Emission sur la vente liée avec Benoît Sibaud et Thierry Stœhr aux rmll 2009
Lors des rencontres mondiales du logiciel libre (rmll) de 2009 à Nantes, les journalistes de la radio ont décidé de faire une émission sur la vente liée.
Avec :
* Benoit Sibaud, président de l’APRIL
* Thierry Stœhr, président de l’AFUL
Pourquoi est-il si difficile d’acheter un ordinateur sans payer Microsoft Windows ? Quelles actions possibles, individuelles ou collectives ?
Site Internet : Non aux racketiciels
Légalement
Début des années 2000 réflexion sur la vente liée des ordinateurs et du système d’exploitation. La Loi Française impose l’affichage du prix des différents articles qui composent l’offre et le choix pour l’acheteur de prendre tel ou tel partie du lot. La vente liée sous sa forme actuelle est donc interdite en France.
Une réunion a la DGCCRF avec éditeurs, fabricants matériel, associations de consommateurs et de défense du logiciel libre a eu lieu en juillet 2008. En 2009 on ne voit rien venir. Il s’agit pourtant simplement de faire appliquer une loi qui existe.
Seuls les grands comptes, par leur puissance de feu, imposent aux fournisseurs leurs choix et obtiennent des machines sans système d’exploitation. La loi ne s’applique donc pas de la même manière pour les petits et pour les gros consommateurs.
Plusieurs condamnations de Microsoft par la commission européenne. L’application des sanctions est très lente. Les sommes annoncées semblent énormes. Elles ne le sont pas forcément par rapport au chiffre d’affaire des fabricants de logiciel. La vente liée est un rente pour les marchands de fenêtres. Le dernier système d’exploitation Microsoft ne s’est pas vendu, il a été imposé aux utilisateurs via la vente liée.
État des lieux
Migration annoncées par certains ministères de postes de travail sous Linux. Le PC des députés à l’assemblée Nationale est maintenant équipé de logiciels libres.
Le Référentiel général d’interropérabilité décrit la façon dont les administrations, entreprises et citoyens échangent leurs données. Il subi les pressions d’entreprises pour y inscrire leurs formats propriétaires et par ricochet leurs solutions logicielles.
Les fabricants de Netbook sortent avec un système Linux. Ce choix est dicté par l’aspect prospectif de ce nouveau marché. Les machines ont immédiatement du succès et se vendent à 2 millions d’exemplaires. Il n’y a pas eu de retours d’utilisateurs n’y comprenant rien. Microsoft se rend contre que ce marché lui échappe et annonce la prolongation du cycle de vie de son produit Windows XP adapté a ces petites machines. La tendance actuelle est a la vente liée netbook + Windows XP.
Nokia, google, créent leur propre OS libre pour des terminaux nomade. Le libre est présent dans d’autres secteurs, Internet, serveurs, automobile, cadre Photo numériques, … Dans le monde PC c’est la vente liée qui évince le logiciel Libre.
Actions
Prendre conscience de la cascade des effets poussant vers un univers fermé.
Il existe un Guide du Remboursement concret pour se faire rembourser le système vendu en liaison avec le matériel.
Mettre en cause les choix en faveur de solutions propriétaires des régions, conseil généraux et mairies pour l’équipement des établissements d’enseignement de leur périmètre.
Demander le respect de la loi pour :
* l’optionabilité des produits, c’est a dire offrir le choix du système d’exploitation au client.
* L’affichage détaillé du prix des composants intégrés à l’ordinateur, matériel et logiciel.
* Affichage des licences vendues.
Transcription
Journaliste : On a été rejoint par Benoît Sibaud de l'April et Thierry Stœhr de l'AFUL pour une table ronde sur la vente liée.
Benoît Sibaud : Bonjour
Thierry Stœhr : Bonjour
Journaliste : Déjà moi j'ai une première question : qu'est-ce que c'est que l'April, qu'est-ce que c'est que l'AFUL ? Chacun votre tour !
Benoît Sibaud : L'April est une association qui existe depuis 1996, dont l'objectif est la promotion et la défense du Logiciel Libre, qui regroupe plus de 5200 adhérents maintenant, personnes physiques ou personnes morales.
Thierry Stœhr : Et l'AFUL, l'Association Francophone des Utilisateurs de Logiciels Libres est une association qui existe depuis 1998, donc un petit peu plus jeune, et qui vise à faire l'illustration, la promotion entre autres des standards ouverts, de l'interopérabilité, du Logiciel Libre et qui a actuellement environ 350 membres.
Journaliste : Donc des associations effectivement de tailles différentes, mais d'actions concertées, à priori collégialement, sur des sujets qui sont les mêmes et pour des buts qui sont les mêmes. Donc aujourd'hui, on va parler de la vente liée. Première question pour ceux qui ne le sauraient pas encore : qu'est-ce que c'est que la vente liée et qu'est-ce que c'est que ce problème ?
Thierry Stœhr : On commence par quoi ? Un historique ? Bon... il y a en fait en 1998-1999 un mouvement qui est apparu aux États-Unis et qui consistait à dire que le fait de retrouver le système Windows sur les ordinateurs sans qu'il y ait de choix de la part du consommateur était peut-être quelque chose d'un petit peu abusif, et ça l'est même certainement tout à fait en France. Parce que quand on regarde la législation sur la manière de vendre les choses de manière très générale, on se rend compte qu'il y a une interdiction qui consiste à vendre un autre produit ou un autre service lorsqu'on achète un premier produit, et que finalement quand on s'est mis à creuser un petit peu la chose au début des années 2000, notamment par l'intermédiaire d'un éminent universitaire français qui a un petit peu secoué le cocotier et qui s'appelle Roberto Di Cosmo, et bien là, on s'est rendu compte qu'il y avait en effet une situation qui consistait à avoir sur les ordinateurs vendus une vente liée, c'est-à-dire quelque chose qui s'y retrouvait automatiquement sans qu'on en ait la moindre trace. C'est-à-dire que quand vous achetez un ordinateur, ou quand vous en achetiez un (parce que ça évolue un petit peu, on en parlera), il n'y a jamais marqué le prix du logiciel système d'exploitation - Windows quand il s'agit d'une machine avec Windows ou d'Apple quand il s'agit d'une machine Apple. Et il n'y a jamais non plus le prix de tous les autres logiciels qui sont sur la machine. Qui sont, pourrait-on le penser, « offerts », en fait qui ont bien un coût, qui sont bien payés lorsqu'on achète la machine. Et l'idée, c'est que dans la législation, normalement, il devrait y avoir d'une part la séparation des prix avec le détail et d'autre part, le fait qu'il y ait le choix de la part des utilisateurs. Parce que finalement, on va parler du récent Vista sans parler forcément de succès, mais il s'est pas vendu de Vista. Il s'est vendu des ordinateurs avec Vista.
Journaliste 2 : Donc c'est un petit peu entre guillemets jusqu'au début des années 2000 où c'est arrivé cette réflexion et surtout qu'on l'a livrée au grand public. Il apparaissait naturel pour l'utilisateur d'un ordinateur d'avoir Windows.
Thierry Stœhr : Oui quasiment, c'était livré avec. Il n'y avait peut-être même pas d'autre solution, parce que ... oui on savait qu'il y avait des machines Apple, mais enfin, est-ce que les gens faisaient clairement la différence entre une machine fabriquée avec le logo à pomme sur laquelle il y avait un système d'exploitation, encore faut-il savoir ce que c'est qu'un système d'exploitation, qui lui n'était pas en effet du Windows mais s'appelait MacOS avec un nom particulier. C'était vraiment pas le cas. Donc là, au début des années 2000, il y a eu non seulement un début de réflexion mais un début d'action avec en effet des associations qui se sont retrouvées. Au niveau de l'AFUL, on avait lancé un groupe de travail. Il y a eu une priorité même financière qui avait été définie au milieu des années 2000 en disant : on met de l'argent, notamment pour faire éventuellement des actions en justice. On s'est retrouvé comme cela a été dit tout à l'heure sur des projets communs et on se retrouve là avec entre autres l'April et d'autres associations pour dire : « eh bien il faudrait que ça soit appliqué. » Y compris en allant jusqu'au tribunal. Donc encore récemment il y a des affaires qui ont été jugées en disant : voila la règle dit, la loi française dit que, or il se trouve qu'il y a finalement violation lorsqu'il n'y a pas de détail ou lorsqu'on n'a pas le choix ou alors lorsqu'on demande le remboursement, que le remboursement soit fait puisque normalement, c'est ce que devraient faire les constructeurs qui évidemment on va dire ne sont pas forcément très enclins à le faire.
Journaliste : Alors Benoit Sibaud, est-ce que tu pourrais nous expliquer le... suite à ces procès, suite aux nombreuses affaires qui se sont tenues, quels ont été les différents résultats qu'on a pu trouver ?
Benoit Sibaud : Il y a donc, comme on le disait tout à l'heure, trois grands points sur le sujet. Il y en a un qui concerne l'optionalité, le fait d'avoir les choses séparément, il y en a un qui concerne le fait de l'affichage : l'affichage du prix et le dernier qui est aussi intéressant dans ce cadre-là, c'est l'affichage des licences. Puisqu'on met des logiciels avec du matériel, les questions des licences se posent aussi. Donc, dans ce cadre-là, on intervient à plusieurs niveaux. Il y a d'une part les aspects qui relèvent des procès, du judiciaires, il y a la partie qui relève du réglementaire et du respect de la loi, directement via la DGCCRF [NdT : Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes] et de discuter avec eux pour essayer de faire changer les choses. De discuter avec le secrétariat d'État à la consommation, dont c'est le rôle aussi de faire respecter la loi, la législation qui existe car, rappelons-le, l'objectif ici c'est de faire appliquer une loi qui existe déjà, qui est en application, et on demande juste l'application de la loi, ce qui ne parait pas déraisonnable. Et il y a le dernier point qui est de sensibiliser au niveau politique, de communiquer vers les élus, notamment députés et ... enfin tous les élus de manière générale, et tous les politiques, plus largement, y compris au niveau du gouvernement. Leur faire prendre conscience que c'est une législation qui existe, qu'il faudrait la faire appliquer, et qu'on sera vigilant sur ce point-là. D'où l'intérêt d'être actif sur cette thématique.
Journaliste : Alors justement tu parlais de la DGCCRF...
Journaliste 2 : Qu'est-ce que c'est ? Excusez-moi...
Benoit Sibaud : La Direction Générale à la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes.
Journaliste : Et j'ai l'impression qu'à la DGCCRF, il y a quelques problèmes...
Benoit Sibaud : Il y a eu, donc, un certain nombre de discussions qui ont eu lieu. Il y a eu des rencontres entre d'un côté les utilisateurs, les consommateurs, et de l'autre les constructeurs. Dans le cadre de réunions organisées par la DGCCRF, les discussions ont eu lieu de part et d'autres il y a eu des demandes plus ou moins entendues du côté des constructeurs. La DGCCRF a indiqué qu'elle aimerait bien que les constructeurs s'activent sur le sujet et fassent des propositions. Depuis, on ne peut pas dire que les choses aient réellement avancées. On a notamment fait avant, au début décembre, relancé un peu tout le monde au gouvernement et à la DGCCRF pour leur rappeler qu'on allait arriver à la période des fêtes, qu'il y allait avoir énormément d'achats, de numériques et d'ordinateurs et qu'on allait se retrouver de plein pied dans la problématique de la vente liée. Il n'y a pas eu vraiment de retour sur le sujet et une année de plus, on a eu des fêtes de Noël où on avait une situation de vente liée.
Journaliste 2 : J'aimerais qu'on revienne sur...
Thierry Stœhr : Il y a même, en fait, ces jours derniers, un anniversaire, on va pas dire que nous l'avons fêté mais...
Journaliste : Triste anniversaire ?
Thierry Stœhr : On va pas forcément aller jusque là mais on va simplement se rappeler qu'il y a une année, début juillet 2008, il y a eu une réunion à la DGCCRF où on était présents, les associations du Logiciel Libre, la DGCCRF, les fabricants de matériel et des éditeurs. Pas forcément tous les éditeurs, pas forcément tous les fabricants de matériel, mais une bonne partie. Il avait été indiqué très officiellement que pour la rentrée de 2008, il y aurait des choses qui avanceraient, il y aurait notamment, pour gagner du pouvoir d'achats, les prix qui seraient clairement affichés pour permettre aux gens de choisir en connaissance de causes et d'avoir quelque chose qui irait dans le sens d'une concurrence et d'un affichage clair. C'était donc en juillet 2008, pour la rentrée de septembre 2008. On est en 2009, ma foi, ce n'est pas encore véritablement arrivé. Et c'est vrai qu'on le regrette fortement, disons que là, comme l'a dit Benoît, c'est quelque chose qui n'est même pas une demande, une modification de la législation ou une mise en place d'une loi ! C'est une application de la loi qui existe, qui est claire, qui est promulguée...
Journaliste : Et pour...
Thierry Stœhr : Et pour laquelle d'ailleurs, on a aussi des jugements qui vont dans ce sens là, pour dire : "Oui en effet". Le juge statue et dit dans ce cas là, "oui la loi, normalement prévoit le remboursement, donc il doit y avoir remboursement". Et malheureusement, il faut des fois en aller jusqu'à ces extrémités-là pour dire "action en justice" parce qu'il n'y a pas de respect d'une loi qui est parfaitement claire et qui dit : "La vente liée est interdite".
Journaliste : Alors, parmi ces grandes affaires, vous me coupez si je me trompe mais il y en a une qui est supranationale, qui s'est passée au niveau européen avec notamment la commission européenne etc... Est-ce que vous pouvez nous rappeler sur quoi c'était, pourquoi on en est arrivé à une condamnation, si je ne me trompe pas...
Thierry Stœhr : d'une grande société....allemande je crois.
Journaliste : D'une grande société…
Thierry Stœhr : La fondation de Microsoft à propos de la présence il y a quelques temps…
Benoît : à propos de diverses choses
Journaliste 2 : Oui, parce qu'il y a eu plusieurs affaires qui ont atterri sur le bureau de la commission européenne. Est-ce que ça, vous considérez que c'est une victoire en tant que telle, ou est-ce que vous avez aussi été partie prenante dans cette bataille, ou est-ce que vous avez laissé faire la commissaire à la concurrence – parce que je pense que c'est elle qui s'en est occupée ?
Benoît : Une victoire, de toutes façons c'est un bien grand mot dans le sens où ça fait plusieurs fois que les autorités de la concurrence interpellent – voire plus, sanctionnent – d'amendes conséquentes Microsoft pour des pratiques anticoncurrentielles, et au final, l'application est tellement lente, et l'informatique évolue tellement vite, que les sanctions arrivent toujours trop tard. Et que pendant ce temps-là, la situation de quasi-monopole, la situation très confortable de position dominante et les abus qui vont avec, se maintiennent et servent. C'est quand même la source principale du financement et de la réussite de Microsoft, c'est la vente liée. Le fait de disposer d'une rente et d'être sûr de pouvoir utiliser un revenu garanti pour aller ensuite se développer sur d'autres marchés avec les bénéfices de ce secteur-là, ce n'est pas un hasard. À la base, Microsoft avait initialement deux secteurs rentables : les systèmes et les suites bureautiques, soit les deux secteurs sur lesquels ils font le maximum de vente liée. Et avec ça, ils ont pu s'étendre sur plein d'autres secteurs, en commençant de manière complètement déficitaire, avec des pertes colossales, mais complètement couvertes par les bénéfices, colossaux eux aussi, engendrés par les deux secteurs d'activités.
Thierry Stœhr: Il faut bien voir que concernant la décision de l'Europe, ça a été à propos, entre autres, de Windows Media Player et puis Internet Explorer. Maintenant, quand on inflige une amende et que l'on cite le montant dans l'absolu, qui est 495 millions d'euros, c'est vrai que pour moi comme pour certainement tous les auditeurs et toutes les auditrices, ça représente une somme qui est plus que conséquente. On aimerait bien même en avoir une petite partie…
Journaliste 2 : Mais est-ce qu'elle l'est pour l'entreprise ?
Thierry Stœhr : Exactement, c'est la question, ça c'est de manière brute, maintenant quand on relativise par rapport aux bénéfices, par rapport au chiffre d'affaire encore plus, ça représente peut-être une sanction qui n'est pas aussi forte, sans parler de ce qui vient d'être dit, c'est-à-dire la lenteur d'une certaine manière de la mise en place de sanctions où le changement n'est pas aussi rapide que ça. Ce qui fait que oui, il y a une sanction, ça peut avoir une portée morale en disant qu'il y a une condamnation, une sanction de l'Europe à l'encontre de Microsoft. Maintenant, dans la pratique, le terme de rente, il est véritablement là. C'est : une machine se vend, et quasiment 9,9 fois sur 10 la machine se vend avec Windows, sans qu'il y ait eu de concurrence, sans qu'il y ait eu de choix de l'utilisateur. Ce que je disais tout à l'heure, le Windows Vista qui a été diffusé ne s'est pas « vendu ». Il a vraiment été imposé aux utilisateurs qui n'auraient peut-être pas fait ce choix là. Peut-être ce qu'ils ont fait finalement, revenir en arrière, parce que les performances et les résultats n'étaient pas aussi bons. Or, ils n'ont pas eu de choix, il n'y a pas eu de concurrence « saine et non faussée » comme on nous le dit, comme c'est écrit et comme en France, c'est promulgué. Et c'est une particularité quand même au niveau français que d'avoir cette loi très forte.
Journaliste : Que l'on ne retrouve pas au niveau européen ?
Thierry Stœhr : Pas forcément dans les mêmes termes, et pas forcément avec la même portée. La DGCCRF est une structure française et assez typique ; je ne dis pas qu'il n'y en a pas dans d'autres pays, mais en tous cas, avec la loi contre la vente liée, c'est peut-être quelque chose d'assez atypique et particulier et c'est vrai qu'elle est là et qu'elle devrait être respectée.
Journaliste : Suite à ces affaires et suite aussi à cette plus ample information, il y a eu quand même, il me semble, des annonces. Parce qu'il y a un secteur qui est quand même assez important et assez symbolique, c'est celui des équipements publics, donc du secteur public que peuvent être les institutions publiques ou en tout cas, les communes. Notamment, je me souviens des grandes déclarations de l'actuel maire de Paris, qui allait équiper ses machines de Linux. Où on en est avec ça ? Est-ce qu'il y a eu une prise de conscience, une prise de position, et des choses concrètes qui ont avancé là-dedans ?
Benoît Sibaud : Alors il y a des actions… Au niveau des villes, c'est plutôt des actions – par définition – très locales. Il n'y a pas d'aussi grosses migrations au niveau des villes que les exemples que l'on a pu avoir avec le cas de Munich, par exemple, qui ont fait les grosses annonces. Du côté français, on a plutôt des grosses migrations au niveau des administrations centrales, des ministères. Une grosse annonce côté gendarmerie nationale, avec des migrations importantes sur les postes de travail.
Des annonces non seulement importantes mais surtout très symboliques comme le poste de travail des députés à l'Assemblée Nationale qui sont passés en Logiciel Libre. Donc il y a un certain nombre de choses qui se passent comme ça... et parfois il y a des choses qui vont aussi dans l'autre sens : des questions sur le référentiel général d'interopérabilité. Donc la façon dont les administrations doivent savoir échanger entre elles, mais aussi vis-à-vis des entreprises, des citoyens. Des choses qui sont pas terribles, on a un document qui après des années et des années de tergiversations et de polémiques ne satisfait personne et ressemble un petit peu à un brouillon.
Il y a eu énormément de lobbying dessus et notamment et clairement de la part de Microsoft, donc on a un document de mauvaise qualité. Dans le même genre d'idées, et lié d'ailleurs à ce référentiel général d'interopérabilité, il y a eu des polémiques et des choses pas très propres qui se sont déroulées en normalisation aussi bien au niveau de l'ISO que de l'AFNOR pour la partie française sur les formats de bureautique. Il y a un certain nombre de sociétés qui veulent maintenir leurs positions, en veillant à ne pas respecter, ni l'interopérabilité, ni les formats, ni les normes, pour maintenir leur situation. On comprend bien que quand on est d'une part dans une situation de vente liée, que chaque fois qu'on va vendre un ordinateur on va placer son système, qu'avec son système on mettra son lecteur multimédia, qu'avec son système on mettra son navigateur, qui supporte une sous-partie du Web et qui ne va pas respecter les standards, qui va obliger à utiliser d'autres logiciels en cascade du même éditeur, qu'on a son propre logiciel de courrier qui vient, qui va et qui a un format préférentiel pour discuter avec son propre serveur de courrier, qu'on va placer tous ses logiciels en cascade comme ça, on a un marché avec des clients captifs et que c'est une situation particulièrement confortable.
Mais bon à un moment c'est aussi aux autorités réglementaires et judiciaires de prendre leurs responsabilités, c'est aussi des choix politiques. C'est pour cela qu'on intervient sur ces divers créneaux, ce n'est pas un hasard si on communique régulièrement sur le sujet de la vente liée... Ce n'est pas un hasard, si on va au-devant des candidats aux élections dans le cadre, par exemple de la campagne candidats.fr, qu'on les sensibilise sur les divers sujets dont la vente liée et qu'on leur dit, "veillez bien à l'application de la loi", "que vous veillez à ce qu'il y ait de l'interopérabilité et des formats ouverts", qu'il y ait une égalité des citoyens dans l'accès aux administrations, etc, qu'il y ait des choses qui avancent là-dessus. Donc on est toujours dans une situation où il y a parfois des points très positifs: des migrations annoncées, des choses qui sont très positives. Et parfois des décisions, ou plutôt des non-décisions, du laisser-faire, on laisse faire, un non respect de la loi, et on laisse empirer la situation... donc des points négatifs. Donc toujours ces deux aspects et jamais enfin c'est jamais tout blanc, jamais tout noir.
Autre personne : Au final... vas-y
Thierry Stœhr : Oui, je voudrais rajouter et donner une précision qui permet de montrer quand même qu'il y a des disparités, malgré la loi, la loi qui n'est pas appliquée, c'est ce qu'on a dit... c'est un petit peu faux... car elle est appliquée quand il s'agit de grands comptes et que ces grands comptes font un petit peu peser sur les fournisseurs leur poids qui consiste à commander des dizaines, voire des centaines, voire des milliers et des milliers de machines et où là, l'interlocuteur, qui est le fabricant qui va amener des palettes entières d'ordinateurs, quand il entend de la part de la structure publique, de l'organisme public, de l'administration, parce qu'il y en a qui s'équipent de manière très importante en renouvelant des parcs à des hauteurs très importantes... et bien là, quand ils indiquent que ce sont des machines sans système d'exploitation c'est respecté. Et que finalement, même si au début il y a un petit peu de... ça rechigne peut-être un petit peu, mais au final, on a des cas très concrets avec des achats, certes massifs, mais où la vente liée qui est mise en avant en disant "Non, on a le choix et on veut des machines nues, c'est notre choix technique", et bien finalement, les fabricants, et bien, vendent des machines qui se trouvent dans ces situations-là. Donc on a là aussi une inégalité entre le consommateur comme vous et moi qui a acheté une machine, certes une seule, mais pour laquelle la loi devrait s'appliquer, au même titre que le grand, le gros, qui c'est vrai va commander 800 machines d'un coup, mais qui, lui du fait de son poids, peut dire : " ah mais non, moi je ne veux pas et vous savez que sinon, vous perdrez le marché".
Donc là il y a aussi une inégalité, absolument anormale, et qui devrait de la part des politiques, être prise en compte, surtout en ces temps où l'on parle de restrictions, de suivi plus fin des dépenses, et que ce soit pour les administrations, que ce soit pour les structures publiques, que pour les particuliers.
Journaliste : J'ai l'impression, une fois de plus, que c'est toujours le petit utilisateur final, comme tu le disais, qui est le dindon de la farce et qui n'a que ses yeux pour pleurer. Qu'est-ce que je peux, qu'est-ce qu'on peut faire?
Thierry Stœhr : Il y a plusieurs réponses pratiques. Si je peux en donner au moins 2 : la première c'est peut-être d'avoir conscience, de ce qu'a très bien décrit Benoît tout à l'heure, la cascade de choses, l'un entraîne l'autre qui entraîne un troisième etc, on peut appeler vraiment ça un effet domino, il y a un élément qui en pousse tout plein d'autres et qui fait qu'on se retrouve dans un univers fermé, verrouillé, et la question des formats là elle est essentielle, elle est centrale, elle est cruciale, on peut utiliser tous les synonymes, c'est vraiment le cas, c'est vos données qui sont peut-être dans des formats qui ne sont pas connus, donc vos données sont dans leurs formats et on en dépend complètement.
L'autre chose, c'est, de manière tout aussi concrète, on a des utilisateurs, ou même des clients au départ, des clients des grandes enseignes, qui ont décidé, en ayant quand même une petite dose de courage, parce que ça prend du temps, ça prend de l'énergie, de se dire, "je vais demander à ce que la loi soit respectée". Il se trouve qu'il y a un document qui a été mis en ligne, qui est un petit guide qui explique comment, concrètement, faire la demande pour se faire rembourser comme le prévoit la licence, vous savez, c'est le «j'accepte» qu'on ne lit jamais en détails lorsqu'on allume pour la première son ordinateur, et il y a quelque chose qui apparaît et qui vous détaille dans un jargon incompréhensible, ce que vous avez le droit de faire et de ne pas faire, et là-dedans il y a entre autres le fait que si vous acceptez, ça y est vous êtes avec le système d'exploitation que vous avez acheté sans forcément savoir que vous l'avez payé. Et bien, il y a un guide qui a été publié sur un site qui s'appelle «racketiciel.info», le nom n'est pas choisi au hasard, «racketicicel», et qui permet de détailler, et qui a donné lieu de la part de plusieurs personnes à une procédure entamée en respectant, enfin en respectant, « en suivant », les indications qui sont issues de l'expérience qui a été acquise par les personnes impliquées dans ce dossier détaxe, ce dossier de vente liée pour aboutir des fois à ce que, au final, assez rapidement le fabricant rembourse une somme très variable, ça peut aller quand même des fois jusqu'à 100 euros, ce n'est pas une petite somme. Et l'autre possibilité c'est de se retrouver devant le tribunal, avec des actions en justice, avec les pièces qui peuvent être fournies, et qui donnent lieu à, des fois quand même, le respect de la loi avec le juge qui dit, "en effet il y avait vente liée et c'est tout à fait anormal". Donc là, il y a des informations : «racketiciel.info» est à votre disposition.
Journaliste 2 : On discute donc là de cette problématique de vente liée, on va pas répéter un petit peu ce que c'est, puisqu'on en a déjà pas mal discuté. Moi j'avais tout simplement une question à vous poser, on vient de discuter effectivement d'une prise de conscience politique, d'une prise de conscience aussi des utilisateurs, et les constructeurs dans tout ça. C'est à dire que ceux qui se mettent d'accord, à la base avec Microsoft, pour vendre leur matériel : qu'en est-il ? Est-ce que eux aussi sont en train de changer de position ?
Journaliste : Est-ce qu'ils commencent à refuser les pressions qui leurs sont faites ?
Journaliste 2 : Est-ce qu'il y avait pression ?
Benoît Sibaud : Ce n'est pas facile d'avoir des réponses sur le sujet, parce qu'ils dépendent tous d'un seul fournisseur qui, on l'a assez dit, est en position dominante, en position de force. Ils ont tous besoin d'avoir un maximum de remise, lorsqu'ils font des achats en gros et ils ont tous des contrats qui ne sont jamais rendus publics, qui précisent quelles sont les conditions, les tarifs notamment, dans lesquelles ils obtiennent leurs prix de gros. Et éventuellement, comment est-ce qu'on peut donc savoir s'ils n'ont pas des exclusivités, s'il n'y a pas une exclusivité qui est exigée sur les types de logiciels qui sont mis sur le matériel. Donc puisqu'on n'a pas accès à cette information-là, en tous cas jamais de manière sûre et publiable, c'est difficile de savoir à quel point il y a pression sur les constructeurs. Et puis les constructeurs y voient aussi leur propre intérêt à se dire « autant être bien avec le leader, autant simplifier ma procédure ». Et puis il faut aussi voir que la problématique de la vente liée n'existe pas dans tous les pays, il y a en un certain qui ont une législation sur la vente liée qui n'est pas présente dans tous les pays et donc ça peut être des problématiques sur lesquelles ils ne sont pas forcément tous très sensibles.
Ceci étant il y a aussi des questions de positionnement commercial, du lobbying un peu tout le monde, des choses qui tiennent plus de la stratégie fiscale et des problématiques d'évasion fiscale.
Journaliste : C'est-à-dire ?
Benoît Sibaud : Comment est-ce qu'on fait pour réussir une stratégie d'évasion fiscale. C'est interdit de vendre à perte. Alors c'est très simple, on produit dans un pays et on vend... puisque c'est interdit de vendre à perte en France, on va vendre ailleurs, à une de ses filiales, à perte, et la filiale, elle, elle peut revendre à son tarif. Donc il suffit de passer par d'autres pays, par un intermédiaire, la maison mère, qui revend à sa filiale, de jouer sur ces tarifs-là et de passer par un pays qui a un statut fiscal avantageux. Disons, par exemple, en Europe, l'Irlande. L'Irlande est un bon pays pour faire ça. Et on peut, voilà, la stratégie, elle est à ce niveau-là, à quel tarif on s'auto-facture en interne un logiciel par exemple.
Thierry Stœhr : Il y a même une jolie histoire à raconter pour illustrer le choix avant d'un logiciel libre et de revenir après en arrière. Cette histoire c'est les ordinateurs tous petits qui sont apparus fin de l'année 2007, début de l'année 2008 en France, qui étaient les petits ordinateurs d'Asus qui en lançant sa nouvelle machine donc, ça a le format à peu près d'une feuille A5, ça faisait un kilo et l'idée c'était de proposer une petite machine, pratique, pas trop lourde, qui rentrait même dans le sac à main d'une femme et qui pourrait se connecter à Internet, avoir de la bureautique et puis un peu de courrier électronique également, enfin un outil pour faire ça. Bref quelque chose d'assez classique et qui représente une utilisation très très courante. Donc là Asus se dit : « bon je vais sortir ma machine, qu'est-ce que je vais mettre dessus ? » Alors ce que je vais dire ce n'est pas avec des informations sûres au sens où j'ai des écrits, on a des documents internes d'Asus, ce n'est pas le cas. Mais enfin les suppositions, là, ne sont pas du tout tirées par les cheveux. Ils se disent : « on va sortir cette machine, qu'est ce qu'on met dessus ? » Comme le créneau est complètement nouveau, ils ne savent pas du tout si ça va marcher. Maintenant c'est évident, on en voit tout plein de ces petites machines. Alors ils décident de prendre du Logiciel Libre et, à mon avis, c'est un choix juste, notamment pour une raison c'est qu'ils ne sont pas du tout dépendants d'un seul fournisseur. Donc là en plus de cela, ils adaptent le logiciel à leur matériel et ils sortent, fin 2007 et courant janvier 2008, la petite machine qui, quand on regardait en détail, se retrouvait avec énormément de logiciels libres. Le système d'exploitation était basé sur du Linux, la suite bureautique c'est la suite bureautique libre OpenOffice.org, le navigateur web c'est Firefox, le logiciel de messagerie instantanée c'est en Logiciel Libre, pour écouter sa musique c'est en Logiciel libre également, bref on a toute une série de logiciels libres qui sont utilisés, qui sont installés et qui sont vraiment vendus sur une machine avec un industriel qui fait ce choix-là.
La machine connaît un succès, à son niveau, incroyable. D'ailleurs ça se vend dans le monde et de manière vraiment importante. Au point que tous les autres fabricants décident de se lancer aussi dans le créneau et de dire que là il y a vraiment quelque chose d'intéressant. Et là où il se passe quelque chose à signaler c'est que début 2008, donc ça commence à vraiment prendre et on a aux mois de mars/avril Microsoft qui annonce que son système d'exploitation Windows XP, qui était le seul à pouvoir tourner sur les petites machines en question, qui commençaient à faire tout plein de petits parce que d'autres fabricants voulaient aussi se lancer, et bien Windows XP était exceptionnellement prolongé de vie parce qu'au lieu d'être arrêté au mois de juin suivant, c'est-à-dire juin 2008, Microsoft dit : « Windows XP est très bien pour ces petits ordinateurs. Et pour ces petits ordinateurs on va proposer aux fabricants d'avoir aussi du Windows dessus parce qu'il n'y a pas de raison, l'écosystème est le même, ils nous connaissent, bref il faut aussi que ça continue ».
Parce que je pense que vraiment dans les coulisses ils se sont rendus compte, Microsoft, qu'il y avait un marché qui est en train d'apparaître, qui allait dépasser les quelques dizaines de milliers de machines, que ça allait se chiffrer en millions, et qu'ils tenaient là aussi à être présents. Et quand en plus, le fabricant de ces petits ordinateurs, en l'occurrence Asus, est également un fabricant de gros ordinateurs – donc des portables –, c'est peut-être plus facile de rentrer en discussion avec lui pour qu'aux mois d'avril/mai, Asus annonce que désormais il y aura aussi des machines avec Windows XP. Et petit à petit, depuis presque un an, on a de moins en moins de la part d'Asus (ou des autres fabricants qui se sont lancés sur le créneau) des ordinateurs avec autre chose que du Windows XP, qui, si ça se trouve, a même été plutôt délibérément diffusé sans coûts trop élevés, parce qu'il faut bien voir que de toute façon, il a été certainement amorti depuis longtemps. Mais là, c'était l'idée que ce marché ne pouvait pas, puisqu'il devenait important, échapper non plus à Microsoft qui se lance dessus.
Alors, ce n'est pas de la science-fiction, ce n'est pas des détails suffisamment précis, mais je pense que les grandes lignes ne sont pas trop fausses.
Journaliste : Est-ce qu'il n'y a pas aussi les distributeurs qui ont joué un rôle pour le glissement de ce marché qui était mixte avant, entre certaines machines qui étaient disponibles et sous Linux, et sous Windows, vers une offre quasiment monopolistique comme on le connaît depuis trop longtemps avec des machines que sous Windows. Est-ce que ça ne répondait pas justement à une demande des utilisateurs qui, dû au fait qu'il y a la résistance au changement, se disaient que leur machine était bien, Linux ce n'est pas mal, mais tout change, moi je veux un Windows, et du coup voilà…
Benoît Sibaud : L'expérience a montré qu'il y a eu un démarrage fulgurant sur ces petites machines à base de système libre avec des logiciels libres. Et il n'y aurait pas eu un tel démarrage si les gens avaient dit « ah, je ne comprends pas, ce n'est pas bien, ça ne me satisfait pas, etc.». Au bout de deux mois, ils auraient arrêté la production, ou aurait fait un changement en catastrophe. Ça a quand même duré pendant des mois, les chiffres ont continué d'augmenter. On voit qu'il y a eu un effet de bouche à oreille. On a vu tous les médias en parler, toute la presse informatique s'extasiait en disant que c'était l'avenir et que l'on ne verrait bientôt plus que ça, etc. Un buzz énorme sur le sujet. À un moment, on revient en arrière, et effectivement on peut se dire que le scénario que décrivait Thierry est probablement assez proche de la réalité.
Journaliste 2 : Alors, à côté de ça, pour faire un peu de positif dans tout ça et c'est vrai que l'on a l'impression qu'il y a des brèches qui s'ouvrent de plus en plus dans ce monopole et dans cette omerta Windows, j'ai entendu parler du constructeur Nokia avec des petites tablettes, qui a fait appel au libre pour créer un OS : au lieu que de le créer eux-mêmes, ils promettaient d'offrir des Nokia à tous les gens qui participaient au projet. Il y a aussi depuis ces jours-ci l'entreprise Google qui vient de créer elle-même un espèce d'OS qu'elle va gérer, et les constructeurs répondent, et tout ça en Open Source. Est-ce que ce n'est pas aussi des espèces de fissures dans cette espèce de monopole quand même gigantesque de Windows ?
Benoît Sibaud : Jusque là, on parlait du PC classique, du PC pour l'utilisateur final – que ce soit un PC fixe, un portable, un mini-pc. Et effectivement, sur ce type de matériel, on a fortement une problématique de vente liée. Mais il faut bien voir que dans tout le reste du secteur du numérique en général, on va trouver du Logiciel Libre partout ailleurs. Le Logiciel Libre, vous en avez de plus en plus maintenant sur des téléphones dans l'embarqué. Vous en avez dans toutes les box de tous les fournisseurs d'accès. On n'a pas d'Internet sans Logiciels Libres : l'infrastructure d'Internet repose sur du Logiciel Libre. On trouve du Logiciel Libre maintenant à bord des voitures. On le trouve embarqué dans des satellites. On en trouve de plus en plus partout. La plupart du temps ça ne se voit pas, les gens ne sont pas au courant que ça fonctionne avec du Logiciel Libre, ce sont des choix d'industriels qui voient les intérêts, les avantages du Logiciel Libre pour telle ou telle raison. Ce qui bloque justement, le seul secteur sur lequel il y a le plus de difficultés, c'est sur le poste client. Pourquoi ? C'est justement à cause de la vente liée. Dans la catégorie des serveurs, le Logiciel Libre tient toute sa place et il est fortement présent. Le seul secteur dans lequel c'est différent, c'est le secteur du poste client, et la raison est très simple : c'est la vente liée.
Thierry Stœhr : Pour donner un autre exemple, quand on utilise Internet, on utilise à chaque fois énormément de logiciels libres sans s'en rendre compte. Y compris quand on envoie du courrier électronique, simplement en utilisant cette possibilité-là. Ou aussi lorsqu'on achète, pour soi ou qu'on offre, un cadre photo numérique. On se rend compte, sans forcément le voir tout de suite, ou ça nécessite un peu de creuser de se renseigner, il y a de nombreux cadres photos numériques, et encore plus dans le moyen de gamme et le haut de gamme, qui utilisent du Logiciel Libre pour faire, vous savez, les fameux défilements des photos, avec des transitions, avec différentes choses qui sont un petit peu élaborées, et bien dedans il y a du Logiciel Libre embarqué qui permet de faire tourner ça. C'est vrai que, il faut aussi être positif, et ne pas voir que le verre à moitié vide, on peut dire qu'il est à moitié plein aussi, c'est une bonne chose, et qu'il y a, oui, des brèches qui sont là, et il y a aussi du Logiciel Libre qui est utilisé sans du tout qu'on s'en rende compte, et qui est fondamental pour que, Benoît l'a dit, Internet tourne. Il ne tournerait pas, c'est certainement un des meilleurs exemples d'une approche réussie qui a permis un développement tel qu'il est, que d'avoir eu du logiciel libre présent sur internet, et qui a permis aussi au Logiciel Libre de se développer. Il y a une sorte de boucle là. Quant à l'avenir et bien c'est de se dire à propos de la vente liée, que au moins pour la France elle soit véritablement, je ne veux pas dire combattue, car ça voudrait dire qu'il n'y a rien pour. On a tout ce qu'il faut juridiquement pour qu'elle soit tout simplement, cette vente liée, interdite, et là d'avoir des résultats très concrets, et qui sont véritablement en effet politiques. Avec là des choix à prendre de la part des décideurs comme on dit, pour que on fasse appliquer la loi, qui ne l'est pas.
Journaliste : En tant qu'association de défense du Logiciel Libre, là on discute beaucoup de l'utilisateur, in fine, est-ce que des associations de consommateurs vous rejoignent ? Je ne sais pas, l'UFC Que Choisir, des gens comme ça, qui ont l'habitude eux aussi de travailler avec la répression des fraudes.
Benoît Sibaud : Dans les discussions avec la DGCCRF, étaient présentes les associations de consommateurs.
Journaliste : Et quelle position...?
Journaliste : Parmi les utilisateurs présents, les consommateurs présents, il y avait des associations de consommateurs, des associations du Logiciel Libre, et ils étaient ensemble sur cette thématique-là. Ce qui est assez normal. Nous on intervenait effectivement sur les aspects de licence, de prix, la problématique de la vente liée, mais il y a aussi, simplement, la simple question économique qui intéresse les associations de consommateurs, on est dans une situation de crise économique et justement là les gens sur payent, payent des choses qu'ils ne voulaient pas forcément, sans le savoir, et sans respect de la loi, évidemment que ça interpelle les associations de consommateurs.
Journaliste 2 : Et dans tout ça, avec l'avalanche marketing que pratique Windows, parce que c'est aussi un principe, on en est où dans... j'ai l'impression aussi qu'on a habitué les gens à Windows, forcément, et que ça commence aussi parfois à l'école, est ce que les écoles sont en train aussi de se poser la question, l’Éducation Nationale est en train de se poser la question sur des alternatives très concrètes, de migration de postes, ou est-ce qu'on continue sur le format Windows pour habituer les chèvres dans le pré ? Si je peux parler comme ça
Journaliste : Ou est ce que ce n'est pas géré uniquement au niveau de l’Éducation Nationale, mais au niveau des régions ?
Thierry Stœhr : Alors ce qu'il faut bien voir à propos de l’Éducation Nationale, c'est qu'il y a deux choses : il y a le pilotage, il y a le ministère qui donne un certain nombre d'informations, de directives, de programmes. Concernant l'informatique, il y a une chose qui est vraiment essentielle à avoir à l'esprit, c'est que d'un côté il y a des textes qui disent, par exemple, il faut que le B2I soit mis en place, il faut que le C2I soit mis en place, (B2I c'est brevet informatique et internet, C2I c'est certificat informatique et internet) et ce sont des compétences qui sont reconnues comme étant celles des élèves, à l'école, au collège, au lycée, et après dans le supérieur. Maintenant, ça c'est par exemple le texte qui cadre ça. Concrètement, quand il s'agit d'avoir des machines, des ordinateurs dans les écoles, les collèges ou les lycées, là je ne veux pas dire que ça se complique, mais il faut voir que le payeur, qui est souvent quand même celui qui décide, et bien ce n'est plus l’Éducation Nationale et que le payeur, pour les écoles, et tout le matériel des écoles, c'est le tableau comme l'ordinateur, c'est la mairie, pour le collège le payeur c'est le conseil général, c'est le département et pour le lycée c'est la région.
Thierry Stœhr : Donc, là en fait, ce qui se passe c'est que d'un point de vue très concret, il faut, il faudrait qu'au niveau municipal, département ou régional, les responsables économiques, les élus prennent conscience de l'importance du choix qu'ils vont faire de telle ou de telle machine avec tel ou tel logiciel et d'avoir là une position à la fois informée et aussi claire pour dire : on privilégie plutôt ce type d'approche plutôt que tel autre et on peut le faire parce que nous sommes les payeurs. Et que pour parler concrètement de B2I/C2I on a la possibilité de valider les compétences des élèves quand on parle de traitement de textes, comme c'est normalement le cas dans le texte officiel. Pas forcément peut-être dans ce qui est dit dans les écoles, les collèges ou les lycées, mais quand on parle de traitement de textes, on a des traitements de textes dans le monde du logiciel libre pour dire : voilà le traitement de textes sur lequel vous allez apprendre le traitement de textes, vous allez apprendre le gras, l'italique, le souligné, vous allez apprendre le principe des paragraphes, vous allez apprendre le principe de la mise en forme. Je n'ai pas prononcé un seul nom de logiciel là, je parle du traitement de texte. Ce sont des compétences. Et il faut former les élèves aux compétences, pas forcément à l'utilisation automatique d'un logiciel et d'un seul. Et heureusement qu'il n'y a pas un logiciel et un seul. Et donc, là, de dire : eh bien le logiciel libre aussi permet d'apporter aux élèves les outils nécessaires pour qu'ils travaillent dans le monde du numérique et avec là les interlocuteurs/payeurs qui sont écoles/villes et puis collèges/département et lycées/régions. Avec de la part des élus, là, une prise de conscience qui doit se faire et qui se fait dans certains endroits. On a des exemples de structures publiques qui ont choisi délibérément du logiciel libre sur leurs ordinateurs pour leurs écoles, leurs collèges ou leur lycées. Mais du coup, c'est de dire : ce n'est pas forcément le ministère et ce n'est même pas du tout le ministère qui paye les ordinateurs et ça à mon avis c'est vraiment important.
Journaliste : Alors moi j'ai une question un peu triviale à vous poser. C'est bien gentil de faire libérer toutes les machines de la gendarmerie sous Linux, moi j'ai l'impression que les gendarmes ce n'est pas du tout des experts en informatique. Et ce qu'on entend aussi, et vous allez pouvoir répondre, je fais un peu de provoc, on a l'impression que Linux est bien plus compliqué que Windows. Comment est-ce qu'on forme autant de personnes qui vont devoir se servir d'un Linux quand on parle par exemple de la gendarmerie.
Benoît Sibaud : Exactement, comme on les forme pour utiliser n'importe quel autre système ou n'importe quel autre logiciel. En quoi ce serait différent d'utiliser un logiciel plutôt qu'un autre ? Par contre, quand on est dans le domaine de l'éducation nationale, il y a une neutralité commerciale de l'école à respecter. On a eu plusieurs fois au niveau de l'April à faire des rappels à l'ordre sur le sujet parce qu'il y a eu des campagnes ministérielles qui étaient financées par des partenaires privés, par des grands acteurs comme Microsoft ou Google qui imposaient leur logo partout sur la communication officielle et qui surtout imposaient leurs logiciels dans toutes les captures d'écran, qui donnaient des exemples uniquement avec leurs logiciels et autres. Et là il y a un souci au niveau de la neutralité scolaire. Les aspects commerciaux n'ont pas à apparaître ni dans la communication du ministère ou autres ni dans les communications, enfin ni dans les documents type B2I, C2I. On n'est pas sensés trouver ce genre de choses. Après, il y a à la fois des questions du côté ministère et on a aussi effectivement du côté des collectivités locales des choses qui se font, parfois des choses positives, parfois des choses qui sont plutôt problématiques.
Quand un conseil général décide d'avoir des portables entièrement équipés de Microsoft Windows, c'est un choix qui est à mon avis problématique. On se demande si c'est une bonne utilisation de l'argent public. Par contre, après, on va avoir la région Île-de-France qui va distribuer des clés USB avec du logiciel libre dans les lycées pour que les élèves soient en situation de légalité et qu'ils puissent utiliser le logiciel aussi bien à l'école que chez eux. On va avoir comme le guide que j'ai ici le conseil général des Landes qui diffuse à 10 000 exemplaires un petit guide intitulé « sur la route des logiciels libres. » qui explique un certain nombre de logiciels libres. On va trouver des actions à divers niveaux, des choix d'équipements : quelle est la dotation pour une école, un collège, un lycée. Des choix qui sont à faire à ce niveau-là. Donc il y a toujours la même problématique. Parfois on trouve des actions positives, parfois des actions négatives. Je dirais quand même que de manière générale, en ce qui concerne l'éducation, on a plus de mal du côté du ministère et on a plus de facilités du côté de la base et des enseignants, avec beaucoup plus de bonnes volontés du côté du Logiciel Libre ou des formats ouverts, de l'interopérabilité.
Thierry Stœhr : Il faut bien voir que d'une certaine manière, quand on creuse la question, et il y en a qui l'ont dit beaucoup mieux que moi, l'approche du Logiciel Libre avec quand même, avec un sens noble: le partage de la connaissance, la diffusion de l'information, l'enrichissement, la connaissance diffusée, c'est quand même quelque chose qui est je pense assez souvent partagée et vécue par les enseignants, que ce soit du primaire, du secondaire ou du supérieur.
Et qu'il y a une proximité d'approche qui devrait faire que le Logiciel Libre se retrouve assez souvent chez les enseignants. Maintenant, la barrière qui consisterait à dire, j'ai bien dit qui consisterait à dire : "ah c'est beaucoup moins beau, ça marche beaucoup moins bien ..."
Journaliste : c'est toute la communication de Windows
Thierry Stœhr : ... on m'a dit que", mon cousin l'a installé il y a huit ans" et puis "ma voisine ça n'a pas marché" et puis bon ... là je dirais que c'est ce qu'on appelle de la désinformation, c'est ce qu'on appelle là de la campagne marketing qui vise justement à faire circuler toute une série d'informations plus ou moins fondées, d'ailleurs plutôt moins que plus, pour dire que "oui c'est compliqué","ça marche pas bien", ça serait comme ça sans forcément le vérifier.
L'exemple type dans le fait que ça peut et ça a marché, c'est quand même, grosso modo les 2 millions de machines qui ont du être vendues à travers le monde par Asus au début avec son premier modèle entièrement avec du logiciel libre ou en tout cas quasiment avec que du logiciel libre. Et donc un système Linux dessus, il n'y a pas eu de retour à 98% des utilisateurs qui on dit « on ne comprend rien. » Il y a eu des utilisateurs et des utilisatrices, j'en ai dans mon entourage, qui sont passés à une machine comme celle là, à l'époque. Oui, ils ont retrouvé des icônes, il y a des icônes, ils ont retrouvé des menus, il y a des menus. Ils ont retrouvés des boutons, des clics, des choses qui sont assez classiques.
Journaliste : Et des programmes qu'ils avaient aussi sur leur poste de travail parce qu'ils ont été installés auparavant. Je pense notamment à du Firefox et du VLC, qui sont quand même maintenant très très répandus. Y compris sur les utilisateurs d'OS propriétaires. Pour autant les gens ne savent pas forcément qu'il s'agit de logiciels libre.
Benoît Sibaud : Je n'ai pas trop de doutes sur le fait qu'il y a largement plus de postes standards qui ont été achetés en vente liée avec un Windows dessus qui a été remplacé par un système libre qu'il n'y a eu de mini-portables d'Asus sur lesquels des utilisateurs non satisfaits ont réinstallé eux-même à la main un Windows dessus.
Journaliste : mais alors juste pour me faire l'avocat du diable, est-ce que dans le cas de cette petite machine vendue par Asus avec un Linux, est-ce qu'on peut parler de vente liée ?
Thierry Stœhr : dans l'absolu si et dans ce qui a été annoncé par les associations comme solution possible ... c'est la solution au problème de la vente liée est l'application de la loi. C'est de dire : il y a tout à fait techniquement la possibilité sur la machine que l'on vient d'acheter, d'avoir le choix, l'optionalité de ce qu'on va retenir, y compris une distribution en logiciel libre plutôt que du Windows et avec là une activation. Techniquement il n'y a absolument pas d'impossibilité pour que la machine soit livrée quasiment nue avec un choix de l'utilisateur en fonction de ce qu'il a réglé et de ce qu'il a choisi. Et choisi en connaissance de cause et non pas forcément avec uniquement le matraquage publicitaire et une non-information, une désinformation parce qu'il des outils suffisamment puissants et des moyens suffisamment importants.
Journaliste : pour conclure, une dernière réflexion : vous n'êtes pas fatigués ?
Benoît Sibaud : Non au contraire, on vient de le dire, c'est un problème qui a une solution technique relativement technique relativement simple. Dit autrement, très clairement: c'est juste une volonté politique, un choix de ne pas faire appliquer la loi.
Journaliste : justement, vu que la volonté politique traîne un peu ...
Journaliste 2 : même au niveau des associations de consommateurs et de la DGCCRF, il n'y a pas de consensus à l'intérieur même de ces organismes.
Benoît Sibaud : les choses avancent. Quand on voit que sur les questions notamment de vente liée on a sensibilisé et qu'on arrive à avoir quand même 74 députés actuels en France qui sont signataires du pacte du logiciel libre et qui ont pris un certain nombre d'engagements, notamment sur la question de la vente liée, c'est non négligeable parmi 577 députés, qu'au niveau européen on a une trentaine de députés signataires de tous partis et dans divers pays, il y a des choses qui avancent. Il y a un certain nombre d'actions juridiques qui sont en cours aussi. Les choses avancent de part et d'autre et au contraire on est plutôt de plus en plus forts sur cette thématique_là, avec de plus en plus de gens impliqués, de plus en plus de bruit fait autour de cette histoire. Et de plus en plus aussi, même si on ne vont pas aussi vite et aussi loin qu'on pourrait le souhaiter, d'actions des autorités de la concurrence, qui sont en cours.
Donc, non, non, les choses avancent. S'il y a un point sur lequel on devrait être déçu c'est sur le fait que ça n'avance pas assez vite. Mais en tout cas les choses progressent.
Thierry Stœhr : Et là, clairement, le tout nouveau et tout récent document qu'a cité Benoît qui s'appelle "Sur la route des logiciels libres" et qui est donc édité par le conseil général des Landes, avec l'association Landinux, politiquement s'il faut parler très clairement, c'est quelque chose qui est très fort, parce qu'on a un document qui a, non seulement, le logo du conseil général mais qui non seulement s'ouvre sur la page 3, je l'ai sous les yeux, avec une préface où le président du conseil général des Landes, Henri Emmanuelli, écrit un texte qui est...
Journaliste : En faveur...
Thierry Stœhr : ...plutôt favorable au Logiciel Libre en disant que c'est quelque chose de tout à fait intéressant. Et qui finit par "Je vous recommande cette excellente lecture qui peut également servir de memento".
Journaliste : On ne peut pas être plus clair.
Thierry Stœhr : C'est quelque chose qui est très fort et quand on a des actions, des choix politiques de ce type, oui on ne peut que les encourager de quelque côté que ce soit. Donc s'il y a d'autres conseils généraux ou conseils régionaux qui ont envie d'imiter cette démarche, on ne pourra qu'applaudir et si par moments on peut être un peu découragé par les rouleaux compresseurs que l'on a en face de nous et les difficultés que l'on peut rencontrer... C'est vrai, parce que ce n'est pas évident avec les moyens que l'on a, on peut être aussi plutôt positif en se disant que depuis 13 ans, ou depuis 11 ans, on a investi dans le Logiciel Libre, ça avance quand même mais qu'on a changé d'ère entre 1998/2000 et maintenant de manière très évidente. Et les Rencontres Mondiales des Logiciels Libres en sont une preuve.
Benoît Sibaud : C'est même un très bel exemple de conséquences heureuses des Rencontres Mondiales des Logiciels Libres: cet ouvrage est issu, fait partie des retombées des rencontres mondiales de l'année dernière, à Mont-de-Marsan, et l'on ne peut que souhaiter que le même genre d'initiative ait lieu suite aux Rencontres de cette année à Nantes.
Journaliste : Merci beaucoup, Thierry Stœhr, je rappelle que tu intervenais pour l'Aful au nom du groupe "racketiciel", on peut dire ça ?
Thierry Stœhr : Y a le groupe là qui a été initié mais qui est ouvert à tout le monde et qui permet de diffuser de l'information, d'agir, d'informer, entre autres et avec, là, toutes les bonnes volontés des autres associations et de ceux qui seraient intéressés pour faire respecter la loi sur leurs achats.
Journaliste : Donc racketiciel.info, c'est l'URL.
Journaliste 2 : Voilà c'est ce que j'allais dire, et puis rappeler aussi les contacts.
Journaliste : Et puis il y a aussi Benoît Sibaud, merci, qui intervenait pour l'April, dans le groupe de travail : "non aux ventes liées". Donc l'April : april.org , comme ça se prononce. Alors que ce soit l'un ou l'autre, je pense qu'il y a des actions concertées. En tout cas merci beaucoup pour cette table ronde.
Journaliste 2 : Merci.
Journaliste : Et puis j'espère que l'on prendra l'année prochaine de très bonnes nouvelles...
Journaliste 2 : ...des nouvelles de la vente liée.
Journaliste : ...par rapport à ce sujet-la.
Benoît Sibaud et Thierry Stœhr : Merci.