Benjamin Sonntag sur France Info à propos du vote sur la directive droit d'auteur
Titre : Benjamin Sonntag sur France Info à propos du vote sur la directive droit d'auteur
Intervenants : Benjamin Sonntag - Journaliste
Lieu : France Info
Date : 26 mars 2019
Durée : 4 min
Écouter l'entretien
Licence de la transcription : Verbatim
Illustration : Photo Annie Spratt publiée sur le site de La Quadrature - Licence Creative Commons BY-SA 4.0.
NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.
Transcription
Journaliste : Benjamin Sonntag est en ligne avec nous. Bonjour.
Benjamin Sonntag : Bonjour.
Journaliste : Vous êtes l’un des membres fondateurs de La Quadrature du Net1. Vous êtes inquiet du mode de cette directive, de cette réforme ?
Benjamin Sonntag : Tout à fait. On est inquiets pour plusieurs raisons. La première c’est que ces réformes du droit d’auteur n’ont jamais favorisé les auteurs, elles ont toujours favorisé ce qu’on appelle les ayants droit, c’est-à-dire l’industrie. On parle de gros industriels qui gèrent des pools d’artistes un peu comme du bétail ; ces directives n’ont jamais favorisé les artistes.
Journaliste : Mais les ayants droit sont aussi les auteurs eux-mêmes et les proches des auteurs, les familles, non ?
Benjamin Sonntag : Non, non ! Ça c’est ce que croit le public. Ces ayants droit ayant énormément de fonds à leur disposition, ils produisent un lobbying extrêmement intense et la France est extrêmement touchée par ça. Donc on voit des députés copier-coller tels quels des arguments et des amendements, des articles mêmes de décrets produits par la Sacem, par les ayants droit, par Vivendi ou par d’autres boîtes de ce genre, mais ça n’a jamais aidé les auteurs.
Journaliste : Pardon. Il faut rester un peu sur ce point parce que c’est important. Quand on achète un disque dans le commerce, l’argent qui est ensuite réparti par la Sacem va aux ayants droit et notamment aux auteurs, aux artistes ; on est d’accord ?
Benjamin Sonntag : Tout à fait. Ça va aux auteurs avec des ratios qui sont souvent très faibles et les auteurs n’ont jamais gagné à ce que les lois soient plus dures sur l’accès à leurs œuvres.
Journaliste : D’accord. Donc là sur le Net, en attendant, ils ne touchent rien du tout, c’est ça ?
Benjamin Sonntag : Non ! Ils ne touchent pas rien du tout. Il y a énormément de plateformes qui existent. Nous on a toujours défendu une vision du droit d’auteur où il y aurait des systèmes de redistribution qui permettent aux auteurs de mieux vivre de leurs œuvres. On en parlait déjà à l’époque d’HADOPI, il y avait des gros débats là-dessus et on constate que l’opinion est vraiment très touchée par le lobbying massif de ces ayants droit. On entendait par exemple hier monsieur Cavada dire qu’il y avait des manifestants et qu’ils étaient payés par les GAFAM ; on aimerait bien qu’il montre des preuves de cela, parce que ce lobbying-là quand il commence à mentir ça devient grave en termes de respect du citoyen, vous voyez.
Journaliste : D’accord. Sur le fond de l’affaire vous dites la liberté du Net et le respect du droit d’auteur ça n’est pas incompatible, on pourrait trouver des systèmes qui combinent les deux.
Benjamin Sonntag : Ça n’est pas du tout incompatible. On peut trouver des systèmes, on pourrait trouver des systèmes qui combinent les deux.
Journaliste : C’est quoi ? La licence globale2, par exemple, ce fameux système dont on parlait à l’époque ?
Benjamin Sonntag : Par exemple des systèmes de licence globale qu’on a toujours appelés de nos vœux mais qui n’arrangent pas les ayants droit parce qu’ils perdraient un peu le contrôle sur la répartition pour eux des œuvres, des droits touchés, et ça ne les arrange pas. Cela dit, le principal problème qui nous touche c’est en effet l’automatisation de la censure ; je voudrais insister là-dessus, si je peux me permettre, parce qu’on n’en a pas parlé.
Journaliste : Allez-y.
Benjamin Sonntag : Le problème c’est qu’aujourd’hui, en imposant aux grandes plateformes de mettre des systèmes de blocage et de censure automatisés, on met en place des infrastructures de censure au cœur du réseau de l’Internet.
Journaliste : C’est-à-dire que la création, la créativité va en souffrir ?
Benjamin Sonntag : Tout à fait. Quand bien même il y a un droit, par exemple il y a le domaine public qui est là, il y a le droit au pastiche, le droit à l’ironie, tout un tas de droits, le droit de citation qui peuvent s’appliquer, les systèmes automatiques de censure ne sont pas du tout prêts à comprendre ces concepts-là, donc il n’y a aucune défense possible face à un ordinateur. Combien de fois l’un ou l’autre d’entre nous, nous sommes retrouvés face à un ordinateur avec quelqu’un qui nous dit : « C’est la faute de l’ordinateur ». Eh bien c’est ce qui va se passer sur ces grosses plateformes. Et quand bien même la loi, la directive européenne actuellement votée ne s’applique qu’aux grosses plateformes, à la Quadrature du Net et tous les activistes qui parlent et qui connaissent le système législatif vous le diront il y a ce qu’on appelle le mission creep, c’est-à-dire le fait qu’une loi qui s’applique à un ensemble d’individus ou de sociétés données à un instant t finit toujours par s’appliquer à tout le monde. Donc nous, on craint vraiment cette extension du domaine de la censure des grandes plateformes vers des systèmes plus petits ou des sociétés de plus petite taille, même vers des individus isolés.
Journaliste : Bien. Merci beaucoup pour ces explications Benjamin Sonntag, membre fondateur de La Quadrature du Net.