Causerie April du 10 mai 2007: vote électronique
Introduction
Les « Causeries April » sont des interviews ou des discussions organisées régulièrement (avec un objectif d'une par semaine ou quinzaine), d'une durée d'une ou deux heures, sur un sujet donné.
Le jeudi 10 mai 2007 de 21h à 22h40, Pierre Muller, président de l'association Ordinateurs-de-vote.org, était invité pour répondre aux questions des membres de l'April sur le thème « Vote électronique ».
Pour cette causerie, la modération et l'animation étaient réalisées par Benoît Sibaud.
Introduction du modérateur
Bonjour à toutes et à tous, nous avons le plaisir d'accueillir ce soir pour notre cinquième causerie April Pierre Muller, président de l'association Ordinateurs-de-vote.org, pour répondre à toutes vos questions sur le vote électronique. Pour mémoire, les questions sont à envoyer à causerie@april.org ou en message privé IRC au modérateur.
Compte-rendu de la causerie
Les questions sont en gras.
Bonsoir.
Question : Quels sont les principes sur lesquels repose le vote démocratique ?
Sincérité, unicité, transparence, confidentialité, anonymat sont les critères habituellement cités.
Question : Quels sont les arguments évoqués pour passer au vote électronique ?
Les principaux sont la modernité (c'est le progrès, c'est inévitable), le manque de scrutateurs, faire des économies.
Question : Ne crains-tu pas qu'une fois les élections passées, l'intérêt pour ce débat retombe et qu'on se retrouvera avec les mêmes problèmes lors des prochaines élections parce qu'aucun débat de fond n'aura eu lieu ?
C'est fort possible, je redoute l'été prochain en particulier. Les militants risquent de s'évaporer. Toutefois les élections municipales créeront une tension au moins aussi forte que la présidentielle.
Question : Tu indiquais modernité, manque de scrutateurs et économies comme arguments principaux. Que penses-tu de ces arguments ?
La modernité pour la modernité, ça n'a pas de sens. Le manque de scrutateurs, bien que peu évalué, semble réel. Mais on n'a jamais rien fait pour y remédier. Les mairies annoncent amortir les machines entre 2 et 18 scrutins, et aucune de ces évaluations n'est publiée. Il y en a donc forcément de fausses.
Question : On a parfois entendu d'autres arguments comme l'économie de papier (écologie), la vitesse de dépouillement, la prise en compte du vote blanc, et même par les plus geeks, la possibilité d'utiliser d'autres méthodes de vote comme le vote Condorcet. Qu'en penses-tu ?
L'écologie est le plus bidon : commençons par nos boites aux lettres, des kilos chaque année comparés aux quelques grammes d'un bulletin. La vitesse de dépouillement n'intéresse guère que les élus. Le vote blanc pourrait être pris en compte avec des bulletins marqués « blanc ». D'autres pays utilisent des méthodes de vote différentes, mais pourtant dépouillées à la main. Mais il est vrai que la complexité de leur dépouillement a été une raison de passer au vote électronique (Australie, Irlande - tentative avortée).
Question : L'appel mondial pour une e-démocratie libre (http://www.edemocratie-libre.org/) lancé par l'ASS2L demande notamment que « le vote électronique [soit] compatible avec les exigences des standards ouverts et des Logiciels libres ». Le logiciel libre est-il une condition nécessaire et suffisante ?
Nécessaire, mais pas suffisante. On aura beau publier le code source sur internet, on ne sait pas vérifier si chaque machine dans chaque bureau de vote le fait bien tourner, du moins de façon réalisable à l'ouverture d'un bureau de vote. Accessoirement, le logiciel libre n'apporte pas grand chose par rapport à la simple publication, parce que la lourdeur - nécessaire - d'une certification, n'incite pas vraiment à le modifier régulièrement et sans contrôle strict.
Question : Le vote électronique (et notamment la possibilité de mettre en pratique des méthodes telles que le vote Condorcet) peut présenter des avantages. Tu es opposé au vote électronique pour les votes institutionnels mais quid des autres votes (élections de syndicats, vote dans des sociétés, associations...) ? Quels sont les critères qui peuvent rendre le recours au vote électronique acceptable ?
Les raisonnement sont les mêmes. On ne peut qu'espérer que les enjeux sont moindres, donc un risque de fraude plus faible et acceptable.
Question : Qu'est-ce qui t'a personnellement poussé à t'impliquer dans ce dossier et comment envisages-tu l'avenir (idées d'actions...) ?
C'est plutôt égoïste ;-). C'est quand ma propre commune s'est équipée. On explore depuis peu les pistes juridiques, c'est prometteur, et déjà on ne pourra plus dire : le vote électronique, zéro contentieux. Les candidats à la législative seront interpellés, notamment dans les villes « électroniques ».
Question : Grosso modo quelle est la position des différents partis politiques par rapport au vote électronique pour les élections institutionnelles ?
Tout le monde est contre, sauf l'UMP (au sein de laquelle quelques uns sont contre, comme Cazenave ou Brochand - maire de Cannes).
Question : Je reprends sur ma question précédente (sur les votes de type non institutionnels) : finalement le seul critère ne serait-il pas le degré de confiance dans les instances dirigeantes de la structure (entreprise, association..) qui met en place le vote ? Et que finalement dans une association, par exemple d'informaticiens, qui acceptent de voter électroniquement, cela montre que l'association est gérée paisiblement et en confiance ?
La confiance envers les administrations communales est considérée comme grande... Il n'en reste pas moins que l'élection est manipulable par très peu de personnes, par exemple à l'insu de ceux qui ont mérité cette confiance.
Question : Le zélateur en chef du vote électronique c'est André Santini, rallié depuis peu à Nicolas Sarkozy. Cela ne t'inquiète pas ?
Heureusement, l'intérêt de N. Sarkozy pour le vote électronique paraît plus faible.
Question : Penses-tu que le souci sur le vote électronique concerne les ordinateurs de vote actuellement utilisés ou que le vote électronique est condamné par essence ?
Je ne veux pas insulter l'avenir. Une percée scientifique est possible. En gardant à l'esprit que toute solution trouvée doit être compréhensible et contrôlable par le citoyen-électeur.
Question : Que dirais-tu du traitement médiatique sur le vote électronique, longtemps avant, juste avant, pendant et après la présidentielle ?
Comme dans d'autres cas, il y a eu un (petit) emballement juste avant l'élection. Mais certains journalistes continuent à suivre le sujet (8 à notre conf de presse ce matin).
Question : Globalement, quels sont les partisans du vote électronique ? Qui sont les opposants ?
Les partisans sont avant tout les élus qui s'en sont équipés. Pour la plupart, ils ont été mal informés. Les opposants sont au départ souvent des informaticiens, mais cela s'élargit maintenant.
Question : Après le vote électronique, on commence à évoquer le vote par Internet, en attendant le vote par SMS. Un commentaire ?
Le vote par internet est beaucoup plus complexe techniquement, et rajoute aux problèmes des ordinateurs de vote l'absence d'isoloir. On l'a testé en 2006 : élection de l'AFE (Assemblée des Français de l'Étranger). Le bilan est mauvais. À part l'Estonie (et non pas la Slovénie comme imagine M. Santini) aucun pays ne l'utilise à grande échelle.
Question : Est-ce que le vote électronique n'est pas une question de génération, et que dans 20 ans, habitués aux puces partout, les gens trouveront cela complètement normal ?
Ses problèmes ne seront pas résolus pour autant. Qu'il soit accepté ou non n'y change rien. Je pense pour ma part que le vote pourrait rester un geste à part, très différent des actes presse-bouton de notre quotidien.
Question : Ordinateurs-de-vote.org a mis en place une pétition électronique (85105 signatures à cet instant). Pourquoi une pétition électronique et pas du vote électronique ?
Il n'y a pas d'anonymat dans une pétition. Elle est vérifiable (du moins par son destinataire - le Président, pour des raisons de protection des adresses des signataires).
Question : Qu'espères-tu pour les législatives côté vote électronique ?
Que des futurs députés, qui verront sûrement arriver un projet de loi, s'engagent. Et que notre mouvement gagne en force. Dans douze villes, des recours ont été déposés lors du second tour. Cela a demandé beaucoup d'énergie, et de courage face à l'inertie opposée, pour employer un euphémisme.
Question : Quel message/quelle proposition d'action pour ceux qui liront cette causerie ?
Continuez à faire signer la pétition autour de vous, elle continue tant que ses demandes ne sont pas remplies. Dans les villes concernées, ceux qui veulent s'engager vraiment et concrètement, doivent nous contacter.
Question : Merci d'avoir répondu à toutes ces questions. Un dernier mot à ajouter ?
Nous, citoyens-électeurs, devons nous remettre en tête que le contrôle de l'élection nous appartient. Nous vivons en démocratie représentative, c'est-à-dire que nous déléguons notre pouvoir à chaque élection. Le jour de l'élection est le seul où nous exerçons directement le pouvoir. Est-ce raisonnable de le déléguer à des techniciens ?
La causerie suivante sera consacrée à « Wikipédia et le contenu libre » avec David Monniaux, membre du conseil d'administration de Wikimédia France et membre de l'April, le mercredi 16 mai 2007 à partir de 21h. Merci à tous les participants et à bientôt.
Note : merci à Frédéric Couchet et Loïc Dayot pour les questions transmises avant et pendant la causerie.