La Commission européenne tire la sonnette d'alarme de l'enfermement technologique des administrations publiques... mais n'en tire pas les conséquences utiles.
Le 25 juin 2013, la Commission européenne a publié ses recommandations sur l'usage des standards dans la commande publique de TIC, afin d'éviter l'enfermement ("Building open ICT systems by making better use of standards in public procurement - against lock-in"). Malgré un titre alarmant ("Against Lock-in: building open ICT systems by making better use of standards in public procurement") et des objectifs annoncés très positifs, l'April regrette l'absence complète de mention des standards ouverts dans ces documents.
Ces documents font suite à une réflexion de longue date de la Commission européenne, l'agenda numérique pour l'Europe. Ses objectifs annoncés sont d'améliorer les pratiques en termes d'achat public de TIC en favorisant l'interopérabilité.
Et ce pour résoudre une série de difficultés , parmi lesquelles :
- la dépendance technologique à l'égard d'un vendeur unique
- l'absence d'interopérabilité dans l'interaction avec les usagers et les autres administrations
- des sommes astronomiques dépensées chaque année par les administrations et sans pouvoir en sortir (coût de sortie de la technologie élevé)
- le manque de compétitivité du marché
La Commission européenne prend enfin conscience de la spirale infernale dans laquelle se trouvent les entités publiques depuis des années. En somme, le fruit d'une politique européenne passive en la matière, dénoncée depuis de nombreuses années par des associations1.
Si l'April soutient cet objectif ainsi que la méthode retenue (un recueil des bonnes pratiques dans les différents pays européens), elle regrette que les méthodes mises en avant ne soient pas plus franches, claires et à la hauteur des enjeux. L'absence de toute mention des standards ouverts (hormis dans les exemples d'autres pays) est ainsi tout à fait parlante : aucune mention des standards ouverts, alors même que le texte explique bien que l'utilisation de standards fermés entraîne des distorsions de concurrence. En refusant de tirer les conséquences logiques de ses propres analyses, la Commission ne réalise donc pas une vraie politique en faveur de l'innovation et de la compétitivité.
Tout n'est cependant pas négatif dans ce document : la reconnaissance des dangers de l'enfermement technologique et de la dépendance à un fournisseur et/ou éditeur unique est ainsi un premier pas. Cela témoigne d'une prise de conscience des enjeux et des dangers que représentent les standards fermés. Mais la Commission se contente de faire l'inventaire des difficultés auxquelles doivent se confronter les administrations publiques européennes, en restant à la surface des problèmes et muette quant aux moyens concrets de les dépasser. Pourtant, c'est entre les mains de la Commission que résident les solutions de l'indépendance technologique des administrations européennes. Pour autant, la solution qui s'imposerait dans ce cadre (d'utiliser des logiciels libres, pour s'assurer de son indépendance technologique) n'est pas non plus retenue. La Commission manque l'occasion d'amorcer une politique concrète et efficace.
Aussi, la présence de mises en gardes claires sur la rédaction des appels d'offres ainsi que sur l'importance de se concentrer sur des questions techniques dans les appels, plutôt que de citer des marques ou des technologies particulières, restent de bonnes nouvelles. En effet, la Commission rappelle les administrations au respect de la directive : l'appel d'offre ne peut faire référence à une marque que de manière exceptionnelle et doit nécessairement être suivi de la mention "ou équivalent". Par ailleurs, la Commission européenne souligne à juste titre que la mention d'une marque au sein des appels d'offres entraîne de facto une restriction de compétitivité sur le marché. Une absence de compétitivité aux conséquences néfastes : monopolisation du marché et impossibilité pour les administrations d'être en mesure de négocier les tarifs, dont il résulte des excès de dépenses estimés à plus d'un milliard d'euros par an.
Enfin la publication d'un guide à destination des administrations publiques, présente de bonnes intentions, notamment par la volonté d'aider les fonctionnaires dans leur choix de standards, en insistant sur la nécessité de prendre en compte les enjeux à long terme. Reste que le guide manque là encore de clarté, le standard ouvert demeure le grand oublié de ce communiqué.
- 1. voir les rapports de l'Open Forum Europe par exemple le rapport de l'année 2012 rappelant que les spécifications techniques rédigés dans les appels d'offres doivent préserver un égal accès à l'ensemble des soumissionnaires potentiels.