Interview de Mounir Majhoubi - Mark Zuckerberg - RGPD - Les Echos
Titre : Interview de Mounir Majhoubi
Intervenants : Mounir Mahjoubi - Fabienne Schmitt
Lieu : Émission L'invité des Echos
Date : avril 2018
Durée : 8 min
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Licence de la transcription : Verbatim
Illustration : Mounir Mahjoubi en 2017 - Wikipédia. Licence Creative Commons CC BY-SA 2.0
NB : transcription réalisée par nos soins. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas forcément celles de l'April.
Transcription
Fabienne Schmitt : Bonjour à tous. Le secrétaire d’État chargé du numérique est l’invité des Echos ce matin. Bonjour Mounir Mahjoubi.
Mounir Mahjoubi : Bonjour.
Fabienne Schmitt : L’actualité c’est le « Facebookgate », on ne parle que de ça. Quelles sont pour vous, Mounir, les conclusions, les leçons à tirer de ce qui s’est passé ?
Mounir Mahjoubi : D’abord, il faut le dire, le « Facebookgate », c’est une prise de conscience ; le « Facebookgate » c’est grave. Ce qui s’est passé c’est que des millions personnes se sont rendu compte que leurs données avaient pu être utilisées contre elles. Elles ont pu être utilisées pour les influencer, pour les orienter dans des choix politiques. Mais, plus loin que ça, et c’est ça qui est intéressant pour nous en Europe aujourd’hui, on vient de se rendre compte que ces grandes plateformes, elles stockent, elles tirent, elles vous attirent et elles stockent sur vous un énorme volant de données : sur vos préférences, sur vos goûts, sur ce que vous faites, sur vos interactions, sur les gens qui sont vos contacts, et que ces données-là, qu’on croyait être protégées dans une espèce de coffre-fort virtuel, en fait c’est un coffre-fort où il y aurait une porte devant et pas de porte derrière. Donc les autres peuvent entrer dedans, utiliser les données, puis se les partager entre eux et les valoriser et les transmettre. Et puis là on se rend compte, et c’est ça qui est intéressant avec le « Facebookgate », qu’en fait on n’est pas d’accord et qu’on n’a pas l’impression qu’on a donné notre consentement à cette utilisation. Cette affaire Facebook,là, c’est un wake-up call comme disent les Américains, c’est un réveil de l’esprit pour tous, pour se rappeler que nos données personnelles sont importantes ; c’est nous. Les données personnelles, si elles s’appellent personnelles, c’est que ce ne sont pas des données comme les autres. C’est le prolongement de notre corps, c’est le prolongement de nos idées, c’est le prolongement de notre vie. Eh bien ce qui est le prolongement de nous, il faut le protéger !
Fabienne Schmitt : Mark Zuckerberg, le patron de Facebook a fait son mea culpa. Il a annoncé des mesures visant à renforcer la protection de ces données personnelles. Est-ce que c’est suffisant selon vous ?
Mounir Mahjoubi : Ce qu’il est très important de rappeler c’est que ces plateformes, il faut qu’elles respectent des règles. Et ces règles ce ne sont pas elles qui les fixent : c’est nous, les pays, les citoyens et les citoyens représentés au parlement, avec leurs gouvernements. Il se trouve qu’en Europe on a une nouvelle règle, le règlement général pour la protection des données qui arrive au mois de mai.
Fabienne Schmitt : Le « Facebookgate » est d’ailleurs une superbe rampe de lancement pour ce RGPD, comme on dit.
Mounir Mahjoubi : Si le RGPD avait existé, pas de « Facebookgate » ! Donc maintenant, à partir du mois de mai, on va avoir cette nouvelle loi de protection des données personnelles, on va pouvoir se protéger.
Fabienne Schmitt : Concrètement, comment ça fonctionne ? On va pouvoir dire « non, Facebook, je ne veux pas donner mes données personnelles. Vous les supprimez ! » ?
Mounir Mahjoubi : Justement, pour répondre à cette question et à la précédente, Facebook dit : « On a bien compris le problème. D’ailleurs, pour répondre au RGPD, on va montrer des gages et on va vous dire que maintenant on respecte 100 % du RGPD ». Il faut dire ce qu’il y a dans cette nouvelle loi. Dans cette nouvelle loi, il y a le consentement. Consentement, il doit être complet, spécifique, informé, transparent. Ce n’est pas juste la petite case « oui je suis d’accord », qui fait que quand on installe l’application une fois, on dit oui et on se rend compte, trois ans après, qu’on avait dit oui à l’enregistrement de tous nos appels téléphoniques, de tous nos textos, de tous nos déplacements physiques. Là, il va falloir que l’application vous dise : « Je vous informe que je stocke tous vos lieux de passage physiques et géographiques, que je le réutilise pour vous faire de la pub ciblée, mais que je le réutilise aussi pour faire des statistiques géographiques, et que je le réutiliserai aussi pour faire un profil psychologique de votre activité ». Et là je dis oui ou non.
Deuxième question. Il va me dire « vous savez, je vais dans votre téléphone récupérer tous vos contacts et je vais me permettre de leur envoyer de la pub en vous citant et en disant que ça vient de vous ». Je vais dire non, je ne suis pas d’accord. Ce qui est très important, c’est qu’il faudra être très précis.
Fabienne Schmitt : Il faut faire attention à ce que ça ne soit pas une application à minima des règles du RGPD par Facebook.
Mounir Mahjoubi : Parce que de l’autre côté, Facebook, et c’est ça ce que j’ai découvert ce matin, ils ont annoncé hier la mise la mise en place, la mise en ligne, de ce qu’ils appellent leurs premières obligations RGPD où on se rend compte qu’il y a un nouveau parcours du consentement. Moi, je leur réponds tout de suite que ce n’est pas du tout assez. Que ce qu’ils ont présenté aujourd’hui c’est le début d’une bonne volonté, mais ce n’est pas du tout à la hauteur de ce que le règlement attend de leur part. Aujourd’hui les Européens, mais pas que les Européens, tous les utilisateurs dans le monde, attendent de la vraie transparence et on attend que les plateformes fassent ce qu’elles disent.
Mark Zuckerberg a fait une intervention, une réponse à des questions au Congrès, très précises, très complètes. Eh bien qu’il fasse maintenant et que son entreprise fasse ce qu’il dit ; c’est très important. Aujourd’hui on ne peut pas continuer en permanence de dire des choses et de ne pas les faire.
Fabienne Schmitt : On sera attentifs puisque Facebook a dit : « Ce sont de premières mesures », on a le temps de voir s’il y en aura d’autres. Il y a un autre débat qui monte sur ce même thème. Vous me parlez de l’Europe, Mounir Mahjoubi, il y a certaines personnes qui pensent que le RGPD c’est très bien, mais il faudrait peut-être aller un peu plus loin. C’est notamment le cas de Thierry Breton, le patron d’Atos, qui déclarait à nos confrères du Figaro qu’il faut désormais exiger, je cite, « que les données européennes soient stockées, processées et traitées en Europe, selon des modalités que l’Europe aura fixées ». En gros, il faut opter pour un traitement de nos données personnelles sur le sol européen. C’est un sujet auquel vous êtes sensible ?
Mounir Mahjoubi : La question qu’il pose est essentielle et c’est celle qui m’occupe beaucoup en ce moment. C’est celle de la souveraineté technologique, de la souveraineté numérique et de la souveraineté des données. La souveraineté, ce n’est pas juste où est-ce qu’elles sont mes données, c’est avec quelle technologie je les processe, avec quelle technologie je les traite ? Est-ce que c’est une technologie que je maîtrise ou est-ce que c’est une technologie que je loue à l’étranger ? Vous savez, sur l’intelligence artificielle, aujourd’hui, en Europe, nos entreprises utilisent globalement des technologies de deux grandes entreprises américaines : le Watson d’IBM, l’IA de Google et maintenant, une offre qui vient de Chine. Donc il faut s’assurer que, même sur les logiciels de traitement, on a la maîtrise. Ensuite il y a les machines.
Fabienne Schmitt : C’est un enjeu de compétitivité, en fait ?
Mounir Mahjoubi : De compétitivité et de souveraineté. C’est-à-dire que si 100 % de nos entreprises font traiter leurs données par des boîtes étrangères, il se pose une question. Après il y a les calculateurs. Aujourd’hui, on a en Europe une force de calcul très importante, mais qui est encore plus importante ailleurs. Si les forces de calcul sont ailleurs, nos entreprises, de la même manière, enverront leurs données là-bas. Et puis, il y a le sujet de l’endroit où elles sont stockées à long terme. Toute cette infrastructure de souveraineté technologique, elle pose la question de savoir qui, aujourd’hui, les influence, donne le regard, donne le chemin. Il se trouve que les grandes entreprises américaines, il faut qu’on les célèbre et qu’on les félicite : elles ont été les plus innovantes ; elles ont été les premières. Résultat, on ne s’est pas trop posé de questions : les entreprises avaient ces offres pas très chères, très performantes, elles ont tout mis dedans et elles ont bien fait puisqu’il n’y avait pas d’autre offre !
Fabienne Schmitt : Alors qu’est-ce qu’il faut faire, aujourd’hui ?
Mounir Mahjoubi : Et maintenant, on se rend compte, chaque entreprise, que compétitivement et en termes de risques, il faudrait peut-être qu’on ait la capacité de voir ailleurs. Donc aujourd’hui, le grand sujet européen, c’est comment on a du super calcul en Europe ; comment on a des offreurs de traitement de données massives en Europe ; et comment on a un vrai marché unique de la donnée au sein de l’Europe pour que les entreprises européennes se disent « on est plus fort à tout traiter et tout stocker en Europe plutôt qu’à l’étranger ». Ça, chacun de ces piliers, c’est un pilier qu’on traite aujourd’hui avec la Commission. La France est un des acteurs extrêmement engagés sur le sujet, que ce soit sur le super calculateur, qui est un projet à plusieurs milliards d’euros, qu’aucun pays seul ne peut mener, seule l’Europe est à l’échelle pour pouvoir le financer.
Le deuxième sur l’émergence d’acteurs de l’intelligence artificielle ; c’est au cœur de la stratégie qui a été annoncée par le président de la République.
Et enfin, sur le troisième sujet, c’est tout le paquet sur le free flow of data, le parcours libre des données au sein du territoire de l’Union. C’est quand même terrible : on est l’Union européenne, on est plus gros que les États-Unis et pourtant, on n’arrive pas à avoir un marché unique qui ferait monter en compétence tous nos acteurs.
Fabienne Schmitt : Merci beaucoup Mounir Mahjoubi.
Mounir Mahjoubi : Merci à vous.