste préciser ce qu’est un client SIP ?
Christophe Villemer : Un client SIP c’est un client qui va permettre de se connecter sur les messageries téléphoniques de type Asterisk, donc sur les réseaux téléphoniques IP.
Frédéric Couchet : En gros c’est l’un des supports, c’est le protocole de support de la plupart de la voix sur IP, sur Internet en fait, ce qui rend Jami compatible avec beaucoup de choses sur Internet.
Christophe Villemer : Voilà, exactement. Donc ça a vraiment une fonctionnalité comme un Skype, comme ce que vous connaissez, comme un Telegram pour la partie chat, ça intègre l’ensemble.
Aujourd’hui nos limitations sont des limitations qui sont liées au réseau pair à pair. On offre une expérience extrêmement bonne en qualité audio et vidéo. Mumble, qu’on utilise là, offre une expérience audio extraordinaire, mais tout le travail d’ingénierie et de recherche et développement de Savoir-faire Linux s’est aussi projeté dans la qualité audio et vidéo de Jami, donc en appel un pour un principalement. On est capables de faire du regroupement de visioconférence, mais on recommande de ne pas le faire à plus de quatre/cinq pour des éléments techniques liés à l’architecture pair à pair, qui font la personne qui va initier la téléconférence à plusieurs va devoir héberger sur son ordinateur ou sur son téléphone, mais plutôt sur son ordinateur, les trois, quatre ou cinq flux vidéo. Elle doit donc être dotée d’une très bonne passante et d’une bonne ressource matérielle.
Frédéric Couchet : C’est un point important, effectivement. Ça rejoint la problématique, le choix de la décentralisation qui fait que la multiplication des flux est aussi un point important. Je crois que dans Jami, si j’ai bien compris, c’est du chiffrement de bout en bout donc de pair à pair, ce qui fait qu’effectivement ça multiplie aussi les flux et ça peut amener une possible saturation de la connexion.
Tu confirmes qu’il y a vraiment du chiffrement de bout en bout au niveau de Jami et pas un chiffrement partiel comme il peut exister dans d’autres solutions ?
Christophe Villemer : Absolument. C’est un chiffrement de bout en bout. On utilise la dernière version de TLS [Transport Layer Security] qui est sortie à la fin de l’année dernière, donc on est vraiment au goût du jour et, comme il n’y a aucun serveur de relais, la communication passe uniquement de l’appareil à d’autres appareils à travers les réseaux. Donc c’est vraiment chiffré de votre appareil à l’appareil de votre correspondant.
Tu parlais des cas d’usage Frédéric, c’est pour ça que les cas d’usage qu’on vise — on reviendra aussi sur la question essentielle de Jami qui est un outil de communication qui préserve vraiment les données, on dit la privacy, on va dire la vie privée des utilisateurs puisqu’il n’y a aucun échange de données — sont vraiment des cas d’usage de communication sensible également entre deux personnes. On voit aujourd’hui qu’on a par exemple des médecins qui, dans le cadre du confinement, réalisent des consultations à distance avec Jami, mais ce sont aussi des avocats. C’est pour ça que Cyrille disait que c’est un projet qui est sensible parce qu’effectivement, à partir du moment où on parle de communication chiffrée, on rentre dans un monde qui est particulier.
Frédéric Couchet : Oui, tout à fait. On retrouve les cas d’usage que d’autres personnes peuvent connaître avec des outils équivalents, la gestion de contacts. Une des forces de Jami aussi par rapport à d’autres solutions qu’on a pu évoquer dans l’émission c’est qu’on peut s’appeler directement, en contact direct. Par exemple si je recherche Christophe Villemer dans les contacts, je peux l’appeler directement ou être appelé directement, contrairement à d’autres solutions où, pour se retrouver, il faut donner l’adresse web avec une sorte de salon, etc. Donc c’est quand même une fonctionnalité très intéressante. Il y a le partage d’écran dont tu as parlé, je crois, et il y a aussi l’aspect messagerie textuelle. Je faisais justement des tests hier, qui fonctionnaient, avec quelqu’un et ensuite on a continué en messagerie textuelle.
Je voudrais revenir sur un point qui m’a questionné quand j’ai fait mes tests, parce que je ne maîtrise pas du tout la technologie qui est derrière, et c’est ce qu’a évoqué un petit peu au début Cyrille Béraud sur OpenDHT qui est la table de hachage. Comment fonctionne cet annuaire décentralisé ? C’est-à-dire qu’à partir du moment où il n’y a pas un serveur central qui gère l’ensemble des personnes ayant un compte Jami, parce qu’on va dire que quand on se crée un compte Jami c’est en local, sur son appareil, comment fonctionne cet annuaire décentralisé, en essayant le plus compréhensif possible ?
Cyrille Béraud : Oui. Je vais essayer. Sur le DHT, sur le système distribué, on est identifié par ce qu’on appelle techniquement un hash, une chaîne de 40 caractères, de 40 chiffres, comme un numéro de téléphone, mais évidemment comme ce sont 40 caractères, ce n’est pas utilisable par un humain. On peut d’ailleurs communiquer entre soi juste en utilisant cet identifiant de 40 caractères, sans s’inscrire dans un annuaire. On a voulu fournir un annuaire, sur le même principe, qui allait pouvoir fonctionner, je dirais même sans Savoir-faire Linux, spontanément, tout seul. On a mis en place une blockchain sur laquelle on va associer un nom d’utilisateur, Christophe Villemer, Cyrille Béraud, Frédéric, à cette fameuse chaîne de caractères de 40 caractères. Chaque transaction va être validée par tous les acteurs de la blockchain, ce qui rend cet annuaire comme un annuaire déterministe, non réversible et qui ne dépend pas de Savoir-faire Linux. Ce qui fait que lorsque tu vas rencontrer quelqu’un dans une soirée ou dans la rue tu vas lui dire « mon identifiant Jami c’est Frédéric ». On va aller sur l’annuaire de la blockchain et, à partir de ce nom Frédéric, on va récupérer ce hash, cet identifiant de 40 caractères, et la personne peut être certaine parce que c’est garanti par tous les acteurs qui vont signer la transaction sur la blockchain : ton interlocuteur va être garanti que s’il tape « Frédéric » c’est bien à toi qu’il va s’adresser.
Je ne sais pas si j’ai expliqué clairement les choses. Je pense que les gars techniques vont me comprendre tout de suite.
Frédéric Couchet : Ce n’est pas forcément évident à expliquer, effectivement, mais le point essentiel c’est qu’il y a cette certitude de savoir que c’est le bon correspondant et que ça ne dépend pas d’un serveur central. On peut même imaginer que ça fonctionne sur un réseau privé, par exemple d’entreprise ou de collectivité.
Cyrille Béraud : C’est une propriété qui est très forte des systèmes distribués, c’est que OpenDHT va fonctionner sans Internet. Pour donner un exemple, je sais que cet énoncé frappe les esprits. Imaginons que j’aie une connexion internet sur un paquebot, j’ai un lien satellitaire. Le lien satellitaire tombe, eh bien tous les gens du bateau vont pouvoir continuer à utiliser le Jami, le système distribué va se recroqueviller sur le réseau du bateau. Une fois que la connexion sera rouverte, il va pouvoir tout de suite réintégrer le réseau distribué principal. C’est vraiment une propriété qui est extrêmement forte, c’est-à-dire que même dans des endroits confinés notamment ou un petit village avec une connexion très faible, eh bien si on perd cette connexion, les gens du village vont pouvoir continuer à fonctionner.
Pour prendre un autre exemple, on travaille avec le secteur minier à Montréal. Une mine, dans le Grand Nord, c’est tout un village, ce sont des connexions satellitaires. La connexion satellitaire tombe, eh bien tous les gens de la mine vont pouvoir continuer à fonctionner avec le système de communication ; le système distribué va tout simplement se recroqueviller sur lui-même, continuer à fonctionner, et dès qu’il a une autre ouverture sur une autre partie du réseau, il va se rendre sur cette partie du réseau.
Frédéric Couchet : D’accord. On va avancer un petit peu parce que le temps passe super vite, mais on aura le temps de vous réinviter, je vous le dis tout de suite, pour parler de Jami et aussi pour parler du logiciel libre au Québec et compagnie, sur un temps beaucoup plus long.
Petite question : Jami a été initié par Savoir-faire Linux. Aujourd’hui qui développe Jami ? Est-que c’est toujours uniquement Savoir-faire Linux ou est-ce que vous avez des contributions externes ? Et deuxième question : à partir du moment où finalement on peut utiliser Jami sans Savoir-faire Linux, est-ce que derrière vous avez un modèle économique pour le développement de Jami ou c’est un développement qui est fait en dehors, on dirait, de toute recherche de retour sur investissement, si je peux dire, même si je n’aime pas beaucoup ce terme ? Peut-être Christophe Villemer sur cette partie.
Christophe Villemer : Oui, sur la partie modèle d’affaires et je laisserai Cyrille répondre à l’autre.
On a effectivement un modèle d’affaires lié, tu as commencé à en parler Frédéric, à ce qu’on a appelé JAMS qui est un serveur qui va permettre justement d’intégrer un pool de clients Jami dans une organisation. C’est-à-dire qu’au lieu de connecter les comptes à travers l’annuaire blockchain public, eh bien on va pouvoir connecter les comptes à travers une PKI [Public Key Infrastructure] d’entreprises, un annuaire LDAP [Lightweight Directory Access Protocol], un Active Directory. On a développé JAMS, Jami Account Management Server, qui va permettre ça. Et là, à travers ce serveur-là pour lequel il y a une version disponible sur GitHub et sur notre site, on opposera un peu au modèle d’affaires RedHat une version supportée avec soutien technique et une mise à jour de sécurité, donc avec un coût d’entrée qui est assez bas et ça c’est le modèle d’affaires qui est en cours. On a un store qui va permettre d’acheter ces souscriptions en ligne qui devraient sortir, on l’espère, au mois de mai.
Frédéric Couchet : D’accord. Super. Cyrille, tu veux compléter sur cette partie ?
Cyrille Béraud : Jami c’est quand même juste les composants de base : c’est GnuTLS, c’est Ffmpeg, c’est PJSIP et d’innombrables sous-librairies qui sont gérées par la communauté. Donc c’est vraiment un projet qui est très large, qui utilise tous les composants libres principaux.
C’est aussi une équipe presque d’une dizaine développeurs actuellement, une dizaine de personnes qui travaillent soit sur la commercialisation soit sur le développement, essentiellement Savoir-faire Linux. On a beaucoup de contributions. On a deux/trois contributeurs externes qui sont significatifs. C’est beaucoup de relations avec l’équipe de Ffmpeg, avec l’équipe notamment de PJSIP avec qui on a créé des liens très étroits. Donc on peut dire que c’est vraiment un projet libre au sens pur du terme.
J’aimerais compléter quand même, alors là c’est presque de la philosophie du Libre. Le modèle économique d’un logiciel libre doit marcher. Celui qu’on a repris c’est celui de RedHat. Donc Jami sera toujours distribué sous licence GPLv3+ pour être précis, mais on va offrir des services à des organisations qui veulent l’utiliser, qui veulent avoir du support sur les composants logiciels qu’on fournit.
Frédéric Couchet : On va préciser que la GPLv3 c’est la General Public license, d’ailleurs du projet GNU qui garantit que c’est un logiciel libre et que les versions modifiées vont rester libres.
Pour les logiciels que tu as cités on mettra les références sur le site de Cause Commune, causecommune.fm dans la page consacrée à l’émission et sur le site de l’April, parce que tu as cité plusieurs de logiciels dont Ffmpeg qui est un outil qu’on utilise beaucoup pour le traitement audio et vidéo.
Il nous reste vraiment quelques minutes. Je vais déjà rappeler aux personnes qui écoutent l’émission que si elles veulent tester Jami le site web c’est jami.net, jami c’est j, a, m, i, c’est disponible sur toutes les plateformes à priori, MacOS, Windows, systèmes GNU/Linux, Android et je crois qu’il y a aussi iOS. N’hésitez pas à le tester.
Cyrille Béraud : Android TV également, on est sur une petite niche. Ceux qui ont une console Android TV Nvidia qui supporte des caméras, c’est probablement la seule solution qui permet de faire de la vidéo de salon, familiale.
Frédéric Couchet : D’accord. Il nous reste deux/trois minutes maximum. Première question rapide : est-ce qu’avec le confinement vous avez noté une montée en puissance de l’intérêt pour Jami ?
Christophe Villemer : Depuis le mois de mars, c’est certain. On a vécu sur mars et avril une augmentation de quasiment dix fois les téléchargements que nous avons sur jami.net. On a vraiment suivi la courbe de confinement des pays. Il y a eu l’Italie, l’Allemagne, la France, les États-Unis. Donc oui, sur mars et avril on est quasiment à plus 500/600 % de téléchargements. Je dirais que les zones principales de téléchargement et aujourd’hui d’utilisation de Jami sont la France, les États-Unis, l’Allemagne, la Russie notamment et l’Iran.
Frédéric Couchet : D’accord. En une minute, Cyrille ou Christophe, quelles sont les évolutions à venir pour Jami dans les mois ou les années à venir ?
Cyrille Béraud : L’entreprise Savoir-faire Linux va investir beaucoup, est en train d’investir beaucoup et accélérer le développement de Jami. Je dirais que les premiers retours du marché sont extrêmement favorables. La crise actuelle a aussi accéléré toute une série de collaborations. Je peux vous annoncer qu’on vient de recevoir un soutien du Conseil national de recherches du Canada qui va nous permettre de financer pas mal de gros composants essentiels pour Jami. Donc ça va être un financement qui va probablement propulser l’entreprise dans les années à venir.
Frédéric Couchet : D’accord. Christophe.
Christophe Villemer : Le groupe chat, en fait, c'est un des composants importants qui manque aujourd’hui, qui est en forte demande pour les usages. Pourquoi aujourd’hui il n’est pas prêt, c’est qu’un groupe chat décentralisé et vraiment sécurisé…
Frédéric Couchet : Explique en français ce qu’est un groupe chat s’il te plaît.
Cyrille Béraud : Oui, un salon de discussion.
Frédéric Couchet : Merci.
Cyrille Béraud : C’est un des gros enjeux — comme je sais que c’est la fin de l’émission, je me précipite. Le groupe chat, effectivement, la collaboration : faire de Jami qui était initialement pensé comme un système pair à pair, où on peut développer tous les composants distribués pour le travail collaboratif, donc on va améliorer les performances des conférences. On devrait être capables d’arriver à 12, peut-être 24 participants à des conférences, à un système de groupe chat, de conversation de groupe efficace, probablement au mois de septembre.
Là aussi, j’aimerais envoyer un petit message à la communauté : on recherche de l’expertise. Si vous êtes des développeurs pointus C++, C, n’hésitez pas à nous contacter, on cherche de l’aide, on cherche à augmenter notre équipe.
Frédéric Couchet : Merci Cyrille. En 15 secondes, est-ce que tu voulais ajouter quelque chose, Christophe ?
Christophe Villemer : Non. C’est bon. On vous remercie et on souhaite une bonne fin de confinement à tous.
Frédéric Couchet : Je vous remercie. On aura l’occasion de vous recevoir à nouveau très bientôt dans l‘émission.
C’était Cyrille Béraud, président de Savoir-faire Linux, Christophe Villemer, vice-président de Savoir-faire Linux. Savoir-faire Linux c’est savoirfairelinux tout attaché point com [savoirfairelinux.com]. On parlait de Jami, logiciel libre de téléphonie, de messagerie instantanée, partage d’écran. C’est donc jami.net, j, a, m, i point net et vous retrouverez toutes les références sur causecommune.fm et sur april.org.
Je repasse la parole à mon camarade Étienne Gonnu.
Étienne Gonnu : Merci Fred.
On te retrouve demain, je crois, pour une émission spéciale, La playlist de Libre à vous !, à 13 heures.
Frédéric Couchet : Tout à fait, 13 heures, avec Valentin et Baptiste, on diffusera des musiques libres commentées par Valentin et Baptiste, donc à 13 heures.
Étienne Gonnu : Bonne fin de journée. Merci pour cet échange.
[Virgule musicale]
Je vous propose une petite une pause musicale. Nous allons écouter Bières et potes par Les gueules noires. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Bières et potes par Les gueules noires.
Voix off : Cause Commune, cause-commune.fm, 93.1.
Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Bières et potes par Les gueules noires, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution. Vous retrouverez les références sur le site april.org.
Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur causecommune.fm. Je suis Étienne Gonnu en charge des affaires publiques pour l’April.
Nous allons passer au dernier sujet.
[Virgule musicale]
Entretien avec François Poulain, trésorier de l'April et artisan du logiciel libre chez Cliss XXI
Étienne Gonnu : Nous allons prendre des nouvelles de François Poulain, trésorier de l’April et artisan du logiciel libre chez CLISS XXI.
Comment ça va François ?
François Poulain : Eh bien Étienne, ça va bien. Et toi ?
Étienne Gonnu : Très bien. En plus on prend des nouvelles des amis dans l’émission, donc ça donne la pêche, c’est cool.
Pour les personnes qui n’auraient pas le plaisir de te connaître est-ce que tu pourrais te présenter rapidement, notamment sous tes plusieurs et nombreuses casquettes apriliennes ?
François Poulain : En fait, je vis dans le Nord, dans le Pas-de-Calais, un endroit, on en reparlera, qui est rural, rural au sens où il n’y a pas de ville de plus de 10 000 habitants à moins de 50 minutes de chez moi. Donc c’est rural.
Je travaille chez CLISS XXI qui est une coopérative qui est basée historiquement à Liévin mais qui s’est développée un petit aussi sur Lille ces dernières années, on a deux lieux. Je travaille là-bas, on fait du logiciel libre, et je suis aussi engagé à l’April depuis assez longtemps, membre depuis 2005 et engagé depuis plus de dix ans. Avec le temps je suis devenu trésorier, je n’ai pas encore réussi à refiler mon mandat, donc je suis encore trésorier !
Ces dernières années je participe pas mal à l’April au niveau de l’admin-sys, faire un petit peu les tâches de l’ombre, veiller à ce que les serveurs fonctionnent bien.
Étienne Gonnu : D’un point de vue salarié, beaucoup de remerciements.
François Poulain : On dit souvent que c'est une tâche ingrate parce qu’on ne s’en aperçoit que quand ça tombe en panne !
Étienne Gonnu : Je parlais pour mes collègues ; on vous envoie plein de cœurs, que ce soit à toi, à Quentin, à Christian. Merci beaucoup pour cet engagement et ce travail bénévole.
Tu utilises un terme, tu te présentes comme artisan du logiciel libre. Je trouve l’expression très jolie. Est-ce que tu pourrais nous dire pourquoi justement tu es attaché à cette expression ? Pour toi c’est quoi un artisan du logiciel libre ? Qu’est-ce qui fait de toi un artisan ?
François Poulain : C’est une bonne question. On fait du logiciel libre, mais on n’a pas une politique de l’offre : on n’a pas un produit qu’on peaufine bien et qu’on essaye de refiler, le même à tout le monde.
Quand on va voir un usager et qu’on réfléchit à des solutions avec lui, la première chose qu’on écoute c’est son besoin. En fait, on part du principe que c’est à nous de s’adapter à son besoin et pas l’inverse. Ça c’est le principe théorique, ça ne veut pas dire qu’on ne déploie pas des produits parce que, des fois, il y a des besoins qui sont similaires d’une organisation à une autre et on va pouvoir les reproduire. Et très souvent la mutualisation a du bon, ça permet de limiter les coûts et c’est aussi le sens du logiciel libre, c’est partager, mutualiser, s’enrichir mutuellement, donc partager les besoins ça a un intérêt. On essaye de ne pas oublier ça.
Il y a beaucoup de gens dans le monde de l’informatique, y compris dans le monde du logiciel libre qui ont une spécificité qu’ils affûtent et ils essayent de trouver, comment dire, des gens qui sont intéressés par leur savoir-faire, ce qui est une très bonne approche, je n’ai aucun problème avec ça. Nous on essaye plutôt, en fait, d’aller voir les organisations, donc des associations, des mairies, des entreprises, etc., et notre préoccupation c’est qu’elles aillent vers le Libre. Pour qu’elles aillent vers le Libre, on se préoccupe avant tout de leurs besoins. C’est ça le côté artisanal de notre démarche.
Étienne Gonnu : Ça me paraît très clair. Peut-être que tu télétravaillais déjà à la base, mais j’imagine que, de fait, vous devez télétravailler encore plus. Comment, au sein de votre structure CLISS XXI, vous ressentez cette période ? Quelles pratiques et quel modèle d'organisation mettez-vous en place ?
François Poulain : J’ai présenté CLISS XXI comme une coopérative. En fait, on est un petit plus que ça, nous on est autogérés, ça veut dire que chez nous il n’y a pas un gérant qui prend les décisions. On a un gérant élu mais qui a vraiment un mandat de représentation auprès de l’administration. Les décisions se prennent en collectif. Habituellement on se réunit mettons deux fois par mois à peu près et on discute des orientations à venir soit sur le plan technique soit sur le plan des engagements qu’on peut prendre à droite à gauche, des évènements qu’on a envie d’organiser, des sujets qui nous traversent.
Là-dessus le confinement pèse un peu, enfin pèse franchement. C’est-à-dire que sur l’activité informatique, dans le monde de l’informatique, comme disaient les collègues avant, on est plutôt bien outillés, surtout dans le monde de l’informatique libre, on est plutôt bien outillés pour travailler à distance, ce qui ne veut pas dire qu’humainement ce n’est pas pesant.
Par contre pour nous, une difficulté quand même, c’est qu’on sent que la capacité à échanger de visu, à dessiner au tableau ou à débattre ensemble, est franchement amputée. On met en place, comme tout le monde, des solutions d’audioconférence, de visioconférence ou autre, mais ça ne remplace pas, quand même, la réunion en présentiel.
Étienne Gonnu : C’est sûr. C’est intéressant aussi que ça vienne justement d’une structure qui travaille dans l’informatique. Je trouve que ça fait le lien avec ce qui a été dit plusieurs fois dans l’émission sur l’importance de l’humain qui reste, même dans ces métiers, un des facteurs principaux.
Du coup, ta pratique du télétravail ? j’imagine que tu télétravaillais déjà de base, est-ce que tu as des conseils à donner en termes de télétravail ? Est-ce que ça t’a permis de trouver d’autres outils, d’autres manières de travailler ?
François Poulain : Oui. On a une pratique occasionnelle chez nous mais régulière du télétravail. Occasionnelle au sens où ce n’est pas tellement possible dans notre organisation de ne pas se voir pendant deux mois. Là on y est contraints donc on s’adapte, mais habituellement ce n’est pas quelque chose qu’on souhaite. Habituellement on souhaite plutôt se voir régulièrement, se voir plusieurs fois dans la semaine s’il faut.
Au niveau télétravail, ce que je recommande un peu c’est d’avoir des bonnes conditions de travail. Il ne faut pas négliger sa posture au travail, avoir un bon ordinateur, un bon écran, prendre le temps de régler sa chaise, avoir une table à hauteur, etc. Je dis ça tout en mesurant le fait qu’on n’est pas toujours bien outillé. Par exemple, moi je vis dans une petite yourte à la campagne, je n’ai pas tout ça chez moi. Je n’ai pas une chaise de bureau, je n’ai pas un bureau à hauteur ergonomique, etc. Donc on bidouille. J’ai adapté ma chaise en paille classique avec un bidon pour régler la hauteur ; je fais des choses comme ça !
Étienne Gonnu : J’ai une chaise en osier avec un gros coussin qui me met à peu près à bonne hauteur. Donc on bidouille, je pense que c’est le terme.
François Poulain : C’est important, il ne faut négliger ça. Même si ça peut sembler de la bidouille, ça joue énormément en termes de confort, parce que passer plusieurs semaines, huit par jour voire plus, assis dans une mauvaise posture, ça peut être mauvais pour le dos, ça peut être mauvais pour les cervicales, ça peut être mauvais pour le canal carpien, les poignets, ce sont les fameux troubles musculo-squelettiques dont on entend parler de temps en temps ; quand ce genre de chose nous affecte ça provoque des douleurs assez lourdes et ça peut empêcher de dormir.
Étienne Gonnu : Et puis ça joue sur le moral. On voit bien que le moral est quand même particulièrement important aussi dans cette période.
Tu nous parlais de tes conditions de confinement, je crois que tu les décris comme étant un confinement de luxe, effectivement tu peux profiter de l’extérieur. Qu’est-ce que tu fais pour garder la pêche ? Est-ce que tu as des recommandations, que ce soit de lecture, de quoi que ce soit d’ailleurs ?
François Poulain : J’ai la chance d’avoir un potager. En ce moment c’est la période des semis. En fait, je fais un petit peu une promenade plusieurs fois par jour et je vais voir méticuleusement où en sont les semis. Voilà, ça occupe ! Sinon, comme tout le monde, on consacre pas mal de temps à lire des livres, à écouter des podcasts. Par exemple deux podcasts qu’on écoute beaucoup en ce moment avec ma compagne c’est Jean-Claude Ameisen, Sur les épaules de Darwin sur France Inter, qui sait faire des jolies histoires historiques, scientifiques, techniques, philosophiques, avec une grande ouverture d’esprit, c’est très beau.
Étienne Gonnu : On mettra les liens sur le site de l’April.
François Poulain : Oui. Un autre podcast qu’on a écouté il n’y a pas longtemps, qui était sympa, c’est un cours de cosmologie de Aurélien Barrau, qu’on trouve sur des plateformes vidéo en ligne. Voilà un exemple de choses qu’on écoute.
Étienne Gonnu : Super. Je vois malheureusement que le temps file. Si tu as une dernière chose que tu souhaiterais préciser ?
François Poulain : En ce moment ma compagne lit L’Homme neuronal de Jean-Pierre Changeux, mais moi je n’ai pas le temps de lire. Je fais de l’ordinateur à la place !
Étienne Gonnu : Oui, on sait que tu es très investi, comme d’autres, dans ton travail mais aussi pour l’April. Ce n’est pas forcément du temps chômé pour tout le monde.
Franchement, François, un grand merci. Fred veut des photos de ton organisation, de ton bidon et de ta chaise. Je crois qu’il te relancera sûrement sur le sujet.
Un grand merci François pour cet échange.
François Poulain : Merci à vous. Super émission.
Étienne Gonnu : Bonne journée. Merci.
[Virgule musicale]
Annonces
Étienne Gonnu : Nous approchons de la fin de l’émission. Comme à mon habitude on va faire ça un peu sur le fil. Je vous propose quand même quelques annonces avant qu’on se quitte.
On mentionnait avec Frédéric l’émission spéciale qu’il anime, ce sera la troisième, La playlist de Libre à vous !, une compilation de musiques libres qui ont déjà été diffusées dans l’émission, commentées par Valentin qui anime deux émissions musicales sur Cause Commune. Donc ce sera en direct demain, mercredi 29 avril de 13 heures et 14 heures, et bien sûr disponible ensuite en podcast.
Autre annonce : pour travailler à distance, des agents du ministère de l’Éducation nationale ont mis à disposition des services basés sur des logiciels libres, utilisables par les académies ; ça comprend PeerTube un service de vidéo, Nextcloud, des Etherpad, des forums, des blogs, des portails d’applications personnalisables. On vous mettra le lien vers le site qui recense tout ça avec des tutoriels, avec des vidéos qui sont disponibles.
Nous avions aussi parlé du LibrePlanet qui est un évènement libriste très important organisé par la Fondation pour le logiciel libre, la FSF, Free Software Foundation, un évènement annuel organisé à Boston. L’édition 2020, vu le contexte, a été organisée entièrement à distance ce qui, en soi, est une très belle prouesse ; les vidéos sont désormais en ligne, on mettra bien sûr le lien sur april.org.
Notre émission se termine. Je remercie les personnes qui ont participé : Véronique Bonnet, Julien Négros, Frédéric Couchet, Cyrille Béraud, Christophe Villemer et François Poulain.
Aux manettes de la régie aujourd’hui William.
Merci également à Sylvain Kuntzmann, bénévole à l’April, à Olivier Grieco, le directeur d’antenne, qui s’occupent de la post-production des podcasts.
Merci également à Quentin Gibeaux, bénévole à l’April, qui découpe le podcast complet en podcasts individuels par sujet.
Vous retrouverez sur notre site web, april.org, toutes les références utiles, comme j’ai pu le mentionner, ainsi que sur causecommune.fm. N’hésitez pas à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu mais aussi des points d’amélioration. Toutes vos remarques et questions sont les bienvenues à l’adresse libreavous@april.org.
Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission. Si vous avez aimé cette émission n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous et également à faire connaître la radio Cause Commune, la voix des possibles.
La prochaine émission aura lieu en direct le 5 mai 2020 à 15 heures 30, toujours en confinement et toujours sur Mumble. Nous continuerons sans doute à prendre des nouvelles des amis de l’April et des personnes qui ont contribué et qui contribuent à nos actions.
Nous vous souhaitons de passer une très belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 5 mai et d’ici là prenez soin les uns et les unes des autres
Générique de fin d'émission : Wesh Tone par Realaze.