Brevet unitaire, quand le château de cartes finit enfin de s'écrouler

La cour constitutionnelle allemande, le 20 mars 2020, a déclaré inconstitutionnelle la ratification nationale de l'accord portant création d'une juridiction unifiée du brevet, ou UPC pour Unified Patent Court en anglais. Loin d'être anodine, cette décision pourrait bien enterrer définitivement ce projet : la ratification allemande est une des conditions d'entrée en vigueur de l'accord, elle-même condition d'entrée en vigueur du réglement créant le brevet unitaire. Un château de cartes !

L'entrée en vigueur du règlement créant le brevet unitaire (PDF) est conditionnée, article 18 du règlement qui en porte création, par celle de l'accord sur une juridiction unifié du brevet (PDF), l'UPC, dont la fonction serait en somme de centraliser à un niveau européen la délivrance, le contrôle et les contentieux sur les brevets. L'accord sur cette juridiction n'entrant quant à lui en vigueur qu'à la condition que « les trois États membres dans lesquels le plus grand nombre de brevets européens produisaient leurs effets au cours de l'année précédant » sa signature l'aient ratifié au niveau national (article 89, en l’occurrence l'Allemagne, la France et le Royaume-Uni). En déclarant inconstitutionnelle la ratification par le législateur allemand qui n'aurait pas respecté les conditions de majorité qualifiée, la cour constitutionnelle de cet État a fait s'écrouler tout l'édifice d'un projet qui faisait porter un danger très sérieux sur le logiciel libre. On notera d'ailleurs que la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, le « Brexit », avait déjà mis un sérieux coup aux fondations puisqu'il n'était plus dès lors un « État membre ».

L'UPC serait juge et partie d'un système dont elle tire ses revenus, donc les moyens même de son action : plus elle délivre de brevets, mieux elle se porte. Et par sa fonction de juge, elle serait en mesure de dessiner une jurisprudence à l'interprétation très généreuse des critères de licéité des brevets délivrés. Par exemple ce qui est qualifiable ou non de « programmes d'ordinateur » qui, « en tant que tels », sont exclus du champ des inventions brevetables (article 52 de la convention sur le brevet européen). Le pouvoir d'interpréter, de dire, est déterminant en droit.

L'April, qui avait activement participé à la lutte contre la mise en place du « pack du brevet unitaire » dans le cadre de sa lutte plus large contre les brevets logiciels, ne peut que se réjouir de cette décision salutaire de la haute cour allemande, même si le coup de grâce vient davantage d'une question de technicité juridique, aussi importante soit-elle, que d'une réelle décision politique contre un projet inique de privatisation des savoirs logiciels. Difficile d'affirmer sans l'ombre d'un doute que ce projet ne renaîtra pas de ses cendres. Mais, suite à cette décision, il ne le pourra qu'au prix d'importants efforts, donc de temps, et sans doute pas sans devoir faire peau neuve.

Pour en savoir plus sur le brevet unitaire et sur la lutte qui fut menée contre ce projet, vous pouvez visiter le site brevet-unitaire.eu. Il n'est plus mis à jour depuis la validation de l'accord par le Parlement européen en mai 2015, mais il contient de nombreuses informations. Nous vous invitons également à lire l'interview de Gibus — auteur du site et conseil bénévole sur les brevets pour l'April — donné à PC INpact en 2012 (devenu NextINPact depuis).