La Commission s'éloigne de l'interopérabilité pour les services publics européens

Paris, le 20 décembre 2010. Communiqué de presse.

La Commission européenne a rendu publique le 16 décembre 2010 sa communication « Vers l'interopérabilité pour les services publics européens ». Ce texte opère un recul inacceptable sur les questions d'interopérabilité, et entérine la disparition des standards ouverts, déjà menacés par l'Agenda numérique européen.

L'Agenda numérique européen, publié en mai 2010, se cachait derrière l'affirmation de grands principes d'interopérabilité pour mieux en réduire la portée et les ignorer dans la pratique1. Ce nouveau texte continue sur cette lancée en ne mentionnant même plus les standards ouverts, remplacés pour l'occasion par des « spécifications ouvertes », qui n'ont désormais plus d'ouvertes que le nom2. Ces termes sont plus vagues, car ils ne se réfèrent plus à d'autres textes de loi existants. Ils permettent ainsi à des standards de fait de se faire passer pour ouverts, alors que la version antérieure du cadre européen d'interopérabilité, adoptée en 2004, donnait une définition claire des standards ouverts et incluait une liste de critères précis3. Les dispositions sont désormais vagues et surtout, peu contraignantes4. « De nombreuses conditions nécessaires à l'interopérabilité, comme la liberté de réutilisation du standard, ont disparu de cette définition des « spécifications ouvertes » », explique Jeanne Tadeusz, responsable des affaires publiques à l'April. « Non seulement cela représente un danger pour le partage de la connaissance et l'innovation mais, pire encore, la Commission indique déjà qu'il n'est pas nécessaire de les respecter5 ».

Ces « spécifications ouvertes » ne sont pas nécessairement disponibles librement ou pour un cout nominal : elles peuvent également l'être sous licences dites « FRAND »6. La Commission se garde bien de définir ces dernières précisément, et laisse donc les détenteurs des droits toute latitude pour choisir conditions d'utilisations et de licences. Ce type de licences permet d'opter pour une rémunération par copie de programme, pratique qui favorise les monopoles au détriment des nouveaux acteurs innovants et exclut donc de fait les développeurs de logiciels libres. « Une telle définition n'est rien d'autre qu'une escroquerie intellectuelle », souligne Tangui Morlier, président de l'April. « Des licences FRAND compatibles avec le Logiciel Libre seraient des licences qui n'imposent pas de restriction à l'utilisation et à la distribution du format. Si la Commission avait réellement voulu inclure tous les acteurs, dont le logiciel libre, pourquoi n'a-t-elle pas maintenu la définition précédente, beaucoup plus claire ? ».

La nouvelle version publiée du cadre européen d'interopérabilité est sans doute moins néfaste que certains brouillons qui avaient circulé précédemment, mais cette communication de la Commission représente clairement une régression. L'April regrette qu'une fois de plus, les intérêts particuliers de quelques grandes entreprises aient pris le pas sur les droits des citoyens et sur l'ouverture à l'innovation, valeurs pourtant défendues par la Commission européenne.

L'April reste donc vigilante pour s'assurer que les acteurs du logiciel libre ne soient pas exclus lors des actions qui seront mises en place à la suite de cette communication.

À propos de l'April

Pionnière du logiciel libre en France, l'April est depuis 1996 un acteur majeur de la démocratisation et de la diffusion du Logiciel Libre et des standards ouverts auprès du grand public, des professionnels et des institutions dans l'espace francophone. Elle veille aussi, dans l'ère numérique, à sensibiliser l'opinion sur les dangers d'une appropriation exclusive de l'information et du savoir par des intérêts privés.

L'association est constituée de plus de 5 500 membres utilisateurs et producteurs de logiciels libres.

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Contacts presse :

Frédéric Couchet, délégué général, fcouchet@april.org +33 6 60 68 89 31

Jeanne Tadeusz, responsable affaires publiques, jtadeusz@april.org +33 1 78 76 92 82

  • 1. Voir les communiqués de l'April à ce sujet: Agenda numérique : la Commission européenne préfère l'obscurantisme à une société de l'information ouverte et Agenda numérique, l'interopérabilité dans les principes pour mieux l'oublier dans la pratique ?.
  • 2. La raison officiellement invoquée par la Commission est que cela permet d'utiliser aussi bien les standards tels qu'existant dans le droit européen (Directive 98/34/EC) que les spécifications mises en place par les consortium et forum TIC, en ajoutant donc les standards de fait aux standards normalisés. Ceci n'étant pas sans rappeler le continuum d'ouverture rappelé récemment par la commissaire européenne Neelie Kroes.
  • 3. Ces critères incluaient notamment : «
    • * le standard est adopté et sera maintenu par une organisation sans but lucratif et ses évolutions se font sur la base d'un processus de décision ouvert accessible à toutes les parties intéressées (décision par consensus ou majorité) ;
    • * le standard a été publié et le document de spécification est disponible, soit gratuitement, soit au coût nominal. Chacun a le droit de le copier, de le distribuer et de l'utiliser, soit gratuitement, soit au coût nominal ;
    • * la « propriété intellectuelle » — c'est-à-dire les brevets éventuels — sur la totalité ou une partie du standard est mise à disposition irrévocablement et sans redevance ;
    • * il n'y a pas de restriction à la réutilisation du standard. »

    Source : European Interoperability Framework V1.0, page 9, traduction par nos soins.

  • 4. Le texte affirme ainsi que « Si le principe d'ouverture est pleinement appliqué :
    • * Toutes les parties prenantes ont la même possibilité de contribuer au développement des spécifications et une consultation publique fait partie du processus de décision.
    • * La spécification est disponible à tous pour son étude.
    • * Les droits de « propriété intellectuelle » liés à la spécification sont sous licence FRAND ou sous une base sans redevance, d'une manière qui permet sa mise à en place aussi bien dans les logiciels libres qu'open source. »

    Source: European Interoperability Framework V2.0, traduction par nos soins.

  • 5. Le cadre européen d'interopérabilité affirme ainsi que « les administrations publiques peuvent choisir d'utiliser des spécifications moins ouvertes, si des spécifications ouvertes n'existent pas ou ne correspondent pas aux besoins fonctionnels d'interopérabilité ». Source : Cadre européen d'interopérabilité. Traduction par nos soins
  • 6. Fair, Reasonable and Non-Discriminatory : juste, raisonnable et non-discriminatoires.