Le Sénat valide une définition légale claire, de portée générale, de l'interopérabilité
Le 19 février 2020, le Sénat approuvait à l'unanimité, contre l'avis du gouvernement, la proposition de loi visant à garantir le libre choix du consommateur dans le cyberespace. Un texte enrichi d'une définition claire de l'interopérabilité, via un amendement proposé par l'April et repris par le groupe socialiste.
L'ambition affichée de la proposition de loi est de renforcer la neutralité des terminaux – objet de son premier chapitre – et de l'interopérabilité des plateformes – objet de son deuxième chapitre –. L'interopérabilité est une considération structurante pour la liberté des internautes dans le cyberespace. L'absence d'une définition claire et précise, de portée générale, au code des postes et des communications électroniques (CPCE) est un frein à son développement. Afin d'y remédier, l'April a proposé de reprendre la définition retenue par le Référentiel général d'interopérabilité (RGI)1 pour l'inscrire au chapitre Ier : définitions et principes du CPCE. Proposition reprise par le groupe socialiste, et adoptée en séance publique, visiblement de façon consensuelle (voir les débats entre 18:15:53 à 18:21:10, ou relire le compte-rendu).
L'April salue l'adoption par les sénatrices et sénateurs d'une définition claire, de portée générale, de l'interopérabilité. Malheureusement, le gouvernement, par la voix du secrétaire d'État au numérique Cédric O, a émis un avis défavorable sur l'ensemble de la proposition de loi. Pour lui « la seule réponse pertinente réside dans le fait de bâtir un cadre efficace et harmonisé au sein de l’Union européenne ». Il est donc à craindre qu'elle ne soit rejetée lors de la lecture à l'Assemblée.
Article 4 I (nouveau). – Après le 9° de l’article L. 32 du code des postes et des communications électroniques, il est inséré un 9° bis ainsi rédigé : « 9° bis Interopérabilité. « L’interopérabilité est la capacité que possède un produit ou un système, dont les interfaces sont intégralement connues, à fonctionner avec d’autres produits ou systèmes existants ou futurs et ce sans restriction d’accès ou de mise en œuvre. »
Un gouvernement sans vision politique de l'interopérabilité ?
En ce qui concerne l'amendement visant à une meilleure définition de l'interopérabilité, Cédric O a signalé la position « de sagesse » du gouvernement, assimilable à « ne prend pas part au vote ». Il a expliqué que la définition proposée ne « semble pas poser énormément de problèmes », mais qu'il n'est « pas certain que cette précision soit à la fois utile et productive » et qu'elle « paraît mériter un travail un peu plus approfondi ». Rappelons tout de même que la définition retenue est celle du Référentiel général d'interopérabilité, dont la deuxième version a été publiée au journal officiel le 22 avril 2016 après un travail remarquable à l'époque de la Direction interministérielle des systèmes d'information de l'État.
Pierre Ouzoulias (CRCE) et Catherine Morin-Dessailly (UDI) – qui s'est exprimée en amont des prises de parole sur l'article 1, à partir de la minute 17:48:46 — ont évoqué une critique forte du manque de cohérence et de lisibilité politique du gouvernement concernant les enjeux d'interopérabilité et, plus largement, de souveraineté numérique. Faisant ainsi le lien avec le rapport de la commission d'enquête sénatoriale qui a, en partie, servi d'assise à la proposition de loi. L'intervention de la sénatrice, très engagée sur ces question depuis plusieurs années, a été particulièrement saluée par ses collègues.
Le secrétaire d'État invoque ici la nécessité d'une coordination européenne, pour s'opposer à une proposition de loi très circonstanciée – son objet est essentiellement d'adapter les moyens d'action des autorités de régulation – et issue entre autres des travaux d'une commission d'enquête. Pourtant, des textes bien plus vastes dans leur champ d'application, comme la proposition de loi contre la haine sur Internet qui a été sévèrement épinglée par la Commission européenne, sont soutenus sans réserve comme d'urgentes nécessités.
L'April se mobilisera lors de la lecture du texte à l'Assemblée et appellera les député⋅es, particulièrement de la majorité, à ne pas enterrer un texte qui a pour mérite d'inscrire enfin au code des postes et des communications électroniques une définition claire, effective de l'interopérabilité. Interopérabilité des plateformes, qui doit être une des pierres angulaires de toute politique publique un tant soit peu sérieuse de lutte contre les pratiques toxiques sur les réseaux sociaux et contre l'hégémonie de certaines plateformes de partage de contenus.
- 1. La version 2.0 du RGI a été officialisée par l'arrêté en date du 20 avril 2016 (JORF n°0095 du 22 avril 2016). C'est la version « en vigueur » du RGI. La définition de l'interopérabilité se trouve page 7.