Les questions politiques et citoyennes gérées par l'April - Interview de Jeanne Tadeusz aux rmll 2012
Présentation
- Titre : Les questions politiques et citoyennes gérées par l'April - Interview de Jeanne Tadeusz aux rmll 2012
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- Durée : 11min 31s.
- Date : 11 juillet 2012
- Lieu : Rencontres mondiales du Logiciel Libre à Genève
Transcription
Gilles : À présent et bien c'est Jeanne Tadeusz qui nous a rejoints.. Bonjour Jeanne.
Jeanne : Bonjour.
Gilles : Alors c'est bien de vous avoir en vrai plutôt que parfois au téléphone pour aborder les questions politiques et citoyennes qui sont gérées par l'April. Emmanuel Charpentier est avec nous. Re-bonjour.
Emmanuel : Re-bonjour Gilles, ça me fait plaisir.
Gilles : Jeanne, toi tu es une permanente de choc de l'April et tu t’emploies tout particulièrement à essayer de faire fonctionner la communication entre l'April, les gens, les idées, les arguments et puis les parlementaires qu'ils fussent français ou européens. Et ça, ça fait un petit moment déjà que tu t'attelles à ce travail titanesque.
Jeanne : Oui tout à fait. Ça fait maintenant un peu plus de 2 ans que je suis responsable des affaires publiques à l'April. C’est-à-dire que vraiment mon rôle c'est de m’occuper de tout ce qui est politique, juridique, institutionnel, donc à la fois l'analyse, la réflexion sur tout ce qui est politique publique, lois qui sont sur le point d’être discutées, projets de politique que différentes institutions peuvent vouloir mettre en place. Et aussi de faire la communication, parfois les actions citoyennes, etc.. sur ces questions-là, quand on a vraiment des questions importantes qui sont susceptibles de mobiliser les gens.
Gilles : Et des questions importantes il y en a eu un wagon ces temps-ci !
Jeanne : Il y en a eu un wagon, il y en a encore beaucoup. Ça continue. On a eu, je pense que tout le monde a entendu parler d'Acta., ça a été un dossier extrêmement important pour nous tous, un dossier sur lequel la mobilisation citoyenne a été énorme et c'est vraiment grâce à ça qu'on a gagné, il ne faut pas l'oublier, même si clairement on ne peut pas négliger le rôle de la Quadrature du Net et d'un grand nombre d’activistes. C'est l'ensemble des citoyens qui ont fait l'effort de prendre leur téléphone, de le décrocher, d’envoyer des mails à leurs députés qui ont fait la différence. Quand on voit que la semaine avant le vote sur l'Acta les députés ont reçu jusqu’à 400 mails par heure venant de citoyens, leur parlant d'Acta, c'est vraiment ça qui leur a fait s'interroger, vraiment poser des questions et finalement rejeter avec une très très large majorité l'accord la semaine passée.
Gilles : Voila. Alors quand bien même on l'a précisé tout à l'heure, c'était le cas avec le brevet logiciel aussi « Chassez le loup par la porte, il rentre par la fenêtre ». Il faut s'attendre à retrouver, Fred évoquait ça tout à l'heure, dans le truc qui s'appelle Cepa, il y a des bouts d'Acta qui vont se retrouver encore dedans, etc... Mais c'est doublement important parce que d'une part, bien voilà, ça marque une date, un vote, une décision mais ça ça reste dans la mémoire des gens qui ont, on va dire, fait leur devoir de citoyen et interpellé leur député et des députés eux-mêmes.
Jeanne : Oui absolument. Les députés quand ils ont senti et ressenti une telle mobilisation sur des sujets comme Acta par exemple, clairement ils se sont rendus compte que ce n'était pas un enjeu purement technique, alors qu'il ne faut pas oublier que c'était comme cela que la Commission Européenne avait présenté le dossier au départ et qu'il y a de vrais enjeux de liberté qui sont derrière et en plus des enjeux qui préoccupent un grand nombre de personnes. Donc ce n'est finalement pas comme ce dossier soi-disant qui aurait dû au départ ou qui avait été annoncé en tout cas comme un accord commercial, donc purement un texte sur le libre-échange, etc.. qui s'est vraiment retrouvé devenir un texte important en termes de liberté. Quand les députés savent aujourd'hui que ce genre de questions mobilise et préoccupe parce qu'il y a des impacts réels sur la vie quotidienne, sur les libertés fondamentales, ils ne vont pas les voir de la même manière.
Effectivement il y a 2 textes qui sont déjà en discussion qui proposent des mesures semblables à Acta. Maintenant je ne doute pas que les députés européens quand ils vont voir ces textes arriver devant eux, si ces textes arrivent devant eux, vu qu'on ne sait pas s'il y a un calendrier parlementaire, etc... clairement il va y avoir un souvenir la-dessus et une mobilisation importante. On l'a vu aussi sur les brevets, quand les brevets logiciels avaient été rejetés en 2005, ensuite quand ça avait parlé de brevets logiciels, on avait eu à nouveau finalement ce souvenir qui est assez présent, même s'il l'est sans doute moins aujourd'hui avec le changement de législature qu'on a eu en 2009.
Gilles : Puis ça a fait des remous aussi. On avait Mohammed Zanane tout à l'heure en début d'après-midi qui nous disait qu'il y a un peu plus d'un an le Maroc avait voté l'Acta, enfin avait paraphé, et manifestement, le gouvernement marocain, enfin le nouveau gouvernement marocain serait en train d'essayer de faire machine arrière, de dire « Mais on n'a pas signé, on a juste paraphé ! » etc, etc... C'est vrai que la position des parlementaires européens influe sur une sphère géographique un peu plus large quand même.
Jeanne : Oui c'est sûr ! À partir du moment où finalement les parlementaires européens se sont élevés en annonçant qu'Acta c’était contraire aux libertés et qu'ils ne pouvaient pas accepter un tel accord, effectivement au Maroc il y a eu une mobilisation. Dans la foulée d'ailleurs du vote sur Acta, il y a aussi en Nouvelle-Zélande où le Parlement a annoncé qu'il ne ratifierait pas. Donc on a vraiment eu cet effet d’entraînement. Mais cet entraînement il est dû d'abord à une mobilisation citoyenne et peut-être simplement l'absence d'envie de la part de ces pays de voir le même type de mobilisation chez eux et donc finalement une raison de plus de le refuser quand on voit que ça préoccupe vraiment les citoyens. Et c'est à ce niveau-là qu’on voit finalement et c'était ce que d'ailleurs disaient certains députés au moment du vote Acta, c'est vraiment la démocratie participative qu'on voit ici à l’œuvre, c'est pas simplement la démocratie représentative, c'est un mélange des deux, parce qu'on a à la fois un échange, c'est à la fois les députés qui votent mais suite à un échange avec des citoyens, avec des gens comme vous et moi qui ont fait l'effort d'aller leur parler pour en discuter.
Gilles : Pour faire cette veille sur tous les textes de loi qui peuvent être amenés à sortir etc.. j'imagine qu'il y a des trucs très officiels qui sortent, mais quand on regarde que Acta c'est suite à des fuites de documents, de gens qui d'ailleurs étaient même dans des processus de préparation d'Acta que finalement le lièvre a commencé à être levé. De quels outils vous disposez à l'April pour suivre suivre toute cette actualité législative qui parfois, je vaux dire, des lois il s'en vote pour tout et n'importe quoi, tous les jours, pour compter le nombre de feuilles de salade ou je ne sais ou choisir la dernière couleur dont on va repeindre l’Élysée ?
Jeanne : Toutes les lois et les préparations, les processus sont publics, que ce soit au Journal Officiel, au Journal Officiel de l'Union Européenne, ou publiées directement sur le site du Parlement Européen et des différentes institutions, donc clairement on suit ça. Après nous...
Gilles : Ça représente pas un volume de lecture trop important ?
Jeanne : Heureusement que tout est informatisé aujourd'hui et que la recherche par mots-clefs fonctionne relativement bien, tout de même, et puis après plus généralement, on sait quels sont les textes qui pourraient être discutés, parce qu'on connaît de gens, parce que les agendas sont en général publiés à l'avance, donc il n'y a pas de surprise là-dessus, et après effectivement il y a des textes dont on apprend l'existence avec une grande surprise, comme sur Acta, mais ne pas oublier qu'Acta a été publié finalement le texte par WikiLeaks et qu'on a été au courant en même temps que n’importe qui d'autre.
C'est d'ailleurs pour cela que de nombreuses personnes s'étaient mobilisées après que le texte soit sorti pour la première fois effectivement par une fuite. Mais globalement ces questions de fuite, je dirais tout de même que c'est vraiment l'exception et pas la règle. La plupart des textes font l'objet, surtout au niveau européen d'ailleurs, parce qu'il y a peut-être une culture de la transparence, de la concertation qui n'est pas tout à fait la même que celle qu'on a en France ou au moins pour une forme différente ; c’est-à-dire que tous les documents vont être publiés à l'avance, même s'il y a un risque de se noyer dans la masse, le processus législatif européen est clair, en plus c'est la Commission qui a exclusivement l'initiative et comme la commission publie sa feuille de route et la met à jour de manière très régulière, simplement consulter la feuille de route de la Commission à chaque fois qu'ils la mettent à jour, ça permet de savoir, quels sont les textes qu'ils envisagent pour la suite.
Gilles : Au niveau de ton métier, là, au sein de l'April, c'est quoi la difficulté la plus importantes d’être chargée des affaires publiques à l'April ?
Jeanne : La difficulté la plus importante ? Je dirais que malheureusement on ne peut pas être partout à la fois, et qu'il y a énormément de sujets à traiter, il y a des dossiers qui sont passionnants, il y en a beaucoup et les agendas ont une fâcheuse habitude de se télescoper, c’est-à-dire qu'on va avoir par exemple un débat sur la réforme du droit d’auteur dans une commission du Parlement européen, pendant qu'ils vont parler du droit sur les œuvres orphelines d'une autre ou encore peut-être des brevets dans une troisième. Et jusqu'à présent le don d'ubiquité ça ne fonctionne pas encore, et donc on a clairement cette difficulté-là, d'où l'importance d'ailleurs qu'on ait beaucoup de membres qui se mobilisent et aussi ne pas oublier une équipe de bénévoles et de membres de l'April.
Gilles : Est-ce que dans ces cas-là tu as un staff restreint de bénévoles qui peuvent t'assister ?
Jeanne : Je ne dirais pas que c'est un staff du tout, parce que c'est vraiment quelque chose d'ouvert, c'est parce que les gens sont motivés, qu'ils ont des connaissances, qu'ils sont là pour travailler.
Je ne dirais pas non plus qu'ils m’assistent, je vois par exemple sur les brevets, on a un bénévole absolument extraordinaire dont le surnom c'est Gibus. Il travaille sur les brevets depuis bien avant la directive de 2005, il est aujourd'hui probablement un des plus grands spécialistes sur les questions de brevets au niveau européen. Sachant qu'il n'a pas une formation juridique, que c'est un informaticien à la base. Il s'est juste rendu compte que les brevets logiciels ça risquait de l’empêcher de bosser, il s'est vraiment spécialisé là-dedans et aujourd'hui il a des échanges extrêmement techniques avec les plus grands juristes européens sur le sujet, qui lui proposent d'ailleurs de participer à des conférences, etc... là vraiment on voit que, c'est sûr que c'est un très haut niveau, que tout le monde ne fait pas et ne fera pas ça, mais simplement parce que ce sujet l'intéressait, il trouvait que c'était important, il y est allé, il a appris et aujourd'hui il est connu et écouté par aussi bien un grand nombre de députés, que des institutionnels à la Commission, que, au niveau français, des juristes spécialisés dans le domaine.
Gilles : Gibus c'est Gérald Sédrati-Dinet qui était à la FFII avant ?
Jeanne : Voila. C'est lui.
Gilles : C'est ça. Tout à fait. Oui effectivement c'est un sujet qu'il travaille depuis forces années.
Jeanne : Voila et qui reste toujours un sujet d'actualité puisqu'on parle d'un nouveau brevet malheureusement, brevet logiciel au niveau européen et clairement c'est apparemment du pur activisme, de la pure volonté personnelle de travailler sur le sujet, comme quoi, tout le monde peut, enfin je ne dirais pas que Gibus est n’importe qui bien au contraire, comme quoi on n'a pas besoin nécessairement d'avoir des connaissances au départ, pour s'impliquer, pour travailler là-dessus.
Gilles : Une dernière chose à dire aux auditeurs de radio RMLL ?
Jeanne : Euh ! Ne pas oublier que tout ce qui est politique et juridique, ça peut vous sembler technique, ça peut vous sembler vous passer loin au-dessus de la tête, en même temps ça vous implique tous les jours et c'est pour ça qu'il faut se bouger, c'est pour ça que c'est important. À l'April on est là, on travaille là-dessus, mais on ne pas être tout seuls, et vraiment chacun peut s'impliquer, chacun peut porter sa pièce là-dessus aussi. On besoin de votre aide. Voila !
Gilles : Eh bien le message est passé. Jeanne Tadeusz, merci beaucoup.