La vente liée s'invite dans le projet de loi consommation
Débats du 21 novembre 2007
La vente liée ordinateur/logiciels s'est invitée dans les débats sur le projet de loi «Consommation». Interpellé par un député SRC, le secrétaire d'État Luc Chatel a préféré nier la réalite plutôt que de s'engager à faire respecter la loi.
Les députés ont commencé mercredi 21 novembre 2007 l'étude du projet de loi «Consommation : développement de la concurrence au service des consommateurs»
Lors de la discussion générale le député Jean-Yves Le Déaut (groupe Socialiste, radical, citoyen et divers gauche) a interpellé Luc Chatel, secrétaire d'Etat chargé de la Consommation et du Tourisme, sur la question de la vente liée ordinateur/logiciels. Le député a justement rappelé que la loi qui interdit la vente liée ordinateur/logiciels n'est toujours pas appliquée en France et que la vente liée est un obstacle à la concurrence.
La réponse de Luc Chatel nie la réalité des faits :
« Vous avez également évoqué les questions de vente liée. Vous savez que les autorités européennes ont pris des orientations en la matière récemment et qu'au niveau national pour tenir compte je dirais du développement croissant et d'un accès au grand public, notamment des marchés de l'informatique sur lequel ce sujet se pose véritablement, eh bien la DGCCRF a lancé une série de groupes de travail avec les consommateurs et les professionnels pour que nous avancions et je voulais vous indiquer que actuellement une grande partie des fabricants proposent des ordinateurs nus ou avec le système d'exploitation Linux qui lui est un système d'exploitation qui est gratuit.»
Les extraits video : http://www.april.org/groupes/vente-liee/pjl-consommation/
Le compte rendu analytique officiel.
Quoi qu'en dise Luc Chatel, rien n'a changé dans le problème de la vente liée. Les fabricants ne proposent toujours pas d'ordinateurs nus dans les chaînes de distribution habituelles, ni d'ordinateurs équipés avec un système GNU/Linux. Les offres qui respectent la liberté de choix du consommateur et donnent des informations détaillées sur les prix et les licences sont toujours marginales voire inexistantes.
Le depute SRC Philippe Tourtelier a d'ailleurs récemment interrogé Luc Chatel à ce sujet. Philippe Tourtelier rappelait notamment que depuis 2004, la DGCCRF n'a toujours rien fait pour mettre un terme à ces abus et que la situation n'a pas evolué.
Saisie du dossier de la vente liée, la DGCCRF avait ouvert une consultation avec les représentants des consommateurs et des utilisateurs d'une part, et les représentants des industriels et des distributeurs d'autre part. L'April a participé à la première de ces tables rondes, organisée par la DGCCRF en novembre 2006. Une seconde table ronde a eu lieu avec les industriels en décembre 2006. Mais la table ronde de synthèse initialement prévue pour janvier 2007, qui aurait dû réunir l'ensemble des parties au dossier et permettre d'aboutir à des solutions de conciliation, n'a malheureusement jamais été planifiée.
Or le Président de la République, alors candidat à l'élection présidentielle 2007, avait indiqué à l'April qu'il agirait en fonction des consultations en cours à la DGCCRF pour rendre au consommateur sa liberté de choix.
Maintenant que le nouveau directeur de la DGCCRF est nommé celui-ci doit reunir les représentants des industriels et des consommateurs, pour mettre en place des solutions qui garantissent la transparence des prix et des conditions d'usage des logiciels ainsi que l'optionnalite des offres. Cela aurait dû être fait il y a dix mois déjà.
Débats du 26 novembre 2007
Un amendement «vente liée» sur le projet de loi « concurrence au service des consommateurs » a été débattu lundi 26 novembre 2007 à l'Assemblée nationale. Reniant une fois encore ses positions de député, le secrétaire d'État à la consommation et au tourisme a invoqué la jurisprudence éculée de «l'intérêt du consommateur» pour justifier l'inaction de la DGCCRF depuis plusieurs années. Il a déclaré que la DGCCRF n'interviendrait pas tant que le procès de l'UFC-Que Choisir contre deux distributeurs et un constructeur serait en cours.
Les propos de Luc Chatel suite à une interpellation de Martine Billard (Les Verts) et de Jean-Yves Le Déaut (PS) : (compte rendu analytique) :
Martine Billard - « Le consommateur doit avoir le choix, et doit pouvoir se prononcer en connaissance de cause, grâce à des prix lisibles. Les nombreuses plaintes n'avancent pas ; manifestement, la DGCCRF a reçu instruction de ne pas intervenir. » Luc Chatel - « Le Gouvernement a donc confié à la DGCCRF une mission d'expertise, qui est suspendue mais reprendra lorsque seront connus les résultats de l'action intentée par une association de consommateurs - soit au début de l'année prochaine. Nous verrons alors si la jurisprudence évolue. Quoi qu'il en soit, la loi en vigueur satisfait déjà votre requête ! »
En somme, Monsieur Chatel trouve normal que des acteurs en position dominante profitent de l'inexpertise des consommateurs et les forcent à acheter leurs logiciels. Il est incompréhensible que les autorités de régulation cautionnent encore aujourd'hui que le consommateur soit abusé par ceux-là même qui le maintiennent dans l'ignorance.
Luc Chatel a confirmé hier soir le peu d'importance qu'il accorde à régler un problème sérieux de consommation et de concurrence. Après avoir nié le problème mercredi 21 novembre [3], le ministre fait tout simplement un déni de régulation. Face à un marché monopolistique et des abus aussi flagrants, il est tout simplement anormal que les pouvoirs publics attendent l'évolution d'une jurisprudence éculée pour défendre la concurrence et les droits des consommateurs.
Les consultations en cours à la DGCCRF n'ont pas pour objet de savoir si la vente liée ordinateurs et logiciels préinstallés viole le code de la consommation. Cette situation illégale a été confirmé la DGCCRF en reconnaissant notamment la différence de nature juridique entre un logiciel (une prestation de service) et du matériel (bien acquis en pleine propriété au terme de la transaction). Le gouvernement a fait de même en réponse à des questions de parlementaires sur le sujet. Y compris en répondant à une question de Luc Chatel, alors député.
Pour reprendre les propos du Président de la République ces consultations doivent permettre au consommateur de choisir librement ou d'obtenir sans difficulté le remboursement des logiciels effectivement inutilisés.
Extrait complet des échanges sur la vente liée
Extrait du compte rendu analytique :
« Mme Martine Billard - L'amendement 240 traite de la vente liée, qui figure déjà dans le code du commerce, sans que les dispositions qui y sont relatives ne soient malheureusement appliquées. Monsieur le secrétaire d'État, vous avez affirmé, lors de la discussion générale, qu'il était aujourd'hui possible d'acheter un ordinateur sans logiciel. Or, c'est impossible dans les établissements de la grande distribution, où le consommateur n'est pas en mesure de comparer les prix entre un ordinateur équipé et un autre qui ne le serait pas. La vente de logiciels pré-installés est une vente forcée, où la transparence des prix fait complètement défaut. En outre, si un logiciel d'exploitation est certes utile, d'autres logiciels le sont beaucoup moins, sans que le client sache combien il paie pour des outils dont il ne se servira peut-être jamais. De même, les versions des logiciels pré-installés sont souvent bridées, contrairement à celles qui sont vendues à part. Enfin, alors que les logiciels sont très chers - le logiciel Vista coûte 213 euros de plus en Europe qu'aux États-Unis -, Microsoft se permet d'équiper les ordinateurs de versions défaillantes, dont le remplacement ou la mise à jour ne sont évidemment pas gratuits. Pour les entreprises qui souhaiteraient distribuer d'autres logiciels, se pose en outre un évident problème de concurrence. Face à cette situation, la DGCCRF ne répond pas aux plaintes, et la réunion qui devait avoir lieu sur le sujet a été annulée. Quand le consommateur pourra-t-il enfin acheter des ordinateurs non équipés sans avoir à passer par les magasins spécialisés ou Internet ? M. Michel Raison, rapporteur - Les accords d'exclusivité ne constituent pas tous des abus de position dominante. L'amendement est donc très dangereux. Avis défavorable. M. Luc Chatel, secrétaire d'État - Même avis. Le législateur s'est toujours efforcé de concilier la liberté du commerce et la défense de l'ordre public économique. Si l'amendement était adopté, un fabricant de matériel ne pourrait plus bénéficier, par exemple, de l'appui d'un distributeur pour assurer la promotion de ses produits. Le recours abusif aux accords d'exclusivité est déjà sanctionné ; la jurisprudence prend notamment en considération la situation de dépendance qui peut en résulter. Il n'est donc pas opportun de légiférer sur le sujet. M. Jean-Yves Le Déaut - M. Chatel n'avait pas la même position lorsqu'il était député, puisque, comme un certain nombre d'entre nous, il avait alors posé une question écrite dans laquelle il demandait la lisibilité des prix du secteur informatique, en précisant : « Le prix du logiciel pré-installé, qui peut être théoriquement refusé par l'acheteur, n'est pas indiqué, ce qui laisse croire que c'est une offre gratuite, alors que l'on peut estimer le coût de ce logiciel à près de 25 % du coût total ». Vous appeliez donc de vos voeux un affichage détaillant les prix, en vue d'une meilleure information du consommateur. Vous aviez raison de poser cette question, et nous la posons de nouveau aujourd'hui. Même si l'amendement a quelques défauts de rédaction, on ne peut pas s'en tirer en disant que la situation n'appelle aucune attention particulière. Le marché européen est dominé par des produits américains : un seul opérateur réalise 95 % des ventes de logiciels au grand public. Quelle poule aux oeufs d'or pour ces 30 ou 35 millions de Français qui possèdent un ordinateur, ou un téléphone mobile, sur lesquels on peut à présent trouver des logiciels ! Nous ne pouvons tolérer cette situation. Mme Laure de La Raudière - C'est n'importe quoi ! M. Jean-Yves Le Déaut - Les consommateurs apprécieront la pirouette par laquelle vous esquivez la question. Mme Martine Billard - Cette réponse ne vous fait pas honneur, Monsieur le secrétaire d'État, car il y a bien un débat de fond, que vous avez vous-même porté. Avec notre amendement, nous demandons que les accords de vente liée ne puissent avoir pour objet de limiter l'accès au marché ; tous ne sont donc pas concernés, contrairement à ce que vous prétendez. Le consommateur doit avoir le choix, et doit pouvoir se prononcer en connaissance de cause, grâce à des prix lisibles. Les nombreuses plaintes n'avancent pas ; manifestement, la DGCCRF a reçu instruction de ne pas intervenir. Vous répétez souvent que vous êtes un libéral et que vous défendez le droit de la concurrence : trouvez-vous normal que les consommateurs n'aient aucun choix dans les enseignes de la grande distribution ? M. Luc Chatel, secrétaire d'État - Évitons de confondre concurrence et consommation. L'article 122-1 du code de la consommation interdit déjà la vente liée. Cette disposition n'est certes pas strictement appliquée par le juge, qui considère que le bon fonctionnement de l'ordinateur est primordial. Le Gouvernement a donc confié à la DGCCRF une mission d'expertise, qui est suspendue mais reprendra lorsque seront connus les résultats de l'action intentée par une association de consommateurs - soit au début de l'année prochaine. Nous verrons alors si la jurisprudence évolue. Quoi qu'il en soit, la loi en vigueur satisfait déjà votre requête ! »