Freezone - Épisode 10
Titre : Freezone - Épisode 10
Intervenants : Calimaq - OliCat
Lieu : Radio Libre@Toi*
Date : Juillet 2016
Durée : 19 min 08
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Licence de la transcription : Verbatim
Description
Événement : l’EFF (Electronic Frontier Foundation), la grande association de défense des libertés numériques a décidé d’attaquer en justice le DMCA (Digital Millenium Copyright Act), une loi votée en 1998 qui a introduit la notion de DRM (Digital Rights Management). EFF considère que le fait de ne pas pouvoir contourner légalement ces verrous numériques est inconstitutionnel dans de nombreux cas. Cela pourrait constituer un des procès les plus importants des années à venir, qui viendrait limiter la nocivité de ce que Richard Stallman appelle les « menottes numériques ».
À surveiller : Les Jeux olympiques de Rio vont commencer la semaine prochaine. Il y a quatre ans à Londres, les Jeux avaient provoqué de très nombreuses dérives, dues à l’agressivité dont fait preuve le CIO dans la défense de ses marques et de son copyright. La semaine dernière, la branche US du CIO a prévenu que seuls les sponsors officiels des Jeux auraient le droit d’utiliser sur Twitter des hastags en lien avec l’événement. Comment peut-on en arriver à cette forme de privatisation du langage qui va nous interdire d’utiliser certains mots pendant la période des Jeux ?
Pépite libre : Letter for Black Lives est un projet d’écriture collaborative qui vise à favoriser le dialogue interculturel et intergénérationnel à propos de la condition des Noirs aux USA, dans le cadre de la campagne Black Lives Matter. Il a commencé sous la forme d’une lettre écrite par un groupe de jeunes de manière collaborative, qui a ensuite été placée sous licence CC0 (domaine public volontaire). Cela a permis la traduction du document dans 22 langues, de nombreuses réinterprétations et une diffusion à grande échelle de la démarche.
Transcription
OliCat : Bonjour et bienvenue à tous et à toutes. Calimaq bonjour à toi.
Calimaq : Bonjour.
OliCat : Freezone. Épisode 10. En forme Calimaq, sous le soleil ?
Calimaq : Ça va, ça va !
OliCat : Un studio rangé aujourd’hui. On remercie Christian qui a fait fonctionner l’huile de coude et passé le balai. On est ravis, évidemment, de vous retrouver dans le cadre de cette émission Freezone qui va, cet après-midi, une fois n’est pas coutume, traiter de trois actualités qui sont, aujourd’hui, divisées en un événement dont on va parler dans quelques instants, une actu à surveiller et puis une pépite libre. Calimaq a réussi, cette semaine, à nous en trouver une.
Du côté des événements il semblerait que l'EFF, l’Electronic Frontier Foundation, s’attaque à ce que notre ami Richard Stallman appelle les menottes numériques dont on trouve une parfaite expression avec les fameux DRM qui ont été introduits par une loi qui s’appelle le DMCA [Digital Millennium Copyright Act, NdT] et que l'Electronic Frontier Foundation a décidé d’attaquer.
Calimaq : Oui. Tout à fait. Quand j’ai vu la nouvelle, je me suis demandé si ce n’est pas un des procès les plus importants, dans ce domaine-là, des années à venir, à vraiment garder dans le radar. L'EFF, l’Electronic Frontier Foundation, c’est la grande association de défense des libertés dans l’environnement numérique aux USA, qui est là depuis plus de quinze ans maintenant, et qui a l’habitude de faire des procès, et qui a les reins suffisamment solides pour faire bouger la jurisprudence aux États-Unis. Ils ont eu plusieurs précédents importants et là, ils s’attaquent à un symbole fort.
OliCat : Oui. La cible n’est pas des moindres puisque l’introduction des DRM est ce qui a introduit l’incapacité légale à pouvoir contourner les fameux verrous numériques que le DRM représente.
Calimaq : C’est ça. Donc là c’est une loi, le DMCA, qui date de 1998. Donc on est à la période post Napster ; la grande question c’est comment arrêter le piratage en ligne via téléchargement, et les industries culturelles se disent que le moyen d’y arriver c’est de trouver un moyen technique, parce qu’elles ne vont pas y arriver juste juridiquement. Elles veulent un moyen technique. Donc elles introduisent un nouveau délit qui est le contournement de mesures techniques de protection, c’est comme ça que ça été transposé aussi en France.
OliCat : OK.
Calimaq : Aux États-Unis, ça s’appelle DRM, Digital Rights Management. Donc, si jamais tu fais sauter une protection sur un fichier qui comporte un moyen soit de cryptage soit de code, il y a mille et une façons de les implémenter, du coup, tu commets un délit supplémentaire par rapport à, simplement, la violation du droit d’auteur et c’est ça que le DMCA a vraiment inscrit dans le paysage et qui s’est répandu, après, partout dans le monde. En France, on a la même chose depuis 2006, avec la loi DADVSI.
OliCat : C’est ça, absolument. Alors selon l'EFF, cette incapacité qu’on aurait à détourner légalement ces verrous numériques serait anticonstitutionnelle ?
Calimaq : Tout à fait. C’est leur arme. En fait, pourquoi ? Ils expliquent qu’il n’y a que dans certains cas où contourner un DRM ça peut être illégal. Parce il y a des cas où c’est tout à fait légitime. Et là, ce qui est intéressant, c’est qu’ils viennent en appui à deux personnes qui veulent pouvoir contourner des DRM et qui ne le peuvent pas actuellement.
OliCat : Donc un cas pratique.
Calimaq : Voilà. Ce sont vraiment des cas concrets. Il y en a une qui a inventé comme une sorte de table de mixage qui permet de récupérer des bouts de vidéos pour en faire des montages et qui explique qu’il y a des cas, aux États-Unis, où c’est couvert par ce qu’on appelle le fair use, l’usage équitable.
OliCat : Absolument.
Calimaq : Et donc, du coup, on a tout à fait le droit de le faire et c’est une atteinte à la liberté d’expression. Elle, elle voudrait avoir un moyen de pouvoir légalement faire sauter les DRM pour faire ce type de montage. Et l’autre, c’est encore plus intéressant : c’est un chercheur en sécurité informatique qui s’intéresse, notamment, à la sécurité des machines à billets pour le retrait des billets.
OliCat : Ouais, les DABs ?
Calimaq : Voilà, exactement. Qui s’intéresse à la sécurité de certaines prothèses médicales qui contiennent des logiciels.
OliCat : Genre les pacemakers.
Calimaq : Voilà, les pacemakers ou d'appareils qui sont implémentés dans les voitures, qui comportent aussi des logiciels. Et donc, du coup, lui il veut pouvoir faire sauter les DRM pour pouvoir étudier le code source et voir s’il y a des failles de sécurité. Et il ne peut pas le faire actuellement à cause du DMCA. Donc voilà ! Ça pourrait avoir des impacts énormes en fait, parce que si jamais ça saute aux États-Unis, on imagine l’effet domino que ça peut avoir partout dans le monde et ça, ça reviendrait un peu sur les orientations qu’on a depuis presque vingt ans maintenant.
OliCat : C’est assez malin parce que, finalement, ça ne va pas directement attaquer la logique de DRM.
Calimaq : Non !
OliCat : Parce qu’on pourrait décider que le fait d’avoir dans un fichier, quel qu’il soit, un code qui permet une utilisation, par exemple, on a des DRM de cet ordre, c’est quelque chose de finalement absurde. Eh bien non, là on va attaquer pour avoir la possibilité, dans certains usages légaux de ces fichiers sous droit d’auteur, de pouvoir détourner ces DRM.
Calimaq : Alors c’est sûr, ce n’est pas une revendication du droit au partage.
OliCat : Non absolument, ce n’est pas le positionnement.
Calimaq : Ils savent que dans le cadre actuel aux États-Unis, et même partout dans le monde, tu ne peux défendre ce droit-là sans faire voter une nouvelle loi ou sans changer vraiment le système en cours.
OliCat : Oui. Et puis ça bouleverse complètement l’infrastructure des droits d’auteur, etc. On revient toujours au même…
Calimaq : Sur le même problème. Mais là, ils essaient d’exploiter jusqu’au maximum les marges qui existent dans le système actuel. En fait, ils expliquent qu’ils ont attendu aussi longtemps pour le faire parce qu’ils anticipent aussi l’arrivée de l’internet des objets et le fait que la plupart des objets auront des capacités de connexion donc vont avoir des logiciels, etc. Et que la logique des DRM appliquée à l’internet des objets c’est complètement désastreux parce que, en fait, tu n’es plus propriétaire de ton propre matériel. Et on commence à voir, aux États-Unis par exemple, les fermiers qui n’ont plus le droit de réparer leur propre tracteur parce qu’il y a un logiciel dedans.
OliCat : Ce qui est complètement absurde !
Calimaq : Oui. C’est complètement fou !
OliCat : Alors un article que vous pouvez retrouver sur The Guardian, c’est ta source de cette semaine. Juste un petit mot sur ce qu’il faut attendre, en termes de délais, concernant cette action ? Ton expérience par rapport à ce type de…
Calimaq : Ça, c’est typiquement le genre d’affaire qui peut aller jusqu’à la Cour suprême, en montant tous les degrés de juridiction et ça peut prendre sept ou huit ans.
OliCat : OK !
Calimaq : Eh ! C’est ça le problème !
OliCat : OK ! L'EFF a donc le moral. On va passer sur la seconde actu. C’est à surveiller, ça concerne les Jeux olympiques de Rio qui vont commencer la semaine prochaine. Il y a quatre ans nous dis-tu, Calimaq, à Londres, les Jeux avaient provoqués de très nombreuses dérives dues à l’agressivité dont fait preuve le CIO, dans la défense de ses marques et de son Copyright Madness. Je sens venir le Copyrigth Madness, justement. La semaine dernière, précisément, la branche US du CIO a prévenu que seuls les sponsors officiels des Jeux auraient le droit d’utiliser sur Twitter les hashtags en lien avec l’événement. Donc on est dans un cas complètement, là encore, absurde. Comment on en est arrivés là ? C'est la question que tu poses, Calimaq, une privation claire du langage ? Est-ce que c’est ce qui est à craindre, demain, si ce genre de truc passe ?
Calimaq : Alors là, ouais, il va falloir voir dans les semaines prochaines ce qui va se passer autour des Jeux de Rio.
OliCat : Mais comment est-ce qu’on peut empêcher les gens de twitter sur un hashtag ?
Calimaq : Quand on regarde bien, il faut remonter assez en arrière, en fait il faut aller jusqu’en 2009, parce qu’en 2009, quand le Brésil a obtenu l’organisation des Jeux, il y a une condition c’est que tu dois passer une loi qui s’appelle l'Olympic Act. Avant, l’Angleterre avait été obligée de le faire, quand il y a eu les Jeux à Londres. Là, en 2009, le Brésil a été obligé de passer cette loi. Dans cette loi il y a des tas de choses liées à l’organisation des Jeux et il y a une section liée à la défense des marques et des copyright du CIO, qui prévoit toute une liste de noms, donc tu as Rio 2016, Olympic Games, Paralympics Games, toute une série d’expressions et l’État s’engage à protéger, de la manière la plus ferme et absolue, l’exclusivité d’usage sur ces mots. Ce qui est intéressant c’est ce que va encore beaucoup plus loin que le droit des marques classique, parce que le droit des marques classique il y a une limite, c'est que ça ne vaut que dans la vie des affaires, ça vaut entre marchands qui protègent une manière de désigner leurs produits. Mais, avec cette loi-là, ça va encore plus loin, parce que ça prend en compte la distinction entre l’usage commercial ou non. Donc c’est une exclusivité totale sur le mot. Et là, la semaine dernière, on a la branche américaine du CIO qui a repris la chaîne ESPN, en lui disant : « Attention vous n’êtes pas un sponsor officiel des Jeux, donc vous n’avez pas le droit d’utiliser le hashtag Rio 2016. Ça c’est réservé à mon sponsor. » Donc ils vont commencer à mettre en place tout le processus de surveillance. Il y a toute une police des marques.
OliCat : Non, mais là, sans Twitter ils ne peuvent pas y arriver, en fait. Il n’y a que Twitter qui, aujourd’hui, peut restreindre l’accès à un hashtag à certains comptes.
Calimaq : Ouais. Ça va être très compliqué pour eux, mais ils sont très bien organisés, quand même. À Londres il y avait plus de deux cents personnes qui étaient chargées en permanence de faire appliquer les exclusivités et ça allait extrêmement loin : il y a certaines chaînes, par exemple, quand tu n’as pas acheté l'exclusivité, tu n’as pas le droit de dire le mot « Jeux olympiques », ne serait-ce qu'au JT.
OliCat : Ouais !
Calimaq : Ils étaient obligés de dire, par exemple en Angleterre ils disaient The O World plutôt que dire Olympic parce que c’était risqué de dire Olympic. Il faudra voir aussi quel effet ça a dans la ville de Rio, parce que, à Londres, ça avait été complètement désastreux. Il y avait un bar, par exemple, à Londres, qui s’appelait depuis des années le Olympic Café, qui s’était fait reprendre par la police des marques en disant: « Eh bien non, là il faut que vous changiez de nom, Olympic c’est nous quoi ! » Ils avaient enlevé le « O » et ils s’appelaient le Lympic Café. Je ne sais pas si Rio va autant déchaîner, parce qu'à mon avis, Rio, il va y avoir d'autres problèmes.
OliCat : Oui, probablement, ouais.
Calimaq : On sent que ça va être déjà très complexe, et puis problématique à tous les niveaux, niveau social et tout, ça va être compliqué. C’est pour ça que j’ai mis « à surveiller », parce qu’à mon avis, sur Internet en tout cas…
OliCat : Absolument !
Calimaq : Et donc là on est typiquement dans la privatisation du langage. Le CIO s’arroge des noms, des expressions. Déjà, il y a quatre ans, je trouvais ça flippant et là, on replonge dedans allègrement.
OliCat : Écoute, je pense qu’on va avoir l’occasion d’en parler, parce que c’est la semaine prochaine que ça se lance. Effectivement, on peut imaginer que le CIO peut faire pression sur les chaînes, notamment, mais comment faire pression sur les millions de twittos qui vont s’exprimer au sujet de ces Jeux ?
Calimaq : Ils vont faire des exemples, en fait. Ils vont taper au hasard, ils prendront ceux qui seront les plus visibles.
OliCat : Mais du coup, comme tu le disais, on dépasse le cadre du droit des marques.
Calimaq : Oui, oui.
OliCat : En quoi, même s’ils souhaitaient faire des exemples ce serait légalement possible ? Je n’arrive pas à saisir.
Calimaq : Avec cette loi qui a été votée au Brésil, je pense qu’ils ont matière à s’appuyer sur ce genre de trucs. Je ne sais pas, après, comment ils vont faire au niveau mondial ; ça risque d’être plus compliqué. Mais, à mon avis, ils vont tenter de l’appliquer bien au-delà. À Londres, par exemple, il y a des tas de gens qui étaient opposés à la tenue des Jeux à Londres. Il y a tout un mouvement social qui s’était constitué parce qu’ils ne voulaient pas qu’il y ait les Jeux olympiques à Londres, et le CIO s’était servi de ces lois-là pour faire fermer des sites, par exemple les sites de gens qui critiquaient l’organisation des Jeux.
OliCat : En gros ce serait comme si Iliad attaquait Freezone parce qu’on s’appelle Freezone.
Calimaq : Oui, oui, tout à fait. Oui. C’est un peu la même chose.
OliCat : On attend votre petite lettre. Iliad ! On a besoin d’un peu de pub. C’est bon ça !
Calimaq : D’ailleurs, j'encourage tout le monde à bien réfléchir avant de soutenir la candidature de Paris aux Jeux olympiques parce que ce genre de délire, dans un pays comme la France qui est déjà bien portée sur la propriété, ça risque d’être puissance mille.
OliCat : D’autant que là…
Calimaq : Ça montre à quel point que, dans une ville, ça peut limiter la liberté d’expression.
OliCat : Absolument ! D’autant qu’on sait très bien, peu importe la ville, c’est le CIO qui gère et on a compris que c’était un peu des ayatollahs du dépôt de marques. Ça va être un peu compliqué.
Calimaq : C’est clair !
OliCat : Une pépite libre pour terminer ce Freezone, épisode 10. Il s’agit d’un projet d’écriture collaborative. Son petit nom c’est Letter for Black Lives. Il vise à favoriser le dialogue interculturel et intergénérationnel à propos de la condition des Noirs aux USA dans le cadre de la campagne Black Lives Matter. Il a commencé, ce projet, sous la forme d’une lettre écrite, par un groupe de jeunes, de manière collaborative, qui a ensuite été placée sous licence CC0, la licence la plus, comment il dit Stallman ? C’est la plus forte, c’est ça ? On dit faible ou forte.
Calimaq : Oui. Là, c’est celle qui va le plus loin de toutes les licences.
OliCat : Voilà ! En termes de partage. Cela a permis, nous dis-tu, la traduction du document dans vingt-deux langues — il faudra que tu me dises quand est-ce qu’il a commencé, parce que c’est intéressant — avec de nombreuses réinterprétations et une diffusion à grande échelle de la démarche. Alors effectivement, après en quoi c’est une pépite libre ? En quoi ça peut engendrer d’autres types d’initiatives de cet ordre ? Dans quels domaines ? Et comment on peut voir ça de la façon la plus belle qui soit ?
Calimaq : C’est un beau petit exemple de ce que permet de lever toutes les contraintes. Je crois que ça a commencé il y a juste quinze jours.
OliCat : D’accord. Quinze jours, vingt-deux langues. OK !
Calimaq : Donc, en gros, ça a commencé par un petit groupe de jeunes. C’était en pleine période où il y a eu vraiment des gros incidents aux États-Unis autour de la condition des Noirs.
OliCat : Tu parles d’incidents, c’est un euphémisme !
Calimaq : Ouais. Violences policières, assassinats. Voilà, on en est là. Et du coup, ils se sont dit qu'une bonne manière d’agir, c’est d’inciter les jeunes à faire des lettres à leurs parents ou à leurs grands-parents, pour les alerter sur le problème et engager la discussion. Et ils ont fait un modèle de lettre, ensemble, qu’ils ont écrit sur un Google Docs. Ils l’ont mis en ligne et ils ont choisi la licence CC0 pour ça, en disant : « Eh bien voilà, maintenant prenez ce truc, remettez-le à votre sauce si ça ne vous convient pas exactement, adaptez-le, enregistrez-le et traduisez-le si vous voulez que ça soit plus connu. » Et en quinze jours, c’est traduit en vingt-deux langues et visiblement ça commence à prendre. Les médias l’ont repéré, en ont parlé, donc ça commence à gagner une certaine visibilité.
OliCat : Et est-ce qu’on commence déjà à dépasser la lutte, le combat initial ? Est-ce que d’autres formes de lettres commencent à apparaître pour dénoncer d’autres violations de l’État de droit, d’état de faits, etc. ?
Calimaq : Je ne crois pas encore que ça ait dépassé le cadre de la campagne Black Lives Matter. Ça reste dans ce champ-là. Mais ils ont quand même réussi à crever le plafond.
OliCat : Donc on attend le recueil complet de lettres.
Calimaq : Oui, voilà. Ce qui est intéressant c’est que cette licence CC01 va beaucoup plus loin qu’une licence libre comme la GNU GPL ou quoi. C’est une licence qui dit : « Quels que soient les droits que je pourrais avoir sur le contenu, j’y renonce. » Du coup, c’est une licence qui lève toutes restrictions : il n’y a plus aucune restriction dans la réutilisation du contenu. Ça veut dire que tu n’es même pas obligé de citer le nom de l’auteur, tu peux complètement modifier, tu peux faire ce que tu veux avec.
OliCat : C’est intéressant si ça s’exprime exactement dans ces termes, parce que j’avais cru comprendre que dans le droit, on ne pouvait pas renoncer à un droit.
Calimaq : Parce qu’aux États-Unis tu peux le faire.
OliCat : D’accord.
Calimaq : Tu peux. C'est ce qu’on appelle faire du domaine public volontaire : tu abandonnes tout, tu verses ce que tu as fait dans le domaine public. Il n’y a plus aucune restriction. Mais en France, tu ne peux pas le faire. Enfin, il y a des gros débats pour savoir su tu peux le faire, plutôt, parce qu’il y a un truc qui s’appelle le droit moral qui est inaliénable. Et ça comporte, notamment, le fait qu’on reconnaisse ta paternité sur une création et donc qu’on te cite comme auteur. Ça tu ne peux pas y renoncer par toi-même. Tu ne peux pas dire : « Faites ce que vous voulez. Vous pouvez même ne pas me citer comme auteur. »
OliCat : OK !
Calimaq : Tu ne peux pas valablement le faire. Enfin, il y a des débats pour savoir si ça passerait devant un juge français, parce que le code dit bien que le droit moral est inaliénable, et inaliénable ça veut dire que tu ne peux pas y renoncer, normalement. J’avoue que j’ai mis, quand même, mon blog sous CC0.
OliCat : Oui, en CC0, absolument.
Calimaq : Parce que j’y tiens beaucoup, donc moi j’y ai renoncé. Mais on ne sait pas si ça a vraiment une valeur juridique.
OliCat : En fait, ça n’a pas de valeur, en gros. En fait, il faudrait aller le défendre, en tout cas.
Calimaq : Ça veut dire, en fait, que ça me donnerait théoriquement la possibilité de changer d’avis. C’est-à-dire que si un jour quelqu’un reprend mes écrits et ne me cite pas, je pourrais changer d’avis et aller l’attaquer, moi, en justice.
OliCat : D’accord, mais là tu passerais pour un idiot !
Calimaq : Voilà ! Moi, je passerais pour un idiot, c’est un peu la limite. Mais symboliquement, ça a quand même une importance. Ça veut dire que tu ne peux pas complètement sortir du cadre. On te laisse un pied dedans, parce qu’en fait, on te protège contre toi-même.
OliCat : Eh bien oui, c’est ça !
Calimaq : C’est ça, un peu, la logique. Et moi, je défends une autre interprétation qui dit qu’inaliénable ça ne veut pas dire ça. Ça veut dire : tu ne peux pas le donner à quelqu’un d’autre, mais que si toi tu veux y renoncer vis-à-vis de tout le monde, ce n’est pas une aliénation. Une aliénation, c’est de te soumettre à quelqu’un.
OliCat : Absolument.
Calimaq : Une fois j’avais fait une argumentation en disant : « Non, c’est tout à fait possible dans le droit français parce que ce n’est pas donner ton droit moral à, par exemple, un éditeur. » La règle est faite pour protéger les auteurs contre des puissants, en fait, pas contre l’ensemble du public, quoi !
OliCat : OK. Super, ça nous permis de digresser un peu sur le CC0. Merci Calimaq.
Calimaq : Merci.
OliCat : On te retrouve sur ton blog, S.I.Lex. Je n’ai plus exactement l’adresse en tête.
Calimaq : C’est scinfolex, scinfolex.com2.
OliCat : scinfolex.com. À la semaine prochaine.
Calimaq : Salut !
OliCat : Ciao.