Libre à vous ! Radio Cause Commune - Transcription de l'émission du 25 février 2020
Titre : Émission Libre à vous ! diffusée mardi 25 février 2020 sur radio Cause Commune
Intervenant·e·s : Marie-Odile Morandi - Maryline Gomes - Jérôme Petazzoni - Vincent Calame - Frédéric Couchet - Isabella Vanni à la régie
Lieu : Radio Cause Commune
Date : 25 février 2020
Durée : 1 h 30 min
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Page des références utiles concernant cette émission
Licence de la transcription : Verbatim
Illustration : Bannière de l'émission Libre à vous ! de Antoine Bardelli, disponible selon les termes de, au moins, une des licences suivantes : licence CC BY-SA 2.0 FR ou supérieure ; licence Art Libre 1.3 ou supérieure et General Free Documentation License V1.3 ou supérieure. Logo de la radio Cause Commune utilisé avec l'accord de Olivier Grieco.
NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.
- Chronique « Les transcriptions qui redonnent le goût de la lecture » de Marie-Odile Morandi sur le thème du logiciel libre au collège
- La question du burn-out avec Jérôme Petazzoni, informaticien qui a fait une conférence sur sa propre expérience du burn-out et Maryline Gomes, autrice de Sortir du burn-out et animatrice de l'émission Travail à cœur sur Cause Commune
- Chronique « Jouons collectif » de Vincent Calame qui portera sur « l’énigme de la dernière version » lorsque l'on travaille à plusieurs sur un document commun
- Annonces
Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.
Le burn-out dans le domaine professionnel c’est le sujet principal de l’émission du jour ; également au programme le logiciel libre au collège avec Marie-Odile Morandi et la chronique de Vincent Calame qui nous parlera de l’énigme de la dernière version.
Nous allons parler de tout ça dans l’émission du jour.
Vous êtes sur la radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 FM en Île-de-France et partout dans le monde sur causecommune.fm.
Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre. Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.
Le site web de l’association c’est april.org. Vous y trouvez d’ores et déjà trouver une page avec les références consacrées à l’émission et nous la mettrons à jour en fonction des échanges de l’émission du jour.
N’hésitez pas également à nous faire des retours, il y a des adresses pour nous contacter.
Nous sommes mardi 25 février 2020, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.
Si vous souhaitez réagir, poser une question pendant le direct, n’hésitez pas à vous connecter sur le salon web de la radio. Pour cela rendez-vous sur le site causecommune.fm, cliquez sur « chat » et retrouvez-nous sur le salon dédié à l’émission.
Nous vous souhaitons de passer une excellente émission.
On va passer au programme détaillé de l’émission.
Nous allons commencer dans quelques secondes par la chronique de Marie-Odile Morandi, « Les transcriptions qui redonnent le goût de la lecture ». Marie-Odile va nous parler de logiciel libre au collège.
D’ici une dizaine minutes nous aborderons notre sujet principal qui portera sur le burn-out principalement dans le domaine professionnel avec deux invités, Maryline Gomes et Jérôme Petazzoni.
En fin d’émission, nous aurons la chronique « Jouons collectif » de Vincent Calame qui nous parlera aujourd’hui de « l’énigme de la dernière version ».
À la réalisation de l’émission aujourd’hui ma collègue Isabella Vanni. Bonjour Isabella.
Isabella Vanni : Bonjour.
Frédéric Couchet : Nous allons commencer tout de suite par le premier sujet.
[Virgule musicale]
Chronique « Les transcriptions qui redonnent le goût de la lecture » de Marie-Odile Morandi sur le thème du logiciel libre au collège
Frédéric Couchet : Nous allons commencer par la chronique de Marie-Odile Morandi « Les Transcriptions qui redonnent le goût de la lecture ». Marie-Odile va nous parler aujourd’hui de logiciel libre au collège. Bonjour Marie-Odile.
Marie-Odile Morandi : Bonjour.
Frédéric Couchet : On t’écoute.
Marie-Odile Morandi : Ce mois-ci ce qui m’amène vers nos auditeurs et auditrices pour la chronique « Les transcriptions qui redonnent le goût de la lecture » c’est un coup de cœur, certes facile venant de ma part. Il s’agit du sujet long de l’émission du mardi 4 février, donc émission récente. Trois enseignants de Technologie-Collège ont fait part de leur retour d’expérience sur le thème « technologie et logiciel libre » en compagnie de Frédéric Couchet. À travers ces trois exemples, tous les enseignants de Technologie-Collège ont pu se reconnaître et je me suis tout à fait reconnue. Ce qui m’a particulièrement plu dans leurs interventions, donc dans l’exécution de la transcription, c’est qu’il me semble que leurs propos sont éminemment politiques dans les explications données à la réponse à la question : pourquoi est-ce important d’avoir recours au logiciel libre ?
Un des objectifs de l’enseignement de la technologie au collège, discipline d’enseignement général, vise l’appropriation par chaque élève « d’une culture qui fera d’eux des personnes éclairées et responsables de l’usage des technologies ».
Les trois enseignants ont utilisé au début de leur carrière des logiciels privateurs et énoncent les raisons pour lesquelles ils les ont peu à peu abandonnés. Ces raisons sont sans appel avec des expressions telles que « les entreprises qui sont dans le marché du numérique font en sorte que les gens soient ignorants », « on met en avant les intérêts économiques d’un certain nombre d’entreprises au détriment de toute la population », « dans l’aspect privatif il y a une capacité à rendre commercial quelque chose qui ne l’est pas », ainsi que les mots, certes prononcés du bout des lèvres, « racket, malhonnêteté, séquestration, prison ».
On prend donc bien conscience qu’utiliser du logiciel privateur éloigne de l’objectif affiché « faire des collégiens des citoyens éclairés. »
Les avantages, les forces du logiciel libre sont énumérées et la principale est celle qui fait référence à la notion d’égalité, enjeu citoyen important. Les exemples de logiciels utilisés pour honorer cette égalité citoyenne sont, entre autres, la suite bureautique LibreOffice ainsi que le logiciel Sweet Home 3D. La même version du logiciel pourra être installée au collège, à la maison et pourquoi pas sur une clef USB si une version portable existe. Ainsi l’élève pourra, sans aucune contrainte, poursuivre à la maison un travail commencé en classe, approfondir, se perfectionner s’il le souhaite. Il pourra montrer à ses parents ce qu’il sait faire, parents qui ensuite utiliseront à leur tour ce même logiciel libre.
Un autre élément très important concerne la neutralité qui doit régner dans nos établissements. Il a toujours été évident qu’aucune publicité, pour aucun produit que ce soit, ne devrait être faite au sein de l’Éducation nationale. Alors pourquoi dans nos établissements la plupart des postes mis à disposition, certes ailleurs que dans les ateliers de technologie, sont sous Windows en général ? Peut-on en vouloir aux enseignants pour qui il est normal d’utiliser des logiciels propriétaires de chez Microsoft, puisque, de l’aveu même de jeunes collègues, ils n’y comprennent rien !
Dans la discussion, une large part est donnée aux formats ouverts et là encore revient la question d’égalité : quel que soit l’outil qu’il utilise à la maison quiconque doit être capable d’utiliser les documents fournis. C’est cette motivation que l’un des intervenants utilise pour montrer à ses collègues des autres disciplines les avantages du logiciel libre, c’est-à-dire l’interopérabilité avec pérennité des documents réalisés par chacun.
Les exemples donnés sont parlants et m’ont rappelé bien des souvenirs de l’époque où hélas ! mon utilisation de logiciels privateurs était quasi quotidienne avec les soucis qui ont suivi : avec la version possédée impossible d’ouvrir des documents réalisés avec la nouvelle version sans racheter le logiciel ; disparition de certains logiciels et les documents qui en dépendaient devenus inutilisables ! La pérennité des documents est effectivement un argument efficace qui vient renforcer l’exemple que donne le professeur de technologie par son attitude rigoureuse dans son utilisation des logiciels libres.
Se pose alors la question de la position de la hiérarchie qui devrait donner l’impulsion nécessaire à l’utilisation des logiciels libres.
Le constat est navrant : il n’y a aucune réelle volonté politique. Peut-on en vouloir à cette hiérarchie et aux premiers maillons, les chefs d’établissement, qui sont submergés de travail donc, par manque de temps, sont dans l’incapacité de changer leurs habitudes et contraints de poursuivre avec les logiciels propriétaires qu’ils utilisent. Quant aux décideurs dont dépendent les équipements – départements, conseils généraux – leur objectif est de faire en sorte que l’économie locale tourne bien et quoi de mieux, grâce aux deniers publics, que de recourir à des entreprises de service locales souvent peu disposées à se tourner vers le logiciel libre. Cet engrenage dû à l’économie libérale, nous dit un intervenant, est entretenu pour faire tourner artificiellement une roue économique alors que d’autres solutions auraient pu être envisagées comme embaucher des informaticiens.
Peut-on en vouloir aux décideurs de l’Éducation nationale qui ignorent ou feignent d’ignorer que derrière les ENT, ces fameux Espaces numériques de travail, derrière les serveurs académiques de mail et derrière tout Internet il n’y a que du logiciel libre !
Certes sont rappelés les encouragements présents dans la circulaire Ayrault de 2012, les recommandations du Conseil national du numérique, mais les intervenants affirment qu’il n’y a guère eu d’effet réel ni dans l’Éducation nationale ni dans la fonction publique en général. On est encore bien loin de la priorité à donner au logiciel libre, thème cher à l’April. Les avancées sont timides et se résument à une petite ligne glissée dans un bout du programme de technologie ou dans celui de la nouvelle discipline enseignée au lycée en classe de seconde, SNT, Sciences numériques et technologie, ce qui permet au professeur d’expliquer aux lycéens ce qu’est un code source, qu’on peut se l’approprier, contribuer, le modifier, et aussi de développer ce qu’est la culture du Libre.
Cependant tout n’est pas si triste, particulièrement en technologie. Les enseignants présents dressent la liste des logiciels libres qu’ils utilisent avec leurs élèves. Sébastien Canet explique pourquoi il a développé le logiciel Blockly@arduino qui permet de piloter la carte électronique Arduino, un matériel libre recommandé dans les programmes pour se familiariser avec les automatismes et la robotique.
Louis-Maurice De Sousa expose son utilisation de YunoHost, projet d’auto-hébergement qui lui permet de mettre à disposition de ses élèves de nombreux services.
Bien entendu tous les trois, d’un seul cœur, indiquent qu’ils utilisent la suite bureautique LibreOffice et je me permets de rappeler l’existence de l’extension Grammalecte, correcteur typographique et grammatical, dont il a été question dans l’émission Libre à vous ! du 25 juin 2019 dans la partie consacrée à LibreOffice.
En conclusion, les trois enseignants s’accordent pour dire que sur cet enjeu majeur de société il ne faut rien attendre ni de l’État ni des collectivités ni des politiques, que c’est un travail au quotidien sur le terrain, au jour le jour. Essayer de faire réfléchir sur leurs usages du numérique autant ses collègues que les élèves, c’est la méthode employée par Laurent Joëts dans son collège.
Remarquant qu’il n’y a pas beaucoup d’argent derrière de nombreux logiciels libres qui sont utilisés en classe, un souhait est émis : que les libristes utilisent leurs forces pour mener ensemble cette bataille sociétale et culturelle. J’avais demandé à l’intendant de l’établissement dans lequel j’exerçais d’envisager de faire un don aux communautés qui maintiennent ces logiciels, ce à quoi il m’avait répondu qu’il n’avait pas de ligne de budget correspondante. Que dire !
Ces trois intervenants, comme l’a dit Frédéric Couchet, étaient passionnants, et on se rend compte que ce qui se passe dans les classes de technologie est très encourageant : les logiciels libres y sont largement utilisés.
Je tiens enfin à remercier Pagestec, association des enseignants de technologie au collège, qui a mis sur son site le lien vers cette émission et vers sa transcription.
J’encourage à écouter ou réécouter l’émission du 4 février 2020, à lire ou relire la transcription, car c’est réellement d’un sujet politique dont il est question, technologie en collège et logiciel libre, et, de près ou de loin, c’est un sujet qui nous concerne toutes et tous.
Frédéric Couchet : Merci Marie-Odile. Je vais répéter les références que tu as déjà citées : l’émission « logiciel libre et technologie » c’est l’émission 55 du 4 février 2020. Le podcast et la transcription c’est sur april.org ou sur causecommune.fm. L’émission dans laquelle on a parlé de LibreOffice et de Grammalecte c’est l’émission 31 du 25 juin 2019. Vous retrouvez encore une fois podcast et transcription sur april.org et causecommune.fm.
Marie-Odile, je te remercie. Je te souhaite de passer une belle fin de journée et au mois prochain.
Marie-Odile Morandi : Entendu. Bonne journée à vous. Bonne fin d’émission. Au revoir.
Frédéric Couchet : Au revoir Marie-Odile.
[Virgule musicale]
Frédéric Couchet : Nous allons écouter Under the sky of Jah par Rico da Halvarez. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause commune, la voix des possibles.
Voix off : Cause Commune 93.1.
Pause musicale : Under the sky of Jah par Rico da Halvarez.
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Under the sky of Jah par Rico da Halvarez, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions. Vous retrouverez les références sur le site de l’April, april.org, et sur le site de Cause Commune, causecommune.fm.
Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm. Nous allons passer au sujet suivant.
[Virgule musicale]
La question du burn-out avec Jérôme Petazzoni, informaticien qui a fait une conférence sur sa propre expérience du burn-out et Maryline Gomes, autrice de Sortir du burn-out et animatrice de l'émission Travail à cœur sur Cause Commune
Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui va porter sur le burn-out principalement dans le domaine professionnel avec deux invités, Maryline Gomes et Jérôme Petazzoni. L’émission a été exceptionnellement pré-enregistrée le 12 février 2020. Je vous laisse écouter l'enregistrement et on se retrouve après le sujet long.
[Virgule sonore]
Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui va porter sur le burn-out avec nos invités, Jérôme Petazzoni, informaticien. Bonjour Jérôme.
Jérôme Petazzoni : Bonjour.
Frédéric Couchet : Maryline Gomes, écrivain, consultante et coach auprès d’entreprises et de particuliers sur le bien-être professionnel. Bonjour Maryline.
Maryline Gomes : Bonjour Frédéric.
Frédéric Couchet : On a, en plus, le plaisir que Maryline fasse une émission sur la radio Cause Commune qui s’appelle Travail à cœur, on en parlera sans doute au cours de l’émission.
Il a quelques semaines, un ami me transmet un lien vers une vidéo de 2019, une vidéo d’une vingtaine de minutes, intitulée Le refactoring le plus difficile de ma carrière. Déjà, je me demande pourquoi cette personne m’envoie cette vidéo qui a l‘air très technique dans laquelle, en fait, Jérôme Petazzoni, développeur, informaticien, parle non pas de technique, mais de dépression et de burn-out et cet ami m’écrit : « C’est un témoignage rare et instructif ». D’où l’idée de l’émission du jour consacrée au burn-out, avant tout dans le monde professionnel mais, au fond, dans toute organisation au sens large.
Comme première question, j’aurais un petit peu envie de vous demander comment vous vous sentez aujourd’hui, quelle est votre météo intérieure et, si vous étiez par exemple un ciel, de quelle couleur seriez-vous aujourd’hui ? Maryline Gomes.
Maryline Gomes : Grand ciel bleu ensoleillé.
Frédéric Couchet : Très bien. Jérôme Petazzoni ?
Jérôme Petazzoni : J’aurais dit un ciel bleu très azur. Je ne sais pas si c’est ensoleillé, mais je pense au ciel bleu un peu d'hiver où il n’y a pas de nuages, il ne fait pas forcément chaud, mais c’est très bleu et très dégagé.
Frédéric Couchet : Parfait ! Première question, on croit sans doute savoir ce qu’est le burn-out, en tout cas on a sans doute tous une définition ou des mots clés associés au burn-out, mais il me paraît intéressant de vous poser comme première question : votre propre définition ou votre propre vision de ce qu’est le burn-out ? Maryline Gomes.
Maryline Gomes : Dans mon livre, j’ai écrit que le burn-out c’est le point culminant d’un enchaînement de causes intérieures révélé par une cause extérieure, à savoir le travail dans ce cas. C’est après une longue réflexion que ça m’est venu parce que je l’ai vu quand même comme un vrai changement, un vrai point de non-retour où il y a un nouveau monde des possibles qui s’ouvre à nous mais encore faut-il faire une démarche de connaissance de soi à travers un cheminement personnel en fait.
Frédéric Couchet : D’accord. On va préciser que le livre c’est Comment sortir du burn-out, aux éditions Dervy, sorti en 2019.
Maryline Gomes : Exactement.
Frédéric Couchet : Dans ton livre tu parles d’ailleurs, au tout début, de big-bang, une sorte de big-bang intérieur qui ouvre de nouvelles perspectives, un nouvel espace temps et un retour sur soi quelque part.
Maryline Gomes : Exactement. En tout cas moi c’est comme ça que je l’ai ressenti, comme un point qui me permettait d’aller ailleurs, mais il fallait fermer beaucoup de portes derrière moi pour pouvoir envisager de nouvelles perspectives.
Frédéric Couchet : D’accord. On va revenir là-dessus.
Jérôme Petazzoni quelle est ta définition, ta présentation du burn-out ?
Jérôme Petazzoni : Je dirais qu’il y a une définition avant et après, avant l’avoir vécu et après. Avant, c’était quelque chose d’un petit peu vague en se disant c’est quand on travaille trop et qu’on s’épuise. Et puis, quand ça m’est arrivé, je me suis rendu compte que c’était assez différent. Déjà, pour moi, c’est d’abord passé par une dépression avant que je me rende compte que, finalement, c’était peut-être bien un burn-out. Ça a été une espèce de motivation, les difficultés associées à la dépression et, au bout d’un moment, je me suis rendu compte que c’était peut-être bien un burn-out et j’ai affiné un peu mes recherches sur le sujet, parce que j’avais fait beaucoup de recherches sur la dépression, j’avais regardé beaucoup de vidéos, j’avais lu des articles des fois presque médicaux, des fois plus des blogs posts. Quand, un petit peu par hasard, j’ai fait une sorte de test pour évaluer le burn-out et que ça m’a dit que j’étais dans le rouge, je me suis dit « tiens, on va réorienter un peu les projecteurs » et je me suis rendu compte que ce n’était pas forcément que l’épuisement professionnel. Et pour moi, mon burn-out personnel, ça a été de se rendre compte qu’il fallait que je change de travail de manière assez large, c’est-à-dire changer de société, changer un petit peu la nature de mon activité et aussi se réinventer.
J’ai eu moins l’impression d’un big-bang comme l’a décrit Maryline, mais, quelque part, j’ai l’impression d’être encore un petit peu dedans, pas dans le sens où je me sens encore en état de burn-out, mais dans le sens où je suis en train de faire une sorte de transformation dans ma vie et mon travail, qui n’est pas terminée, donc je ne suis pas encore capable d’avoir un recul dessus.
Frédéric Couchet : D’accord. On va revenir sur tout ça parce que ce qui est intéressant c’est justement cette vision du burn-out qui n’est pas uniquement que physique mais qui est une réinvention de soi-même. Tu as parlé des tests, ma deuxième question c’est un petit peu comment on peut déterminer qu’on est en burn-out ou pas et aussi quelle est la différence ? Toi, tu fais visiblement la différence entre dépression et burn-out, je ne sais pas, d’ailleurs, si Maryline fait une différence entre les deux ? D’ailleurs, Jérôme, est-ce que tu peux expliquer quelle différence tu fais entre dépression et burn-out ?
Jérôme Petazzoni : La différence que je fais entre les deux. Je vais déjà commencer en disant que je suis pas du tout spécialiste du domaine, j’ai vécu ça mais ce n’est que mon expérience personnelle, donc ce qui m’est arrivé ce n’est pas la définition canonique de la dépression et du burn-out. Moi, au début, j’ai commencé à avoir, comment dire, des moments où tout devient difficile à faire, on a des espèces de, je ne dirais pas des crises d’angoisse, mais des petits gestes de la vie quotidienne qui devraient être faciles et qui se retrouvent être extrêmement difficiles. Des fois, le matin, ça devient impossible de se lever, de faire quoi que ce soit même quand ce qu’on doit faire ce n’est pas forcément aller au boulot, ça peut être aller à la plage avec des amis, un truc super sympa sur le papier et, le moment venu, impossible de sortir du lit. Ou alors, à un moment donné, on se retrouve dans un magasin, une grande surface et on ne sait pas pourquoi, absolument on doit sortir. Je devais sortir parce que je ne me sentais pas bien à l’intérieur sans être capable d’expliquer pourquoi j’avais cette espèce de malaise.
Et tous ces petits symptômes deviennent de plus en plus forts et de plus en plus fréquents jusqu’à un moment où je me suis dit « là il y a vraiment quelque chose qui ne va pas ». Chez moi ça a d’abord été diagnostiqué en dépression, donc j’ai pris des anti-dépresseurs, j’ai changé un petit peu de rythme de vie mais ça n’a pas vraiment arrangé les choses dans mon cas. Finalement, par hasard, j’ai passé le Maslach Burnout Inventory de Christina Maslach qui est, je crois, une des spécialistes vraiment de renommée internationale sur le burn-out. Ce test m’a montré que tous mes indicateurs étaient au rouge et c’est là que je me suis dit « tiens, finalement, est-ce que ma dépression c’est un burn-out ? » Du coup, là s’est posée la question quelle est la différence entre les deux ?
L’impression que j’ai eue, encore une fois je répète que je ne suis pas…
Frédéric Couchet : C’est ton expérience !
Jérôme Petazzoni : L’impression que je me suis faite c’est qu’il y a beaucoup de points communs, il y a aussi des différences. Je ne suis pas vraiment capable de dire « voilà les différences entre les deux », mais j’ai beaucoup d’amis qui m’ont dit : « Finalement tu fais un burn-out, mais, en fait, le burn-out c’est la "dépression des riches" entre guillemets. C’est comme ça que les gens qui ne veulent pas parler de dépression vont parler de dépression ». Il y en a d’autres qui m’ont dit : « Non, ce sont quand même deux choses différentes même si, parfois, on peut diagnostiquer l’un pour l’autre, etc. »
De mon expérience, c’est qu’il y avait quand même des symptômes communs entre les deux et mon ressenti, très personnel, c’est que si je n’avais pas traité la cause profonde de mon burn-out, donc, en gros, le travail, j’aurais peut-être pu pendant un petit moment la dépression qui est apparue, aller un petit mieux et continuer à faire mon travail, mais je suis persuadé que tôt ou tard ça serait devenu plus grave, ça aurait empiré ; c’est un petit peu comme quand on a une grosse douleur quelque part et qu’on se gave d’anti-douleurs, ça peut marcher sur le coup mais si on ne fait que masquer les symptômes, au bout d’un moment, quand ça pète, c’est encore plus grave.
Frédéric Couchet : D’accord. Maryline dans ton livre, page 42 — d’ailleurs pour les geeks c’est une bonne page — il y a une liste de symptômes à la fois physiques et psychologiques. Comment peut-on diagnostiquer, finalement, ou s’auto-diagnostiquer ? D’ailleurs une question : est-ce qu’on peut s’auto-diagnostiquer un burn-out et quels sont les symptômes ? Jérôme a parlé d’un certain nombre de symptômes vraiment marquants qui font dire « là, je suis dans un syndrome de burn-out » ?
Maryline Gomes : Je pense que la chose peut-être la plus importante à voir c’est déjà s’il y a beaucoup de changements on va dire au niveau physique, l’humeur, est-ce que la fatigue est chronique ou pas ? Il y a tous les signes que je cite dans cette page-là, qui est quand même une longue liste. Je pense qu’ils permettent, on va dire, de se dire « est-ce que j’ai vraiment changé ces derniers mois ? », parce qu’un burn-out ne s’installe pas du jour au lendemain, c’est vraiment quelque chose qui s’installe dans la durée. Moi-même je ne l’ai pas vu venir et pourtant !
Frédéric Couchet : J’ai oublié de préciser qu'en fait ton livre est quelque part une conséquence, une suite de ton propre burn-out professionnel.
Maryline Gomes : Absolument. Je ne l’ai pas vu venir. C’est du jour au lendemain : mon médecin qui était très au courant puisqu’elle avait rencontré beaucoup de personnes [dans cette situation, Note de l'orateur], pour elle c’est une évidence quand je suis allée la voir. Et pourtant j’ai laissé traîner longtemps et je sentais qu’il y avait quelque chose chez moi qui avait changé, mais le travail, le quotidien, le trop de tout fait qu’on passe un peu à côté de soi-même finalement.
Frédéric Couchet : Ce qui est intéressant dans ta liste, en fait, c'est qu'il y a deux catégories : il y a les symptômes physiques – si j’en prends quelques-uns : fatigue chronique, maux de tête, problèmes cardiaques, palpitations, envie de vomir, nausées – et il y a une section syndromes psychologiques : sensation d’épuisement, irritabilité, colère, impression de perdre pied, la solitude dont tu parles dans ton livre, l’apathie dont tu parles un petit peu aussi. Finalement, j’ai l’impression qu'on peut ne pas avoir les symptômes physiques mais une partie des symptômes psychologiques, donc être en burn-out alors qu’on n’est pas encore épuisé physiquement. Est-ce que c’est le cas ? Maryline.
Maryline Gomes : En fait, ça va vraiment se manifester de manière différente de personne à personne, d’où la difficulté de poser un cadre par exemple médical, raison pour laquelle il n’a pas encore été reconnu au sein du DSM-IV.
Frédéric Couchet : C’est quoi le DSM-IV ?
Maryline Gomes : En fait ça répertorie un ensemble de maladies [Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux], donc il est difficile de poser un cadre parce que justement ça change : chaque personne va manifester des problèmes physiques ou psychologiques différents.
Frédéric Couchet : D’accord. Ce qui est intéressant c’est que ton docteur, ton médecin t’a diagnostiquée rapidement si j’ai bien compris.
Maryline Gomes : Oui.
Frédéric Couchet : Alors que pour toi, Jérôme, ça a pris, selon ta vidéo, un an et demi à peu près pour être diagnostiqué et pourtant, c’est une maladie comme une autre, en fait. Dans ce que tu dis et ce que vient dire Maryline, c’est un point essentiel. Vraiment, vous êtes très différents dans le diagnostic tous les deux.
Jérôme Petazzoni : C’est ça. Je pense que j’ai eu à la fois de la chance et pas de chance. Le côté pas de chance c’est que les premières fois où j’ai eu des petits symptômes qui n’étaient vraiment pas encore très graves à l’époque, je ne pensais pas du tout à une dépression ou à un burn-out, je me dis que c’est un petit coup de mou car ce sont des problèmes de concentration au départ. Quand je suis allé consulter, en fait je suis tombé sur un médecin généraliste qui ne m’a pas du tout compris. Ce qu’il faut savoir dans tout ça c’est que je vis aux États-Unis, je suis à San Francisco à ce moment-là, je vais voir un médecin avec qui on parle en anglais et j’ai l’impression de ne pas être compris du tout par ce médecin qui m’a dit : « Passez par la pharmacie, prenez une boîte d’antidépresseurs et revenez dans deux mois ». J’ai fait : « Quoi ! Il n’y a pas de suivi ? » Et puis vraiment le fait, par exemple, que certaines des phrases que j’avais dites avaient été mal comprises.
Frédéric Couchet : Ton métier par exemple. Il avait mal compris ton métier.
Jérôme Petazzoni : Voilà, par exemple j’avais dit : « Je suis software engineer », il m’a dit : « Non, tu es structural engineer », il avait compris que je construisais des ponts, alors que non.
Frédéric Couchet : Alors que tu es développeur logiciel.
Jérôme Petazzoni : Voilà. C’était avec mon accent franchouillard. C’est vrai que dès qu’on va parler d’un truc comme ça, si on n’est pas compris on ne se sent pas en confiance, donc je m’étais dit « non, là je ne commence pas les antidépresseurs ». Et puis ça a mis presque un an avant que les symptômes reviennent plus fréquents, plus forts comme j'ai dit tout à l’heure et que, finalement, je me dise « là ça ne va pas du tout, il faut que je fasse quelque chose et que j’accepte de commencer un traitement », mais toujours sans qu’on me propose un suivi à côté, ce qui ne me mettait pas forcément super à l’aise. J’ai changé plusieurs fois de médicaments et, quand ça a commencé à aller mieux, c’est beaucoup plus tard que vraiment par hasard quelqu’un qui faisait une étude justement sur l’expatriation, la santé mentale dans les technologies, etc., m’a fait passer ce fameux test.
Frédéric Couchet : Le test de Maslach. C’est ça ?
Jérôme Petazzoni : C’est ça, et c’est là que ça m’a amené à réfléchir. À partir de ce moment-là j’ai changé de démarche, c’est-à-dire qu’au lieu de me dire « il faut soigner ma dépression », je me suis dit « il va falloir traiter le burn-out ». À partir de moment-là j’ai essayé de réfléchir à quelles étaient les solutions. J’ai essayé de prendre un congé sabbatique et, pour résumer, ça n’a pas marché, donc j’ai pris la décision de partir de là où je travaillais. Ça c’était le côté pas de chance parce que je n’ai pas eu de chance au niveau des médecins sur lesquels je suis tombé. Ensuite le côté chance, je dirais, c’est que j’ai l’impression de ne pas être « tombé très bas » entre guillemets, parce que j’ai réussi à m’arrêter avant…
Frédéric Couchet : Avant que ce soit trop tard, en fait.
Jérôme Petazzoni : Voilà. Exactement. J’ai aussi pris la décision de parler assez publiquement de ce qui m’était arrivé en me disant je vais peut-être avoir, comment dire, un retour de bâton et ça va peut-être m’affecter un peu négativement, mais je pense que dans la communauté dans laquelle j’évolue, dans le milieu dans lequel j’évolue, j’espère avoir une assez bonne image pour ça ne me mette pas sur la liste noire ou un truc comme ça, donc je vais en parler. J’ai eu une quantité de messages de soutien en public ou en privé et, comme ça, quelques dizaines de personnes qui sont venues me parler en privé ou bien des gens que je connaissais un peu de loin ou des fois pas du tout qui m’ont raconté leur histoire pour me dire qu’elles aussi avaient vécu un truc comme ça. Je me suis rendu compte, déjà, que c’était beaucoup plus courant que ce que j’imaginais et, d’autre part, que j’avais eu beaucoup de chance parce que le nombre de gens qui m’ont dit qu’ils avaient dû carrément changer de métier, d’industrie, etc., des gens dont ce n’était pas du tout accepté par la famille, l’environnement, je me suis dit « j’ai quand même énormément de chance qu’autour de moi les gens acceptent ça et, même, me soutiennent ». En fait, pour l’instant à chaque fois que j’en parle, j’ai surtout reçu des messages d’encouragement, ça m’a beaucoup ému et je me suis dit « mon métier jusqu’à présent c’était d’aller dans des conférences pour parler d’outils techniques et de choses comme ça » ; ça continue d’être ce qui me fait vivre parce qu’aujourd’hui je fais des formations sur Docker et Kubernetes qui sont des outils assez techniques dans mon milieu.
Frédéric Couchet : Ce sont des outils logiciels libres assez techniques, on ne va pas rentrer dans le détail
Jérôme Petazzoni : Exactement. Par contre, quand j’en ai l’occasion, je viens parler de mon expérience, encore une fois en soulignant que ce n’est que mon expérience, qui est arrivée à moi, que ça n’a pas vocation d’universalité, pour dire que c’est un truc normal qui peut arriver à tout le monde.
Frédéric Couchet : D’accord. C’est intéressant et je vais rebondir justement avec Maryline parce que c’est ce que tu dis dans ta présentation : c’est quelque chose qui est très fréquent. Toi, Maryline, tu as écrit un livre qui s’appelle, on le répète, Comment sortir du burn-out. Par ailleurs, en termes professionnels, tu es consultante et coach et tu accompagnes des entreprises dans le bien-être professionnel. Tu voulais réagir sur autre chose d’abord ?
Maryline Gomes : Je voulais juste réagir par rapport à ce que vient de dire Jérôme. Moi, pour la petite histoire, on va dire coup de chance que le médecin était assez attentif à ce genre de cas puisqu’il en avait déjà eu pas mal. Mais moi, manque de bol, à l’inverse de Jérôme, je suis tombée très bas. C’est ce qui m’a aussi permis de pouvoir écrire sur le sujet.
Frédéric Couchet : Tu dis même dans ton livre que tu n’osais plus sortir, tu restais complètement…
Maryline Gomes : J’étais terrorisée.
Frédéric Couchet : Alors qu’à l’inverse Jérôme sortait beaucoup parce qu’il faisait beaucoup de conférences. C’est vrai qu’il a différents niveaux. Toi tu as eu la chance, finalement, de tomber sur un médecin qui avait déjà eu ce genre de cas. D’ailleurs, ça me fait penser à une question, Jérôme nous a fait le retour d’expérience aux les États-Unis, est-ce qu’en France les médecins sont formés, est-ce qu’ils sont habitués à faire passer les tests dont a parlé Jérôme ou d’autres tests pour identifier ce burn-out plutôt que simplement donner la première réponse qu’a eue Jérôme « prenez des pilules, quelle que soit la couleur et vous irez mieux » ? Comment sont formés les médecins en France ? Médecins généralistes et médecins du travail d’ailleurs.
Maryline Gomes : Je pense que les gens connaissent plutôt bien le sujet. Après, c’est vrai que ça va dépendre vraiment de leurs connaissances, est-ce qu’ils le font ou pas c’est tellement variable que c’est vrai que je n’ai pas de réponse précise à ça.
Frédéric Couchet : D’accord. On a parlé des symptômes et là je renvoie sur les tests cités par Jérôme et aussi au livre dont je répète, page 42, il y a bien une vingtaine, même une trentaine de symptômes.
Maryline Gomes : Et encore, il aurait pu y en avoir plus, mais je me suis dit que ça n’était déjà pas mal.
Frédéric Couchet : Ça peut faire flipper un petit peu parce que, au début, j’ai commencé à essayer de remplir pour voir quelles cases je cochais. En tout cas c’est très intéressant, donc ce sont les symptômes, mais une fois qu’on a identifié ces symptômes et que, comme l’a expliqué Jérôme, finalement il faut trouver ce que tu appelles dans ta conférence la root cause, la cause racine, quelles sont les causes potentielles d’un burn-out. En fait, j’ai découvert qu’il n’y avait pas que des causes physiques, qu’il y a d’autres causes. Maryline dans ton livre tu en parles. Est-ce que tu peux nous citer quelques causes principales qui peuvent conduire à un burn-out ?
Maryline Gomes : Si on parle des causes professionnelles, on pourra dire le surmenage, la sur-adaptation, ce sont globalement toujours des gens très engagés, très impliqués qui se sur-adaptent facilement à leur environnement. Après il y aura le fait de faire des tâches répétitives, ennuyeuses. Il y a, on va dire, tout un environnement de travail qui peut conduire aussi à des relations qui sont dysfonctionnelles, qui vont créer plus de frustration.
Frédéric Couchet : C’est marrant, j’écoutais récemmentun podcast qui n’avait rien à voir avec le sujet et, à un moment, la personne parle du burn-out et dit que l’une des causes principales selon elle c’est l’absence de reconnaissance. C’est une des causes dans le monde professionnel ?
Maryline Gomes : C’est une des causes.
Frédéric Couchet : Je ne voyais pas ça comme étant une cause principale. Quel est votre retour d’expérience là-dessus, car je crois que tu en parles aussi Jérôme ? Maryline, l’absence de reconnaissance dans le monde professionnel est vraiment une des causes principales ?
Maryline Gomes : Je pense que l’absence de reconnaissance joue pour beaucoup, mais plus tard je l’ai compris autrement. Je posais ma reconnaissance à l’extérieur de moi, c’est-à-dire que j’attendais un retour des autres en me disant voilà, c’était bien, enfin ce côté travail qui correspondait à leurs attentes et finalement plus tard j’ai compris qu'il faut que la reconnaissance je l’aie de moi vis-à-vis de moi. Et quand je pose cette reconnaissance à l’intérieur de moi, eh bien je suis moins dépendante d’une reconnaissance extérieure. Donc finalement l’opinion, le regard de l’autre vont moins m’impacter. Aujourd’hui on est dans une société où on est aussi beaucoup dans ce regard de l’autre, on a besoin de plaire, on a envie de plaire. Il y a tout un ensemble de circonstances qui font qu’on est beaucoup, en fait, dans ce besoin de reconnaissance.
Frédéric Couchet : On va revenir sur ce point-là dans la partie reconstruction parce que, quelque part, ça fait écho avec ton introduction quand tu as parlé du burn-out comme un enchaînement de causes intérieures révélé par des causes extérieures. C’est intéressant. Toi, Jérôme, je crois que tu parles un petit peu de cette absence de reconnaissance dans ta conférence. Une des causes que cite aussi Maryline dans son livre c’est le côté humiliation qu’il peut y avoir dans le domaine professionnel. Toi, ce qui a été « intéressant » entre guillemets, c’est que, tu as eu du soutien de ton manager, par contre tu expliques que la RH, donc la partie ressources humaines et la médecine du travail ne t’ont pas du tout soutenu quand tu es allé les voir pour la première fois, que tu leur as demandé de faire un break, une pause de deux/trois mois.
Jérôme Petazzoni : Absolument. Quelque part, un petit peu, ça m’a presque aidé parce que ça m’a permis de me convaincre qu’il fallait que je parte. Quand j’ai commencé à parler à mon manager de faire un break, mon manager, toute mon équipe m’ont dit : « Oui, là tu es à fond depuis des années, tu voyages énormément, tu as l’air d’être au bout du rouleau, OK, oui, il faut que tu fasses un break et on va faire ce qu’il faut. » Par contre, côté RH, c’était une autre planète. Quelque part, il y a une partie de moi qui aimerait bien savoir quelles étaient les discussions qu’il y avait derrière, qu’est-ce qui se passait derrière. Ça faisait quand même sept ans que j’étais dans cette boîte, quand je suis entré on était cinq, quand j'en suis sorti on était 500. J’avais vu les gens défiler, je faisais un peu partie des meubles quelque part, donc ça blesse un petit peu de se dire « OK, comme ça ils ne veulent même pas me filer trois ou six mois de break. »
Frédéric Couchet : En plus on va rappeler qu’à l’époque tu étais, entre guillemets, « évangéliste », c’est-à-dire que tu faisais beaucoup de conférences, donc tu étais une vitrine pour cette entreprise !
Jérôme Petazzoni : Exactement.
Frédéric Couchet : Finalement tu t’es retrouvé rabaissé à rien, en fait, quelque part. Pas grand-chose.
Jérôme Petazzoni : Je ne sais pas si je me suis vraiment senti rabaissé, c’est plutôt le côté « tiens, du côté du RH, administratif, etc., il n’y a pas l’effort qui se fait ». Déjà j’étais en voyage tout le temps, en plus j’étais en remote, en télétravail, donc je n’étais même pas physiquement au bureau souvent. Peut-être que derrière les gens qui sont à ces postes-là se disaient « c’est qui ce pingouin ? Pourquoi il veut un traitement de faveur ? » À un moment donné j’avais dit un peu à moitié sur le ton de la plaisanterie : « Si vous ne voulez pas créer un programme de congé sabbatique de peur que les gens en abusent, il suffit de le limiter aux gens qui ont au moins cinq ans de boîte, c’est facile on doit être deux ou trois, donc ça limite un peu ! »
Donc pour moi, effectivement il n’y a pas de soutien de la part de la boîte de ce côté-là. Du côté des médecins, pareil, j’aurais bien voulu savoir ce qui se passait disons en coulisses, dans leur tête, je me disais « peut-être que je n’en suis pas encore vraiment à un stade assez bas » . Il y a des médecins qui m’ont dit : « Non, on ne va pas te faire un arrêt de travail parce que ça a l’air d’aller là, il suffit de se reprendre un petit peu et tout ira bien ! » Il y en a même un qui m’a recommandé de me faire des massages à l’huile de sésame en me disant que ça me remettrait d’aplomb. « Mais ce n’est peut-être pas ce dont j’ai besoin pile là maintenant ! » Je suis OK pour écouter ce que peut apporter la médecine alternative, etc., mais là, justement, je voulais vraiment prendre les choses en main et aucun des médecins ne voulait me mettre en arrêt ou faire quoi que ce soit de côté-là. Ce qui, en plus, fait faire une petite remise en question parce qu’on se dit, finalement, que peut-être tout est dans la tête, etc. Après on reprend quand même tout ce dont je parlais tout à l’heure, les espèces de mini-crises d’angoisse, les difficultés à travailler, les problèmes de concentration, etc., et on se dit « non, il y a vraiment un problème, il faut que je gère par moi-même même si ça doit être tout seul, parce que je n’ai pas envie d’y rester. »
Frédéric Couchet : Tu viens de dire le mot « tout seul », j’ai une question collective pour les deux : quel est le rôle de l’entourage ? Là je parle de l’entourage personnel. On va commencer par Maryline : le rôle de l’entourage personnel quand tu as fait ton burn-out et, en plus, tu expliques que tu étais repliée sur toi-même, isolée. Est-ce que tu en as parlé autour de toi ? Est-ce que les gens t’ont soutenue ? Je parle bien de ton entourage personnel.
Maryline Gomes : J’ai eu beaucoup de chance parce que ma famille autant que mes amis m’ont beaucoup soutenue. C’est vraiment ce qui m’a aidée à me reconstruire dans les mois qui ont suivi ce moment-là. Et il y avait des personnes, certains amis qui me conseillaient d’aller rencontrer d’autres personnes et, de fil en aiguille, j’ai commencé à y trouver un certain sens. De ce point de vue-là ils ont été très présents et je crois que c’est aussi ce qui m’a vraiment aidée à remonter la pente.
Frédéric Couchet : C’est-à-dire qu’ils ont considéré ça comme une vraie maladie et non pas comme un petit coup de fatigue en te disant, comme à Jérôme, « prends des pilules, va faire un peu de sport et ça ira mieux. »
Maryline Gomes : Non. Et c’est en ça que ça m’a beaucoup aidée, c’est que les gens n’ont pas remis en cause. Ils ont vu mon état et même certains me disaient déjà depuis un moment que je n’allais pas bien, mais j’étais incapable de le voir.
Frédéric Couchet : D’accord. Et de ton côté Jérôme, tu insistes et tu as beaucoup parlé notamment du soutien de ta compagne qui a été présente.
Jérôme Petazzoni : Oui. Pour moi l’entourage a été hyper-important, déjà l’entourage direct, notamment ma compagne qui m’a beaucoup aidé, comme disait Maryline, qui a vraiment fait ce qu’il fallait pour m’aider et puis, d’autre part, je me suis rendu compte aussi, au milieu de tout ça, que j’étais un petit peu un animal social et que j’avais besoin d’interagir avec des gens. Par exemple, fin 2016 quand vraiment ça n’allait pas bien du tout, je suis allé à une conférence et je suis tombé sur deux Français que je connaissais, donc on s’est posés comme ça pour discuter, prendre des verres et j’en suis ressorti en allant vraiment beaucoup mieux, ça a été suffisamment fort pour que je me rende compte « tiens, là, il y a un truc, c’est quelque chose dont j’ai besoin. » La musique aussi, par exemple.
Donc l’entourage m’a aidé parce que cet entourage non seulement a accepté et m'a donné une espèce de feedback positif, mais en plus, intrinsèquement, ça me « nourrissait » entre guillemets : rien que le fait d’être avec des gens, d’avoir des vraies conversations sur des vrais sujets de vie, pour moi c’est très important.
Après évidemment, à l’inverse, par rapport au travail ou aux médecins dans mon cas, c’était un peu le rôle négatif parce que ça me faisait me remettre en question un peu dans le mauvais côté, ça me faisait douter. Donc je pense que c’est capital d'avoir un bon entourage qui soutient ; avoir des gens avec qui on peut parler ouvertement, librement, que ce soit le vieux pote d’il y a 20 ans, la copine de l’époque de la fac, ou, etc., enfin des gens avec qui on peut se poser de temps en temps. Finalement, pour certaines personnes, c’est peut-être le rôle de la thérapie aussi.
Frédéric Couchet : On va en parler tout à l’heure.
Jérôme Petazzoni : Le fait d’avoir quelqu’un à qui on peut tout raconter, je pense que ça aide aussi à faire un boulot intérieur.
Frédéric Couchet : Maryline, tu veux rajouter quelque chose.
Maryline Gomes : Je voulais juste ajouter que j’avais aussi participé à un groupe de parole sur la souffrance au travail. On était un groupe de personnes où tout le monde avait fait un burn-out, chacun pour des raisons différentes et similaires en même temps, et ça aussi, ce groupe avait été très important, ça m'avait aidée. En fait on n’avait pas besoin de se justifier, parfois rien qu’en se regardant on se comprenait dans ce qui nous arrivait.
Frédéric Couchet : Et comment tu avais trouvé ce groupe ?
Maryline Gomes : Un jour, à une séance d’information à la CRAMIF et ce sont eux qui, à la fin, ont proposé si on voulait s’inscrire sur un groupe qui allait être créé, c’était assez récent, et je me suis dit « pourquoi pas » et ça a été une expérience vraiment incroyable.
Frédéric Couchet : D’accord. Là on a parlé du début, des symptômes, des causes profondes. On va maintenant parler un petit peu de comment traiter et comment se reconstruire, tous les deux vous avez employé ce terme-là, mais juste avant, sur ce dont on vient de parler, sur l’entourage, l’importance, vous en parlez tous les deux, dans ta conférence et dans ton livre, du fait d’être attentif aux autres. Une personne qui peut se sentir fatiguée, lui poser la question de comment elle va, c’est quelque chose qui est essentiel pour justement libérer cette parole. Est-ce que toi, par exemple dans ton coaching d’entreprise, c’est quelque chose sur lequel tu insistes ? Est-ce qu’il y a des choses concrètes? Ou est-ce que c’est simplement le fait d’être un être humain et de s’intéresser à ce que vit l’autre au quotidien, en fait ?
Maryline Gomes : Oui. Je pense que c’est très important d’être ouvert aux autres et d’être un peu attentif à l’environnement qui nous entoure, d’être dans cette bienveillance et tenter de cultiver ça au maximum parce que je crois que c’est ça aussi qui fait un peu la différence dans le fait de pouvoir prévenir, peut-être un peu plus, ce genre d’évènements. Après, est-ce qu’on pourra vraiment tout prévenir, je ne pense pas mais en tout cas, ça aide. En tout cas on se sent plus soutenu dans certaines périodes de sa vie.
Frédéric Couchet : Étienne, en régie, précise que la CRAMIF c’est la Caisse régionale maladie d’Île-de-France. Merci Étienne, c’est vrai qu’on ne maîtrise pas tous les acronymes.
Jérôme, j’ai une question en lien avec ça. Tu as parlé initialement dans un post, sur un site web, de ce burn-out, tu disais que tu pouvais le faire parce que tu estimais, vu ce que tu faisais, que les gens l’accueilleraient bien, tu as eu beaucoup de retours. Est-ce que ça a permis à des gens de révéler, quelque part, leur propre burn-out en disant « tiens, là ce que tu viens de raconter, je le vis et je peux enfin mettre un mot sur ce que je ressens, sur ce que je vis. » ?
Jérôme Petazzoni : Je pense que oui, même si je ne pourrais pas dire comme ça, mais il y a beaucoup de gens qui m’ont dit : « J’avais besoin d’entendre ça ». Un truc super émouvant quand je suis descendu de scène après en avoir parlé, je crois que c’était en avril 2019, je me rappelle que le gars de la régie audio est venu prendre le micro que j’avais et m’a demandé : « Dis donc, ta présentation va être mise en ligne après parce que j’ai besoin ma femme entende ça parce que crois qu’elle est là-dedans elle aussi. » Ça m’avait beaucoup ému en me disant que c’est ça que je veux arriver à faire, que des gens puissent mettre un nom, se dire que ce sont des choses qui peuvent arriver. Je ne veux pas dire que ce n’est pas grave, ça peut quand même aller assez loin et être assez grave, mais se dire que c’est une situation de vie qui peut nous arriver à tous au même titre que se casser une jambe, avoir un accident de voiture ou un truc comme ça. Bien sûr, ce sont des choses qu’on essaye d’éviter parce que c’est un côté négatif de la vie, mais, en même temps, ça peut arriver et quand ça arrive au moins on peut mettre un nom dessus et on a des pistes pour y faire face et avancer.
Frédéric Couchet : Justement, on va parler après la pause musicale des pistes pour y faire face. C’est la première fois, pour une pause musicale, qu’on a l’artiste en studio vu que c’est Jérôme Petazzoni. Le titre s’appelle On Vend Des Globes 2.1000.18. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Voix off : Cause Commune 93.1.
Pause musicale : On Vend Des Globes 2.1000.18 par Jérôme Petazzoni.
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter, nous sommes en train d’écouter la fin, On Vend Des Globes 2.1000.18 par Jérôme Petazzoni qui est avec nous en studio, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions. Vous retrouverez les références sur le site de l’April, april.org.
Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 FM en Île-de-France et partout dans le monde sur causecommune.fm.
Nous allons poursuivre notre discussion sur le burn-out avec Jérôme Petazzoni qui est informaticien et Maryline Gomes qui est écrivain, consultante et coach auprès d’entreprises pour le bien-être professionnel.
Avant la pause musicale on a parlé un petit peu des symptômes, des causes, du retour d’expérience de nos deux invités et là on va parler un petit peu d’un sujet important : une fois qu’on a identifié qu’on est en burn-out c’est que faire pour remonter la pente et même, plus loin, pour se réinventer ? Je crois que c’est un terme que tu emploies, Maryline, dans ton livre, se réinventer. Quand on parle de burn-out je pense que les gens se disent plutôt on va essayer de récupérer physiquement. En fait, un burn-out permet de se réinventer. Maryline Gomes.
Maryline Gomes : Oui, absolument. Je pense qu’on peut transformer les épreuves difficiles de sa vie en une opportunité d’être, peut-être, plus soi-même, en fait, en partant un peu à la découverte, un peu à la recherche de soi. Déjà, je pense que ça passe aussi par un travail émotionnel de ne plus poser nos émotions en déni, c'est aussi ce qui se passe souvent c’est qu’on a des peurs parce que le burn-out est aussi, derrière, une histoire de peurs, en tout cas c'est une partie de l’histoire.
Frédéric Couchet : De peurs, dans le cas de son histoire personnelle tu veux dire ?
Maryline Gomes : Oui, je pense, que ce soit peur de l’insécurité, peur de la solitude, après chacun aura ses raisons mais qui font qu’on va essayer longtemps de tenir un cap qui, à un moment donné, ne tient plus la route. Je pense que c’est très important d’aller regarder ses peurs ou ses émotions et tenter aussi de comprendre ce qu’elles veulent dire de nous, en fait vers où on peut se tourner.
Du coup je pense que j’ai un peu perdu le fil de ta question, c’était sur comment se réinventer exactement.
Frédéric Couchet : Oui, comment se réinventer et finalement c’est une vision totalement positive quelque part du burn-out parce que, si je comprends bien, toi tu as changé de vie.
Maryline Gomes : Complètement.
Frédéric Couchet : Complètement et Jérôme Petazzoni a changé d’activité et en partie changé de vie, on verra après ce qu’il nous dira. Donc c’est vraiment une réinvention complète, quoi !
Maryline Gomes : Oui, parce qu’en fait je crois que, parfois, on s’éloigne de qui on est et des choses qu’on veut faire. À partir du moment, en tout cas pour moi, où ça m’est arrivé, je me suis aussi posé beaucoup de questions sur le sens de ma vie, vers où je voulais aller, qu’est-ce que je voulais faire. Je ne savais plus vraiment ce que j’aimais, ce que je voulais faire. Ça a mis du temps. L’écriture est venue un peu par hasard et, de fil en aiguille, je n’ai plus arrêté d’écrire. Je continue à écrire.
J’ai profité de ça en me disant « comment est-ce que j’ai envie de vivre ma vie pour tenter de me rapprocher un maximum de qui je suis au fond de moi ? » Ce n’est pas toujours facile parce qu’il faut tenter d’aller se dépasser, tenter d’aller chercher ce petit quelque chose à l’intérieur de nous qui va faire la différence pour nos vies.
Frédéric Couchet : Ce n’est pas si facile et je suppose qu’une aide peut être nécessaire. Tout à l’heure, Jérôme Petazzoni, tu parlais de l’importance de la thérapie. Justement, est-ce que tu peux nous expliquer quel rôle a joué pour toi la thérapie dans cette réinvention, eh bien de toi ?
Jérôme Petazzoni : Pour moi, la thérapie a été très utile pendant la phase, disons, dépression, c’est-à-dire avant que je puisse mettre l’étiquette burn-out sur ce qui m’arrivait où je pensais que c’était, je mets entre guillemets, « qu’une dépression », je mets entre guillemets parce que c’est déjà assez grave. La thérapie m’a aidé à mettre un petit peu d’ordre dans mes idées, plein de petits détails. C’est difficile. J’ai un ami qui, une fois, a fait une très bonne comparaison, il disait « quand on fait de la thérapie, en fait il n’y a jamais une séance individuelle qui représente une espèce d’avancée qu’on peut identifier, c’est un processus un peu global ». C’est un petit peu comme si on montait des escaliers, chaque marche, en soi, ce n’est rien, sauf qu’une fois qu’on a monté l’escalier on est en haut. Là, dans mon cas, c’est un petit ça : je ne pourrais pas dire « tiens, là il y a eu une séance qui a été la révélation », par contre, le fait d’avoir quelqu’un qui a pu suivre un petit peu ça, me donner des outils, c’est par exemple grâce à ça que je me suis mis en place un mood chart, en français une espèce de tableau qui suit un peu les évolutions de mon humeur.
Frédéric Couchet : Des émotions, de l’humeur.
Jérôme Petazzoni : C’est un truc que j’utilise encore aujourd’hui en fait. À la fin de chaque journée j’ai un tableau, une feuille de calcul où je note, en gros, mon niveau d’énergie, mon niveau de concentration, est-ce que j’étais plutôt motivé, plutôt pas motivé, est-ce que j’avais envie de voir les gens et, à chaque fois, sur une échelle en gros de 1 à 5 : 1, ça va vraiment très mal et 5, c’est super wash ; la plupart du temps on oscille un petit peu entre les deux. C’est un tableau que je me suis fait, c’est complètement personnalisé. Au début, on m’avait donné un tableau avec d’autres catégories et une échelle sur dix points ; j’ai dit : « Une échelle sur dix points ça n’a pas de sens. Je ne sais pas si aujourd’hui on est à 7, si on est à 8 », donc on a réduit le nombre de points, on a pris des critères avec lesquels j’étais plus à l’aise et ça m’a pas mal aidé. Pareil, ce n’est pas juste le fait de remplir ça qui fait se sentir mieux, mais, par exemple, ça m’a permis de me rendre compte des moments où ça allait mieux et où ça allait moins bien.
Il y a eu quelques révélations qui n’en étaient pas. J’ai évoqué tout à l’heure le fait, à une conférence, de tomber par hasard sur deux Français que je connaissais, passer un bon moment ensemble et me rendre compte que c’est vraiment important, j’ai besoin de ça. Pareil, je me rappelle d’un voyage à San Francisco où j’ai vu des amis et après, quand j’ai regardé la courbe, tout était à 5, comme ça, pendant quelques jours. C’est toujours facile après coup, quand on regarde derrière soi, de se dire « oui, je le savais », mais je pense que sans ce petit graphe que je me faisais je ne me serais pas rendu compte, en fait, j’aurais peut-être pu passer à côté de ça alors que c’était quand même vachement important, ça m’a permis de me confirmer : OK, j’ai besoin d’être avec des gens, de voir des amis, d’avoir ces échanges-là.
Ensuite, l’impression que j’ai eue sur la thérapie en général, c’est qu’il y a des gens qui sont meilleurs que d’autres. Moi, en plus, je suis aussi passé par beaucoup de thérapies en ligne parce que, comme je voyageais beaucoup, ce n’était pas toujours possible de s’astreindre à voir toujours la même personne chaque semaine, au même endroit, en personne, ce n’était même pas possible du tout, donc j’ai essayé un petit peu par téléphone ou par Skype et, pour moi, ça marchait un petit peu moins bien en anglais juste parce que…
Frédéric Couchet : C’était plus compliqué d’exprimer tes émotions en anglais, parce que c’est de l'anglais plus difficile que de l’anglais technique.
Jérôme Petazzoni : Voilà. Il y a déjà un petit peu l’anglais et je pense que le fait d’avoir quelqu’un en face, il y a beaucoup de choses qui passent mieux comme ça ; même si on fait ça en visio, il y a plein de choses qu’on rate dans le langage corporel, etc. Donc j’ai fait des choses en ligne, je suis passé carrément par des sites où on parle avec des gens en écrivant. Paradoxalement, pour moi, ça marchait mieux que d’avoir quelqu’un au téléphone ou sur Skype parce que, déjà, m’exprimer en anglais à l’écrit c’est plus facile pour moi qu’à l’oral et ensuite ça me permettait aussi d’avoir un rythme un peu plus souple.
Donc il y a des personnes qui m’ont beaucoup aidé, d’autres beaucoup moins et, ce que j’en ai retenu, la métaphore qui m’est vraiment venue à l’esprit c’est un petit peu comme la salle de sport, c’est-à-dire qu’il y a des gens qui vont aller régulièrement faire du sport en salle de manière hyper-assidue et que ça va beaucoup aider parce que, en effet, ce sont des gens qui, par ailleurs, vont avoir un rythme hyper-sédentaire, prendre la voiture tous les jours, travailler assis à un bureau toute la journée, donc, à ce moment-là, faire du sport en salle ça peut être salutaire. À l’inverse, quelqu’un qui habite au 5e sans ascenseur, qui marche beaucoup, qui va naturellement aller un petit jogging au parc, etc., cette personne-là n’aura peut-être pas besoin d’aller faire du sport en salle. Je pense que pour la thérapie c’est une peu pareil, sauf que je suis incapable de donner l’équivalent, peut-être comme on l'évoquait un peu plus tôt, des fois c’est peut-être le fait de parler avec quelqu’un, de s’ouvrir comme ça complètement, d’évoquer des sujets assez personnels, rien que le fait d’en parler, ça peut amener à faire un petit travail d’introspection. La thérapie m’a aidé comme ça.
Frédéric Couchet : D’accord. Maryline tu es aussi coach, donc je suppose que tu reçois des personnes et que, finalement, il y a la thérapie, il y a le coaching, j’ai aussi lu dans ton livre que tu as, un petit peu, comme Jérôme, des cartes où on peut mettre des niveaux par rapport à des sensations quotidiennes ou autres. Il y a aussi l’art-thérapie. Il y a un panel d’activités qui peuvent être faites pour traiter, finalement, ce burn-out et se réinventer ?
Maryline Gomes : En fait, comme disait Jérôme, je suis un peu passée par là aussi. Je pense qu’il n’y a pas une bonne méthode, mais plusieurs choses qui peuvent marcher pour chacun d’entre nous. Quelque chose qui, par exemple, m’avait beaucoup aidée, je m’étais aussi fait un grand tableau où, en fait, j’avais tenté de me voir au long de ma vie, essayer de trouver un fil conducteur de ma vie : toutes les choses que j’avais faites, comment est-ce que moi je me percevais, comment les gens me percevaient. J’ai essayé un peu de retracer tout ça et ça m’a beaucoup aidée d’avoir toutes ces feuilles que je remplissais au fil des semaines et au fil des mois. Ce n’est pas venu comme ça, les pages sont restées blanches assez longtemps, je ne savais pas trop ce que j’allais y mettre. En fait, à un moment donné j’ai compris qu’il y avait aussi une histoire identitaire où on a besoin d’aller se retrouver, qui on est, ce qu’on a envie de faire, comment retrouver ce sens, puisqu’il y a quand même eu une déconstruction, quelque part, de notre identité quand on s’associe, quand on ne se voit que par le prisme du travail et que ce pilier tombe dans notre vie. Il faut aller chercher des ressources ailleurs, d’où l’importance de construire des bases plus solides par rapport à qui on est et à nos valeurs.
Frédéric Couchet : D’ailleurs, dans les causes possibles de burn-out que tu cites, il y a l’opposition entre les valeurs personnelles et les valeurs de l’entreprise ou de l’organisation dans laquelle on travaille.
Je vois que le temps file et je je vois qu'en régie Étienne nous pose des questions. Première question : là, vous venez de parler d’une réponse un petit peu individuelle sur le fait de se questionner, le retour à soi, etc., la notion de réponse collective peut être importante. Comment se protéger collectivement dans les espaces de travail, se soutenir entre collègues pour prévenir, accompagner, le cas échéant, un burn-out, que ce soit dans le domaine associatif ou professionnel ? Réponse courte parce que le temps file. Jérôme peut-être.
Jérôme Petazzoni : C’est une réponse qui peut être assez personnelle. Par rapport aux environnements dans lesquels j’ai travaillé, j’ai construit des amitiés assez fortes, pas avec tout le monde, mais il y a toujours quelques personnes privilégiées au boulot. Moi ça m’aide, mais je ne sais pas si c’est une réponse universelle. Dans le cadre du travail, moi, justement, je me sentais un petit isolé à la fin parce que j’étais en télétravail, je voyageais beaucoup, à chaque fois que je revenais au bureau parfois je me demandais si j’étais au bon endroit parce que je ne reconnaissais personne, parce que 50 personnes avaient été engagées depuis la dernière fois que j’étais passé au bureau. Ce que je disais un peu dans ma présentation, dans ma conférence, c’est de demander aux gens comment ça va et d’arriver à créer un climat où on se sent capable de dire à quelqu’un « non, là ça ne va pas du tout parce que x, y, z. » Ça c’est facile à dire en théorie.
Frédéric Couchet : Mais ce n’est pas facile à faire !
Jérôme Petazzoni : En pratique ça peut être très difficile à faire, comment créer ce climat de vulnérabilité, de confiance.
Frédéric Couchet : De confiance où on peut parler. Maryline, sur cette question-là.
Maryline Gomes : C’est justement ce dont j'allais parler, de la confiance, avoir quelques personnes de confiance à qui se confier et je pense qu’au moment où les choses commencent à changer, en fait elles seront quand même plus à même d’émettre un autre regard sur nous.
Frédéric Couchet : D’accord. Étienne pose une seconde intéressante : faut-il faire un temps d’arrêt, c’est-à-dire carrément une pause comme toi tu l’as fait et, évidemment, une certaine sécurité matérielle est nécessaire pour ça. Est-ce que le temps d’arrêt, c’est-à-dire une pause de plusieurs mois, est absolument nécessaire ? Maryline Gomes.
Maryline Gomes : Personnellement je pense que oui. C’est essentiel, on ne peut pas sortir de quelque chose d’aussi compliqué en continuant. Oui, avoir des activités, mais vis-à-vis de la situation professionnelle je pense que ce temps d’arrêt est salutaire en fait, justement pour permettre de se retrouver, de faire un peu un bilan et de se reposer aussi.
Frédéric Couchet : D’accord. Jérôme pareil, sans ce temps-là d’arrêt ça aurait été pire.
Jérôme Petazzoni : Oui. Absolument. Je pense que c’est comme quand on se casse une jambe, après il faut la laisser reposer un moment ; si on retourne au ski tout de suite ce n’est pas bon ! Effectivement, des fois ça peut être un luxe parce qu’on ne peut pas forcément arriver à se permettre un arrêt, on n’a pas forcément les moyens de côté, etc. C’est vrai qu’il y a un gros challenge, évidemment.
Frédéric Couchet : D’accord. Avant la dernière question, le tour de table de conclusion, comment vous allez aujourd’hui ? Comment vous vous sentez ?
Jérôme Petazzoni : Ça va beaucoup mieux. Après, j’ai l’impression que je suis en train de me reconstruire, de me réécrire, de définir ce qui va venir après. Il y a une page qui est tournée, qui était une page difficile et j’ai l’impression que je suis peut-être en train d’en tourner d’autres qui sont peut-être un peu plus faciles, mais les choses changent.
Frédéric Couchet : D’accord. Maryline, de ton côté ?
Maryline Gomes : La même chose. Ça va beaucoup mieux. C’est vrai que c’était un moment compliqué mais qui a permis, en fait, de poser de nouvelles bases et on continue à avancer. Et être vigilant, tout de même. Je ne parle pas vraiment de séquelles, mais il faut rester attentif à soi et ne pas se perdre de vue, y aller pas à pas, ne pas retomber dans les mêmes travers.
Frédéric Couchet : D’accord. Une question que j’ai failli oublier de poser à Jérôme, Libre à vous ! c’est une émission autour du logiciel libre, des libertés informatiques, désolé pour la réponse courte, est-ce qu’il y a une spécificité par rapport au monde du logiciel libre et le burn-out ?
Jérôme Petazzoni : Je pense que oui dans les communautés open source parce qu’il y a beaucoup de mainteneurs open source qui ne sont pas rémunérés.
Frédéric Couchet : Qui sont bénévoles.
Jérôme Petazzoni : Qui sont bénévoles, d’une manière ou d’une autre, et parce que les attentes des gens c’est que comme c’est gratuit on peut demander ce qu’on veut aux mainteneurs, etc. On pourrait presque faire une émission complète là-dessus.
Frédéric Couchet : En fait, j’anticipais un peu le fait qu’on va sans doute en faire une parce que, effectivement, je pense qu’il y a des spécificités. Est-ce que dans le domaine professionnel libre, à part le fait que toi tu aies fait, comme tu le dis un moment, une centaine de conférences dans l’année, est-ce que ce que tu as vécu tu aurais pu le vivre dans le domaine du logiciel privateur ou ailleurs ?
Jérôme Petazzoni : Je pense que oui. Je vois des choses qui peuvent arriver spécifiquement dans le Libre. Il y avait une très bonne présentation à la conférence PyCon à Montréal, je crois en 2015.
Frédéric Couchet : Sur Python. On mettra les références sur le site de l’April.
Jérôme Petazzoni : Il y avait un track complet sur la santé mentale et quelques talks précisément sur le côté dans les communautés libres. Donc oui, il y a des choses spécifiques, mais je pense que ce qui m’est arrivé aurait pu m’arriver, effectivement, dans un autre contexte, tout à fait.
Frédéric Couchet : D’accord. Je pense qu’on consacrera une émission pas forcément au burn-out en tant que tel mais à l’engagement, voire le sur-engagement dans les communautés du Libre. Je voudrais demander une phrase de conclusion à chacun et chacune, peut-être un message à faire passer, à retenir par les personnes qui nous écoutent. On va commencer par Jérôme et Maryline conclura. Jérôme Petazzoni.
Jérôme Petazzoni : J’ai envie d’élargir un petit peu, c’est-à-dire qu’il y a le burn-out et puis, de manière générale, la dépression et tout ce qui tourne autour de la santé mentale. On a énormément de stigmas autour de ça, je dirais quasiment partout dans le monde, même si je ne me base que sur mon expérience en France et aux États-Unis et, pour moi, ce sont des maladies comme les autres. Donc une dépression, un cancer, des choses comme ça, on a du mal à accepter ça parce que souvent on est super rationnel et on se dit « c’est quoi les signes concrets ? La quantité de, je ne sais pas quoi, que j’ai dans le sang ou dans le corps qui me dit si je suis déprimé, pas déprimé ? » Ce n’est pas aussi clair que ça et, pour moi, c’est une maladie comme une autre. Il faut qu’on accepte ça si on veut grandir comme société et qu’on arrête de regarder les gens déprimés comme étant, je dirais, pas normaux ou quelque chose comme ça.
Frédéric Couchet : D’accord. Maryline Gomes.
Maryline Gomes : Je partage tout à fait l’avis, je pense qu’il faut remettre un peu la santé mentale à l’ordre du jour et, peut-être pour un dernier mot de la fin, ce serait de ne pas oublier qu’on peut toujours choisir de transformer une épreuve difficile en opportunité dans la vie. Je pense qu’il faut garder un cap positif dans notre vie et ça reste un choix personnel à faire. On peut toujours choisir de s’apitoyer sur soi-même ou de réunir la force et le courage suffisants en nous pour aller de l’avant et, pourquoi pas, réinventer sa vie.
Frédéric Couchet : Maryline, c’est une belle conclusion. Je vais rappeler que Maryline Gomes est aussi animatrice sur la radio Cause Commune, son émission, Travail à cœur, c’est chaque jeudi de 12 heures à 13 heures. Les podcasts sont disponibles sur le site causecommune.fm et récemment, je crois d’ailleurs la dernière émission, n’était pas si éloignée de notre sujet c’était « Prévention du suicide : comment faire bouger les lignes ? », c’est le podcast du 6 février 2020. Je vous encourage à écouter ce podcast.
Je remercie Jérôme Petazzoni et Maryline Gomes d’être intervenus aujourd’hui. Je vous souhaite une belle fin de journée et surtout prenez soin de vous.
Jérôme Petazzoni : Merci.
Maryline Gomes : Merci.
[Virgule sonore]
Frédéric Couchet : Vous venez d’écouter un sujet préenregistré il y a quelques jours autour du burn-out.
Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 FM en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm. Nous allons faire une pause musicale.
[Virgule musicale]
Frédéric Couchet : Nous allons écouter Look inside par Jahzzar. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune.
Voix off : Cause Commune 93.1.
Pause musicale : Look inside par Jahzzar.
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Look inside par Jahzzar, disponible sous licence libre Creative Commons Partage à l’identique. Vous retrouverez les références sur le site de l’April, april.org et sur le site de Cause Commune, causecommune.fm.
Vous écouter toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm. Je suis Frédéric Couchet le délégué général de l’April.
Nous allons passer au sujet suivant.
[Virgule musicale]
Chronique « Jouons collectif » de Vincent Calame qui portera sur « l’énigme de la dernière version » lorsque l'on travaille à plusieurs sur un document commun
Frédéric Couchet : Nous passons au sujet suivant avec la chronique « Jouons collectif » de Vincent Calame. Bonjour Vincent.
Vincent Calame : Bonjour.
Frédéric Couchet : Aujourd’hui tu vas nous parler de « l’énigme de la dernière version ».
Vincent Calame : C’est une expression que j’ai entendue il y a quelques années lors de la présentation d’un logiciel de gestion de projet. C’était dans la bouche d’une personne qui travaillait dans le monde de l’humanitaire et cette expression, que j’avais beaucoup aimée, évoquait le fait de travailler sur un document commun via des échanges de courriels. À force de s’échanger le même courrier augmenté de toutes les corrections à chaque fois en pièce jointe, on finit par ne plus savoir quel est le bon document et c’est souvent problématique quand il s’agit, par exemple, d’un budget qui va être soumis à des bailleurs, c’est le cas des projets humanitaires. L’établissement d’un tel budget nécessite de nombreux échanges et allers-retours entre les différentes personnes, donc on peut vite se trouver confronté à une accumulation de pièces jointes de versions différentes.
Frédéric Couchet : Je pense que c’est une expérience qui parlera aux personnes qui nous écoutent. Question, qui tombe en plus dans notre actualité d’émission parce que la semaine dernière on a parlé de Nextcloud qui est un logiciel libre et un site d’hébergement, notamment de partage de fichiers, est-ce que les sites de partage de fichiers comme Nextcloud peuvent résoudre ce problème ?
Vincent Calame : Oui. J’avais choisi le sujet de ma chronique avant de me rendre compte que cette question venait d’être traitée, donc je ne vais pas entrer dans le détail de fonctionnement de ce type de logiciel, mais c’est vrai que ça résout en grande partie le problème puisque l’emplacement du fichier est connu, est commun, donc l’énigme est en partie résolue. Je mettrai juste un bémol en précisant qu’il n’est pas toujours simple de mettre en place cette solution, soit à cause de problèmes de connexion qu’on ne connaît pas chez nous, mais, dans le cas de projets humanitaires, ce sont souvent des gens qui se trouvent dans des zones sans connexion, donc il y a toute cette question de la synchronisation, soit, comme souvent aussi, d’habitudes de travail qu’il n’est pas facile de changer du jour au lendemain. Il est souvent nécessaire d’installer un logiciel client sur l’ordinateur pour ce type de logiciel comme Nextcloud et on aura toujours la tentation d’aller au plus simple en joignant un fichier à son courriel ce qui reste une manipulation très facile. Il y a un autre problème, je pense, que ne résout pas seul ce système de partage de fichiers, c’est le suivi de l’évolution des versions.
Frédéric Couchet : Oui. C’est quelque chose que l’on connaît bien en informatique, car chaque logiciel se voit doté du numéro de version 1.0, 2.0, 2.1, etc.
Vincent Calame : Oui, complètement. Ces numéros de version c’est quelque chose de très familier à toute personne qui possède un ordinateur, qu’elle soit codeuse ou non, on a tous installé des logiciels version 1, version 2, et c’est sûr que le code informatique est quelque chose qui évolue en permanence avec des contributions qui viennent d’origines différentes. Il y a un besoin de traçabilité très fort, je dirais même vital pour la pérennité du projet. Ça fait des décennies que les informaticiens se penchent sur la question. J’ai fait une recherche sur Wikipédia et je suis tombé sur le nom de SCCS, qui est un logiciel qui date de 1972, c’est tout dire !
Frédéric Couchet : SCCS, on va préciser qu’en anglais c’est Source Code Control System, c’est un logiciel de gestion de versions.
Vincent Calame : Voilà, donc 1972, ça ne nous rajeunit pas ! Actuellement il y a plusieurs logiciels de suivi de versions, le plus connu est git. Je ne vais entrer dans le détail de son fonctionnement surtout que je ne connais que les commandes de base de git, mais il faut simplement comprendre qu’ils permettent de remonter dans l’historique de toutes les modifications d’un fichier et de tout un projet.
Je pense qu’il y a un équivalent dans le monde du texte, c’est la page « Voir l’historique » de Wikipédia ou de tout autre wiki. Il y a toujours un onglet « Voir l’historique » et ça permet de voir toute la chaîne d’interventions dans le texte, dans la page Wikipédia.
Frédéric Couchet : Tout à fait. D’ailleurs on encourage les personnes qui écoutent l’émission, pour se rendre compte concrètement, d’aller sur une page Wikipédia quelconque, de cliquer sur ce fameux onglet « Voir l’historique ». L’historique va apparaître avec les dates des modifications, la personne qui a fait des modifications et les raisons. Il y a ensuite un mécanisme de comparaison : on choisit une version, par exemple d’il y a un mois et on peut cliquer sur « Comparer les versions sélectionnées », de mémoire ou quelque chose comme ça, ça permet de comparer avec la version actuelle et de voir les modifications qui ont été faites. On encourage vraiment les gens à tester ça.
Est-ce qu’on ne pourrait pas imaginer l’utilisation de ce type de logiciel pour autre chose que l’informatique ?
Vincent Calame : À part l’exemple des wikis, je n’ai pas connaissance d’un tel usage même dans des associations libristes que je connais, je serais bienheureux qu’on me contredise. Il faut dire aussi que le code informatique c’est quelque chose d’assez particulier. Ce sont avant tout des textes bruts dans un langage précis, informatique, qui est souvent divisé en de très nombreux petits fichiers suivant des conventions strictes de nommage, donc ce n’est pas évident de transposer ça pour d’autres types de contenus. Quand je dis d’autres types de contenus c’est soit un document avec de la mise en forme, soit un tableur ou autre chose, parce que justement, dans ce type de document on doit faire la part entre les modifications de pure forme, celles qui sont juste une correction de faute d’orthographe et les différencier de vrais bouleversements dans un amendement. Toutes les différentes éditions ne se valent pas.
Il y a un bon exemple : en préparant cette chronique sur toute cette question du suivi de l’élaboration d’un texte, j’ai aussi regardé le site lafabriquedelaloi qui est porté par Regards Citoyens, qui est, je trouve, très éclairant parce qu’il montre, pour une loi donnée, toute l’évolution d’une loi article par article, avec les différentes lectures suivant les assemblées avec l'origine de tous les amendements. C‘est graphiquement quelque chose de très intéressant à regarder.
Frédéric Couchet : Le site de la Fabrique de la Loi c’est lafabriquedelaloi tout attaché point fr ; le site de Regards Citoyens c’est regardscitoyens au pluriel, tout attaché, point org et on a eu le plaisir d’avoir deux personnes de Regards Citoyens dans une émission Libre à vous ! ; ma mémoire me fait défaut donc je ne saurais dire le numéro de l’émission et la date, mais je suis sûr que quelqu’un va nous signaler ça sur le salon web de la radio. D’ailleurs je précise que vous pouvez toujours nous rejoindre sur causecommune.fm, cliquez sur « chat ».
Ton exemple est intéressant parce que quelque part, pour un informaticien, une informaticienne, du code juridique c’est comme du code informatique parce que, finalement, c‘est du texte. Quand on propose un amendement, quelque part, c’est comme quand on propose un patch, c’est-à-dire une modification sur un code informatique, là on propose un patch sur du code juridique quand on propose un amendement. C’est vrai que le site de La Fabrique de la Loi propose de voir l’évolution de ces textes-là, contrairement à l’Assemblée nationale où on n’a pas les différentes versions ou plutôt on a les versions consolidées, mais pour faire des comparaisons c’est un petit peu compliqué.
La merveilleuse Isabella Vanni qui est en régie me signale que l’émission avec Regards Citoyens c’est l’émission 40 du 15 octobre 2019 ; les podcasts sont sur april.org et sur causecommune.fm.
Quelles sont les pistes, actuellement, par rapport au sujet que nous évoquons sur ce suivi de versions ?
Vincent Calame : Évidemment, La Fabrique de la Loi c’était pour les lois de l’Assemblée nationale et du Sénat, donc des textes officiels. Pour une organisation, on sait que dans les logiciels de traitement de texte, comme LibreOffice, il y a toujours la possibilité du suivi des modifications. Il y a quelques options qui permettent de voir ce qui est supprimé et ce qui est rajouté. Mais, dans ce cas-là aussi, on retombe dans le problème de la pièce jointe au courriel si on se transmet le document LibreOffice.
Il y a les logiciels de blocs-notes en ligne qui sont basés sur le logiciel Etherpad qui a été popularisé notamment par Framasoft et qui est proposé par de nombreux hébergements et de nombreux chatons comme Chapril d’ailleurs. C’est une solution qui vient à l’esprit, ça permet de centraliser par un travail collaboratif. Il y a quand même, aussi, une possibilité de voir les différences de versions.
Il y a les wikis que nous avons cités, qui sont toujours une bonne solution, même s’ils demandent, je pense, un apprentissage un peu plus important que les blocs-notes.
Cela dit, personnellement je pense que pour un document important la solution humaine est toujours la meilleure, c’est-à-dire désigner un responsable éditorial en charge d’intégrer les corrections, les commentaires de chacun et qui est un peu le gardien de la version ultime. C’est toujours le cas dans le monde de l’édition papier, il y a ce rôle-là et je crois qu’un responsable c’est important parce que comme le dit un adage d’Amérique latine je crois, « le cochon de personne meurt de faim ». Donc un texte qui n’a pas de responsable, finalement personne ne sait quelle est la bonne version en final.
Frédéric Couchet : On en revient finalement à l’humain, l’informatique ne remplace pas totalement l’être humain.
Vincent Calame : Jamais, elle le seconde, mais elle ne le remplacera jamais.
Frédéric Couchet : C’est une belle conclusion, Vincent.
Je vais rappeler les références qu’on a citées, notamment Nextcloud, c’est l’émission 54 du 18 février 2020. Tu as parlé de Regards Citoyens, de La Fabrique de la Loi, c’est l’émission 40 du 15 octobre 2019, et tu viens à l’instant de parler de LibreOffice c’est l’émission numéro 31 du 25 juin 2019. Vous retrouvez tous ces podcasts et les transcriptions sur les sites april.org et causecommune.fm.
Vincent, je te remercie de la chronique. Je te souhaite une belle fin de journée et au mois prochain.
Vincent Calame : Merci. Au mois prochain.
Frédéric Couchet : On va passer aux annonces finales.
[Virgule musicale]
Annonces
Frédéric Couchet : On va finir par quelques annonces finales.
Pour les personnes qui souhaiteraient nous rencontrer, une fois par mois on fait un apéro dans notre local à Paris, le prochain c’est le 28 février 2020 à partir de 19 heures, le local c’est dans le 14e arrondissement de Paris, 44, 46 rue de l’Ouest. Toutes les informations sont sur le site de l’April, april.org.
Comme chaque jeudi soir à la FPH où officie Vincent, 38 rue Saint-Sabin dans le 11e, il y a la Soirée de contribution au logiciel libre, d’ailleurs au Libre en général, de 19 heures 30 à 22 heures. C’est ouvert à toute personne qui souhaiterait contribuer ou simplement en savoir plus.
Demain mercredi 26 février à 19 heures, il y a une rencontre avec Anne-Sophie Jacques et Maxime Guedj sur le thème « Pour un Internet Libre et Éthique, comment changer nos habitudes ? », ça se passe au 17 et 19 rue Visconti à Paris, entrée libre et gratuite, mais réservation recommandée. Vous retrouverez les références sur le site de l’Agenda du Libre, agendadulibre.org.
Au Mans, parce que tout ne se passe pas à Paris, même si on est une émission qui est diffusée en Île-de-France on est aussi une émission diffusée partout en France et partout dans le monde, il y a la permanence du mercredi après-midi. La prochaine a lieu demain mercredi de 12 heures à 17 heures, au local de l’association pôle associatif Coluche, j’aime beaucoup ce nom, 31 allée Claude Debussy au Mans : présentation, initiation et maintenance des logiciels libres. Remplacement de Windows par GNU/Linux et formation gratuite. Entrée libre tout public. Vous retrouvez toutes les références sur le site de l’Agenda du Libre, agendadulibre.org et évidemment tous les autres évènements.
Nous émission se termine. Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission du jour : Vincent Calame, Jérôme Petazzoni, Maryline Gomes, Marie-Odile Morandi.
Aux manettes de la régie aujourd’hui Isabella Vanni.
Merci également à Sylvain Kuntzmann qui traite les podcasts et à Olivier Grieco qui les finalise et les met en ligne. Et aussi, je l’oublie assez souvent, dommage parce qu‘il fait un gros travail c’est Quentin Gibeaux qui fait ensuite la découpe des podcasts par sujet.
Vous retrouverez sur le site de l’April, april.org, et sur le site de la radio, causecommune.fm, toutes les références utiles. N’hésitez pas à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu mais aussi des points d’amélioration. Toutes vos remarques et questions sont évidemment les bienvenues.
Nous vous remercions d'avoir écouté l’émission. N’hésitez pas à la faire connaître partout, auprès de vos amis, collègues, etc. Faites également connaître plus globalement la radio Cause Commune, la voix des possibles.
La prochaine émission aura lieu en direct mardi 3 mars 2020 à 15 heures 30. Ce sera justement ma collègue Isabella Vanni qui animera le sujet principal qui portera sur Libre en Fête, libre-en-fete.net, des évènements de découverte du logiciel libre et de la culture libre en général qui sont proposés partout en France autour du 20 mars 2020 dans une dynamique conviviale et festive.
Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi prochain et d’ici là, portez-vous bien.
Générique de fin d'émission : Wesh Tone par Realaze.