<infos@april.org>
La société Amazon a obtenu un brevet aux États-Unis (5.960.411) portant sur un procédé à mi-chemin entre logiciel et méthode intellectuelle. Il s'agit d'un brevet déposé sur un mécanisme clé du commerce électronique : le fait de stocker les coordonnées d'un utilisateur d'Internet dans un « cookie » afin de lui éviter de saisir son nom et son adresse à chaque commande (Pour comprendre les « cookies », envoi de données servant à identifier les utilisateurs sur Internet, voir Principe d'un cookie>). Ce brevet porte donc à la fois sur une pratique commerciale (le fait de se souvenir des coordonnées de ses clients) et sur un procédé technique (le fait de stocker des informations personnelles dans un « cookie »). Amazon a donc obtenu un brevet sur la combinaison d'une pratique commerciale connue et d'un procédé informatique connu, puisque le procédé informatique des cookies a été inventé par Netscape et non par Amazon.
Le problème dans cette affaire est qu'Amazon entrave aux États-Unis le développement commercial de ses concurrents en utilisant un dépôt de brevet sur un procédé quasi-évident et pour lequel son effort d'innovation semble bien faible.
Amazon n'est pas seul responsable de cette situation. L'Office américain des brevets est tout aussi responsable dans la mesure où il a modifié depuis 1996 ses règles d'examen en matière de brevets afin d'autoriser des demandes évidentes dans le domaine du logiciel ainsi que des demandes portant sur des méthodes intellectuelles (vente, conseil, organisation, éducation, etc.). Cette pratique est aujourd'hui décriée aux États-Unis et contestée dans son utilité par un nombre croissant d'économistes, car elle menace l'innovation. Et le fait que de grands acteurs puissent breveter des schémas d'organisation ou de commerce devient un frein au développement du commerce électronique dans les PME.
L'Europe pourrait se croire à l'abri de tels effets car la Convention de Munich prescrit la non brevetabilité des logiciels et des méthodes intellectuelles. Malheureusement, sous la pression commerciale des États-Unis, cette situation inquiétante pourrait y voir le jour prochainement. En effet, la Commission Européenne, et notamment la Direction générale du marché intérieur dirigée par John Mogg, persiste dans ses plans pour légaliser en Europe les brevets logiciels, sur la base de partis pris purement idéologiques, et au mépris des avertissements lancés par plusieurs centaines d'entrepreneurs européens du secteur du logiciel et plus de 34 000 professionnels de l'informatique (recensés sur http://petition.eurolinux.org/>).
En outre, les professionnels européens du brevet, et notamment la direction de l'OEB semblent n'avoir pour seul objectif qu'une augmentation de leurs revenus en faisant reculer toujours plus loin les limites de la brevetabilité par des interprétations du droit à la fois excessives et contraires à la volonté du législateur. L'OEB accorde ainsi des brevets sur le fait de "conserver dans un cahier unique tous les événements de gestion d'une entreprise" ou sur le fait de "conserver dans un fichier une liste de sites Web interdits à la consultation", en contradiction avec les textes. Il n'est donc pas impossible que le brevet d'Amazon, déposé en Europe sous la référence EP927945, soit accordé par l'OEB au mépris du droit et qu'Amazon attende une révision du droit européen pour pouvoir utiliser son brevet contre les sociétés de la nouvelle économie européenne.
Peu d'acteurs politiques français se sont exprimés sur la question du brevetage des logiciels, ce qui prouve que le débat de fond nécessaire à une décision de cette ampleur n'a jamais eu lieu. En revanche, des parlementaires français et européens d'horizons politiques différents se sont exprimés sur ce sujet et se sont accordés sur le fait qu'une légalisation des brevets logiciels en Europe ne pouvait avoir lieu sans une étude d'impact économique et sans un débat. De telles études n'ont toujours pas été publiées.
par Richard M. Stallman ( http://www.stallman.org/>)
Amazon a obtenu un brevet ( http://www.gnu.org/philosophy/amazonpatent.html>) aux USA (5.960.411) sur une idée importante et évidente du E-commerce : l'idée que la transmission de votre commande par un navigateur web pour acheter un article puisse acheminer des informations sur votre identité. (Cela fonctionne en renvoyant un "cookie", une sorte de code d'identification que votre browser a reçu précédement du même serveur).
Amazon a intenté un procès pour bloquer l'utilisation de cette simple idée, démontrant leur réelle volonté de la monopoliser. Ceci est une attaque contre le Word Wide Web et contre le commerce électronique en général.
L'idée en question est qu'une entreprise puisse vous donner quelque chose que vous pouvez ensuite leur montrer pour vous identifier et être accrédité. Ce n'est pas nouveau : une carte de crédit effectue le même travail, après tout. Mais le US Patent Office (équivalent de l'INPI) valide tous les jours des brevets sur des idées évidentes et bien connues. Parfois, le résultat est un désastre.
Aujourd'hui Amazon intente un procès à une grande entreprise. S'il s'agissait d'une simple dispute entre deux entreprises, il n'y aurait de conséquence publique importante. Mais le brevet donne à Amazon le pouvoir sur quiconque exploite un site internet aux USA (et dans chaque autre pays leur fournissant un brevet similaire)-- celui de contrôler toute utilisation de cette technique. Bien qu'une seule entreprise soit poursuivie aujourd'hui, cette issue affecte Internet globalement.
Amazon n'est pas le seul fautif dans ce qui se passe. Le US Patent Office est à blamer pour se reposer sur des standards dévalués, les tribunaux américains sont à blamer pour les avaliser. Et la loi américaine sur les brevets est à blamer pour autoriser des brevets sur des techniques de calcul et de traitement des données et des modèles de communication-- une politique néfaste en général. (Voir http://lpf.ai.mit.edu/> pour plus d'informations sur cette question.)
Des politiques gouvernementales farfelues ont fourni cette opportunité à Amazon, mais une opportunité n'est pas une excuse. Amazon a fait le choix d'obtenir ce brevet, et le choix de l'utiliser lors du procès. L'ultime responsabilité morale des actions d'Amazon incombe à ses dirigeants.
Nous pouvons espérer que le tribunal trouvera ce brevet légalement invalide. Cela dépend de faits détaillés et d'obscures technicités. Le brevet utilise des piles de détails plus ou moins pertinents pour essayer de faire de cette "invention" quelque chose de subtil.
Mais nous n'avons pas à attendre passivement que le tribunal décide de la liberté du E-commerce. Il y a quelque chose que nous pouvons faire dès maintenant : nous pouvons refuser de commercer avec Amazon. S'il vous plaît, n'achetez rien chez Amazon jusqu'à ce qu'ils promettent de ne plus utiliser ce brevet pour menacer ou limiter d'autres sites web.
Si vous êtes l'auteur d'un livre vendu par Amazon, vous pouvez fournir une aide précieuse à cette campagne en intégrant ce texte dans votre "préface", sur le site web d'Amazon. (Il apparait qu'ils refusent de poster ces commentaires pour les auteurs).
Si vous avez des suggestions, ou si simplement vosu soutenez le boycott, envoyez, s'il vous plaît, un email à amazon@gnu.org> pour nous tenir au courant.
La réponse d'Amazon aux personnes qui écrivent sur le brevet comporte une orientation subtilement fourvoyante qui vaut le coup d'être analysée :
The patent system is designed to encourage innovation, and we spent
thousands of hours developing our 1-Click (R) shopping
feature.
En Français :
La structure du brevet est conçue pour encourager l'innovation,
et nous avons consacré des milliers d'heures à
développer notre fonctionnalité 1-Click (R) shopping
-acheter en un clic.
S'ils ont réellement passé des milliers d'heures, ils ne l'ont certainement pas fait à réfléchir à la technique générale couverte par le brevet. Donc, s'ils disent la vérité, à quoi ont-ils passé ces heures ?
Peut-être ont-ils passé du temps à décrire l'application du brevet. Cette tâche fut assurément plus ardue que de réfléchir à la technique. Ou peut-être évoquent-ils le temps qu'il a fallu pour concevoir, écrire, tester et perfectionner les scripts et les pages web pour mettre en place des achats à un clic. Ce fut certainement un travail substantiel. En regardant leurs mots attentivement, il semble que les "milliers d'heures de développement" puisse inclure chacun de ces deux aspects.
Mais le problème ici n'est pas à propos des détails de leurs scripts (qu'ils ne nous ont pas diffusés) et des pages webs (qui sont sous copyright de toutes façons). Le problème réside ici dans l'idée générale, et si Amazon devrait en avoir le monopole.
Sommes-nous, vous ou moi, libres de passer le temps nécessaire à écrire nos propres scripts, nos propres pages web pour proposer des fonctionnalités d'achat à un clic ? Même si nous vendons autre chose que des livres, sommes-nous libres de le faire ? Là est la question. Amazon cherche à nous priver de cette liberté, avec l'aide empressée d'un gouvernement américain mal avisé (ou pire).
Lorsque Amazon diffuse des formulations intelligemment dévoyées telles que celle mentionnée ci-dessus, cela démontre une chose importante : ils sont très attentifs à ce que le public pense de leurs actions. Ils doivent être attentifs--ils sont détaillants. Une aversion du public peut avoir des conséquences sur leurs profits.
Certaines personnes mettent en avant que le problème des brevets sur les logiciels va bien au delà d'Amazon, que d'autres entreprises auraient pu agir de façon similaire, et que le boycott d'Amazon ne changera pas directement la loi sur les brevets. Bien sûr, tout ceci est vrai. Mais ça n'est pas un argument contre ce boycott !
Si nous mettons en place un boycott fort et durable, Amazon pourrait éventuellement faire une concession pour y mettre un terme. Et même s'ils ne le font pas, la prochaine entreprise disposant d'un brevet logiciel outrageux qui envisagerait de faire un procès à quelqu'un réalisera qu'il y a un prix à payer. Elle pourrait reconsidérer la question.
Le boycott peut aussi aider à modifier la loi sur les brevets--en attirant l'attention sur la question et en propageant la demande de changement. Et il est si facile de participer qu'il n'y a pas de raison d'être découragé dans ce cas. Si vous êtes d'accord sur la question, pourquoi ne pas boycotter Amazon ?
Pour nous aider à diffuser cette information, faîtes, s'il vous plaît, une note sur le boycott sur vos pages web personnelles, et créez un lien vers cette page, une information à jour y figurera.
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A partir de mon navigateur, je décide d'aller voir ce qui se passe sur le site www.meilleur-cocktail.com. Une fois cette adresse tapée, mon navigateur envoie une demande aux ordinateurs de mon fournisseur d'accès. Ceux-ci vont dans un premier temps scruter leurs bases d'adresses web pour savoir sur quel ordinateur dans le monde se trouve le site que je recherche. Une fois trouvé, ma demande est transmise à l'ordinateur en question.
Celui-ci renvoie à mon navigateur la page d'accueil du site www.meilleur-cocktail.com, laquelle page contient notamment une instruction qui consiste à définir un numéro d'identification correspondant à ma connexion. Si mon navigateur le permet, cet identifiant va alors être écrit dans un fichier de mon disque dur, et ce fichier s'appelle parfois cookies.txt
Mais pourquoi donc ?
Admettons que je souhaite commander le "libre cocktail du soir" avec livraison immédiate si ce service existe (le cocktail existe quant-à-lui :). Après avoir choisi le cocktail en question, je vais devoir fournir différentes informations : mes coordonnées bancaires et mon adresse de livraison.
Admettons maintenant que le lendemain soir, séduit par la qualité gustative de mon breuvage de la veille, je décide d'en faire profiter quelques amis que j'invite dans mon humble demeure. Tous ensemble, nous retournons nous connecter sur le site pour commander nos best-of du soir. Une fois que chacun a fait son choix et que la commande est complète, il va falloir passer quelques minutes supplémentaires à fournir mon adresse de livraison et mes coordonnées bancaires ... et là magiquement, au même titre que mon navigateur peut écrire un numéro d'identification dans un fichier de mon disque dur, il peut également le lire, et le renvoyer au site alcoolique. Dès lors, celui-ci le reçoit, il lance une recherche dans sa base de données clients et trouve immédiatement mon profil bancaire et mes coordonnées. Je n'ai plus qu'à cliquer sur le bouton :"Oui, je veux une livraison immédiate et je veux que mon compte soit débité du montant de ma commande" pour que ma demande soit prise en compte et que l'on passe une soirée délicatement arrosée.
Nous venons royalement d'effectuer une commande en un clic (si on oublie bien sûr tous les clics nécessaires à la sélection de la commande).
Et grâce à qui ? Grâce à l'ingéniosité de quelques-uns qui ont pris le temps d'intégrer cette fonctionnalité -qui est une des bases des échanges entre ordinateurs- dans les navigateurs que nous utilisons.
Et que se passe-t-il un jour ? Des spécialistes de la VPC électronique décident de charger une équipe de juristes de la rédaction de la méthode "Commander en x clics, x = 1", pour obtenir le brevet relatif à cette méthode auprès des organismes officiels compétents.
Et ils l'obtiennent ! Satisfaits du travail de leur équipe et du bon tour qu'ils viennent de jouer à l'ensemble de la communauté, ils décident de boire un coup pour fêter le futur procès qu'ils vont pouvoir intenter à tous les concurrents susceptibles d'utiliser cette technique triviale, et notamment ceux qui marchent sur leurs plates-bandes commerciales, et du coup créer la jurisprudence afférente.
Bon, moi je vends des huîtres de Bretagne sur Internet. Pas beaucoup, mais c'est quand même très pratique pour mes clients qui ont juste à se connecter sur mon site pour recevoir leurs deux douzaines dans la journée. Alors tant que les VPCistes ci-dessus n'ont pas décidé de se positionner sur ce marché, je suis à peu près tranquille. Oui mais jusqu'à quand ? Et bien, il suffit d'attendre... parce qu'en Europe, il existe une convention spécifiant que le dépôt de brevet sur un programme informatique en tant que tel n'est pas valable. Et il se pourrait qu'aux alentours du mois de novembre 2000, les paragraphes concernés de la convention de Munich, puisque c'est son nom, soit modifiés pour laisser libre cours à ces abus d'outre-atlantique (voire outre-pacifique).
Attendre... Oui bon alors je vais quand meme prendre le temps de boycotter le VPCiste abusif et de soutenir ceux qui se décarcassent pour que nous conservions ces quelques libertés commerciales tout à fait officielles et propres à chacun qui nous sont chères ;)
P.S. : les marques non citées dans ce texte sont la propriété exclusive de leur détenteurs. Le site web meilleur-coktail.com est une invention momentannée à des fins explicatives, je ne me fournis qu'auprès de mon barman habituel. Quant-aux huîtres, elles sont meilleures en Septembre, alors soyez patients... et agissez.
Pour agir, n'hésitez pas à envoyer cette lettre aux responsables politiques.
Mesdames et Messieurs,
Ces dernières années, le système de brevet a très largement étendu son cadre
juridique, et menace de plus en plus les entreprises européennes de l'Internet,
les logiciels libres et la naissante société de l'information.
Soyez attentifs à employer toutes vos forces pendant les prochaines consultations
au niveau national, européen et international pour exiger que :
1. L'article 52 de la convention européenne de brevet soit laissé intact
cette année.
2. Les termes "technicité", "application industrielle" et "programme comme
tel" soient clarifiés de façon à ce que toutes les informations en tant
que bien, incluant les logiciels, tombent en dehors de la portée du
système des brevets, alors qu'une extension physique d'un tel bien (par
exemple un lecteur de MP3 matériel) tombe sous cette portée, dans la
mesure où elle est technique et implique une application industrielle.
3. Un dialogue public d'ampleur impliquant des études scientifiques de
fond de l'impact économique et social du système des brevets sur la
société de l'information commence dès maintenant.
4. Un système de base de données de l'état de l'art soit construit et
rendu public sous des termes OpenSource afin de rendre la position
des PMEs plus forte dans les litiges concernant les brevets, dans
leur pays ou à l'étranger.
5. Un « droit de distribuer ses propres informations en tant que
biens » et un « droit à l'interopérabilité » (voir osslaw.org)
soient décrétés à un niveau constitutionnel et qu'on leur donne la
priorité sur toute cupidité de l'Office des Brevets Européen.
Aussi loin que je puisse voir, le brevetage des informations en tant
que biens fait déjà du mal à des entreprises et draine des revenus
d'États Européens. Je vous prie de faire tout ce qui sera en votre
pouvoir pour éviter tout dommage futur de votre collège électoral.
P.S. Si jamais une cour de justice me demande de retirer mes propres logiciels
libres d'Internet ou de payer une taxe à un possesseur de brevet, je
n'aurait pas d'autre choix que la désobéissance civile, même au risque de
me retrouver en prison. Là où la loi devient illégale, la résistance est
le devoir de tout bon citoyen.
Par Benjamin Drieu <bdrieu@april.org>
Parce qu'au XVIIIème siécle, chaque maître ou compagnon emportait dans sa tombe le savoir-faire qu'il avait jalousement caché de peur de se le faire voler, les brevets ont été créés. En échange d'un monopole d'exploitation limité dans le temps, ils assuraient la diffusion du savoir pour le bénéfice de l'humanité entière.
Mais aujourd'hui, loin de l'esprit qui les a fait naître et dans les pays où ils sont légaux, les brevets sur les logiciels ne sont plus utilisés de manière défensive mais offensive. De nombreux brevets sur des techniques logicielles triviales sont accordés aux État-Unis et au Japon à des entreprises qui peuvent ainsi empêcher un concurrent d'utiliser une technique nécessaire au développement de son produit et l'attaquer en justice pour contrefaçon de brevet. Il y a quelques années, l'éditeur Apple avait tenté d'utiliser ses brevets sur des composants essentiels à la conception d'un système de fenêtrage graphique (tous les ordinateurs modernes possèdent un tel système) et intenté un procès à ses concurrents. Plus récemment, la société Amazon intente un procès à un concurrent direct pour contrefaçon d'une technique d'achat en ligne triviale.
Ce système profite aux grands éditeurs et gros possesseurs de brevets au détriment des petites entreprises innovantes. Si ces premiers peuvent se permettre d'attaquer en justice un petit concurrent potentiellement dangereux, ce dernier n'a généralement pas les moyens de se défendre. De même, l'annulation d'un brevet trivial est possible, mais nécessite des fonds et des compétences juridiques qu'une petite société ne possède pas.
L'industrie informatique évolue à un rythme accéléré et on ne peut lui appliquer les échelles temporelles classiques. Les brevets accordent un monopole de vingt ans en Europe et dix-sept aux USA. Ainsi, Roland Moreno a déposé un brevet sur les cartes à puces à la fin des années 70. L'imagination leur trouve mille et une applications séduisantes. Le brevet de Roland Moreno est maintenant caduque et pourtant, certaines de ces applications ne sont toujours pas techniquement réalisables. À contrario, il y a vingt ans, le PC n'existait pas, IBM ne croyait pas à la démocratisation de l'ordinateur individuel et l'Internet se résumait à quelques super-calculateurs reliés entre eux. D'un côté, le brevet semble presque trop court, de l'autre, il s'étale sur une durée supérieure à la durée de vie de la plupart des technologies informatiques.
Il arrive aussi que de petites sociétés renoncent à publier une technologie dont une fonctionnalité clef est potentiellement brevetée, de peur qu'on ne l'attaque pour contrefaçon de brevet. L'entreprise qui a investi dans la recherche est ainsi pénalisée et au final c'est toute l'industrie informatique qui est perdante.
Le droit d'auteur auquel est soumis le logiciel en Europe apporte entière satisfaction aux PME et développeurs européens. Les seuls acteurs contrariés sont les éditeurs américains et japonais qui ne peuvent appliquer leur politique du « rouleau compresseur juridique ». Ils sont contraints à une réelle innovation technologique pour l'emporter sur leurs concurrents européens et l'issue d'un tel combat est incertaine. Dès lors, pourquoi changer un modèle qui a fait ses preuves sinon pour satisfaire les groupes de lobbying ? Pourquoi préférer des intérêts particuliers à l'intérêt général ?
Le logiciel est immatériel. C'est une oeuvre de l'esprit, au même titre qu'une idée, une science ou une oeuvre artistique. Accepter la brevetabilité du logiciel, c'est encourager la privatisation de l'information et du savoir. Accepter que demain, les mathématiques soient « copyrightées » et que nos enfants aient à payer un droit d'accès aux livres, aux cours et pourquoi pas, une licence d'utilisation d'une méthode nécessaire à la résolution d'un problème posé à un examen. Le patrimoine intellectuel dont nous jouissons est-il donc si accessoire que nous voulions le marchander en toute occasion ?
La réglementation du brevetage en Europe est actuellement fixée par la convention de Munich, dont l'article 52.2 spécifie que les programmes informatiques ne sont pas brevetables en tant que tels (l'article 52.2 considère qu'il s'agit de créations de l'esprit au même titre qu'une formule mathématique).
Or, l'Office Européen des Brevets (ou OEB) a déjà accordé plus de 10000 brevets sur des programmes informatiques, ce qui est formellement interdit par la convention de Munich. Selon Jean-Yves le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, plus de 75% de ces brevets ont étés accordés à des entreprises non européennes. En fait, l'OEB considère qu'un programme informatique peut tout à fait être breveté, à condition qu'il s'inscrive dans un processus industriel. Cette astuce lui permet de contourner la convention de Munich et de la violer en toute impunité.
Soutenu par de gros dépositaires de brevets et par le gouvernement américain, l'OEB fait aujourd'hui pression pour modifier l'article 52.2 de la convention de Munich afin de supprimer les exceptions propres au domaine informatique. La situation serait catastrophique car elle autoriserait un brevetage « à l'américaine » sur les programmes informatiques et rendrait valide le brevetage d'algorithmes informatiques triviaux ainsi que de méthodes de travail.
Les états signataires de la convention de Munich se sont déjà réunis en juin 1999 afin de discuter d'une probable modification des exceptions de l'article 52.2, mais ont décidé de laisser passer une période d'un an avant de prendre une décision définitive. La décision finale sera prise cet été et malgré l'absence d'un véritable débat public, il y a de fortes chances que l'article 52.2 soit modifié afin de rendre brevetables les programmes informatiques.
Il est vrai que peu d'acteurs politiques français se sont exprimés sur la question du brevetage des logiciels, ce qui prouve que le débat de fond nécessaire à une décision de cette ampleur n'a jamais eu lieu. En revanche, les quelques parlementaires français à s'être exprimés sur ce sujet, bien qu'ils proviennent d'horizons politiques différents, ont fait le consensus contre la révision de l'article 52.2 de la convention de Munich, qui protège les logiciels en tant que tel de la brevetabilité.
Ainsi, le député européen Gilles Savary (Parti des Socialistes Européens) s'est récemment exprimé sur la brevetabilité des logiciels :
« La question est actuellement très pressante dans tous les forums internationaux, au sein de l'Union Européenne, mais également et surtout au sein de l'OMC, où deux philosophies sont aujourd'hui en présence : la philosophie européenne qui fait de la création un bien universel et la philosophie libre échangiste qui voudrait en faire une marchandise.
(...)
Actuellement, la doctrine européenne est d'exclure du marché l'ensemble des biens de création ou des produits de l'esprit. Mais les lobbies industriels sont aujourd'hui très pressants pour demander une brevetabilité généralisée, non seulement du logiciel, mais également du vivant et de toutes les créations de l'esprit. »
Yves Cochet, député vert du Val-d'Oise, rappelle dès décembre 1999 que les logiciels sont assimilés par l'OMC à des créations de l'esprit et donc sujets au droit d'auteur. Il rejoint ainsi Gilles Savary, pour qui le droit d'auteur est plus adapté à la création intellectuelle que le système du brevet, car s'il réglemente la copie d'un oeuvre intellectuelle il n'empêche en revanche pas la création d'une oeuvre similaire.
René Trégouët (centre-droit), député du Rhône et cosignataire de la proposition de loi sénatoriale visant à promouvoir l'utilisation des logiciels libres dans l'administration (voir http://www.april.org/articles/communiques/proposition-senat.html>) ajoute que « si le pouvoir politique européen entérinait prochainement le projet de directive qui lui sera soumis, il faut bien qu'il ait conscience, en croyant régulariser une situation qui lui est présentée comme inéluctable par l'OEB, qu'il ne ferait que se plier à une demande de plus en plus pressante de certains grands éditeurs américains. ».
Jean-Yves le Déaut, député de Meurthe et Moselle, écrit dans une « Lettre ouverte sur les brevets logiciels », publiée le 10 juillet dernier à destination du gouvernement, que les brevets logiciels « n'ont de valeur que celle que l'on veut bien leur accorder en raison de la contradiction manifeste qui existe aujourd'hui entre le droit positif et le système jurisprudentiel de l'OEB. ». Jean-Yves le Déaut déplore l'absence d'étude économique afin de déterminer les réels impacts économiques du brevetage sur les logiciels et demande qu'une telle étude soit conduite avant de prendre une décision sur le devenir de l'article 52.2 de la convention de Munich.
La situation est donc plus que jamais pressante, mais vous aussi pouvez agir contre le brevetage logiciel. Vous pouvez participer à la pétition de l'alliance Eurolinux contre le brevet logiciel en la signant, à l'URL http://petition.eurolinux.org/>. Si vous avez un pouvoir décisionnel au sein de votre entreprise ou au sein de votre association, vous pouvez aussi l'impliquer dans le mouvement de protestation, ou en parler à vos décideurs.