Loic Dachary
J'ai rencontré le logiciel libre en 1987 sur un Vax 750 (8 Mb RAM) avec l'éditeur Emacs. Justifiant son acronyme (Eight Megabytes And Constantly Swapping), il m'a valu bien des soucis avec mon administrateur système. Interdit de l'utiliser durant les heures de bureau, je me suis autoconsacré martyr du progrès et combattant de la liberté. Utilisateur frustré, je collectionnais sur des bandes magnétiques les logiciels GNU que je ne pouvais pas pratiquer. J'en faisais copie à mes amis, aux amis de mes amis et finalement à de parfaits inconnus. Ce travail de copiste m'a valu de rencontrer Richard Stallman, joueur de pipeau à l'humour decalé, incidemment cause de mes ennuis.
En 1990, j'ai eu la chance de travailler à un portage d'Unix V.3 sur plateforme 68030. L'utilisation de GCC pour compiler le kernel a permis de gagner 20% de performances. Ce succès m'a poussé à démissionner pour me consacrer à la fabrication et à la diffusion du logiciel libre en créant l'association GNA. Je courais partout pour récupérer des machines, des modems, de la connectivité, distribuer des copies et organiser des conférences avec Richard Stallman. Après un an d'agitation, une dizaine de machines et 200 personnes utilisant les modems pour se connecter à Usenet, je réalisais que la fabrication de logiciel libre était l'enfant pauvre de l'association.
Programmeur dans l'âme, je vivais comme une honte de ne pas être l'auteur d'un logiciel. J'avais bien écrit du code et contribué à des patches, certes. Mais pas un n'était mon bébé à moi. Je me suis donc juré de ne faire que du développement et de laisser tomber le public relation. A mon grand dam, les années suivantes ont montré que je ne savais pas développer. Il existe une grande différence entre produire un morceau de code en deux ou trois mois et construire et maintenir un logiciel sur une ou plusieurs années. J'ai donc été apprenti jusqu'en 1995. Je dois une reconnaissance éternelle à Jean-Daniel Fékete et Erick Brière : j'ai été assez insupportable durant cette période.
L'essor d'Internet m'a fait faire le grand saut en créant le moteur de recherche Ecila, un petit programme fait de mes mains que les gens utilisent pour de vrai. Parjure à mon serment, j'ai joué le rôle de chef d'entreprise et de commercial jusqu'en 1998, date de l'intégration du moteur dans l'actuel IBazar Group. J'ai pu alors me consacrer à plein temps à la conception et au développement des logiciels de recherche d'information que l'on trouve sur le site www.senga.org.
L'immersion dans l'univers du logiciel libre et du développement contributif m'ont permis de publier un module CPAN (Catalog) et un produit GNU (mifluz). Pour y parvenir, j'ai aussi participé de façon active à des produits tels que SWIG ou Ht://Dig. Avant que SourceForge apparaisse, je devais aussi passer un temps conséquent à maintenir les outils du site de distribution de Catalog et mifluz (www.senga.org).
Durant les années à venir, je continuerais à développer Catalog et mifluz, avec ou sans salaire. L'entreprise à laquelle je me dévoue désormais est celle du logiciel libre. Mon objectif est de produire des solutions logiciel libre pour la recherche d'information. La seule barrière à mon activité est l'énergie que je peux y consacrer. Contrairement à un projet d'entreprise, l'objectif sera atteint quoi qu'il arrive. Dans quelques années, les logiciels libres de recherche d'information seront disponibles et couvriront toute la palette des besoins. J'aimerais y jouer un rôle majeur, vanité oblige, mais en aucun cas je n'en serais exclu parce que l'entreprise me licencie ou parce qu'un concurrent la pousse à la faillite.