« Contributopia », Dégoogliser ne suffit pas - Pierre-Yves Gosset

Pierre-Yves Gosset

Titre : « Contributopia », Dégoogliser ne suffit pas.
Intervenant : Pierre-Yves Gosset
Lieu : Capitole du Libre - Toulouse
Date : novembre 2017
Durée : 1 h 54 min
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Diaporama support de la présentation, divers formats.
Licence de la transcription : Verbatim
NB : transcription réalisée par nos soins. Les positions exprimées sont celles des intervenants et ne rejoignent pas forcément celles de l'April.

Description

En octobre 2014, l'association Framasoft lançait un pari un peu fou : « Et si on dégooglisait Internet ? ». Ce (modeste) plan de libération du monde visait, en 3 ans à :

  • sensibiliser le public sur la question de la centralisation des données, des atteintes à la vie privée, et des dominations des « GAFAM » (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) ;
  • démontrer que le logiciel libre est une réponse concrète à ces dangers ;
  • essaimer la démarche, afin de créer une résilience, et de faire en sorte que Framasoft ne soit pas le « Google du libre ».

Trois ans plus tard, l'objectif est atteint :

  • plusieurs centaines de conférences, ateliers, stands, etc auront été tenus par des membres de l'association ;
  • 32 services libres, éthiques, alternatifs et solidaires sont disponibles pour tou⋅te⋅s ;
  • la récente naissance du collectif CHATONS ouvre une potentielle dynamique pour les années à venir.

En octobre 2017, Framasoft souhaite se lancer dans une nouvelle campagne : « Contributopia ». Ses objectifs :

  • outiller les personnes souhaitant œuvrer à une société plus libre et plus juste ;
  • favoriser les contributions de tous types aux logiciels libres et aux communs, notamment par les moldu⋅e⋅s du code ;
  • faciliter l'accompagnement des publics dans le choix, la prise en main, et l'usage des outils libres.

Pour cela, une douzaine de projets sont annoncés sur les années à venir visant, chacun à leur manière, à rapprocher les enjeux du libre et des communs de ceux de l'éducation populaire et de l'économie sociale et solidaire. La conférence s'attachera à présenter le bilan de la campagne Dégooglisons, et les raisons qui nous amènent à penser que « dégoogliser ne suffit pas ».

Transcription

Bonjour à toutes et à tous. Je m’appelle Pierre-Yves Gosset, je suis directeur et délégué général de l’association Framasoft1 et je vous annonce tout de suite que je ne vais pas vous retenir une heure, je vais sans doute vous retenir un petit peu plus, j’ai 114 ou 115 slides. N’ayez pas peur, il y en a qui vont aller très vite. Du coup, si vous voulez partir parce que vous voulez aller voir une autre conférence, je ne me vexerai pas. Promis.

L’idée aujourd’hui c’était de vous parler de la feuille de route qu’on vient d’annoncer, qui s’appelle « Contributopia ». Mais pour vous raconter pourquoi est-ce qu’on fait cette feuille de route, comment est-ce qu’on en est arrivés là, je suis obligé de remonter un petit peu dans le temps, voire beaucoup dans le temps.

Au commencement était Internet, c’était simple, ce n’était pas trop compliqué ; assez vite c’est parti en vrille. Là vous avez une représentation d’un petit bout du réseau Internet. Ça a plutôt bien marché ; les marchands sont arrivés, comme souvent, ce qui n’est pas nécessairement voire pas du tout une difficulté, mais on a quand même eu, du coup, beaucoup d’entreprises qui sont arrivées, ce qui fait qu’aujourd’hui le Web… Ça a intérêt à fonctionner, ah là, là, si mes GIF animés ne fonctionnent pas, je vais être triste et malheureux. Je vais donc hop ! hop ! Je vais passer en un seul écran, parce que sinon ça ne va pas être cool. J’aurais dû vérifier ça avant, évidemment. On fera une petite coupe au montage de la vidéo. Hop ! Je vais lui dire même image sur tous les écrans, on applique. Eh oui, ça présente des choses avant ! Et la magie de Debian fait que, nécessairement, ça devrait fonctionner.

Donc au commencement était Internet, c’est parti en vrille, les marchands sont arrivés. Et là j’espère qu’on va avoir droit… Ah non ! Je n’ai pas le droit de ne pas avoir mes vidéos de chatons. On va le refaire d'une autre façon. Il y a toujours une solution avec le Libre, des fois elle est juste un peu casse-pieds ! Vous allez voir, on va y arriver.

Public : Inaudible.

Pierre-Yves : OK. J’efface donc le dossier « Séminaire aux Bahamas ». Promis ! Voilà, je sens que ça va marcher vu le temps que ça prend à charger. Voilà ! Merci le Libre.

[Applaudissements]

Donc voilà un petit peu à quoi me fait penser Internet aujourd’hui. C’est un peu difficile quand même de s’en sortir dans toutes ces publicités, tous ces acteurs qui sont là et qui vous disent qu’il faut réussir à passer. Bon ! La publicité en tant que telle, après tout on pourrait dire « oui, et alors ! En quoi c’est un problème ? »

Domination technique

Du coup, dans ce déroulé de « Contributopia », il faut qu’on vous explique un petit peu ce que nous on a appris ces dernières années, c’est qu’un petit nombre d’acteurs exerçait une tripe domination. Pour bien comprendre quelle est cette triple domination, je vais vous demander de lever la main si vous avez un smartphone, iPhone ou Android. OK, 90 %. Qui a une boîte Gmail ? 60 %, peut-être 70 % ; on sent qu’on est dans un truc quand même libriste un petit peu. Je pourrais continuer. Qui a un compte Facebook ? Je savais que ça allait légèrement baisser petit à petit.

Ce qui est clair c’est donc qu’il y a un petit nombre d’acteurs qui domine Internet aujourd’hui, malheureusement. Là, vous avez une carte tout à fait fictive et tout à fait propriétaire d’une représentation des services de Google. Donc vous avez Google, vous avez Google Groups, Google Agenda, Google Calendar, etc. La personne qui a fait cette carte représentait, en fait, Internet sur six continents, à savoir Google, Apple, Facebook au nord, Microsoft à l’est, Amazon au nord-est et le continent du darknet, des internets digitaux, auto-radicalisés, du porn, etc., qui est bien séparé mais qui existe. C’était une représentation relativement amusante ; le problème c’est que techniquement ces acteurs sont extrêmement puissants. Ça c’est ce qui se passe chaque minute sur Internet : il y a 6 millions de Snapchat qui sont envoyés, 6 millions de « snap » qui sont envoyés par minute. Des millions de photos qui sont échangées sur quelques acteurs uniquement. Donc j’ai fait le choix, j’ai visé Facebook, désolé : chaque jour 1,3 milliard de personnes se connectent sur Facebook. Là ,du coup, les informaticiennes et les informaticiens dans la salle doivent se dire 1,3 milliards ça commence à faire beaucoup de connexions, il faut quand même une sacrée infra. Et un autre chiffre 2000 millions de photos sont mises en ligne tous les jours sur Facebook. Donc là aussi, l’admin sys de Facebook n’est pas tout seul pour gérer ça !

Évidemment, ces entreprises ont une domination technique qui va bien au-delà aujourd’hui de simples sites web ; notamment, on pourrait parler des voitures connectées, des montres connectées, des frigos connectés ; tout ça, aujourd’hui, fait partie de la domination technique de ces entreprises. Et alors !

Domination économique

C’est quelque chose qu’on a beaucoup travaillé ces dernières années. On explique aux gens et souvent ils n’ont pas forcément conscience que les cinq plus grosses capitalisations boursières mondiales, aujourd’hui, sont Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft. Ça n’est plus Walmart qui est le Carrefour américain et un des plus gros employeurs de la planète ; ça n’est pas General Electric ; ça ne sont plus les big pétroliers ; ça ne sont plus les big Pharma. Ce sont vraiment cinq entreprises du numérique qui contrôlent une énorme partie du pognon qui circule aujourd’hui dans les pays, notamment aux États-Unis.

Je vais commencer par tout en bas, si vous n’arrivez pas à lire. Apple, Microsoft et Google détiennent à elles trois, en gros, un quart du cash des entreprises américaines. Donc là j’ai les chiffres, j’ai repris les chiffres officiels tels que marqués sur Wikipédia, des cinq principales entreprises, des GAFAM, et donc, moi le chiffre que je trouve particulièrement intéressant, c’est la partie capitaux propres. Capitaux propres, pour ceux qui ne font pas d’économie, c’est, en gros, leur trésorerie ; ça veut dire ce qu’elles ont sur leur compte en banque ; ça veut dire ce qu’elles peuvent retirer quand elles vont au distributeur. Concrètement, ça veut dire quoi ? Ça veut dire que Apple, en 2015, avait 119 milliards de dollars sur son compte en banque. Pour donner une idée, 119 milliards de dollars, c’est à peu près le PIB du Maroc. Mine de rien ça calme un petit peu. J’ai comparé à Carrefour. Ils ont à peu près autant d’employés que le groupe Carrefour : le groupe Carrefour fait 1 milliard de bénéfices, les GAFAM en font 100 milliards.

Ce qu’on ne sait pas forcément c’est que ces entreprises investissent et quand nous on parle de colonisation d’Internet par les GAFAM, les gens nous disent « colonisation c’est un mot fort, des gens qui sont morts ». Effectivement, c’est un terme qui a une véritable puissance évocatrice, mais ce qui nous nous intéresse c’est la façon dont petit à petit elles grignotent des parts du Web et comment est-ce qu’elles arrivent à s’implémenter dans Internet.

Ce que vous ne savez peut-être pas c’est que Google est actionnaire de Uber ; ou que Amazon, enfin à travers Jeff Bezos et son fond de capital risque, est actionnaire Airbnb. Donc vous avez peut-être l’impression qu’il y a des milliers et des milliers de boîtes, mais celles que l’on connaît, celles dont vous avez installé les applications sur votre smartphone, elles ont probablement, dans leurs capitaux, des fonds qui appartiennent à Google, Facebook, Amazon ou Microsoft. Il y encore plein de gens que ne savent pas que WhatsApp appartient à 100 % à Facebook. Ils se disent « moi je n’utilise pas Facebook, j’utilise WhatsApp ». Perdu ! Même chose, même combat !

Vous avez, à droite, la liste des 185 dernières acquisitions et je parle bien des acquisitions à 100 % par Google. Vous allez voir la page Wikipédia, acquisitions de Google, enfin d’Alphabet, c’est assez impressionnant.

Autre point : 26 milliards 200 millions, c’est le prix qu’a payé Microsoft en échanges d’actions. Ils n’ont même pas été retirer l’argent au distributeur. Ils ont juste échangé une partie de leurs actions contre l’entreprise Linkedin. 26 milliards, encore une fois, c’est un chiffre qui est complètement faramineux et qui prouve bien que même si une entreprise marche bien — concrètement Linkedin marche plutôt bien — c’est quand même un énorme problème de se dire qu’elles peuvent racheter n’importe quelle entreprise sur la planète. Et donc, quand on dit qu’il y a une vraie diversité des acteurs, quand on dit qu’il faut pousser des start-ups, nous ça nous fait un petit peu mal au cœur et pas qu’au cœur parce que, du coup, ça veut dire qu’elles peuvent racheter toute entreprise qui commencerait à bien se porter « ah c’est intéressant, je l’achète, je fais un chèque de 26 milliards de dollars ». Si c’est une start-up avec 10 personnes, vous imaginez bien que les gens vont prendre le milliard ou les deux milliards et partir aux Bahamas avec. Oui, et alors ?

Domination culturelle

On en vient à un troisième type de domination qui pour nous est encore plus important et encore plus caché, et sur lequel je vais revenir encore plus dans le détail tout à l’heure, c’est la domination culturelle.

La domination culturelle, c’est le fait que petit à petit ces entreprises, sans qu’on s’en rende nécessairement compte, et sans qu’elles le fassent avec une visée nécessairement volontaire, consciente – je veux dire il n’y a pas un mec chez Facebook qui se dit tous les soirs « ah ! ah ! Comment est-ce que je vais pouvoir changer les relations entre les gens et redéfinir la définition d’amis ». Ce n’est pas vrai. Ce n’est pas Minux et Cortex non plus, mais il y a quelque part des gens qui sont en train d’influencer la façon dont on interagit avec nos amis. C’est-à-dire que si vous avez des amis qui sont sur Facebook et d’autres qui ne sont pas sur Facebook et que vous vous avez un compte Facebook, vous allez avoir plus tendance à garder des relations avec vos amis qui sont sur Facebook. Ça paraît tout bête dit comme ça, mais ça veut dire qu’ils sont en train d’influencer la façon dont on interagit entre êtres humains. On peut résister à ça, mais franchement, c’est difficile !

Deuxième chose, ils ont aussi une forte influence sur les aspects design. Donc là j’ai pris des interfaces type Material Design d’Apple ; concrètement, ils sont en train de normaliser la société, la façon dont on interagit avec des objets, la façon dont on fait du design. Donc aujourd’hui, quand vous êtes designer, c’est beaucoup plus simple de dire on va reprendre les codes du Material Design par exemple de Google, ou ceux d’Apple, parce que ce sont des choses que les gens connaissent et comprennent. C’est vrai, sauf qu’on n’a pas qu’une culture sur la planète. Et pourquoi est-ce qu’il faudrait faire à Dakar une application type téléphone mobile de la même façon qu’elle est faite à San Francisco ?

Troisième chose. Ils influencent notre morale. Vous avez ici un tableau qui est pourtant mondialement connu, qui s’appelle L’Origine du monde de Gustave Courbet, qui ne date pas d’aujourd’hui, Facebook l’a censuré parce que les algorithmes de Facebook ont cru que c’était une photo et donc pour eux, comme ils ne veulent pas de sexe ou de pornographie sur Facebook – c’est leur choix, c’est tout à fait respectable –, mais, du coup, les images sont supprimées. Ça veut dire qu’il y a des erreurs. Ça veut dire que, du coup, inconsciemment, on ne va plus aller mettre des images de ce type sur Facebook, alors que c’est un tableau de maître français, ce n’est pas rien, quand même, Gustave Courbet, et ça veut dire que potentiellement ces entreprises sont en train d’influencer et de diffuser leur morale au niveau planétaire.

Le problème, comme je le disais avec le tableau de Courbet, c’est que ces entreprises sont situées dans un tout petit territoire du monde ; j’aurais dû refaire un zoom de zoom de zoom, parce que Google, Facebook et Apple sont dans un carré qui fait un petit peu plus d’une centaine de kilomètres sur une centaine kilomètres autour de San Francisco et que Amazon et Microsoft, l’un et l’autre, ont leur siège social qui est situé à Seattle.

Ça veut dire que ce sont les gens qui sont dans ces deux villes qui décident pour le reste du monde de comment est-ce qu’on va interagir avec nos amis, comment est-ce qu’on va concevoir des interfaces, comment est-ce qu’on va devoir gérer la morale, etc.

Donc une partie de ce qu’on porte aujourd’hui comme message, c’est de dire que sur cette domination culturelle, Internet par les GAFAM, c’est un petit peu comme le cinéma par Hollywood : il est porteur, il véhicule des valeurs sociales et morales qui sont diffusées sur la planète, sauf que c’est Hollywood puissance 10. Hollywood nous vendait un modèle à l’American way of life avec un mari, une femme, deux enfants, une voiture, voire deux voitures tant qu’à faire parce qu’il fallait faire tourner l’économie américaine, et puis voilà, les congés ; enfin l’image est assez parlante. Et du coup, on est quand même un certain nombre aujourd’hui à penser qu’Internet est en train de véhiculer quelque chose de beaucoup plus fort. Ils sont en train de réussir à faire ce qu’on appelle le village mondial, mais ce sont uniquement cinq entreprises étasuniennes avec des dirigeants qui sont des hommes, blancs, souvent protestants, qui décident petit à petit de comment est-ce qu’on doit diffuser de l’information et quel est le modèle de vie qu’on devrait avoir.

Vous êtes vraiment un public difficile !

Capitalisme de surveillance

Je vais vous parler là d’une autre découverte, enfin quelque chose qui a évolué ces dernières années et nous on essaye de faire de la sensibilisation autour de la notion de capitalisme de surveillance. Capitalisme de surveillance, ça fait un petit peu peur comme mot, mais vous allez voir que je vais dérouler en quoi ça consiste et potentiellement vous allez assez vite comprendre ce que c’est.

Premier point, capitalisme de surveillance, ce qu’on appelle les dérives publicitaires. Comment est-ce que les GAFAM utilisent la publicité comme un levier, tous les jours, pour nous pister. Là je suis allé sur le site du Parisien il y a quelques semaines ; l’article en Une c’était l’attaque au couteau à Marseille ; 92 traceurs sur le site du Parisien. 92 ! 92 petits logiciels qui vont pister est-ce que je suis déjà venu ; potentiellement ils vont recouper des informations personnelles sur mon âge, mon sexe, est-ce que je reste longtemps sur la page, d’où est-ce que je viens, sur quelle page je vais aller, etc.

Évidemment, si vous avez un bloqueur de pubs, vous allez me dire « moi je m’en fiche, les traceurs je ne les vois pas ! » Sauf que du coup, potentiellement, si vous mettez un bloqueur de pubs, peut-être que Le Parisien n’aura plus de modèle économique. Nous, personnellement, avoir un modèle économique non éthique on estime que c’est leur problème et que c’est à eux de le régler ; mais aujourd’hui, ils vivent de ça. Donc ils vont vous dire, ils vont essayer de vous culpabiliser en vous mettant des gros panneaux « merci de ne pas activer votre bloqueur de publicité ». Ce qui est quand même assez fou parce que ce n’est pas de la publicité comme quand on ouvre un journal et qu’il ne sait pas qui vous êtes ? On est bien d’accord que ces traceurs vous suivent réellement et précisément.

Petit point important parce que ça tout le monde ne le sait pas, les petits boutons Facebook, Twitter, etc., qu’on voit tout en bas, même si on a l’impression qu’ils sont sur le site web, en fait, ils sont techniquement liés à Facebook ; ça veut dire que lorsque j’affiche cette page, Facebook, alors que c’est bien le site du Parisien et que, à priori, aux dernières nouvelles, Facebook n’est pas actionnaire du Parisien, Facebook sait que j’ai lu cet article, combien de temps je suis resté, quel était le titre de cet article. Donc petit à petit Facebook acquiert de l’information sur moi.

Je vais aller assez vite sur cette slide qui est très laide en plus, c’est du fait main. Le principe du capitalisme de surveillance est assez simple, les utilisateurs c’est nous. On génère des données à travers un certain nombre de choses qui génèrent du trafic, pas qui génèrent du trafic, mais petit à petit plus on fait de trafic plus ils peuvent valoriser ces données-là au travers de la publicité. Et il y a un autre point. Évidemment, aujourd’hui, il y a ce qu’on appelle des data brokers, c’est-à-dire des gens qui récupèrent les données, qui en font un traitement, qui les revendent. Ils revendent, en fait, vos profils publicitaires à des annonceurs qui veulent vous vendre une paire de chaussures, une voiture, un voyage aux Bahamas, etc. On est très Bahamas aujourd’hui ! Je reviendrai dessus plus tard. Évidemment, malheureusement, ça ne leur suffit pas.

J’en viens à la question de la dérive de la surveillance. Là c’est un vieux schéma mais très académique, de 2011, qui regroupe un certain nombre de types de données personnelles qui existent pour un individu. Vous avez les données type universitaire, enfin votre parcours scolaire. Vous avez les nom, prénom, adresse. Vous avez le type d’outils que vous avez chez vous, par exemple un téléphone portable ou pas. Vous avez les données démographiques, l’adresse, l’âge, le sexe, éventuellement la religion, etc. Les relations avec vos amis, votre famille, les communications, les données financières, les données de santé, etc. Je vais revenir sur ce schéma tout à l’heure.

Évidemment, ces entreprises il faut qu’elles puissent vous tracer sur un maximum de plans pour récolter de l’information. Un outil assez simple qui a été un des premiers qu’elles ont pu mettre en place pour ça, c’est, par exemple, le navigateur. Donc Google Chrome récolte de l’information sur votre navigation et envoie ces informations à Google. Si vous avez un compte Google, c’est encore pire : ils peuvent récolter vraiment vos déplacements, enfin où est-ce que vous vous connectez ; le navigateur peut envoyer ce type d’informations.

Un des premiers mouchards et des plus importants c’est le téléphone auquel aujourd’hui viennent s’ajouter les montres que ça soit l’Apple Watch ou les montres type Android. Ça ne se développe pas trop pour l’instant en France. Vous avez vu des pubs peut-être pour l’Apple Pay où le papa et sa petite fille passent devant une boulangerie, mais le papa n’a pas de pièces dans sa poche ! C’est trop triste ! Mais heureusement il a son téléphone dans la poche et du coup il peut payer à sa petite fille un croissant, une chocolatine vu qu’on est à Toulouse ! Je ne vais pas dire pain au chocolat ! Merci ! J’ai fait gaffe ! Yes! Achievment unlocked!

[Applaudissements]

Donc c’est quelque chose. Aujourd’hui 60 % des paiements à Mac Donald aux États-Unis sont faits par le téléphone, directement. C’est-à-dire il y a une puce NFC comme vous avez probablement une puce NFC dans votre Carte Bleue, qui peut être détruite ou désactivée d’ailleurs, et qui permet, du coup, de payer votre burger directement sans avoir de monnaie sur vous. Évidemment, ça veut dire quoi ? Ça veut dire que Google va savoir que vous êtes dans tel Mac Donald, que vous avez mangé tel burger, que c’est la quatrième fois que vous venez cette semaine et donc, potentiellement, il va pouvoir vous classer dans certaines catégories.

Ça va plus loin aussi, puisque, évidemment que ça soit Google ou d’autres sociétés s’intéresse beaucoup à la question de la voiture autonome. La voiture autonome c’est potentiellement bien, il y a aura peut-être moins d’accidents, donc potentiellement des morts en moins ; c’est évidemment une très bonne chose. L’inconvénient c’est que ce n’est pas un nouveau modèle classique. Elles vont vouloir évidemment gagner de l’argent sur la partie logicielle qu’il y a dedans et donc votre voiture vous préviendra probablement en vous disant « tu sais que tu as une réduction sur les carottes à Carrefour dans 500 mètres, est-ce que tu veux qu’on s’arrête ? » C’est complètement intégré dans cette vision-là.

La question des robots, je la traite ici ; on pourra revenir dessus plus tard. Là vous avez des robots qui ont été développés, au départ, par une boîte qui s’appelle au départ Boston Dynamics. Boston Dynamics a été rachetée par Google. Le problème c’est qu’ils ont fait des vidéos montrant ce sur quoi travaillait Boston Dynamics. Au départ ce sont des robots qui étaient prévus plutôt pour l’armée. Ils continuent d’ailleurs à développer des robots pour l’armée, mais du coup Google, quand il a vu la réaction vis-à-vis de ces robots du grand public a dit : « Il vaut peut-être mieux revendre la boîte sinon on va se faire pourrir la vie. Ça rappelle un peu trop Terminator ». Et donc ça commence à bien marcher : pour ceux qui suivent un peu, le robot qui est en bas, la semaine dernière, a réussi à effectuer un saut périlleux arrière, ce qui est quand même extrêmement compliqué pour un robot, sans se casser la figure.

Il y a des outils qui sont beaucoup plus pernicieux. Vous avez le Google Wifi. Google Wifi c’est un petit appareil que vous posez chez vous et qui va permettre d’avoir le Wifi, si vous êtes dans une grande maison dans laquelle le Wifi ne passe pas bien, ça marche très bien. Vous posez votre Wifi et c’est Google qui va répercuter. Évidemment, Google récolte des données.

Vous avez les caméras Nest. Nest est une filiale de Alphabet. Alphabet c’est la maison-mère de Google. Je n’ai pas précisé mais Google, aujourd’hui, n’est qu’une petite boîte qui pèse quand même 500 milliards de dollars, mais qui appartient à une maison-mère qui s’appelle Alphabet qui elle fait de la Recherche et Développement, qui fait de la recherche sur l’ADN, etc. Donc ils ont une filiale à 100 % qui appartient à Alphabet, qui s’appelle Nest et qui permet de filmer en temps réel, par exemple, qui sont les personnes qui rentrent chez vous ; qu’on peut coupler à un thermostat pour que ça monte la température quand vous quittez le boulot ou quand vous avez quitté votre maison : ça marche assez bien. Je trouvais cette photo intéressante parce qu’elle est mise à côté des parfums ! Ça, ce sont les types d’appareils qu’on voit de plus en plus. Vous avez à gauche Amazon Echo ; donc quand vous dites « Alexa, quel est le titre – je ne sais – de musique des années 50 que je préfère, je l’ai oublié, est-ce que tu peux me le jouer ? », ça va aller chercher la bonne musique chez Amazon Play, hop ! et vous la jouer automatiquement.

Et le Google Home, derrière, fait exactement la même chose. On a déjà vu pas mal de dérives du Google Home qui est sorti il n’y a pourtant pas très longtemps mais qui, en fait, se déclenchait tout seul même quand on ne lui posait pas la question. Là il faut dire « OK Google » ; le Google Home se « réveille » entre guillemets et il est capable de « répondre » entre guillemets à vos questions ou d’activer des choses chez vous. Ça veut dire que cet outil doit écouter en permanence si vous dites « OK Google » ou pas. Je ne dis que les informations sont systématiquement envoyées, mais demain elles pourraient l’être.

Exemple qui fait un peu flipper, qui est un cas réel, la Barbie qui est capable, évidemment, d’écouter les paroles de l’enfant, de les envoyer à un service en ligne qui va répondre, qui va donner une réponse contextuelle. Du coup, à l’enfant, ça ne va pas répondre « oh oui il fait beau aujourd’hui » systématiquement, ça va donner une réponse contextuelle. Sauf qu’il a été démontré quelques semaines après la sortie de cette Barbie qu’il était possible d’écouter en permanence ce qui se passait dans la chambre et, évidemment, ça fait un peu flipper. Pourquoi est-ce qu’il se passerait des trucs ? Non, tout va bien se passer, c’est normal.

Le dernier truc que nous on voit arriver, ce sont les Google Glass qui avaient été écartées parce que ça faisait trop flipper les gens à San Francisco, là où les Google Glass avaient d’abord été testées, mais elles sont en train de revenir en mode, c’est la Google Glass Enterprise Edition. Là ce n’est plus du tout la même chose, même si c’est exactement la même chose. Vous êtes chirurgien, ça peut vous afficher de l’info, etc. Et évidemment, c’est un très bon modèle parce que, en passant d’abord par l’entreprise, ça va être finalement le grand public qui va récupérer ça et qui, en plus, va être ravi d’aller payer pour aller choper, pour pouvoir acheter ces nouvelles Google Glass.

Donc si je reprends ce schéma que je vous montrais tout à l’heure, je vais commencer par les activités : vous avez déjà tout ce qui est votre activité notamment en ligne, donc Chrome, Windows, iOS, les Google Car, etc., tout ça déjà récupère votre activité. Les données académiques, Linkedin ou Google Education les récupèrent. Les comptes Google, à peu près tout, de votre montre, de votre e-mail, etc. ; souvent ce sont eux qui gèrent votre mail. Vos intérêts sont récupérés par Facebook, Google Plus, Amazon. Je vais continuer un peu plus vite. Globalement on a à peu près fait le tour de tous les types de données personnelles qu’ils pouvaient choper. Il en reste à peu près deux mais qui vont assez vite arriver.

Il y a les données financières. Ils sont tous en train d’essayer de monter des systèmes de banque en ligne. Comme ça ce sera beaucoup plus simple, ils sauront tout ce que vous dépensez, tout ce que vous achetez. Ils vont probablement vous proposer un service de banque 100 % gratuit ; pas bête ! De toutes façons, ils ont 100 milliards de dollars sur le compte en banque, ça ne va pas leur coûter trop cher.

Les données de santé, ça commence, il y a déjà des projets qui commencent à arriver pour lesquels Google va suivre votre santé. D’ailleurs on a tendance à dire, même Google le dit, quand vous êtes malade, la première personne à le savoir ce n’est pas votre conjoint ou votre conjointe, c’est Google. Parce que si vous avez mal au coude vous dites « mal au coude » et, du coup, Google sait que potentiellement vous avez un problème de santé, donc il va pouvoir stocker cette information et la réutiliser plus tard.

Et les données gouvernementales, j’ai cru que ça n’arriverait pas, mais si ! C’est en train d’arriver aussi. Je vais en reparler dans une minute, tout à l’heure.

Donc finalement les GAFAM ont réussi en quelques années à se placer en tant qu’intermédiaires sur la production de données, sur la distribution des données, sur la diffusion des données et sur les contributions puisque c’est nous qui leur fournissons nos propres données et qui les diffusons derrière. Très malin ! Ça pose quand même un certain nombre d’autres problèmes derrière.

Évidemment, les révélations d’Edward Snowden, en juillet 2013, démontrent une chose dont on se doutait ou qu’on savait dans les milieux activistes et du logiciel libre, mais on n’avait pas de preuves. Ce qu’apporte Edward Snowden c’est, au travers d’un programme de surveillance qui s’appelle PRISM, il démontre qu’il y a une véritable collusion entre des services de renseignement étasuniens essentiellement et des États. Concrètement, il démontre que plutôt que d’aller se casser la tête à aller surveiller chaque personne individuellement comme en France on pouvait le faire, on n’était même pas trop mauvais à ça avec les Renseignements généraux de leur temps, eh bien c’est beaucoup plus simple d’aller taper à neuf portes ; ces neuf portes sont Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft, Cisco, Yahoo et il m’en manque toujours une ou deux, c’est un peu comme les sept nains, mais bon, peu importe vous avez compris le principe. Déjà on retrouve les GAFAM dedans.

Ce que démontre PRISM c’est que, finalement, en allant toquer à la porte de Google on a beaucoup plus d’informations qu’en faisant de la surveillance à l’ancienne auprès des gens.

Deuxième dérive type démocratique, c’est que ça fait rêver les hommes et femmes politiques. Les gens de pouvoir ont envie d’avoir ce pouvoir qu’ont les GAFAM et, du coup, ils ont une tendance depuis maintenant quelques années à vouloir entourer, mettre des barrières autour des citoyens de façon à suivre au mieux quelles peuvent être leurs activités. L’idée, évidemment, qu’ils vont avoir derrière la tête c’est de dire, et c’est comme ça qu’ils nous le font passer, « oui mais c’est pour mieux lutter contre le terrorisme ». Sauf que, et les militants de La Quadrature du Net vous l’expliqueront beaucoup mieux que moi, on voit bien que ces projets de lois et ces lois ne sont pas là uniquement pour le terrorisme ; elles visent des champs d’application beaucoup plus larges qui peuvent être tout ce qui va porter atteinte aux intérêts majeurs scientifiques et économiques de la France. Sauf que est-ce que, je ne sais pas, le foie gras c’est un intérêt majeur économique ou scientifique de la France ? On peut dire que c’est un intérêt majeur économique et donc il faut défendre le foie gras. Donc quelqu’un qui voudrait promouvoir le foie gras en France et qui viendrait de l’étranger, on pourrait le mettre sous surveillance pour ça.

Les cas, évidemment, les plus courants que l’on voit, ce sont les surveillances d’activistes. À peine la loi était-elle votée en France que des militants de la COP 21 étaient mis sous surveillance et on a pu les empêcher d’aller militer en leur disant « non vous, vous portez atteinte… », en gros vous foutez le bordel et nous on ne veut pas de bordel en France, donc restez chez vous.

Je continue sur des dérives démocratiques parce que ne pas payer d’impôts est une dérive démocratique selon moi. Le fait qu’ils payent très, très peu d’impôts et là les Panama Papers, je vous encourage à lire, il y a eu pas mal d’articles sur les Panama Papers. Il y en avait un que je trouvais très intéressant : des journalistes se sont rendus au Conseil d’administration de Facebook qui visait à valider le montant, la capitalisation boursière, comment est-ce qu’ils allaient répartir tout ça, etc. ; ça se passait aux Bahamas, ce n’était pas fait exprès. Et il y avait deux juristes juniors qui étaient là et qui ont été très surpris de voir débarquer des dizaines de journalistes. Il montrait bien que, en fait, Facebook, son principal intérêt c’est de défiscaliser, de payer le moins d’impôts possibles et pour ça, évidemment, il y a des mécanismes assez complexes où l’argent va transiter par l’Irlande qui, elle-même, va reverser de l’argent à une société aux Bahamas qui, elle-même, va le renvoyer en Irlande. Et comme ça, petit à petit, ces entreprises vont payer de moins en moins d’impôts.

Et c’est un vrai problème démocratique parce que ça veut dire que l’argent qui est fait par Google en France ne contribue pas à améliorer les routes, les écoles et à faciliter la vie des différents citoyennes et citoyens.

On voit un autre dérive démocratique, c’est la puissance des lobbies. Là, en plus, les chiffres datent un peu, mais ça continue à augmenter doucement mais sûrement. Un des plus gros lobbyistes du numérique c’est Google, avec 16 millions de dollars dépensés, là c’est en 2013 aux États-Unis. Ce sont les chiffres officiels, c’est-à-dire qu’aux États-Unis ils sont relativement transparents sur ces choses-là, c’est l’argent qui a été dépensé pour pousser une loi en allant rencontrer des sénateurs américains, par exemple, et donc ces chiffes-là sont notés et déclarés par Google. Et ça, ça n’est que la partie émergée de l’iceberg. 16 millions de dollars, autant vous dire que le budget de La Quadrature du Net2, 320 000 euros qui sont demandés dans la campagne actuelle, à côté c’est un peu du pipi de chat !

Leur lobbying à eux dépasse le montant d’entreprises y compris type tabac. Je crois qu’il y a les ventes d’armes qui sont quand même au-dessus aux États-Unis, parce il ne faut pas déconner ! Mais autrement voilà, dans le numérique, clairement, on voit bien qu’ils dépensent de plus en plus d’argent.

Autre dérive démocratique, je vous présente le site de l’Élysée. Je ne déconne pas, vous pouvez aller sur le site elysee.fr, vous ne voyez peut-être pas parce que c’est trop clair, en haut à droite, vous avez des petits boutons Facebook, Twitter, etc., qui envoient de l’information à Facebook, Twitter, etc. Vous avez juste au-dessus la flèche rouge, là, plus en haut à droite, qui vous dit « en poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de cookies ou autres traceurs pour réaliser des statistiques de visites. » . Ils ne savent pas foutre un Piwik3, un logiciel libre, pour suivre les statistiques du site de l’Élysée ? Ils sont obligés de passer par des sites tiers type Google Analytics ? Franchement ! Pour avoir travaillé un peu dans le milieu, les informaticiens dans le milieu des ministères, etc., ils sont bons quoi ! On leur a dit : « Ce n’est pas grave ! Ne t’embête pas avec ça, utilise donc Google Analytics ! » Et puis ça ne vous a pas échappé, vous ne pouvez pas naviguer sur le site de l’Élysée tant que vous n’avez pas liké la République française, 393 000 amis sur Facebook, ou tant que vous n’avez pas dit « fermer ». C’est le genre de truc ça nous fait vraiment flipper.

Autre point sur lequel on est aussi en mode YOLO. Un article du Guardian, donc c‘est assez récent, ça fait quelques semaines que c’est officiel, ça faisait longtemps qu’ils en parlaient : Google va gérer tout un quartier de Toronto qui s’appelle Quayside je crois et, du coup, ils vont pouvoir faire un petit peu ce qu’ils veulent. Donc la gestion de la ville, ce qui est au départ politique, politis, la vie de la cité, comment est-ce qu’on vit ensemble, du coup va être déléguée à une entreprise étasunienne ! Vive les Smart Cities ! All your base are belong to us.

Autre dérive démocratique. Pour bien la comprendre il faut qu’on fasse une petite parenthèse par ce qu’est l’économie de l’attention. Les interfaces et là, du coup, je sais qu’il y en a dans la salle, je m’adresse notamment aux designers et « designeuses », l’économie de l’attention c’est quoi ? C’est concevoir une interface pour capter l’attention de l’utilisateur. Si vous regardez l’interface de Facebook, c’est assez pensé par rapport au bandit manchot, c’est-à-dire vous avez des nouvelles notifications donc vous avez envie de savoir quelles sont ces nouvelles notifications. Vous avez la possibilité — comme dans le bandit manchot on va tirer pour refaire tourner les chiffres —, vous allez slider vers le bas pour remettre à jour les informations : qui m’a envoyé une nouvelle news, etc., alors que ça pourrait s’afficher, techniquement on sait faire pour que ça s’affiche au fur et à mesure. Mais c’est le fait de slider : vous allez avoir une action qui va déclencher du plaisir et donc vous avez votre petite hormone de dopamine qui arrive et qui déclenche du plaisir, exactement comme sur un bandit manchot.

Ça c’est ce qu’on appelle l’architecture de la persuasion qui a été théorisée il y a des dizaines d’années ; ça fait partie des bases du marketing. L’architecture de la persuasion, vous avez là un magasin quelconque à droite, donc les couleurs, l’éclairage, la disposition des lieux est faite pour que vous alliez… Dans un magasin c’est assez clair, par exemple les produits de base type, je ne sais pas, lait, farine œufs, sont loin, ne sont pas du tout à l’entrée du magasin. Pourquoi ? Parce qu’il faut vous faire traverser tout le magasin ! Donc le principe de l’architecture de la persuasion c’est un petit peu ça. C’est comment est-ce qu’on va capter votre attention, on va travailler votre intérêt, on va essayer de provoquer du désir, que vous en ayez ou pas au départ, mais il faut essayer de le pousser au maximum, le tout pour que vous achetiez.

Quand c’est un magasin qui reçoit 300 personnes par jour, ça marche, les Tic Tac et les chewing-gums sont près de la caisse, eh bien voilà, de temps en temps vous craquez, vous achetez. Mais quand vous avez 1,3 milliard de personnes qui viennent tous les jours là-dessus, forcément ça a une capacité d’action et une capacité d’influence qui est hyper-vaste.

Un excellent exemple de ça, c’est le coup des fake news, fake adds, qui est beaucoup en débat en ce moment aux États-Unis. La Russie aurait, je mets du conditionnel, je crois que ce n’est pas encore tranché, aurait acheté pour 100 000 dollars de publicité sur Facebook qui aurait permis de diffuser 3 000 types de publicités différentes, qui ont été extrêmement ciblées. Or, ce que montrent des études très sérieuses, c’est que quand on rajoute de l’information, par exemple sur Facebook, ça influence les gens. Donc la publicité ça marche. Si ça ne marchait pas il n’y aurait pas de publicité. La publicité, qu’on le veuille ou non, on se dit moi je suis plus fort que la pub, mais non ! La publicité ça marche ! Donc le fait de mettre des pubs a pu orienter un certain nombre de votes aux États-Unis sur le vote, notamment de Trump-Clinton. Or ce vote s’est joué quand même à peu près à 100 000 voix. Et donc toute la question c’est est-ce qu'en dépensant 100 000 dollars ce qui est peanuts, vraiment peanuts, est-ce qu'en dépensant 100 000 dollars la Russie n’aurait pas pu influencer l’élection de la première puissance économique mondiale ?

Je vous ai calmés ! Ça fait peur ! Oui, je sais, je suis spécialiste pour casser l’ambiance !

L’autre point qui me paraît important, je l’ai appelé « hanounisation », j’aurais pu trouver d’autres acteurs pour moi, du comment est-ce qu’on va travailler le temps de cerveau disponible des gens et comment est-ce qu’on va leur expliquer que tu rentres du boulot, tu es fatigué, ton employeur est un con, parce que ton collègue est chiant. Voilà ! Tu rentres chez toi, tu as juste envie de te poser devant la télé, de regarder Cyril Hanouna, le tout de préférence en ayant des objets que tu auras achetés dans le magasin d’à côté et dont tu n’avais pas spécialement besoin. Et c’est assez important parce qu’en fait on a beaucoup cette image de big brother de 1984 de George Orwell, avec une société qui serait extrêmement de surveillance, oppressive, répressive, et qui nous gérerait par la peur.

Notre point de vue c’est que ce n’est peut-être pas ça qu’on doit le plus craindre ; ça ne veut pas dire qu’on ne doit pas le craindre, mais ce n’est peut-être pas le principal souci. Aujourd’hui, c’est que les GAFAM ne sont pas des États, même s’ils sont aussi puissants que certains États, voire plus puissants que certains États, mais c’est plutôt qu’ils nous ont sur le divertissement. Et donc là, je vous encourage à lire Le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley ; les deux auteurs, en plus, se connaissaient et échangeaient pas mal et qui dit en gros, je vais le résumer très court : « du pain et des jeux ». Quand on a du pain et des jeux, c’est très bien, le peuple ne se soulève plus. Pourquoi est-ce que j’irais me rebeller contre la loi travail alors que je suis fatigué et que, finalement, ce dont me parle BFMTV c’est d’une joggeuse assassinée — ce qui est évidemment catastrophique, je ne dis pas —, mais on est dans quelque chose qui va occuper l’espace médiatique et on ne s’occupe plus, finalement, des questions sociales qui nous posent évidemment souci.

Et donc le dernier petit tweet d’Emmanuel Macron en réponse à Mélenchon qui machin, tout ça occupe de l’espace, tout ça fait que vous avez l’impression de vous intéresser aux questions politiques, mais, en fait, tout ça n’est que du divertissement, tout ça n’est qu’un écran de fumée pour vous éviter de vous engager.

Pendant des années on a expliqué est-ce que Google c’est le Terminator ? Je vais un petit peu pitcher quelques films pour ceux qui ne connaîtraient pas bien.

Terminator on est en 1992, une société californienne qui s’appelle Cyberdyne invente une super puce. Cette super puce permet de faire tourner une intelligence artificielle. Cette intelligence artificielle s’appelle SkyNet. SkyNet est implémentée dans des robots comme ceux que je vous ai montrés tout à l’heure. Au départ les robots sont au service de l’être humain. Et puis évidemment, au bout d’un moment, ça part en vrille ; les robots se disent « c’est chiant quand même de cadrer les êtres humains, autant tous les zigouiller ; ce sera beaucoup plus simple et on pourra vivre heureux et en paix en bons robots que l’on est. » Évidemment Google n’est pas SkyNet, mais par contre, ce qui est intéressant, c’est que Google a le potentiel pour devenir SkyNet ou pour créer SkyNet. Ce ne sera pas en 2028, enfin je n’espère pas, la singularité n’est pas pour demain.

Autre pitch de film, Bienvenue à Gattaca, qui parle de l’eugénisme. Donc là aussi, c’est assez peu su, il y a une filiale à 100 % de Google qui s’appelle Calico, Californian Life Company ; Calico, son boulot, c’est d’essayer de tuer la mort. Ils ont une filiale transhumaniste dans Google. Le transhumanisme c’est une vision qui dit que la biologie limite l’être humain et qu’il faut améliorer l’être humain parce qu’on est limité et qu’on ne vivra jamais plus de 150 ans ; donc il faut faire appel à la technologie pour vivre mieux, pour vivre plus longtemps, etc., ce qui est un point de vue. J’essaye de ne pas avoir de jugement. Enfin j’ai un point sur le transhumanisme que vous pouvez sentir en creux, j’imagine, dans mon discours, mais c’est quand même assez catastrophique et donc ils travaillent. Google est un des principaux investisseurs sur les questions de l’ADN, enfin Alphabet est un des principaux investisseurs sur les questions de l’ADN à travers Calico et sa filiale santé dont j’ai oublié… Pardon ?

Public : Verily.

Pierre-Yves : Verily, tout à fait. Verily, merci, avec l’accent ça marche mieux, Verily. Donc ce sont deux filiales de Google qui travaillent sur les questions de l’ADN, de la santé, etc. Donc Bienvenue à Gattaca, le pitch c’est un type qui est né sans avoir subi un tri de ses gènes et souhaite partir dans l’espace, va prendre la place d’un autre type qui lui a été issu d’une sélection extrêmement rigoureuse des gènes donc il est fort, il est beau, il est jeune, c’est Jude Law, que même moi je trouve quand même canon, quoi ! Et du coup voilà, c’est la question de est-ce que, à un moment donné, ces entreprises seraient en capacité de nous proposer de faire le tri dans nos gènes, au départ sur certains gènes, ce qui se pratique déjà aujourd’hui, mais peut-être plus tard sur d’autres gènes et en disant, si on arrivait, si demain vous êtes parent et on vous disait « oui mais là, votre enfant a possiblement 30 % de risques d’avoir d’avoir une malformation cardiaque, est-ce que vous ne voulez pas qu’on choisisse les gènes qui vont bien pour réduire ce risque-là ? » Quel parent ira dire non ? Et tout le principe de Gattaca est basé là-dessus. Je vous encourage à le voir, très bon film, vieux, mais qui marche encore très bien.

Minority Report, avec Tom Cruise que, par contre, je ne trouve pas beau du tout. Minority Report c’est basé sur le fait de pouvoir détecter des événements avant qu’ils n’arrivent, chose que, potentiellement, peut nous promettre l’intelligence artificielle, de détecter les grands mouvements avant qu’on s’en rende compte. Google, par exemple, a un outil qui s’appelle Google Flu, donc Google c’est, pardon ! C’est la grippe, merci, je ne trouvais plus le nom en français, donc qui permet de détecter : en fait, quand les gens tapent « symptômes de la grippe » dans Google, Google l’enregistre et, à partir de ça, uniquement des recherches sur le mot-clef grippe, va créer une carte qui est presque aussi fidèle que le système qui s’appelle Sentinelles, je crois, chez nous, qui permet de suivre l’évolution de la grippe auprès des médecins, parce que chaque médecin qui détecte un cas de grippe doit le rentrer dans un fichier qui s’appelle Sentinelles. Donc on a ici quelque chose qui est assez intéressant c’est potentiellement, est-ce que la masse des données qu’on fournit aux GAFAM ne permet pas de deviner des événements ou, en tout cas, de les voir venir avant qu’ils n’adviennent ?

Matrix, je passe. C’est un grand classique. Évidemment c’est est-ce que, du coup, l’intelligence artificielle n’asservirait pas les êtres humains. Dans Matrix, finalement, on a inversé le rôle, ce ne sont plus les machines qui sont au service de l’homme, ce sont les hommes qui sont au service des machines et qui fournissent la bio-électricité nécessaire à faire tourner les machines. Ce n’est pas pour moi, du tout, le meilleur exemple.

On commence à entrer là dans des exemples qui sont assez probables. Si vous ne l’avez pas vu je vous conseille le film Her, très bon, où un être humain tombe amoureux d’une intelligence artificielle. Et après tout, aujourd’hui on n'en est qu’au tout début. Siri, voilà, il y a des gens qui échangent avec Siri et qui ont l’impression que Siri est leur ami. Peut-être que dans dix ans, dans vingt ans, on pourrait tomber amoureux d’une intelligence artificielle.

WALL-E. Le pitch de WALL-E-E est assez simple, c’est un peu le rêve d’Elon Musk : dans 700 ans, la Terre est devenue un immense dépotoir, les humains ne peuvent plus y vivre et ils se cassent. En gros, le plan B, c’est on va coloniser Mars, on va coloniser l’espace, de toutes façons la planète Terre on s’en fout. Ce qui est quand même une vision ! Si vous écoutez Elon Musk qui est le PDG de Tesla, de SpaceXe, de The Boring Company et d’autres sociétés, son truc c’est de dire « mais la Terre ça commence un petit peu à sentir mauvais, autant partir coloniser Mars ». Est-ce qu’on ne ferait pas mieux d’investir pour essayer de sauver notre planète plutôt que d’aller essayer de coloniser d’autres planètes. Donc évidemment, dans WALL-E, c’est le petit robot qui est chargé de nettoyer la planète Terre pendant que les humains sont… Évidemment vous repensez à l’« hanounisation » de la société, ils ne pensent à rien !

Je ne l’ai pas mis là, mais j’aurais dû, il y a une excellente série anglaise qui s’appelle Black Mirror, trois saisons, je vous conseille vraiment de regarder les quatre saisons maintenant, bientôt, et je vous conseille vraiment de la regarder. Chaque épisode décrit une dystopie, c’est-à-dire un tournant négatif possible de la société, notamment vis-à-vis des écrans, et c’est hyper intéressant ; c’est parfois très dur, notamment quand on connaît les questions qui sont derrière ; ça fait un peu flipper tellement ça peut être réaliste.

Pour moi le film le plus probable, c’est Idiocracy. Idiocracy, le principe est assez simple, on a un type qui dans les années 2000 est mis en hibernation ; il se réveille 500 ans plus tard et c’est la merde ! C’est la merde parce que les humains ont oublié comment prendre soin de leur planète, de leur agriculture, de leur cerveau, de leur culture. Et donc c’est une société, alors là complètement de la débilisation et ça me permet de caser un mot savant qu’on appelle la déprolétarisation. La prolétarisation c’est le fait de se faire enlever ses savoirs ; ce n’est pas le fait d’être pauvre. Être prolétaire ce n’est pas être pauvre, c’est le fait de ne pas avoir suffisamment de savoirs pour pouvoir les exprimer correctement. Ce qui intéressant, c’est comment on peut éviter, comment est-ce qu’on peut déprolétariser les êtres humains de façon à ce qu’on ne devienne pas cette société débile où il y a un type qui est un catcheur qui devient président des États-Unis. Là aussi je vous encourage à le voir, c’est rigolo.

Donc évidemment, on est mal barrés ! Il est mignon. Oui, je sais je mets du chaton pour vous attendrir, il n’en fallait pas beaucoup. Vous êtes un public facile, en fait. Évidemment on se détend !

Là je vais parler un petit peu des solutions qu’a mises en place Framasoft et je vais en arriver enfin à « Contributopia ».

Quand on a vu notamment les révélations d’Edward Snowden, on s’est dit on n’est pas contents, mais on ne savait pas trop quoi faire. Donc on a comparé : Google 90 milliards de chiffre d’affaires, 20 milliards de bénéfices, 72 000 employés. Là je ne prends que Google ; je ne vous refais pas le tableau avec les cinq GAFAM.

Le dernier chiffre officiel que j’ai trouvé et je vous encourage, éventuellement, à chercher parce que si vous avez l’info ça m’intéresse énormément, c’était 2 millions de serveurs en 2008. J’ai une petite extrapolation, j’arrive à 10 millions en 2017, mais, à mon avis, la courbe est exponentielle, ils doivent avoir plusieurs, aujourd’hui, centaines de millions de serveurs.

Google est un des principaux constructeurs informatiques aujourd’hui, ils produisent leurs propres machines.

Framasoft

Framasof est une association qui se porte plutôt bien, il ne faut pas pleurer, je vous inviterai quand même à faire des dons à la fin, il ne faut pas rigoler !

317 000 euros de recettes, essentiellement des dons, les 12 % en fait c’est parce qu’on avait des emplois aidés encore en 2016 et que du coup, l’État, quelque part, nous subventionne en aidant ; emplois aidés qui ont disparu, évidemment. 57 000 euros de bénéfice parce que, justement, on est arrivé plutôt à bien gérer notre argent, le vôtre au passage. Huit salariés, 35 membres. Donc petite association et une cinquantaine de serveurs, enfin 29 serveurs physiques qui permettent de gérer une cinquantaine de machines qui, elles-mêmes, hébergent une centaine de sites web différents.

Pour donner encore une fois une image, 90 milliards c’est le PIB de la Croatie, ça représente 15 000 kilomètres d’autoroutes. Les 317 000 euros de recette de Framasoft représentent un deux-pièces dans Paris 10e ou 51 mètres d’autoroute. Autant vous dire qu’on relie à peine ce bâtiment-là à l’autre ; on ne fait pas 15 0000 bornes.

On est donc 350 817 fois plus petit que Google. Nous sommes le petit point. Vous êtes ici et on s’est dit on va quand même y aller.

Octobre 2014 - Dégooglisons Internet

Donc on a lancé en octobre 2014 une campagne qui s’appelle « Dégooglisons Internet » qui avait trois objectifs :

  • sensibiliser le public aux logiciels libres et aux solutions libres en lui expliquant que c’était une solution ;
  • démontrer en mettant des solutions parce que quand on disait aux gens « n’utilise pas Google Docs, tu peux utiliser un truc ça s’appelle Etherpad et tu vas voir c’est super, c’est trop bien ! — OK comment je fais ? — Tu te loues un serveur dédié et puis tu vas faire dessus « apt-get install nodejs » et puis derrière tu vas taper un « node install Etherpad » et je ne vous cache pas que c’est beaucoup plus compliqué que ça ; ça se saurait si ça marchait de façon aussi simple ! Forcément, dès que j’ai dit « loue-toi un serveur dédié », j’ai déjà perdu 99,99999 % du public auquel on s’adresse ;
  • et la troisième chose c’est qu’on s’était dit il faudra de toutes façons essaimer puisqu’on ne veut pas devenir le Google du Libre. On ne savait pas du tout si ça allait marcher, mais on s’est dit si nous on n’avait plus d’argent, il faut que d’autres puissent prendre le relais.

Donc très rapidement normalement on passe beaucoup de temps à expliquer ces histoires de sensibilisation, de démonstration. Je vais aller très vite.

Aujourd’hui on fait environ une centaine d’interventions par an, comme je suis en train de le faire aujourd’hui ici, conférences, ateliers, projections-débats, etc. On a à peu près quasiment une à deux invitations par jour, aujourd’hui, pour participer ; je vous rappelle qu’on est 35 membres donc on ne peut pas répondre à toutes les demandes, on est désolés, mais on espère justement que l’essaimage fonctionnera assez bien pour que vous, même si vous n’êtes pas membre de Framasoft, vous puissiez aller parler et sensibiliser le public à ces questions. Niveau médias on a fait à peu près tout ce qui était possible et imaginable côté presse ; un petit peu côté télé, mais on n’aime pas trop ça parce que, pour nous, ça entretient ce capitalisme de surveillance puisque les chaînes vivent de la publicité.

On a quand même réussi à faire passer l’idée que les GAFAM étaient potentiellement toxiques. Alors ce n’est pas nous tout seuls, je précise, mais on a participé à faire prendre conscience de ça. Aujourd’hui vous lisez le titre du Monde d’il y a quelques jours sur les Panama Papers, c’était justement sur Facebook et sa défiscalisation. Si vous achetez un Usbek & Rica qui est un magazine trimestriel c’est « Faut-il démanteler Google et comment ? », etc. Donc tous ces gens-là se rendent bien compte de la puissance extrêmement forte de ces acteurs.

Ici vous avez mon collègue Pouhiou qui était au FOSDEM, donc un événement très technique, mais où, du coup, c’était chouette de pouvoir parler de notre initiative vis-à-vis d’un public qui est non francophone, puisqu’on est très français.

Ça c’est fait.

Les résultats de la partie démonstration, c’est fait aussi. On a aujourd’hui 32 alternatives fonctionnelles qui sont des alternatives aux services de Google, Facebook, etc. Fonctionnel ça ne veut pas dire que ça soit à niveau, mais au moins c’est fonctionnel.

On a entre 200 et 400 000 personnes par mois qui viennent utiliser nos services. Donc là, ce qui est chouette, c’est qu’on a réussi à montrer que le logiciel libre était une solution. Donc du coup, l’image que j’ai ici c’est un calendrier public partagé par une députée française qui s’appelle Paula Forteza, qui est du groupe La République En Marche et qui publie, par exemple son agenda sur un logiciel libre qui s’appelle NextCloud. Ce qui nous fait plaisir particulièrement c’est que le fait de pouvoir rendre cet agenda public c’est une contribution financée par Framasoft, pas pour elle en particulier. C’est qu’on avait quelqu’un, et on a toujours quelqu’un dans l’asso, qu’on avait missionné pour rajouter à NextCoud la possibilité de rendre les agendas publics. Il était stagiaire à l’époque, on l’a fait travailler deux mois sur ce sujet-là. Il a publié le code. Aujourd’hui son code se retrouve dans les dix millions d’installations, enfin pour les dix millions d’utilisateurs minimum identifiés sur NextCloud et Owncloud. Donc ça prouve bien qu’avec un tout petit peu d’argent, en gros 1200-1500 euros, puisque nos stagiaires sont payés malheureusement au tarif stagiaire, c'est intéressant de voir qu’avec très peu d’argent mais quelqu’un de motivé, on peut avoir une réelle influence et un réel changement sur le monde.

Donc on avait commencé ; voilà le résultat, un petit peu, de nos actions de ces dernières années. On avait identifié une trentaine de services qui étaient issus du capitalisme de surveillance et qui prenaient, exploitaient vos données. Et on a fini, du coup, quasiment de dégoogliser la carte4. À ça on rajoute maintenant Google Slides, bientôt YouTube et Blogger ; c’est fait aussi avec Framasite, et donc on a plutôt réussi.

Il y a un échec, Gmail. Pendant longtemps les gens nous ont dit : « Ça vient quand Framamail ? » On a expliqué il y a quelques semaines que ça ne viendrait pas. Le coût est trop cher. Si on veut gérer du mail pour 1000 personnes on sait faire, pour 5000 personnes on sait faire, pour 10 000 personnes ça devient casse-pieds, pour 100 000 personnes on ne sait plus faire ! Donc on ne proposera pas d’alternative à Gmail. Et on s’en est assez vite rendu compte et du coup on s’est dit il faut trouver une autre solution. Et cette autre solution ce sont ce qu’on appelle les CHATONS qui veut dire Collectif des Hébergeurs Alternatifs Transparents Ouverts Neutres et Solidaires, merci Henri pour l’acronyme quand même c’est plutôt chouette ! Et ce collectif vise à essayer d’essaimer notre démarche. Or il y avait déjà des CHATONS avant l’heure, des gens qui proposaient des services au public, je pense à Lautre.net qui fait ça depuis très longtemps, à Ouvaton, à sudouest.org, mais l’idée c’est de se regrouper dans un collectif de façon à, en suivant une charte, à la fois une charte technique mais aussi une charte éthique, proposer des services au plus près, un petit sur le principe des AMAP. Vous voyez ce qu’est une AMAP, Association pour le maintien d’une agriculture paysanne où, au lieu de fournir des carottes et des patates, eh bien nous on essaye de favoriser l’émergence notamment d’associations, mais ça peut être des entreprises aussi, qui fournissent du service localement.

Donc CHATONS est toujours en développement. Ça a un an. Aujourd’hui on a une cinquantaine de structures dans ce collectif et ça augmente à peu près de dix-quinze pour l’instant tous les mois. Donc super ! Parce qu’on est trop forts. Vous noterez la deuxième allusion à Arnold Schwarzenegger, que je ne trouve pas beau d’ailleurs !

Là j’en viens aux difficultés qu’on a pu identifier.

« Le Libre a gagné ! »

Premier problème on va se dire le Libre a gagné. Ça c’est quelque chose qu’on entend aujourd’hui. J’ai cru l’entendre hier « le Libre a gagné ! » Non ! L’open source a gagné. Pour moi c’est faux. Pourquoi ? Vous avez à gauche ce qu’on appelle le logiciel propriétaire ou logiciel privateur qui est constitué de code propriétaire et de ce qu’on appelle des enclosures. Les enclosures sont des barrières que l’on va mettre en place autour de projets pour filtrer qui peut les utiliser, quand, comment, etc. Qui peuvent être des barrières de prix, qui peuvent être des formats qui sont fermés donc qui empêchent l’interopérabilité c’est-à-dire la capacité de deux logiciels de fonctionner ensemble, etc. ; la propriété intellectuelle est un type d’enclosure aussi. Donc vous aviez le logiciel privateur.

D’un autre côté vous aviez le logiciel libre, donc j’en reviens à ma définition pour ceux qui étaient là hier où je définis le logiciel libre comme étant de l’open source, c’est-à-dire des logiciels avec des qualités techniques, fonctionnelles et autres, et des qualités éthiques et sociales. Et pour nous, évidemment, quand on défend le logiciel libre, on défend normalement les deux, les qualités techniques mais aussi les qualités sociales.

Or, le capitalisme de surveillance a eu cet effet qu’on n’avait pas forcément anticipé c’est qu’effectivement, le capitalisme de surveillance pour marcher, pour être hyper-réactif parce qu’il faut réagir tout le temps, a beaucoup investi dans l’open source. Aujourd’hui, un des principaux contributeurs à l’open source en termes de lignes de code, c’est Microsoft. Ça fait quand même flipper ! Aujourd’hui React, il me semble, est fait par Facebook ; Angular est fait par Google au départ ; et donc on se retrouve avec des projets qui sont des contributions à l’open source mais qui ne font pas du tout augmenter les valeurs éthiques et sociales. Donc petit à petit, moi j’ai l’impression qu’on voit disparaître ce qu’on appelle le logiciel libre au profit de l’open source qui lui marche bien.

D’un autre côté vous avez le code propriétaire qui lui voit potentiellement sa base se réduire, mais, par contre, les enclosures qui elles continuent.

Donc est-ce qu’on a vraiment gagné ? Là je vais citer un pote qui s’appelle Lunar et qui me disait : « Est-ce que si on retrouve du Linux dans un drone qui balance des bombes sur des bébés en Irak, est-ce qu’on a gagné ? » Mais c’est une vraie question parce qu’il y en a qui vont vous dire oui et je peux entendre ce oui ; évidemment je ne suis pas d’accord avec eux ! Moi je ne suis pas devenu militant du logiciel libre pour ça ! Ce qui m’intéressait c’était comment est-ce qu’on peut changer la société ; comment est-ce qu’on peut faire en sorte qu’elle corresponde plus à certains idéaux et non pas qu’on parte sur « il faut du Linux partout ». Non ! Moi ça ne m’arrange pas forcément si on ne fait pas passer un message derrière. Donc le premier problème c’était celui-là.

« Le Libre, c'est simple, je vais t'expliquer ! »

Le deuxième problème. Les lumières se rallument, merci. Le deuxième problème c’est qu’on commence à dire en plus « oui, mais le logiciel libre c’est simple, je vais t’expliquer ». Non ! Toujours pas !

Voici le premier dessin, en gros, que vous trouvez si vous allez sur la page Wikipédia France/logiciel libre5. C’est ce graphique-là. Je ne dis pas qu’il est faux ; il est très juste. Mais merde ! Comment est-ce que vous voulez qu’on envoie des gens sur la page, on leur explique « non mais intéresse-toi à la question du logiciel libre, tu vas voir c’est super ! » et, en fait, ils se retrouvent avec ça ! Je me mets à leur place. On manque totalement d’empathie avec les gens à qui on veut faire découvrir le logiciel libre !

Pour ceux qui penseraient que sur la version anglaise c’est mieux vous avez ici la page free_licence de Wikipédia. Et puis en plus il n’y a pas de légende, on ne sait pas ce que décrit le vert, ce que décrit le rouge. Vous avez des petits trucs, ces bags, c’est entouré oui parce que ça se rapproche de la BSD [Berkeley Software Distribution]. Non je ne suis pas d’accord ! Super ! Trop bien !

« Le Libre, c'est pareil ! »

Troisième problème. On dit : « Oui, mais avec le libre c’est pareil. Ne t’inquiète pas, tu vas voir que c’est aussi bien que le logiciel propriétaire. » Faux ! Voilà une page d’accueil d’un projet, d’un logiciel qui s’appelle Discord qui permet, pour ceux qui connaissent TeamSpeak aussi, c’est un logiciel qui permet, notamment au départ aux gamers de discuter entre eux. Et puis cet outil a été approprié, il y a plein de groupes aujourd’hui sociaux qui montent des projets, y compris très chouettes, qui utilisent Discord. Sauf que Discord n’est pas du tout libre.

Voilà la page de son équivalent libre, enfin d’une alternative, pas équivalente, mais d’une alternative libre qui s’appelle Mumble. Vous avez un site sur un outil qui s’appelle MediaWiki, qui est un super outil, sauf que c’est dégueulasse, c’est plein de texte. Moi, encore une fois, si j’envoie quelqu’un sur le site Discord et si je l’envoie sur la page Mumble, je m’excuse s’il y a des gens qui travaillent sur Mumble, en plus, vraiment sincèrement, je ne leur en veux pas ! Par contre il faut être conscient de ce que ça peut provoquer comme réaction chez ceux qu’on vise c’est-à-dire des utilisateurs. La personne qui voit ça, elle doit se dire attend c’est quoi la différence entre Windows et Windows x64. Moi je sais, mais l’utilisateur qu’est-ce qu’il en sait ?

Voilà les deux interfaces des utilisateurs. À gauche Discord, alors qu’on peut trouver bordélique, machin, etc., mais au moins qui est propre, et à droite un bon vieux GTK 3, pour ceux qui voient ce que c’est, de Mumble avec une ergonomie ! Pour tous ceux qui utilisent Mumble au quotidien, en termes d’ergonomie c’est très compliqué. Il faut chercher où est-ce qu’on va aller cliquer pour activer telle ou telle chose et pourtant je pense que les développeurs ont vraiment passé du temps dessus. Et c’est quand même un peu dommage !

Donc on arrive, voilà, à des problématiques de design de ce type-là. Je ne sais pas qui conçoit ça. Il y en a qui peuvent aimer ! Mais quand même !

« Les technologues du Web sont libres, alors tout va bien ! »

Quatrième problème qu’on a identifié, c’est que les technologies du Web sont libres alors tout va bien. Non ! Les technologies du Web sont libres ? Oui pour la plupart. Tout va bien ? Non !

Ça c’est un article, c’était la couverture d’un magazine très répandu aux États-Unis, qui s’appelle Wired, de 2010, qui disait « le Web mort ». Le Web est mort, pourquoi il disait ça ? Il faut bien faire la différence entre Internet et le Web. Internet est une infrastructure de communication, sur laquelle il peut se passer plein de choses. Le Web est un ensemble de technologies qui permettent d’échanger et d’afficher des informations sur Internet.

Ici vous avez, et ça a évidemment augmenté depuis, la courbe des utilisateurs qui utilisent des ordinateurs type portables, ordinateurs de bureau et les utilisateurs de mobiles. Pensez notamment aux pays en voie de développement ; aujourd’hui beaucoup de choses passent par le mobile bien plus que par les ordinateurs fixes. Et donc, sur le mobile, on peut afficher des sites web, ce que vous faites probablement tous et toutes régulièrement, mais on peut surtout utiliser des applications. Des applications, quand vous utilisez Messenger, WhatsApp, et., ça n’est pas du Web. C’est Internet, ça utilise Internet, effectivement derrière il faut Internet pour utiliser WhatsApp, mais vous n’avez pas une couche web. Et donc quand nous, développeurs de logiciels libres, on fait des applications web, petit à petit on voit bien que les gens ce qu’ils veulent c’est de l’application mobile ; et on a beaucoup moins de prise sur ces questions-là qu’on voudrait en avoir. Nous on disait : « Le Web c’est la plateforme », sauf que la plateforme est en train de se faire saucissonner, régulièrement, et que, petit à petit, ce sont les applications qui sont en train de gagner. On pourra discuter des questions après.

« Le Libre, ce sont des millions de contributeur·ices·s ! »

Le Libre, ce sont des millions de contributeurs et de contributrices. Vous doutiez de ma réponse ! Faux ! Ce sont des millions de consommateurs et de consommatrices, ce qui n’est pas une insulte, ne partez pas, ne me jetez pas des tomates tout de suite, attendez la fin !

« Le Libre, ce sont des millions de consommateur·ices·s ! »

Ce sont des gens qui utilisent mais qui, souvent, contribuent peu. On pourra discuter de pourquoi est-ce que ça ne marche pas. Et là, j’ai pris quelques-uns des logiciels libres les plus utilisés par les utilisateurs finaux. Vous avez LibreOffice, VLC, Inskape, Gimp, Thunderbird, Diaspora, Etherpad.

Un commit c’est une contribution en code. On peut contribuer de plein de façons différentes à un logiciel libre : on peut travailler sur la documentation, on peut faire un logo, on peut accueillir les gens, mais on peut contribuer, évidemment, en termes de code. Et donc une contribution en termes de code ça s’appelle un commit.

Si je prends les logiciels les plus utilisés, LibreOffice c’est 22 personnes qui ont fait plus de 100 commits ces douze derniers mois. Ça veut dire qu’il y a vraiment 22 personnes qui bossent réellement, mais vraiment je vais dire presque à temps plein, enfin pas à temps plein, malheureusement, mais une grosse partie de leur temps, sur LibreOffice. Il y en a même quelques-uns qui sont payés par une boîte qui s’appelle Collabora et c’est très bien ; heureusement qu’il y a des développeurs qui sont payés sur LibreOffice, mais 22 !

VLC c’est dix. J’ai eu confirmation de Jean-Baptiste Kempf qui était là hier soir, avec qui on débattait, et qui confirmait que oui, le noyau de VLC c’est une dizaine de contributeurs réguliers.

Et après, on tombe sur des logiciels que vous connaissez et que vous utilisez probablement et peut-être que vous promouvez à l’extérieur, vous dites : « Tu utilises Photosohop et Illustrator, tu pourrais utiliser Gimp et Inskape. » La vérité c’est qu’on est totalement indigents en termes de contributeurs et de contributrices, en termes de code sur ces logiciels.

Gimp : six développeurs à plus de 50 commits.

Thunderbird avec lequel on accède au mail pour des millions et des millions de personnes : six personnes à plus de 50 commits sur les douze derniers mois.

Diaspora : quatre. En fait ils étaient trois, mais comme on a un membre de Diaspora qui développe sur Diaspora, il était à 49, je me suis dit je vais le mettre dedans – Fla si tu me regardes – voilà. En fait ils sont quatre à plus de 49, mais du coup c’est peanuts. Diaspora est une alternative, enfin ce qui se veut être une alternative, en termes de réseau social, à Facebook et Twitter.

Etherpad, là du coup, j’ai fait le test hier, mais si vous avez déjà utilisé un pad dans votre vie, levez la main. Pas plus que ça ! Hier on était à plus que ça, là on est à 70, peut-être 80 %. Donc Etherpad c’est le logiciel, par exemple, qui fait tourner Framapad, il n’y a pas de contributeurs à plus de 50 commits. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu’aujourd’hui, l’infrastructure sur laquelle nous rédigeons nos documents de façon collaborative en temps réel n’est plus développée. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas des patchs, etc., il y a des contributeurs en termes de code, mais il n’y pas grand-chose.

Et pour ceux qui se demanderaient « oui mais vous, Framasoft, vous avez des développeurs, ils doivent travailler sur Framadate, Framacalc, Framaform, Framaslide, etc. » Non. Non ! On n’a pas ! Nos développeurs essayent déjà de maintenir l’ensemble des outils existants et ils essayent d’en proposer de nouveaux. Du coup, on a échoué sur le fait de créer des communautés de développeurs et développeuses, évidemment. De plus, l’immense majorité de ces gens sont des bénévoles.

Le logiciel libre est un « commun ». Il faut en prendre soin.

Donc on dit que le logiciel libre est un « commun », un bien commun immatériel, sauf qu’on n’en prend pas soin ! Ça pose énormément de soucis et on réfléchit ; j’étais content de voir qu’on est vraiment plusieurs communautés à se poser cette question-là. On réfléchit à comment est-ce qu’on peut prendre soin de ce « commun » parce qu’on est en train de scier la branche sur laquelle on est assis, on ne prend pas soin de notre infrastructure numérique et notamment l’infrastructure numérique libre ; on la laisse à d’autres. Ce qui nous a amenés, quand on a identifié l’ensemble de ces problèmes, à se dire « dégoogliser ne suffit pas, il faut aller plus loin, il faut faire autre chose », parce que proposer des alternatives mais ne pas être fichu de les maintenir et de les développer et de les faire croître vis-à-vis du capitalisme de surveillance, c’est un échec.

J’en viens à Contributopia. Oui, ça y est ! C’était long, une heure normalement ! Une heure et quart.

Contributopia

[Applaudissements]

Merci. Je vous avais dit que je vous prendrais un petit peu de temps, mais je voulais tout détailler.

On en vient à Contributopia. Contributopia c’est une feuille de route qu’annonce Framasoft. Une feuille de route c’est bien parce que ça nous permet de faire une pirouette et de dire "si on ne tient pas la feuille de route il ne faudra pas nous jeter des cailloux ! » On va essayer de le faire, c’est un engagement, mais ce n’est pas nécessairement un engagement ferme. Feuille de route de quatre projets sur trois ans.

Les objectifs généraux de Contributopia sont de répondre aux problèmes, finalement, dont je vous ai parlé.

  • Première chose, premier objectif : proposer des alternatives concrètes, palpables, au capitalisme de surveillance. Je reviendrai dessus un petit peu plus tard.
  • Deuxième chose : essayer de rendre le Libre plus accessible. Éviter de se retrouver avec ce qu’on voit aujourd’hui sur les pages Wikipédia-logiciel libre. Quand bien même, encore une fois, c’est de travailler juste mais ce n’est peut-être pas le plus adapté.
  • Troisième objectif qui est vaste et qui est partagé aujourd’hui par d’autres communautés, notamment La Quadrature du Net avec qui on organise, petit coup de pub, un Fabulous Contribution Camp, la semaine prochaine à Lyon. Du coup ça y est c’est fermé, les inscriptions sont closes. L’idée c’est d’essayer d’identifier un petit peu quels sont les freins et dans ces idées-là il y a évidemment comment est-ce qu’on peut mixer les communautés de codes, de codeurs, codeuses et d’autres communautés ? Ça peut être des designers, des graphistes, des médiateurs, des utilisatrices, etc. Donc à Framasoft aussi, ce qu’on veut essayer de pousser c’est la notion de cheerleading dans la communauté du logiciel libre, donc avoir des gens, des personnes qui vont pouvoir accueillir le public et qui vont pouvoir discuter avec lui.

    Ça veut dire « dire bonjour ». Quand quelqu’un dit : « Je voudrais contribuer à Framaform », il faut lui dire « bonjour », il faut lui dire : « Tu es qui ? Tu veux faire quoi ? Qu’est-ce qui te fais envie ? Qu’est-ce que tu sais faire ? » Et si on n’est pas capable de lui répondre tout de suite peut-être lui répondre plus tard, enfin lui répondre tout de suite qu’on reviendra vers lui ou vers elle plus tard. Et aujourd’hui, c’est quelque chose qu’on fait très peu. Il y a des communautés du logiciel libre qui font ça, mais il y en a assez peu. Un chat bot ? Pourquoi pas ! Pas un chat bot quand même !

  • Quatrième point : promouvoir le Web réellement comme un « commun » et faire pousser cette idée qu’il faut défendre le Web et le promouvoir comme un « commun » qui appartient à toute l’humanité et non pas quelque chose qui peut se faire évacuer sous forme d’applications type WhatsApp, Google Apps, etc.
  • Enfin dernier point : encourager et faciliter la contribution, ce qui est le sujet même de fond de Contributopia : comment est-ce qu’on va contribuer au logiciel libre ? Et surtout, quand je dis pour et par le Libre, pour nous c’est ne pas rester juste à dire, comme on le disait hier, « il faut aller chercher des contributeurs », c’est plutôt leur parler et se mettre aussi à leur service ; et on espère que petit à petit on travaillera d’autant plus avec des gens qui sont potentiellement intéressés par le logiciel libre mais qu’on travaillera pour eux et non pas qu’on ira les chercher en leur disant « ce serait bien si tu développais sur Git ». En gros c’est « tu n’es pas content, tu n’as qu’à le faire toi-même ! » On a même un site qui s’appelle yakafokon.detected.fr, les gens qui viennent nous voir en disant « ce serait bien si ». Aujourd’hui on répond « tu n’as qu’à le faire toi-même ! » Ça n’est plus une réponse acceptable aujourd’hui.

Donc sur le détail un petit peu de cette feuille de route, je vais aller assez vite parce qu’il commence à se faire tard, sur le détail un petit peu de Contributopia d’abord vous pouvez applaudir David Revoy qui est là, c’est lui qui a fait les dessins.

[Applaudissements]

Merci pour lui. Dessins qui sont sous licence Creative Commons, vous pouvez aller les récupérer, les télécharger si vous voulez les réutiliser, les imprimer, etc. Vous devez citer l’auteur. On est ravis, du coup, d’avoir pu financer ce travail-là.

Au niveau des services, donc première année, c’est une année un petit peu de transition, c’est à la fois finir complètement cette époque Dégooglisons Internet, mais aussi changer la façon dont on propose les services. Pourquoi ? Parce que jusqu’à présent on vous sortait un service, je ne sais pas, par exemple Framapad ou Framadate, et on vous disait :« Eh bien voilà, c’est là, utilisez-le ! » Et vous utilisiez le service du jour au lendemain comme vous utilisez, je ne sais pas, un Doodle ou autre, et vous ne vous posiez pas forcément la question de savoir comment est-ce qu’on peut contribuer à ce service-là.

On s’est dit que pour vous encourager, pour ne pas dire pour vous forcer, mais pour vous encourager à participer au code, il fallait qu’on sorte les services en version presque alfa, c’est-à-dire pas totalement fonctionnels. Donc vous allez râler et on va perdre des utilisateurs qui pourraient se dire « ça pourrait être vachement mieux », mais on espère déclencher cette envie de vouloir contribuer aux logiciels qu’on va sortir, du coup, sur l’année qui vient.

Services

Dans ce qui est déjà sorti vous avez Framasite.

Framasite est une alternative à Blogger, Tumblr, etc. En gros, c’est comment est-ce qu’on répond à la demande de, je ne sais pas, du boulanger ou de la boulangère du coin qui veut monter un petit site web sans se prendre la tête, qui ne sait pas ce qu’est un serveur, qui ne sait pas ce qu’est un espace mutualisé, qui ne sait pas ce qu’est le FTP, qui ne sait pas ce qu’est SSH, qui ne sait pas ce qu’est WordPress. Aujourd’hui, ces gens-là, soit ils se créent une page Facebook et donc ils vont directement dans l’infrastructure de capitalisme de surveillance ; soit ils vont sur Blogger, Tumblr ; alors Blogger c’est Google, Tumblr c’est Yahoo. Et donc, l’autre sortie c’est aussi du capitalisme de surveillance. On n’a pas, aujourd’hui, réellement d’espace où on peut facilement se créer des sites juste en cliquant. Donc c’est l’objectif de Framasite qui est un service qu’on a sorti il y a un mois et qui va continuer à être amélioré parce qu’aujourd’hui il n’est pas suffisamment grand public. Mais vous voyez on a bien, j’allais dire un shift, un retournement de situation dans la façon dont on propose les différents services.

Framameet sera une alternative à Meetup, parce que même nous, en tant que développeurs, souvent on reçoit des invitations « est-ce que tu viens au hackathon, à machin, inscris-toi sur Meetup ». Meetup est le pire service de réunion qu’on puisse imaginer ! C’est-à-dire que vous avez 20 personnes qui viennent à votre rendez-vous, vous organisez un événement, elles veulent venir, les gens s’inscrivent, vous ne pouvez pas les contacter en dehors de la plateforme Meetup. Vous ne pouvez discuter avec eux que sur Meetup ; vous ne pouvez pas récupérer leurs adresse mails, vous ne pouvez pas discuter, ce qui est absolument dégueulasse comme méthode et donc, il faut qu’on trouve des solutions pour ça et on va faire, probablement, un logiciel autour de ça.

Framapétition en alternative à Change.org. Je passe rapidement dessus et Framatube.

Framatube, on va vous en reparler à partir de mardi, mercredi si tout va bien, parce qu’on va lancer une nouvelle campagne autour de Framatube. L’idée c’est de briser l’hégémonie de YouTube en fonctionnant de la façon suivante. On s’est dit aujourd’hui il n’y a pas de possibilité, quand vous mettez, quand vous voulez mettre une vidéo en ligne, c’est soit vous êtes capable d’héberger votre MédiaGoblin, votre MediaCore ou d’autres logiciels qui permettent de partager de la vidéo ; c’est très bien, mais, du coup, il faut savoir utiliser ce logiciel, il faut le maintenir, etc., c’est compliqué. Et puis, surtout, vous avez votre petit silo de vidéos, mais il ne parle pas à d’autres sites qui hébergent des vidéos.

Le principe de Framatube c’est d’être basé sur un logiciel libre qui s’appelle PeerTube et dont on vient d’embaucher le développeur. Là aussi, on investit en se disant il faut contribuer. Donc plutôt que d’attendre que le développeur ait fini ce logiciel sur son temps libre, le soir, après avoir couché les enfants, on préfère l’embaucher, le payer pour lui dire « voilà, mets un coup d’accélérateur sur PeerTube », parce que PeeerTube permettra à différentes personnes d’héberger des vidéos, mais avec des sites qui vont être capables de se parler entre eux, ce qu’on appelle la fédération. Ça veut dire que depuis FramaTube vous pourrez voir les vidéos hébergées sur le Médiakit de La Quadrature ; vous pourrez voir les vidéos hébergées par l’April ; vous pourrez voir les vidéos hébergées, pourquoi pas, par la Fédération des motards en colère qui a aussi un chaton et qui pourrait monter son instance PeerTube.

Donc depuis un point d’entrée, on va pouvoir voir plein d’autres vidéos amies et, inversement, il y aura des gens qui vont monter, probablement, des centres de ressources vidéos, communautaires, par exemple l’Éducation nationale, plutôt que de tout mettre sur un seul serveur, peut avoir plein de petits serveurs qui sont capables de parler entre eux. Il y a d’autres avantages techniques à FramaTube, mais on pourra en discuter dans les questions.

Essaimage

Sur le côté essaimage, personnellement je suis à l’origine du collectif CHATONS, pour moi c’est un petit peu un échec. On a monté le collectif, ça marche bien, il y a 50 chatons, mais on n’a pas réussi à animer cette communauté. Donc, quand on dit essaimage c’est à la fois transmettre nos savoir-faire, nos méthodes, etc., mais c’est aussi savoir mettre en place des communautés et de la gestion de communautés de façon efficace et qui ne reposent pas sur Framasoft. Encore une fois, nous on est largement débordés, et ça va être, concrètement, comment est-ce qu’on va faire ? Aujourd’hui, on n’a pas trop d’idées sur comment est-ce qu’on va faire ; personnellement je ne sais pas, mais il faut qu’on arrive à trouver des gens qui vont faire de la gestion de communautés et qui nous permettront, petit à petit, d’avoir de l’essaimage à large échelle.

Donc premier projet sur lequel on va continuer sur l’essaimage, c’est travailler sur la gestion de communautés de chatons, qui n’est pas un projet de Framasoft. Plutôt c’est un projet de Framasoft, mais ça n’est pas un projet à Framasoft ; c’est un collectif indépendant. Donc il faut continuer à impulser cet essaimage de façon à ce que chaque nouveau chaton puisse trouver de l’information facilement et se créer, se monter, se développer.

On va travailler, c’est déjà le cas aujourd’hui, sur une distribution qui s’appelle YunoHost. YunoHost6 c’est une distribution en Linux qu’on retrouve dans la Brique Internet7 et qui permet de, très rapidement, déployer son petit cloud à soi, qui peut être donc sur un petit boîtier que vous branchez chez vous, qui peut être dans les nuages. Là aussi on a financé : Framasoft, aujourd’hui, paye une partie du temps d’un des salariés de Framasoft qui, tous les vendredis, fait du packaging d’applications, des applications type Framaform, etc., pour YunoHost. L’idée c’est que début 2018, donc c’est très bientôt, quand vous allez télécharger YunoHost, vous pourrez pousser un bouton pour dire « je veux Framadate ; je veux du Etherpad ; je veux Framaform, etc. » Vous poussez un bouton et le logiciel est automatiquement déployé. L’idée c’est évidemment d’abaisser la barrière à l’entrée parce qu’aujourd’hui, monter un serveur sur lequel vous avez dix outils différents c’est extrêmement complexe et donc on veut faciliter ça.

Les projets d’internationalisation, je vais aller très vite dessus. Le principe c’est que Framasoft est une association francophone et on a fait le choix, volontaire et assumé, de travailler avant tout en français. Et maintenant, aujourd’hui, l’Europe, enfin les pays européens notamment, s’intéressent à ce qu’on fait. Ils font : « Ouais, mais du coup, si je vais sur le site CHATONS, c’est tout en français, c’est compliqué, etc. ! » C’est vrai. Comme on ne veut pas devenir le Google du Libre et devenir de plus en plus gros, moi je ne veux pas me dire qu’on va accueillir demain des Polonais, des Estoniens, des Anglais, etc., sur les serveurs de Framasoft. On préfère qu’ils le fassent chez eux. La difficulté c’est qu’on travaille évidemment en réseau, les uns avec les autres. On ne veut pas exclure des pays étrangers, je vois les grands yeux qui s’ouvrent, mais du coup, ce qu’on veut partager, c’est notre expérience pour que les gens puissent se réapproprier culturellement, enfin en fonction de leurs contraintes culturelles et de leur histoire, leurs projets. Je discutais avec un Allemand, récemment, qui monte un projet proche de CHATONS en Allemagne et il me disait : « Chez nous le mot CHATONS ça ne marchera pas, même si on traduit en allemand, ça ne fait pas sérieux, etc. — Si tu veux le faire avec un autre nom, etc., il n’y a pas de problème. Monte ton propre collectif, avec des structures allemandes qui veulent travailler là-dessus, on se mettra en réseau et, depuis le site CHATONS, on pourra trouver l’équivalent allemand. Nous ça nous va très bien. »

Un projet assez ambitieux qui s’appelle Winter of Code dont le principal intérêt aujourd’hui c’est d’avoir comme baseline Winter is coding et ça, quand même, ce n’est pas mal !

[Applaudissements]

Et du coup, l’objectif c’est d’avoir un site web sur lequel on pousserait les organisations du Libre, par exemple je ne sais pas Gimp, je vais prendre Gimp, sur lequel il n’y a que des développeurs bénévoles et pour qui c’est compliqué de rajouter des fonctionnalités à Gimp, d’identifier déjà leur organisation proprement ; de dire voila, Gimp c’est un logiciel qui fait ça, ça et ça ; ça existe déjà, mais le décrire proprement et surtout décrire des fiches missions. Ces fiches missions, vous venez dessus et vous pouvez décrire « dans Gimp il y a une difficulté, je ne sais pas, on ne gère pas très bien la couche CMJN [Cyan, Magenta, Jaune et Noir] » ; je vais peut-être me faire jeter des pierres parce que je ne sais pas où en est la couche CMJN de Gimp aujourd’hui ! Pardon ? Il y a un plugin, OK ! Super. Pas de bol, du coup ça n’est plus vrai aujourd’hui. ; il faudrait que je trouve un autre exemple. Mais on décrit un problème que rencontre la communauté Gimp et sur lequel ils n’ont pas nécessairement le temps ou les compétences pour travailler dessus tout de suite. On décrit ça et puis derrière on dit : « Il nous faudrait soit tant d’heures de développement qui seraient payées tant et du coup ça fait tel prix pour développer ça ; soit on a besoin que des étudiants, par exemple en informatique ou en design ou autre, se penchent sur le problème. » Puis on publie cette fiche mission qui reste un certain temps en ligne et, du coup, c’est clair pour par exemple des étudiants qui peuvent venir et se dire « eh bien voilà, moi je suis étudiant en informatique, je vais essayer de m’attaquer à cette mission-là et faire progresser le logiciel libre. » Plutôt que d’aller sur chaque site et d’aller interroger les développeurs, au moins on a quelque chose de clair et d’affiché clairement sur Winter of Code.

L’autre avantage c’est qu’on peut dire « moi je veux bien contribuer au logiciel libre et je suis prêt à mettre 50 euros, 100 euros, 1000 euros sur cette fonctionnalité-là parce qu’elle me paraît importante ». Framasoft ne prendra pas d’argent, c’est juste une déclaration d’intention et à charge au développeur et à la communauté derrière d’aller re-solliciter les gens.

C’est quelque chose qui, pour nous, est très important d’essayer, encore une fois, de favoriser la contribution en faisant se rencontrer les différents acteurs du Libre.

Éducation populaire

Enfin, et c’est pour nous évidemment l’objectif le plus ambitieux, c’est de continuer et poursuivre notre mission d’éducation populaire mais aussi de faire un peu rêver les gens en leur disant, parce que là j’ai été très anxiogène sur la présentation jusqu’à présent, mais c’est aussi de dire que le numérique ça peut être hyper-positif. Ça permet de faire des choses ensemble. Ça permet de mieux nous rencontrer, de monter des projets, etc. Mais jusqu’à présent on n’est pas très bons — et quand je dis « on » ce sont les communautés du logiciel libre et j’inclus Framasoft dedans — notamment sur les questions de médiation. Ce sont typiquement les problèmes que je vous citais tout à l’heure où on ne sait pas rendre le Libre accessible. Il y a assez peu de formations au logiciel libre et à la question du logiciel libre derrière et, du coup, on tourne un peu en rond parce qu’on est des communautés hyper-techniques. Et faire des actions de médiation, par exemple nous on va aller voir les espaces publics numériques, les bibliothécaires, etc, et leur dire « si vous voulez nous on vous forme à ces questions-là du logiciel libre et c’est vous qui irez parler ensuite à vos publics et vous n’aurez plus besoin de faire appel à Framasoft », ce qui fera qu’on sera beaucoup moins fatigués.

Et autre partie, autre projet : Git, donc Git c’est notre outil qui nous sert de base en tant qu’outil pour les développeurs, avec Git on peut travailler à 500 sur du code logiciel, c’est super. L’outil est vachement bien foutu, mais il est absolument insupportable, je cherche un mot poli, à utiliser pour quelqu’un qui n’est pas développeur ou développeuse.

[Applaudissements]

Merci. Or Git pourrait permettre à des petites assos de rédiger des statuts ensemble. L’objectif de ce projet-là, que Pouhiou appelle le guide pour les moldus, que je trouve très bon, c’est d’éviter, vous savez, le truc avec l’asso ou même l’entreprise qui fait « fichier, statut de l’association relu par Pierre, . doc, ou .odt », et puis on l’envoie à la liste de discussion et puis c’est relu par Pouhiou et puis ah ! trop tard mais ça a été modifié entre temps par David. Du coup c’est trop tard, on a perdu, on ne sait plus qui a fait quelle modification, à quel moment, etc. Le pad n’aide pas vraiment sur des documents un petit peu poussés et ça pose une vraie difficulté.

Donc rendre Git accessible à tous juste en pétant l’interface et en gardant le moteur derrière mais en faisant une interface pour le grand public, pourrait avoir des effets intéressants : ça peut être pour rédiger des statuts d’associations, pour rédiger une constitution. On peut avoir, du coup, des milliers de personnes qui viennent rédiger une constitution sur Git, sans avoir cette barrière de l’outil complexe.

Ça on va voir si c’est possible. On voudrait faire des MOOC. Des MOOC ce sont des cours massivement diffusés en ligne, ouverts à tous et à toutes, sur lesquels vous allez pouvoir apprendre par exemple à monter un chaton. Parce qu’un chaton ça n’est pas que de la technique, c’est aussi du juridique : qu’est-ce qui se passe quand on reçoit une requête de police judiciaire disant qu’on héberge une photo, je ne sais pas, d’une kalachnikov, qui est réutilisée sur un site terroriste ; ça nous est déjà arrivé ce type de choses. Quelle est la procédure à suivre ? Comment est-ce qu’on peut faire, etc. ? Quelles sont les bonnes pratiques à avoir ? Donc il y a les questions techniques, il y a les questions juridiques et il y a surtout les questions organisationnelles. Aujourd’hui, dans CHATONS, la principale difficulté que j’ai ce n’est pas qu’il y ait des problèmes techniques pour monter des chatons, c’est que les gens ont beaucoup de mal à se mettre d’accord sur les statuts, sur le modèle économique et des choses comme ça. Nous on a une certain expérience de ce côté-là, on voudrait pouvoir la partager avec d’autres au sein d’un MOOC, donc au sein d’un cours en ligne pour chatons.

Le dernier projet, probablement le plus ambitieux, et celui sur lequel j’aurais beaucoup de mal à vous donner de l’info aujourd’hui ; il ne commencera probablement pas avant 2020 : c’est une université populaire du Libre, ouverte, accessible et décentralisée. L’objectif ce n’est pas seulement d’accueillir des cours en ligne, donc une université populaire en ligne qui va accueillir des MOOC, mais dont l’objectif un peu caché et que j’annonce trois ans à l’avance, c’est un peu d’aller casser les pattes aux certifications, que ça soit Microsoft ou Éducation nationale. C’est-à-dire essayer de revaloriser les compétences non formelles des gens : je sais réparer une machine à laver ; je sais écrire un bouquin ; je sais, je ne sais pas, changer une ampoule, soyons fous ! Ces compétences pourraient être valorisées, pourraient être connues, pourraient être partagées. Aujourd’hui c’est capté par, je ne sais pas, du Linkedin, ce type de sites ; surtout les gens disent ce qu’ils savent faire, mais aujourd’hui on n’a pas une vision globale et on a du mal à se mettre en relation. Par exemple moi, si je cherchais demain quelqu’un qui est « web designeuse », webdesigner eh bien j’ai du mal à trouver cette personne-là. Du coup, comment est-ce qu’on fait pour se rencontrer ? Comment est-ce qu’on fait pour aller boire une bière ou un café ou un thé ou deux bières ? Donc on a vraiment cette problématique-là.

Donc UPLOAD [Université Populaire du Libre], même si le projet est très flou pour l’instant, vise un petit peu à répondre à ça

J’en arrive à ma conclusion puisqu’il est temps, oui il est temps. On rentre dans quelque chose d’un petit peu plus politique, mais vous aurez bien compris que pour nous le logiciel libre c’est politique. Vous avez, d’un côté, ce qu’on va appeler le monde ou le continent de la société de consommation ou de surconsommation basé sur les enclosures, sur le contrôle, sur la marchandisation de tous les secteurs, sur l’intérêt privé, sur l’économie extractive et, notamment, sur la propriété intellectuelle. Et, d’un autre côté, il y a d’autres possibilités. Ce qu’on souhaite c’est explorer, ce qu’on met derrière comme titre c’est la société de contribution, on souhaite explorer cette société de contribution – qui est un terme notamment employé par un philosophe qui s’appelle Bernard Stiegler – qui est une société du « commun », du partage, où on va défendre l’intérêt général et la diversité et qui est une économie, cette fois-ci, plutôt générative et où les licences libres ont complètement leur place.

Donc l’objectif de Framasoft va être d’outiller cette société de la contribution en proposant un certain nombre d’outils qui permettront aux gens qui ont envie de changer la société de pouvoir le faire avec des outils libres.

La place de Framasoft, en gros, jusqu’à on va dire 2004, j’aurais même pu mettre plutôt 2012 : on était porte d’entrée du logiciel libre francophone. Il y en avait d’autres ; on était une des portes d’entrée du logiciel libre francophone. On disait aux gens : « Venez voir, le Libre, c’est bien ! » Les gens découvraient au travers de Framasoft puis ils allaient voir d’autres associations, etc. Il y en a qui sont restés, mais il y en avait beaucoup qui repartaient parce que ce n’était pas toujours très bien présenté comme je vous l’ai expliqué.

Sur 2014-2017, avec Dégooglisons Internet, on a vu, petit à petit, beaucoup de gens de cette société de contribution arriver et nous dire « ah c’est super ce que vous faites, etc. », parce que, disons, on partage des valeurs communes avec ces gens-là. Du coup, ils venaient nous voir, c’était très bien sauf que le Libre n’est toujours pas beaucoup plus adapté à ces personnes-là qu’il y a dix ans, qu’il y a vingt ans ou qu’il y a même trente ans.

Donc l’objectif, maintenant avec Contributopia, c’est tout comme Framasoft était une des portes d’entrée du logiciel libre, on veut être une porte de sortie et c’est un petit peu ici à Toulouse Capitole du Libre qu’on en profite pour faire cet appel, en disant il faut non plus se dire on va aller chercher des contributeurs et des contributrices, ce n’est pas vrai, il faut que nous on sorte de notre bulle technique pour se mettre au service des projets de la société de contribution. Parce que réinventer pour la cinquantième fois le système de gestion de contenus alternatif à WordPress c’est cool, c’est sympa, on sait le faire, « moi je l’ai fait en React, moi je l’ai fait Python, moi je l’ai fait en Django, en Ruby on Rails », que sais-je, c’est cool sauf que c’est beaucoup d’énergie dépensée qui ne sert pas à grand-chose pour la société.

Donc nos partis pris c’est d’abord de faire ensemble, avec les utilisateurs et les utilisatrices, ce qui est un énorme pari, parce que ça ne va pas être simple du tout, parce qu’on ne parle pas le même langage. Donc il va falloir qu’on apprenne à se parler, il va falloir qu’on boive des coups ensemble et ça ne va pas être toujours très simple.

Deuxième point, et ça nous tient beaucoup à cœur, j’en discutais avec Yann qui est un des membres de Framasoft qui disait lui, sa prochaine conf ce sera de faire « Pour les poètes libres » parce que la poésie c’est important dans une société et que, aujourd’hui, c’est quelque chose qui est complètement oublié : comment est-ce qu’on peut faire pour inventer un imaginaire du numérique positif ? Aujourd’hui, cet imaginaire positif, est vendu par Facebook, Google, avec des objets qui sont extrêmement beaux, qui nous vendent du rêve, etc. Aujourd’hui, le Libre, on voit bien qu’il ne vend pas ça. Donc notre problématique ça va être comment est-ce qu’on peut inventer avec des auteurs, des créateurs, des écrivains, des écrivaines, je ne sais pas, qui voudra, participer à inventer un imaginaire du numérique positif.

Ça je l’ai déjà dit c’est comment est-ce qu’on peut utiliser ceux et celles qui veulent faire des « communs » et qui veulent participer à la société de contribution.

Autre point : on veut décloisonner le Libre de son ornière technique. C’est violent de dire ça lors d’une conf où il y a quand même beaucoup de libristes, mais on est dans une ornière technique, on tourne en rond ; c’est très bien on creuse ! Encore une fois, l’open source va très bien, mais il faut sortir de cette ornière technique pour développer les valeurs éthiques et sociales et donc politiques du logiciel libre et des valeurs qu’on partage avec d’autres. Et pour ça, pour nous, là encore je vais citer Pouhiou qui disait : « Il ne faut pas dire convergence des luttes, ça peut faire peur ; on va dire convergence des buts » ; donc la convergence des buts ça peut se faire avec, par exemple, le journalisme citoyen, les associations, les ONG, les mouvements écologistes, etc. Il faut qu’on apprenne à parler avec ces gens-là, il faut qu’on discute avec eux. Parce que, selon nous, ce sont eux qui vont être contributeurs et contributrices au logiciel libre. Ça ne va pas être la société de consommation. Toucher plus de monde pour toucher plus de monde n’est plus une bonne idée. Aujourd’hui, il faut plutôt essayer de voir avec qui est-ce qu’on a des valeurs communes pour dire « OK, travaillons ensemble et voyons ce qu’on peut faire pour changer la société ».

Est-ce qu’on va y arriver ? Non. J’annonce, clairement, en tout cas pas sans vous. Donc c’est un vaste programme Contributopia qui se lance sur trois ans. Aujourd’hui, il y a des gens qui nous disent : « Ah, c’est trop bien, comment est-ce qu’on contribue ? » Pour l’instant la réponse est : « On ne sait pas trop ! » Ça va venir. On va essayer de travailler ça. Et pour ça, évidemment, on a toujours besoin de fonds, puisque je rappelle que Framasoft c’est basé quasi exclusivement sur des dons de particuliers, donc vos dons, et évidemment, ces sommes-là nous permettent d’embaucher des développeurs pour travailler sur des sujets, mais permettront aussi de travailler justement et de décloisonner, d’organiser des rencontres avec d’autres personnes comme on le fait la semaine prochaine avec La Quadrature du Net, pour rencontrer d’autres personnes et comprendre quels sont les problèmes, pourquoi est-ce que le Libre ne décolle plus alors que l’open source se porte très bien.

Voilà. J’ai fini. Merci.

[Applaudissements]

Organisateur : Merci beaucoup. Effectivement on a pris un tout petit peu de retard, juste 40 minutes, ce qui nous laisse à peu près un quart d’heure de questions avant de laisser la place à la conférence suivante.

Public : J’ai juste une petite remarque. Je pense que tu as oublié d’expliquer la façon de dupliquer la dernière page. C’est-à-dire si tu veux essaimer, il faut aussi que tu essaimes auprès des chatons. Comment obtenir des dons ?

Pierre-Yves : Ça commence déjà à être le cas, c’est-à-dire sur la liste de discussion CHATONS, il y a beaucoup de questions sur les modèles économiques. Le truc c’est que nous on n’a pas de parti pris sur les modèles économiques. Par exemple CHATONS est directement inspiré du fonctionnement de la FFDN, la fédération FDN, la Fédération des fournisseurs d’accès associatifs, on a repris leur idée, appliquée cette fois-ci à l’hébergement plutôt qu’à l’accès à Internet. Par contre la FFDN, eux ce sont uniquement des associations. Nous, dans CHATONS, on accepte des entreprises, parce que ça parait difficile de dire qu’il faut que ça soit absolument une association. J’avais cette réflexion hier sur le débat « La place du Libre dans la société », quelqu’un qui disait : « On peut être personnellement éthiquement libre, mais quand on travaille pour son entreprise c’est plus compliqué ». Non ! Tu n’es qu’une seule personne, tu n’es pas schizophrène : si tu es entrepreneur tu peux avoir une éthique et l’avoir dans ta vie privée comme dans ta vie professionnelle. Moi je pense qu’il y a des entrepreneurs du Libre qui sont tout à fait éthiques, comme il y a des entrepreneurs du pas Libre qui sont tout à fait éthiques et à eux de trouver les modèles économiques, etc.

On va essayer de promouvoir : sur la page de dons, on va probablement ajouter un bouton Liberapay, bientôt, pour expliquer comment est-ce qu’on peut participer, du coup, à un système de dons mensuels sans prélèvement derrière par les banques, en tout cas pas de prélèvement automatique. Peut-être la Ğ1 de Duniter avec des monnaies alternatives. Voilà. On va essayer de mettre ça en place. Ça va prendre du temps, ça n’est pas quelque chose qu’on vous livre tout fait. Donc je suis d’accord avec toi ; je ne sais pas comment est-ce qu’on le fera, mais on essayera de le faire.

Public : Belle présentation.

Pierre-Yves : Merci. Un peu longue, mais je vous avais prévenu que ça allait être long.

Public : Mumble, ça date de 2005, il y a des trucs qui existent comme Riot, c’est une bonne alternative.

Pierre-Yves : Notamment, tu peux re-citer le nom ?

Public : Riot sur le protocole Matrix.

Pierre-Yves : Matrix oui, du coup, ce n’est pas tout à fait, ça fait partie. OK

Public : La question c’est est-ce qu’il y a déjà un retour ou un bilan sur la campagne de dégooglisation ?

Pierre-Yves : Le bilan c’est un petit peu ce que je disais tout à l’heure. On a aujourd’hui pas loin de 400 000 utilisateurs qui viennent tous les mois. Le bilan, concrètement, ça marche. Le problème c’est que les gens attendent toujours plus de nous et que nous on est une association comme une AMAP, on ne veut pas grossir ; il n’y a que moi qui ai pris du poids, enfin non, pas le seul, Pouhiou lève la main aussi. Effectivement, on est une association qui ne souhaite pas devenir le Google du Libre. On a évidemment cette problématique-là de dire il faut qu’on essaime et donc le bilan sur la dégooglisation est hyper positif, mais, du coup, tous les regards sont tournés vers nous en disant vous devez nous aider à nous émanciper numériquement. On ne veut pas le faire seuls. Du coup moi j’étais encore content de voir dans la revue stratégique de La Quadrature du Net qu’ils ont intégré dans leurs propositions, dans leur feuille de route, la possibilité de travailler aussi ces questions d’émancipation numérique. Ils le feront de façon complémentaire avec nous, et tant mieux. Et il y a plein d’autres assos qui veulent faire ça aussi.

Public : Bonjour. Je viens pour une question. Vous avez dit souvent que c’était l’interface graphique qui fait rebuter les gens « du commun » entre guillemets sur tout ce qui est logiciel libre. Pourquoi il y a si peu de partenaires, de partenariats avec tout ce qui est les écoles de design, de graphisme, etc. ?

Pierre-Yves : Genre on va pouvoir transmettre la réponse du coup à Maiwann qui va parler de ça je pense.

Public : Pour le coup moi ça m’est arrivé pour ma licence pro où je devais faire un projet. Les profs ne nous proposaient que des projets avec des entreprises privées ; c’est moi qui ai dû aller chercher et faire vraiment la croix et la bannière avec l’entreprise parce que je faisais du logiciel libre, parce qu’ils ne savaient pas du tout faire ça quoi !

Pierre-Yves : Je suis évidemment complètement d’accord. Si tu veux transmettre le micro, pour l’instant je commence à répondre. Pour moi c’est un problème de langage, de communication. On ne sait pas se parler. Moi j’ai participé à un certains nombre de débats, vous avez pu suivre des fois des choses en ligne, sur ces questions-là et juste on ne parle pas la même langue. Ça ne veut pas dire qu’on n’a pas les mêmes buts, ; on a les mêmes valeurs, on a les mêmes buts, mais juste on ne se parle pas de la même façon. Du coup, tant qu’on sera, j’allais dire presque agressifs dans notre façon de juger nous, développeurs, développeuses, des designers, « designeuses » : ils arrivent, ils se prennent des baffes, ils repartent. Ils ne vont pas rester pour nous faire plaisir. Maiwann si tu veux.

Maiwann : Pour compléter un peu, je suis assez d’accord avec ce que tu dis, sans surprise. Je trouve que la façon par exemple de Framasoft qui a de communiquer ça rend inclusives les choses, ça donne envie aux personnes qui sont extérieures au monde des devs de venir. Pour être plus précise sur les designers, moi en école de design, on était en recherche de développeurs pour avoir des projets, parce que les profs nous disaient : « Il faut avoir des tas de projets, il faut faire des choses ». On était là en mode « oui, mais on ne connaît pas de devs, on sait rien ! » Quand ensuite, trois ans après, on découvre le monde du Libre et on voit à quel point il y a besoin de designers, on pète un peu un boulon. Et c’est surtout parce qu’on parle d’essaimage, pour le grand public, il faut essaimer aussi dans les écoles de design, parce que nous a une culture de droits d’auteur. On nous apprend, à l’école, qu’en fait si jamais on ne met pas des droits d’auteur sur nos créations, si jamais on ne borne pas bien les choses, ça veut dire qu’on va se faire flouer, qu’on va se faire voler ; et la notion de logiciel libre, de « communs » elle est complètement absente et donc je vous assure que si jamais n’importe qui va dans une école de design en disant « écoutez j’ai 50 projets qui n’attendent que vous pour améliorer leur interface », si vous leur faites une vraie place, il y a 50 personnes qui arrivent de suite !

Pierre-Yves : Tu auras vu que, du coup, on a un projet pour ça. Pour moi le Winter of Code c’est un petit peu ça ; on a identifié ça et on se dit ce qu’on sait faire ce sont des projets en ligne et bien peut-être qu’à travers du Winter of Code on pourra expliquer ce qu’est Mumble ou d’autres projets et leur dire « voilà, on a des outils, par contre on manque d’aide et travaillons ensemble ». Et non pas « travaillez pour nous », ce qui a longtemps été le discours du Libre vis-à-vis des designers.

Public : Bonjour. Moi je ne viens pas du tout du monde de l’informatique.

Pierre-Yves : Moi non plus !

Public : J’arrive globalement à comprendre tout ce que tu racontes, mais je suis incapable de taper une ligne de code sur Linux. Ce que je trouve marrant, tu vois, c’est que j’ai déjà utilisé des Framadate dans ma vie, il y a quatre-cinq ans, pour telle ou telle asso et tout, et je trouve que c’est génial et que c’est très intéressant. Après je comprends bien ton histoire de vouloir démocratiser ou passer la main ou rendre accessible et que chacun ait ses outils. J’ai été très sensible à tout ce que tu disais pour ne pas dégoûter ceux qui viennent de l’extérieur, mais dans ce monde où, finalement, il y a une énorme demande et une société qui crée cette demande, nous, on vous voit comme des gens qui proposez un service et, de mon point de vue, je ne pourrais pas vous voir autrement quoi !

Pierre-Yves : Tout change !

Public : C’est-à-dire que, finalement, que vous soyez une association ou une entreprise, qui faites le job pour 20 ou pour 200 ou pour 20 000 personnes, pour moi, mon contact et mon attente sera un petit peu toujours la même ! Je voulais te dire ça et en même temps remercier pour ce que vous faites.

Pierre-Yves : Merci. Je l’entends complètement. On en discutait hier avec Jean-Batiste Kempf le président de VidéoLan et fondateur de la société VidéoLab qui aujourd’hui paye des gens pour travailler sur VLC ; il me disait : « Vous devriez vendre du service ». Je l’entends complètement qu’on est perçus comme ça aujourd’hui. Mais nous sommes, nous avons toujours été, une association d’éducation populaire. Nous, notre boulot c’est la sensibilisation. On a fait Dégooglisons Internet parce que personne ne le faisait. Moi je suis économiste, Pouhiou est guide touristique. On n’est pas des informaticiens ; ce n’est pas notre boulot ! À la base c’était juste un pari parce qu’il fallait le faire. Gandi disait : « Ils ne savaient pas que c’était impossible alors ils l’ont fait ». C’est cool, on l’a fait. Tout est libre. Je redis ce que je disais hier soir pendant la table ronde, « entreprises du Libre, prenez les logiciels que nous on a mis en place, etc., installez-les et vendez du service avec une condition de qualité de service qui soit supérieure. » Pour ceux qui utilisent Framacalc dans la salle, vous vous rendez compte que ça plante à peu près 100 fois par jour. Pourquoi ? Parce que Ethercalc qui est le logiciel qui motorise Framacalc a 0,0001 développeur annuel, à l’année, juste on ne s’en sort pas ! Nous on ne peut pas développer de front 32 logiciels et ce n’est pas notre objectif. C’est quelque chose qui est important à comprendre. Nous, notre mission, c’est porte d’entrée, porte de sortie. Pour moi la société de service qui proposerait du service payant, gratuit, peu importe, il y a toutes les compétences, mais il faut qu’elle vienne du milieu du logiciel libre et pas de cette interface qu’est Framasoft. Sinon j’entends complètement ce que tu dis, mais désolé, ça ne sera pas nous.

Public : Juste pour répondre un peu sur les liens entre le militantisme et puis le logiciel libre, il y a eu une conférence ce matin [« Militantismes et logiciels libres »] d’une personne qui expliquait pas mal de choses là-dessus. Elle s’appelle Malory, je vous invite à la regarder. Sinon j’avais une information : on est en train de créer un chaton toulousain. Le nom n’est pas définitif.

[Applaudissements]

Merci. C’est un chaton toulousain. On aimerait le faire en direction des associations et des collectifs, justement, militants. Le nom n’est pas définitif donc ça ne sert à rien que je vous le donne maintenant. Merci.

Pierre-Yves : Merci Manuelle. Il y a une question tout au fond. J’en ai vu une autre.

Public : Bonjour. Moi je suis une grande fan de Framasoft comme tu le sais déjà. J’ai une question sur la culture du Libre, au sens de culture comme on parlerait de culture d’entreprise. Moi je viens d’une école de commerce, c’est encore un monde qui n’a rien à voir, et aujourd’hui, ce que je vois, c’est que des produits comme Google, comme Dropbox, certes ce sont d’excellents produits je veux dire en termes d’utilisabilité, mais ils ont aussi bien fonctionné parce qu’ils ont un impact marketing qui est énorme. Et de fait, ce sont des choses que je sais faire, ce sont des choses qu’on m'apprend à faire, mais j’aurais l’impression d’essayer d’imposer une culture très étrangère à la culture de Framasoft si je proposais des idées de cet acabit. Finalement, je me demande si l’avenir de Framasoft ne passe pas aussi par le fait de parler aussi le langage des marketeux — désolée, je sais que c’est un gros mot — et accepter d’utiliser des moyens qui ne sont pas les moyens les plus glorieux du monde pour toucher des publics qu’on n’aurait pas touchés autrement. C’est une vraie question que je me pose.

Pierre-Yves : Je l’entends complètement. Marketing, on a utilisé, nous, le mot communication. Quand on propose à David Revoy est-ce que tu accepterais, pour nous, de réaliser des dessins comme ceux-ci parce que derrière on identifie que nous, ce qu’on veut toucher, c’est la société de contribution. On n’a pas fait un design à la French Tech, on est allé voir quelqu’un dont on savait, en plus de son côté libriste, – oui tu n’es pas très French Tech David, excuse-moi de te l’apprendre –, du coup, quand on va voir quelqu’un comme David et qu’on lui dit : « Voilà, nous notre problématique c’est ça, qu’est-ce que toi tu pourrais faire ? », ce n’est pas nous qui dessinons ça dans un coin. Donc si vous voulez appeler ça marketing, moi ça ne me pose pas plus de problème, mais pour nous c’est de la communication au sens vaste du terme et du coup c’est d’essayer de faire ça.

J’ai évidemment cette problématique à cœur de travailler ces aspects communication. On essaye d’y réfléchir et d’en discuter tous ensemble dans Framasoft, mais ce n’est pas toujours simple. Aujourd’hui, clairement, l’argent aide. Désolé, je refais un appel aux dons, mais concrètement, pouvoir payer quelqu’un comme David qui, en plus, nous a fait un bon tarif – merci –, mais du coup pouvoir le payer plutôt que de lui dire « ouais, tu pourrais être sympa nous faire ça ! » Si on vit tous là-dessus ça va être compliqué. Pouvoir dire « on est capables de financer des actions sur de la communication qui est un métier, qui n’est pas le nôtre, eh bien tant mieux ! » Donc j’espère que ça se développera et que ça pourra profiter à tout le monde. C’est pour ça que les dessins aussi sont sous licence libre. Dernière question, il reste une minute.

Public : Moi j’ai une question sur Framabee que je n’utilise, je suis désolée, que depuis un mois et demi ou deux, depuis que je suis passée sur votre stand à Alternatiba. J’étais très enthousiaste quand je suis partie du stand et je le suis un petit moins aujourd’hui. Je continue à l’utiliser mais là j’avoue que depuis hier ou avant-hier j’ai très envie de retourner chez DuckDuckGo parce que, d’après ce que j’ai compris, c’est plus un portail ; enfin vous faites appel à un certain nombre d’autres moteurs de recherche dont Google pour fournir les informations. Et je pense que le problème des retour d’informations qu’on a, c’est que Google et les autres voient très bien d’où viennent les demandes, que ce ne sont pas des particuliers. Du coup, ce qu’ils vous envoient comme réponses, alors moi je n’ai que de réponses en anglais déjà pour commencer, je parle très bien anglais, mais il y a des fois où je cherche des informations françaises, liées à ce qui se passe en France. Enfin bon bref !

Pierre-Yves : Qu’est-ce qu’on peut faire contre ça ?

Public : Qu’est-ce qu’on peut faire contre ça, oui, parce qu’en plus, avant d’avoir une information pertinente, je suis des fois obligée de faire deux pages ou voilà ! C’est un peu rude !

Pierre-Yves : Un, ne soyez pas désolée ! Vous n’avez pas à être désolée. Vous êtes utilisatrice d’un service, vous n’avez pas à être désolée à dire il ne correspond pas à mon besoin et c’est bien dommage. Deux, Framabee est ce qu’on appelle un métamoteur de recherche. Aujourd’hui, en fait, le problème c’est le coût. C’est comme pour YouTube. Vous voulez monter une infrastructure parallèle ou alternative à YouTube, ça va vous coûter des millions et des millions d’euros parce qu’il faut héberger des serveurs, etc. Ça coûte juste une fortune. Le problème du moteur de recherche c’est le même. Il faut énormément d’argent pour faire un vrai moteur de recherche ; aujourd’hui, je crois qu’il n’y en a que 9 ou 10 sur la planète, qui sont des vrais moteurs de recherche.

Framabee utilise un logiciel libre qui s’appelle Searx. Searx est un métamoteur c’est-à-dire que vous tapez « chaussures », il va chercher « chaussures » sur Google, sur Yahoo, sur Wikipédia, etc. Il récupère les résultats de façon anonyme pour vous et vous les affiche. Évidemment on est, du coup, dans des résultats qui sont souvent moins pertinents. Concrètement, aujourd’hui, nous on promeut des services typiquement comme DuckDuckGo, effectivement un bon moteur, malheureusement pas libre-libre, il y a des parties libres ou Qwant qui, là aussi, n’est pas libre mais, au moins, qui a des engagements assez forts sur la question de l’exploitation des données personnelles.

Il y a des possibilités de faire des moteurs de recherche fédérés en pair à pair, c’est possible. Il y a une expérience, par exemple YaCy, ça fonctionne, mais, par contre, c’est encore très expérimental et voilà ! Et tant qu’on n’aura pas de contributeurs et de contributrices pour développer ce type de solutions, comme nous on veut le faire avec Framatube qui, du coup, fonctionnerait en mode pair à pair et où on s’échange de l’information les uns les autres, on n’aura nécessairement pas de réponse sur la question du moteur de recherche. J’en suis à la fois désolé, enfin déso, pas déso ! Pour l’instant ce sont des questions d’investissement donc pas mieux à vous proposer aujourd’hui. Effectivement, si ça ne vous convient pas, il faut essayer autre chose tant qu’on n’a pas de meilleure solution à vous proposer.

Merci à toutes et à tous.

[Applaudissements]