Propriété, biens communs

Introduction

(Ce texte est une adaptation de la quatrième de couverture du livre "Cause commune: l'information entre bien commun et propriété", Editions Fayard, parution le 2 février 2005.)

L'information et ses technologies refaçonnent notre univers technique, social et éthique, mais ces bouleversements se font dans deux directions opposées selon que l'on choisit d'en encourager l'appropriation privée ou d'en faire des biens communs.

D'un côté, l'extension des domaines couverts par les brevets (molécules pharmaceutiques, variétés végétales, séquences génétiques, logiciels) restreint, pour le profit de quelques multinationales, l'accès à des ressources essentielles telles que les médicaments, les semences et l'information. La concentration des médias - notamment audiovisuels - menace la démocratie là où elle existe.

De l'autre côté, la production et le partage de l'information et des créations sont plus libres qu'avant, et la multiplication des échanges esquisse une société mondiale, diverse et solidaire. Les médias coopératifs, les logiciels libres, les publications scientifiques ouvertes et les autres biens communs réinventent la démocratie.

Les acteurs de ces nouveaux domaines doivent parvenir à faire cause commune par-delà ce qui sépare les logiciels des ressources biologiques, ou l'art des sciences. Ils doivent également être capables de dépasser les limites des domaines qu'ils défrichent et parvenir à les articuler avec d'autres enjeux sociaux :

C'est en retraçant les causes et les origines d'une situation paradoxale et les tensions qu'elle suscite que l'on peut retrouver les voies d'uune politique qui remette les êtres humains aux commandes de ces transformations.

Note : après avoir été chercheur scientifique puis acteur des politiques européennes, Philippe Aigrain est aujourd'hui l'un des animateurs du mouvement mondial pour les biens communs informationnels. Il dirige une société qui développe de nouvelles formes de débat public sur les orientations politiques.

Batailles dans l'immatériel (numéro 14 du 15 mai 2004)

Sur la liste escape_l, Philippe Aigrain a lancé un débat sur un « domaine public payant » suite à la proposition du ministre français de la culture. L'initiative EUCD.info a publié un communiqué de presse pour dénoncer « une tentative de détournement de la loi Informatiques et Libertés visant à autoriser la création de milices privées. », mais le texte a été adopté en seconde lecture par l'Assemblée nationale française (voir les messages de Maurice Ronai et Florent Latrive). Faisant suite à la campagne publicitaire du Syndicat National de l'Édition Phonographique (SNEP), qui fait un doigt aux internautes et assimile partage et vol, la réponse d'une partie des internautes via generationmp3.com est on ne peut plus claire. La « Loi sur l'Économie Numérique », évoquée plusieurs fois dans la Sélection, a été adoptée en France, mais le Conseil Constitutionnel pourrait être saisi.

EDRI-gram 2.9 (numéro 14 du 15 mai 2004)

Au sommaire du dernier numéro de l'EDRI-gram (lettre sur les droits civiques dans l'espace numérique), il est notamment question de la directive européenne sur le droit d'auteur (EUCD), de la Loi française sur l'Économie Numérique (LEN), de vote électronique, d'entente illicite entre les sociétés de collecte des droits d'auteurs et du traité de l'organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) sur les « broadcasters ».

Traité dits « des (broad)casters » (numéro 15 du 13 juin 2004)

IP Justice a publié un communiqué et un rapport sur le « traité des casters » de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI). IP Justice demande le rejet du traité qui augmente inconsidérément la durée de la protection, contient les mêmes travers que le Digital Millenium Copyright Act (DMCA) sur le contournement des dispositifs de protection, est basé sur « de la mauvaise science », menace la liberté d'expression et réduit le domaine public. La liste des dix principales raisons de repousser le texte est disponible sur leur site. L'EDRI (European Digital Rights) est aussi opposée au texte.

Batailles dans l'immatériel (numéro 15 du 13 juin 2004)

Le 29 mai a eu lieu une manifestation à Paris qui a rassemblé entre 1000 et 1300 personnes pour protester contre un ensemble de textes législatifs en préparation ou d'ores et déjà adoptés (loi de confiance dans l'économie numérique (LEN), la loi Informatique et Libertés, le paquet Télécoms, loi sur le droit d'auteur et les droits voisins dans la société de l'information (DADVSI), la directive relative à la brevetabilité des inventions mises en oeuvre par ordinateur, etc.). Organisée et soutenue par de nombreuses associations ainsi que des partis politiques et des syndicats, la manifestation a été couverte par de nombreux médias. La FSF France a écrit une lettre ouverte au Premier ministre français et à son Ministre de la Culture pour demander un report de la transposition de la DADVSI. ZDNet rapport les propos d'un « officier supérieur de l'armée (qui) tire à boulets rouges sur la LCEN », qui fait d'ailleurs l'objet d'une saisine du Conseil constitutionnel par l'opposition. L'association Imaginons un réseau Internet solidaire (IRIS) et la Ligue des Droits de l'Homme ont adressé leurs observations au Conseil constitutionnel, et Reporters Sans Frontières (RSF) nous apprend aussi que le ministre délégué à l'Industrie « fait confiance à la jurisprudence pour régler les "ambiguïtés" de la LEN »...

Batailles autour de l'immatériel (numéro 16 du 27 juillet 2004)

Florent Latrive a signalé sur la liste escape_l les commentaires de l'association CPTech à l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) sur les relations entre vie privée et exercice du copyright, abordabilité et contrefaçon, exercice du copyright et contrôle des pratiques anticoncurrentielles, mais aussi sur les abus dans les poursuites, etc. La Foundation for a Free Information Infrastructure (FFII) a publié une analyse du texte de Constitution européenne. Un projet de loi baptisé Digital Media Consumers Rights Act (DMCRA) a été proposé pour « contrebalancer » le Digital Millenium Act (DMCA) et restaurer le droit au « fair use » des citoyens américains. Le Conseil économique et social français a suggéré de créer un « domaine d'oeuvres tombées dans le domaine public, mais dont l'utilisation serait soumise à des droits », reclôturer le domaine public donc, et aussi de « mettre à contribution les fournisseurs d'accès à Internet ». L'hebdomadaire satirique français Charlie Hebdo a publié le 16 juin un portrait sur Richard Stallman intitulé « La main de la gratuité dans la culotte des majors ». Une nouvelle campagne d'influence semble en cours autour du hit d'Elvis en tête des ventes pour éviter son entrée prochaine dans le domaine public au Royaume-Uni.

Batailles autour de l'immatériel (numéro 17 du 18 août 2004)

Florent Latrive a collecté pour la liste escape_l un large éventail de réactions à la charte fournisseurs d'accès Internet/producteurs/gouvernement français sur le P2P. Il signale aussi un projet de loi américain baptisé Induce Act sur la contrefaçon, soutenu par les gros éditeurs de logiciels propriétaires et qualifié de « charge massive » et de trompeur par ses détracteurs. Sur Kuro5hin.org, Lee Braiden a publié une lettre ouverte contre l'endoctrinement autour du copyright dans les écoles britanniques. Christophe Espern a signalé sur la liste fsfe-france que « la ligue ODEBI qui a été en pointe lors du combat sur la LEN vient de publier un communiqué de presse où elle annonce qu'elle va désormais se battre contre les dispositions liberticides des projets de loi réformant la LIL et transposant l'EUCD », et a aussi commenté la décision du Conseil constitutionnel français sur la loi Informatique et libertés.

EDRI-gram 2.12 à 2.15 (numéro 17 du 18 août 2004)

Au sommaire des derniers numéros de l'EDRI-gram, la lettre sur les droits civiques dans l'espace numérique, il est notamment question dans le numéro 2.12 des élections européennes, de la Loi sur la Confiance dans l'Économie Numérique, d'un possible procès antitrust contre Microsoft en Bulgarie, d'une nouvelle bibliothèque d'Alexandrie, l'Internet Archive, du rejet de l'extension de la durée des droits d'auteur à 70 ans en Russie et de la Bulgarie qui se tourne vers le libre ; dans le numéro 2.13, de la Commission européenne qui lance le INDICARE pour rendre les DRM (« Digital Rights/Restrictions Management ») plus acceptable, du rapport de la réunion préparatoire du Sommet Mondial sur la Société de l'Information (SMSI), des dix ans des accords TRIPS/ADPIC (Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce) et du rapport « Internet sous surveillance 2004 » de Reporters sans Frontières ; dans le numéro 2.14, des parlements nationaux qui défient le Conseil européen sur la directive sur les brevets sur les logiciels et du bilan des Rencontres Mondiales du Logiciel Libre 2004 ; enfin le numéro 2.15 traite en particulier de la migration vers le libre de Munich menacée par les brevets et d'une consultation publique sur les DRM lancée par la Commission européenne.

Manifestations diverses (numéro 18 du 22 septembre 2004)

Le Sommet mondial de la communauté KDE (« KDE Community World Summit ») a eu lieu fin août à Ludwigsburg, en Allemagne, et s'est terminé avec la première Journée internationale de la liberté du logiciel (« International Software FreedomDay ») le 28. L'association Temps Nouveaux et la Section Culture du Parti Socialiste ont organisé le 18 septembre un colloque à l'Assemblée Nationale française sur le thème « P2P : culture et information pour tous ? » et lance un « appel pour la légalisation du P2P et des échanges musicaux sur le net ». Du 18 au 26 septembre se déroule la semaine québécoise de l'informatique libre. Deux salons LinuxWorld se dérouleront les 22-24 septembre à Milan, et les 29-30 septembre à Tokyo.

Batailles autour de l'immatériel (numéro 18 du 22 septembre 2004)

Hervé Brunel a rédigé des analyses du projet « Droits d'Auteur et Droits Voisins dans la Société de l'Information » (DADVSI), transposant en France la directive européenne « Droit d'auteur » (European Union Copyright Directive), et de la modification 2004 de la Loi Informatique et Libertés (LIL). Une traduction en français du livre « Free Culture » de Lawrence Lessig est en cours. Jean-Baptiste Soufron a signalé sur LinuxFr les conclusions du procès fait à Grokster et Streamcast : aux États-Unis, les développeurs de logiciels P2P ne sont pas responsables des utilisateurs (et le P2P y est aussi légal que le magnétoscope). Les grandes manoeuvres autour des mesures de contrôle des oeuvres numériques (DRM) se poursuivent : Microsoft, confronté à un problème d'interopérabilité avec Apple, explique comment contourner ses propres mesures techniques de protection, comme l'a remarqué Christophe Espern sur la liste fsfe-france, et est suivie par la FNAC.

Batailles autour de l'immatériel (suite) (numéro 18 du 22 septembre 2004)

Bernhard Reiter de la FSF Europe a été interviewé par Tom Chance et s'est exprimé notamment sur les brevets logiciels et les DRM. Jean-Baptiste Soufron évoque la limitation de la portée du Digital Millenium Copyright Act (DMCA) par une cour américaine : « le public devrait pouvoir désactiver les dispositifs anti-contournement pour exercer les droits qui leurs sont reconnus par les lois sur le copyright ». Florent Latrive signale un jugement surprenant : « un sample, même non reconnaissable, même très court et même remixé, est illégal aux États-Unis sans autorisation des ayant-droits ». Philippe Aigrain a signalé la traduction en français de la Déclaration de Genève prononcée par « des ONG et intellectuels (...) pour demander à l'OMPI de réorienter fondamentalement ses missions et ses actions. » Un accord entre les États-Unis et le Chili tend à assouplir les conditions d'applications du DMCA au Chili.

Batailles autour de l'immatériel (numéro 19 du 13 novembre 2004)

Dans un article ZDNet, « le président de la CNIL, Alex Türk, rappelle que les traitements automatisés d'infractions à la propriété intellectuelle sont soumis à autorisation de ladite CNIL » (Commission nationale de l'informatique et des libertés). Aux États-Unis, la Cour Suprême ne laisse pas non plus la Recording Industry Association of America (RIAA) collecter les données nominatives des présumés contrefacteurs sans les avertir et sans passer par un juge. Jérémie Zimmermann évoque sur la liste escape_l l'effet de la directive européenne E-Commerce (transposée en France via la Loi sur la Confiance dans l'Économie Numérique) sur la liberté d'expression : 7 fournisseurs d'accès Internet néerlandais sur 10 « retirent un contenu "manifestement illicite", prévenu par un mail anonyme depuis hotmail, alors que ce contenu est en fait dans le domaine publique... ». Christophe Espern revient sur les étranges dépenses de personnel des sociétés de perception et de répartition des droits d'auteur (évoquées dans le rapport de la commission de contrôle).

OMPI (numéro 19 du 13 novembre 2004)

Philippe Aigrain a mentionné la décision de l'assemblée générale de l'Organisation Mondiale la Propriété Intellectuelle (OMPI) « de reporter à la prochaine assemblée (dans un an) toute décision sur la convocation éventuelle d'une conférence diplomatique sur le traité des télédiffuseurs ». Il a aussi publié une traduction de la transcription de l'intervention du délégué de l'Inde à l'Assemblée Générale de l'OMPI, qui contient notamment « les droits de propriété intellectuelle ne doivent pas être vus comme un domaine autonome et distinct, mais comme un instrument efficace de politiques visant des objectifs socio-économiques et de développement technologique les plus larges. ». Un grand nombre d'organisations s'associent à la déclaration de Genève sur le futur de l'organisation internationale de la propriété intellectuelle, et proposent de la remplacer par une « Organisation mondiale pour la richesse intellectuelle » (WIWO).

P2P (numéro 19 du 13 novembre 2004)

Le Forum des Droits sur l'Internet publie son État des lieux 2004 sur le P2P. L'Electronic Frontier Foundation publie un guide destiné aux développeurs de logiciels P2P. Le Journal du Net affirme dans un article que « la copie et le téléchargement de musiques et de films en peer to peer sans but lucratif ne seront plus considérés comme des délits en Espagne » et l'utilisation de systèmes de DRM (« Digital Rights/Restrictions Management ») y deviendrait illégale ; le site Ratatium a émis cependant quelques réserves sur ces interprétations. Le « grand show antipirates de l'industrie du disque » est lancé en France, avec la multiplication des poursuites individuelles contre les utilisateurs de réseau P2P (dont l'affaire de Rodez, avec une relaxe suivie d'un appel du parquet), entraînant des « réactions d'hostilité croissantes » (associations de consommateurs UFC-Que Choisir et CLCV, sociétés civiles d'artistes-interprètes ADAMI et Spedidam, moratoire demandé par le parti socialiste, association des audionautes, etc.). Jean-Baptiste Soufron a publié un compte-rendu de la conférence « Les défis du P2P » qui s'est déroulée au Sénat français le 28 septembre.

EDRI-gram 2.19 à 2.21 (numéro 19 du 13 novembre 2004)

Au sommaire des derniers numéros de l'EDRI-gram, la lettre sur les droits civiques dans l'espace numérique, il est notamment question dans le numéro 2.19 des fournisseurs d'accès Internet néerlandais qui suppriment sans vérification un contenu dans le domaine public, de censure sur le web en Allemagne, des puces RFID, de la nouvelle Commission européenne, des Big Brother Awards suisses, de la conférence de l'Organisation Mondiale sur la Propriété Intellectuelle, du spam/pourriel ; dans le numéro 2.20 des DRM, de la conférence FIPR sur le droit d'auteur à Cambridge, du report de l'examen de la directive sur les brevets logiciels, des Big Brother Awards néerlandais et du programme « Internet Safer Plus » ; et enfin dans le numéro 2.21 de la réponse de l'EDRI, co-signée par 19 autres associations, à la consultation européenne sur le droit d'auteur, des Big Brother Awards en Autriche, Allemagne et Espagne, d'identifiants ajoutés secrètement sur les impressions, d'une revue de code d'urne électronique en Irlande, des 15000 lobbyistes à Bruxelles et de la LEN française utilisée pour faire disparaître des sites web.

Batailles autour de l'immatériel (numéro 20 du 07 février 2005 (nov./déc. 2004))

La société belge des auteurs SABAM a attaqué le fournisseur d'accès Tiscali et obtenu l'interdiction de l'utilisation des logiciels de diffusion distribué (P2P). Les premières résiliations d'abonnements pour usage de P2P en France sont arrivées en décembre. Florent Latrive attire l'attention sur la liste escape_l sur le lobbying en cours pour la prolongation des droits voisins, en raison de la proximité de l'entrée d'Elvis Presley dans le domaine public, ainsi que sur le traité des diffuseurs (voir « Traité des "casters": le texte avance » et « Traité des diffuseurs: intégralité des débats du 18/11 »), ainsi que le message « Droits de diffusion sur l'internet: proposition américaine écartée à l'OMPI » de Cyril Rojinsky). IPJustice dénonce dénonce la pression exercée par l'Organisation Mondiale sur la Propriété Intellectuelle pour mettre en place le traité SCCRR sur les droits de diffusions de contenus audiovisuels ignorant les intérêts des artistes et des pays émergeants. La Free Software Foundation Europe est devenue un observateur de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (WIPO).