L'April soutient le collectif des enseignant·es de la licence informatique de Paris 8 pour une formation de qualité dans des conditions dignes
Mardi 11 février 2020, Pablo Rauzy, maître de conférences en informatique à l'Université Paris 8, est intervenu dans l'émission Libre à vous ! pour évoquer la décision du collectif des enseignant·es de la licence informatique (le CELI) de ne pas ouvrir la première année de licence à la rentrée prochaine. L'April soutient l'équipe enseignante dans cette décision difficile et s'inquiète de la pérennité d'une formation importante pour le logiciel libre.
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L'éthique du logiciel libre, incarnée par ses quatre libertés, se caractérise par un engagement pour l'accès, le partage et l'enrichissement collectif de la connaissance. Elle est une condition essentielle de l'émancipation de tous et de toutes dans une société largement informatisée. Une formation publique et de qualité aux savoirs informatiques est, à ce titre, un enjeu déterminant de démocratie.
La déclaration du CELI de Paris 8 annonçant ne pas être en mesure d'assurer l'ouverture de la première année de licence doit donc nous interpeller. Alors que les discours politiques évoquent volontiers l'importance de défendre la « souveraineté numérique » et d’œuvrer pour l'essor de « champions numériques », il ne saurait être fait l'économie de la question des moyens de l'enseignement supérieur dans les sciences informatiques. Pour illustrer la situation, Pablo Rauzy indique ainsi avoir fait l'an passé l'équivalent de 5 mois de travail supplémentaire pour tenter au mieux de pallier ces manques, et ne pas être le seul de ses collègues à se sur-investir dans l'enseignement, mais la situation demeure intenable malgré ça.
Le département informatique de l'Université Paris 8 est lié à l'histoire du logiciel libre en France. De manière générale Paris 8 est une université particulière, héritière du centre universitaire expérimental de Vincennes créé dans la foulée de Mai 68. C'est dans ce contexte-là qu'est apparu l'un des premiers départements d'informatique en France (tout comme les premiers départements d'art qui, avant ça, n'existaient pas à l'université mais seulement en conservatoire). Jusque-là, la licence informatique de Paris 8 s'est voulue fidèle à cette volonté d'incarner une alternative : pas de cours en amphi, approche allant de la pratique à la théorie plutôt que l'inverse, proximité des enseignant·es avec leurs étudiant·es… et bien sûr, le logiciel libre ! Ce n'est pas pour rien que l'April a été créée par d'anciens étudiants de Paris 8, à la fin de leurs études. Frédéric Couchet, délégué général de l'April et cofondateur de l'association en 1996 a expliqué lors d'une conférence TEDx le rôle majeur joué par l'enseignement reçu à Paris 8 dans sa découverte de l'importance des libertés informatiques. En se cantonnant à la même époque, on peut aussi citer l'histoire de Mygale.org. Aujourd'hui encore, la licence informatique de l'Université Paris 8 héberge l'un des rares cours de développement de logiciels libres, qui amène parfois des étudiant·es de 3ème année de licence à faire des contributions sur des logiciels aussi vénérables que GNU Emacs ou la commande ls des GNU coreutils !
Déclaration du CELI du 4 février 2020À l'Université Paris 8, le collectif des enseignant·es de la licence informatique (instance créée par le conseil de l'UFR MITSIC du 19 novembre 2019 pour s'occuper de la licence informatique, et regroupant l'ensemble des enseignant·es intervenant dans la licence, quel que soit leur statut, y compris les étudiant·es tuteurs et tutrices) s'est réuni le 4 février 2020 et a pris la décision de ne pas ouvrir la première année de licence à la rentrée 2020.
Cette décision, lourde de conséquences et très difficile à prendre, est la conclusion inévitable d'une situation catastrophique. Depuis des années, l'équipe pédagogique n'est plus en mesure d'assurer correctement sa mission de service public d'enseignement supérieur. Les groupes d’étudiant·es sont de plus en plus surchargés alors que le nombre d'enseignant·es diminue (non-remplacement des départs en retraite, etc). La situation était alarmante et depuis trop longtemps. Nos tutelles le savent, aussi bien la présidence de notre université que le rectorat. Avec la LPPR qui arrive et promet une aggravation de la situation, dans la continuité logique de la managérialisation et de la privatisation de l’enseignement supérieur (Bologne, LMD, LRU, Fioraso, ORE, …), l’équipe pédagogique qui tenait jusque là la formation à bout de bras ne s’en sent plus la force.
Cela fait plusieurs années que les séances de travaux pratiques ne sont plus assurées en demi-groupe comme c'est censé être le cas, que chaque cours de première et deuxième année est amputé d'une dizaine d'heures, que plus aucune option n'est ouverte en troisième année, et depuis l'an dernier, des cours obligatoires de deuxième année ne sont plus dispensés.
Tout cela malgré une équipe pédagogique dévouée qui assurait jusque là en moyenne une centaine d'heures de service complémentaire (au-delà du service réglementaire de 192h) par enseignant·e titulaire, en plus du recrutement de plusieurs chargé·es de cours vacataires.
La situation n’est plus tenable, et il ne serait pas correct d’accueillir dans ces conditions déplorables de jeunes étudiant·es en demande légitime d'une formation de qualité : celle-là même que nous voudrions pouvoir leur offrir, celle pour laquelle nous avons choisi d'exercer ce métier.