Réponse du Ministère de l'Éducation nationale sur les questions de l'informatique, des outils et ressources libres…
Vincent Peillon avait adressé une lettre à tous les personnels de l'Éducation nationale fin juin 20121. On y lit au point 14 :« Nous veillerons à ce que les outils, contenus et services numériques soient mis à la disposition des enseignants et plus largement des équipes éducatives, pour enrichir leurs pratiques afin de les aider à répondre aux besoins de leurs élèves. La formation des professeurs aux enjeux et aux usages pédagogiques du numérique sera développée. Avec la volonté de réduire les inégalités constatées dans ce domaine, le ministère favorisera la diffusion des usages et la production de ressources pédagogiques numériques et il en développera la mutualisation. Une concertation sera engagée avec les collectivités locales pour accompagner le développement des usages de l'e-éducation, et en particulier garantir plus efficacement la maintenance des équipements mis à la disposition des établissements ».
Le groupe éducation de l'April avait souhaité apporter une réponse et avait écrit au Ministre en septembre 2012. L'April a reçu une réponse du directeur de cabinet du Ministre. Si celle-ci permet d'ouvrir le dialogue, l'April regrette cependant que le ministère ne s'engage pas plus dans sa réponse. Alors que la circulaire ayrault est explicitement mentionnée, l'April espère que le changement dans le domaine de l'éducation c'est maintenant. Entre temps, l'April a écrit de nouveau au Ministre pour solliciter une entrevue afin de lui faire part des positions et propositions de l'April sur l'informatique en milieu éducatif et d'échanger avec lui sur ces questions.
Vous trouverez ci-dessous le courrier de l'April et la réponse reçue.
Courrier de l'April
Logiciels et contenus libres dans l'Éducation
Des professeurs, de nombreuses associations et entreprises françaises (TPE, PME) développent des ressources et des logiciels libres pour l'éducation. Ces solutions sont pérennes et bénéficient d'une large base d'utilisateurs dans les écoles. Les logiciels libres constituent des solutions de qualité, et à moindre coût, dans une perspective de pluralisme technologique. Par ailleurs, ils favorisent l'emploi local. Le marché des licences propriétaires en France est très majoritairement un marché d'importation. Celui du libre est majoritairement local, il s'agit là d'un important gisement d'emplois qu'il convient de favoriser dans la commande publique. On trouve des logiciels et ressources libres pour tous les niveaux de l'enseignement scolaire. Au-delà des aspects pédagogiques, il existe également des solutions d'aide à la gestion administrative des établissements scolaires (notes, absences...) mais aussi technique (serveurs de fichiers pédagogiques) ou encore des ENT (Espaces Numériques de Travail) libres. À titre d'exemple, citons les projets portés par l'association Sésamath. Forte d'une communauté de centaines de professeurs de mathématiques, elle diffuse sous une licence libre des documents et des logiciels éducatifs de mathématiques. Sous ce modèle de mutualisation elle a pu réaliser un laboratoire de travail mathématique (labomep) et un éditeur vend ses manuels scolaires libres. Il est nécessaire de soutenir financièrement ou par des décharges horaires les personnels de l'Éducation Nationale développeurs de logiciels ou de ressoucres libres. C'est un indispensable levier pour favoriser la production de ressources pédagogiques numériques libres. Pour ce qui est de la mutualisation, le modèle développé par Sésamath nous semble à étendre dans d'autres disciplines.Renforcer les moyens juridiques d'enseigner
Pour que la transmission des savoirs ait lieu, il faut que le professeur puisse disposer des ressources qu'il juge pertinentes. Il doit pouvoir s'approprier ces oeuvres, qu'elles soient textuelles, sonores ou visuelles. Il doit pouvoir les modifier et les adapter à sa pratique pédagogique ainsi qu'à son public, avant de les distribuer à ses élèves ou collègues. Actuellement, cette possibilité pour les professeurs n'est pas garantie. Il est possible de remédier à cela en faisant évoluer le droit d'auteur pour qu'il favorise l'accès aux œuvres de l'esprit. Cette évolution du droit est un impératif pour que l'École de la République remplisse son contrat avec la Nation. Le droit ne peut plus se contenter de protéger les intérêts des auteurs des œuvres de l'esprit, il doit désormais encourager la transmission et amplifier les possibilités de création. C'est le constat de cette nécessité qui a conduit à la création de textes juridiques comme la Licence Art Libre. Hélas, l'essentiel des créations du siècle dernier à aujourd'hui fait l'objet d'une appropriation exclusive. Ces œuvres ne pourront rejoindre le patrimoine immatériel commun qu'à expiration du droit d'auteur et des droits voisins, soit dans le meilleur des cas, 70 ans après la mort de l'auteur. C'est pourquoi l'Éducation Nationale doit soutenir une révision du droit d'auteur, pour qu'il encourage la connaissance et la solidarité autour de la réalisation d'œuvres communes.Enseignement de l'informatique
L'informatique est un champ à la croisée des mathématiques, de la technologie, des sciences sociales, des sciences de la communication, de l'économie... Il y est question certes de code informatique et d'algorithmes mais aussi de réseaux, de droit d'auteurs, de publications, de modèles économiques, de communautés. Elle ne se réduit pas à de l'algorithmique et de la programmation. La fracture numérique, concept datant du début des années 1990, n'est plus. Le taux d'équipement des familles est maintenant très important. La vraie fracture se trouve dans une forme d'illettrisme informatique où les citoyens de demain sont actuellement moins formés à être des producteurs ou des utilisateurs conscients et responsables que des consommateurs passifs. C'est l'informatique "outil", celle promue par le B2i dont nous dénonçons l'échec depuis de nombreuses années. Les inégalités que vous évoquez dans votre lettre (point 14) se trouvent plutôt ici. Il nous semble ainsi fondamental de supprimer le B2i et d'introduire un enseignement de l'informatique pour tous dès le collège. Il peut être intégré dans les programmes de technologie entre la 6ème et la 3ème puis être une discipline autonome pour tous les élèves du lycée (général ou professionnel).L'importance des préconisations académiques
Vous souhaitez « garantir plus efficacement la maintenance des équipements mis à la disposition des établissements ». De nombreux professeurs, gestionnaires et administrateurs des réseaux des établissements scolaires ne peuvent qu'être d'accord avec cette volonté. Selon notre « Inventaire des préconisations académiques en matières de TICE » qui recense les recommandations et usages dans les académies, il apparaît que les situations sont très variées. Certaines académies basent la gestion de leurs réseaux pédagogiques sur des solutions propriétaires, fermées, de faible pérennité qui de plus rendent ces académies technologiquement dépendantes. C'est pénalisant en termes d'efficacité pour la gestion et la maintenance des réseaux des établissements scolaires. D'autres académies utilisent des modules libres développés par le Pôle de Compétence EOLE de votre Ministère. Ces modules permettent une supervision académique de tous les serveurs déployés répondant au souhait d'une meilleure maintenance des équipements. Il existe également d'autres solutions libres basées sur la même philosophie qui permettent de couvrir les besoins des écoles, collèges et lycées. Toutes sont développées par des acteurs nationaux, c'est moins un marché d'importation qu'un marché local. Ces solutions libres et pérennes forment une diversité d'offres non hégémoniques pour des coûts inférieurs qui garantissent l'interopérabilité. Les préconisations académiques sont la plupart du temps suivies à la lettre par les acheteurs publics (Région, Départements), il est donc crucial de veiller à ce qu'elles favorisent clairement les solutions libres. La préconisation d'une solution propriétaire devrait être rigoureusement justifiée après étude précise des besoins.De vrais manuels numériques
Les manuels dits "numériques" proposés par les principaux éditeurs sont en fait, la plupart du temps, des manuels numérisés verrouillés avec des systèmes de menottes numériques (DRM). Est-il normal qu'un professeur ne puisse pas matériellement et légalement réutiliser, modifier une carte d'un manuel d'histoire, un énoncé d'exercice d'un livre ou une photo d'un manuel de SVT pour simplement exercer son métier ? Comme dit plus haut Sésamath a développé un ensemble de manuels scolaires sous licence libre. Il existe aussi les versions numériques sous double licence libre, à savoir les licences GNU-FDL et CC-By-SA. Un professeur peut alors les télécharger librement, les modifier et les diffuser. Il nous semble indispensable que votre ministère diffuse ces bonnes pratiques et ces besoins de la communauté éducative vers les autres acteurs de ce marché. Cela peut se faire via un cahier des charges de l'édition numérique scolaire.Espace Numérique de Travail (ENT)
Chaque région choisit son ENT. Ne faudrait-il pas recommander dans les cahiers des charges l'utilisation d'un ENT libre ? Cela a permis, par exemple, à la région Picardie de bénéficer de développements faits par la Région Ile-de-France. Un arrêt du Conseil d'État (30 septembre 2011, no 350431) précise ainsi qu'un « acheteur public peut mentionner, sous conditions, comme spécification technique du marché le recours à un logiciel libre donné ». Là encore il est question de mutualisation des compétences et des moyens.Une règle pour le numérique à l'école ?
Les ressources libres doivent être promues dans et par l’Éducation Nationale. Il y est autant question de maîtrise des coûts, de favoriser des emplois locaux, de promouvoir un modèle en phase avec les missions du système éducatif. Par son mode de développement, par le fonctionnement même de ses communautés, le libre encourage le travail collaboratif, facilite la communication et la diffusion des connaissances. Afin que la devise "Liberté, Égalité, Fraternité" qui fonde notre société et son école puisse conserver tout son sens, il faut ériger en principe que les logiciels et ressources utilisés dans le service public de l'éducation soient disponibles sans frais pour tous les élèves, et ceux qui le souhaitent doivent pouvoir les modifier, les adapter, les améliorer. De plus ces logiciels et ressources utiliseront des formats de données ouverts et interopérables, permettant la transmission du savoir sans entraves.Pour résumer nous souhaitons que le ministère de l'éducation nationale :
- soutienne les professeurs producteurs de logiciels et ressources libres
- encourage les démarches de mutualisation basées sur des licences libres et des formats ouverts en s'inspirant des bonnes pratiques déjà identifiées
- supprime le B2i et introduise un enseignement de l'informatique dès le collège
- soutienne une réforme du droit d'auteur nécessaires à la pédagogie
- rejette les manuels numérisés avec DRM qui empêchent les professeurs de faire leur métier.
- érige en principe que les logiciels et ressources utilisés dans le service public de l'éducation soient sous licence libre.
Réponse reçue
Monsieur le Président,
Par courrier du 3 septembre dernier, vous avez bien voulu faire part à Vincent PEILLON, Ministre de l'éducation nationale, de vos réflexions sur la question du numérique au sein de ce ministère et il vous en remercie vivement.
Très sensible à cette question, le Ministre m'a chargé de vous répondre.
Je tiens tout d'abord à vous préciser que la concertation lancée le 5 juillet dernier en Sorbonne à Paris afin de refonder l'école aborde, parmi d'autres sujets, celui du numérique.
Dans ce cadre, l'atelier "une grande ambition pour le numérique" a travaillé sur les défis que les technologies numériques posent à notre société et à l'école. En effet, les enseignants doivent non seulement former les élèves à maîtriser les outils qu'ils utilisent chaque jour dans leurs études et leurs loisirs, mais aussi, et surtout, préparer le futur citoyen à vivre dans une société dont l'environnement technologique est amené à évoluer de plus en plus rapidement.
J'avais transmis à l'animateur et rapporteur de ce groupe de travail votre riche et intéressante contribution afin qu'il puisse l'intégrer à la réflexion.
Enfin, pour votre complète information, et comme vous savez, le Premier ministre a rappelé dans une circulaire n°5608/SG du 19 septembre dernier, toute l'importance qu'il accorde à une bonne utilisation des logiciels libres au sein des services de l'administration.
Pleinement conscient de l'intérêt qu'il y a à soutenir la diffusion et la promotion du logiciel libre, le Ministère de l'éducation nationale a déjà pris un certains nombre d'initiatives.
Ainsi, pour ce qui concerne le parc "administratif", la quasi totalité du parc de serveurs du ministère de l'Éducation nationale fonctionne déjà sous logiciel libre. Si, pour ce qui concerne le parc de postes de travail des services centraux et déconcentrés, la plupart des postes de travail fonctionne sous Windows, diverses expérimentations dont menées par les équipes du ministère afin d'expertiser les solutions "libres" et estimer les évolutions des coûts correspondants. D'ailleurs, la totalité des applications nationales administratives a été développé sur un socle technique libre. Le cœur de l'infrastructure du ministère et de ses applications "métier" est ainsi totalement indépendant de tout éditeur.
Dans le domaine des logiciels pédagogiques, le ministère soutient la production de ressources numériques pédagogiques libres et donne l'information sur l'offre disponible via le portail Sialle (site du ministère sur les logiciels libres et éducatifs : http://www.cndp.fr/sialle/).
Enfin, dans tous ses choix, le ministère s'appuie bien évidemment sur le référentiel général d'interopérabilité (RGI) et cherche à favoriser l'interopérabilité et l'ouverture des systèmes d'informations.
Je vous prie de croire, Cher Monsieur, en l'assurance de mes sentiments les meilleurs.
Benoît PICHARD